Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20010611

Dossiers: 1999-1793-EI,

1999-1794-CPP,

1999-1932-CPP,

ENTRE :

COMEAU'S SEA FOODS LIMITED,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]            Les appels en l'instance ont été entendus sur preuve commune à Halifax, en Nouvelle-Écosse, le 22 janvier 2001. Les avocats des deux parties ont présenté leurs observations écrites après l'audience.

[2]            Les appels 1999-1793(EI) et 1999-1794(CPP) ont trait à une décision du ministère du Revenu national datée du 9 juillet 1998, confirmée par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) par lettre datée du 7 janvier 1999, selon laquelle Daniel d'Entremont exerçait auprès de l'appelante un emploi assurable ouvrant droit à pension au cours de la période allant du 1er janvier 1997 au 9 juillet 1998. Selon le ministère, il était réputé employé par l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services, tant aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi qu'à celles du Régime de pensions du Canada (RPC).

[3]            L'appel 1999-1932(CPP) a trait à un avis daté du 15 janvier 1998 par lequel le ministre a évalué que l'appelante devait payer la somme de 241 661,84 $ pour la période allant du 1er janvier 1997 au 31 octobre 1997 parce qu'elle avait omis de déduire et de remettre les cotisations prévues par le RPC à l'égard des montants que l'appelante avait versés à 146 pêcheurs, dont les noms apparaissent à l'annexe A de la réponse à l'avis d'appel, qui fournissaient des services à l'appelante sur ses quatre pétoncliers et sur un senneur à hareng et parce qu'elle avait omis de remettre sa cotisation d'employeur prévue par le RPC.

PRÉLIMINAIRE

a)        L'appelante et l'intimé conviennent que la décision de la Cour concernant les trois appels en question s'appliquera à tous les pêcheurs dont le nom figure à l'annexe A. Il a également été convenu que la décision de la Cour s'appliquera également aux appels interjetés à l'encontre des décisions portant sur le caractère assurable et les droits à pension concernant Daniel d'Entremont (1999-1793(EI) et 1999-1794(CPP)).

b)        Il a aussi été convenu et confirmé, lors d'une conférence préparatoire avec le juge Rip de la Cour canadienne de l'impôt, qu'il ne serait pas nécessaire de faire témoigner les 146 pêcheurs engagés sur les bateaux de l'appelante en 1997 : un échantillon de ces pêcheurs ferait état, dans leur témoignage à l'audience, de la relation de travail entre l'appelante et l'ensemble des pêcheurs se trouvant sur ses bateaux au cours des périodes en litige. Il a été soutenu qu'il y a eu suffisamment de témoignages non contredits pour attester que ce qui se passait sur l'un des pétoncliers reflétait généralement ce qui se passait, normalement, sur les autres pétoncliers de l'appelante. De même, le témoignage de deux pêcheurs de hareng portant sur les activités ayant lieu sur le senneur était suffisant comme preuve de la relation de travail entre l'appelante et l'équipage du Lady Melissa II, le senneur de hareng de l'appelante.

FAITS

[4]            Je conclus que les faits pertinents sont les suivants :

a)              l'appelante est une société dûment constituée en 1959 en vertu des lois de la province de la Nouvelle-Écosse;

b)             son établissement principal se trouve au 60, chemin de Saulnierville, Saulnierville, en Nouvelle-Écosse, où était effectuée la transformation des pétoncles et du hareng. L'appelante exploitait également plusieurs autres usines en Nouvelle-Écosse qui effectuaient d'autres travaux que la transformation des pétoncles et du hareng;

c)              les bateaux et leur équipement, y compris les chaluts, les chalutiers, et le matériel électronique, appartenaient à l'appelante. Les membres de l'équipage possédaient leurs propres couteaux à décoquiller ou à écailler et leur matériel personnel comme les gants, les bottes et les vêtements pour les protéger contre la pluie. En 1997, il y avait deux équipages pour chacun des quatre pétoncliers. L'appelante décidait quel équipage partait et où il partait en collaboration avec les capitaines et tentait de traiter tous les équipages de façon égale, compte tenu que certains bancs de pêche rapportaient plus que d'autres;

d)             les pétoncliers comprenaient le Lady Comeau II, le Lady Denise II, le Lady Yvette II et le Lady Lisa II. Le senneur de hareng était le Lady Melissa II. Les trois nouveaux pétoncliers de l'appelante, soit le Lady Denise II, le Lady Comeau II et le Lady Yvette II, valent chacun entre 3,5 et 4 millions de dollars. Le senneur de hareng de l'appelante, le Lady Melissa II et l'autre pétonclier, le Lady Lisa II, valent plus de 2 millions de dollars;

e)              l'appelante ne disposait d'aucun accord d'emploi écrit avec les pêcheurs mais avait conclu une entente verbale avec eux. Selon les termes de cette entente, chaque pêcheur avait le droit de recevoir une partie du produit de la vente de la prise et chacun d'eux était responsable d'une portion des dépenses liées à chaque sortie en mer. Plusieurs feuilles de règlement soumises en preuve et apparaissant aux onglets 1 à 9 du recueil conjoint de documents, volume 1, font état de ces ententes. Comme ces feuilles semblent l'indiquer, l'appelante établissait une valeur fondée sur les conditions du marché pour le hareng et les pétoncles. Ces valeurs établissaient le montant du produit à partager. Pour chaque prise, les pêcheurs de pétoncles avaient le droit de recevoir 60 p. 100 du produit de la vente et l'appelante recevait 40 p. 100. Le partage dudit produit pour le hareng était de 40 p. 100 pour les pêcheurs et de 60 p. 100 pour l'appelante. Ces pourcentages avaient été établis bien avant 1997 et étaient conformes, de façon générale, aux pratiques de l'industrie. On peut également déduire des feuilles de règlement qu'il incombait à l'équipage de régler de nombreuses dépenses comme la glace, la nourriture consommée pendant le voyage, le carburant et certaines contributions versées au cuisinier du bord et à l'ingénieur. Pour de plus amples détails, voir les feuilles de règlement;

f)              les permis de pêche à contingent individuel pour une espèce donnée ainsi que les permis de bateaux de pêche appartiennent à l'appelante. Par conséquent, elle est considérée comme la propriétaire des prises, malgré le fait que les pêcheurs ont le droit de recevoir une grande partie du produit des différentes prises;

g)             aucun des pêcheurs (quelques fois appelés « équipage » ) n'était assuré de recevoir des gains minimums par sortie, et aucun ne recevait d'avantages comme des primes, une rémunération de jours fériés, une rémunération pour les heures supplémentaires ou des congés payés;

h)             le capitaine de chaque bateau était la personne qui choisissait et engageait les pêcheurs. Il était lui-même engagé par l'appelante après consultation avec l'équipage. Qui plus est, le capitaine était celui qui décidait du moment où un bateau pouvait sortir, bien que cette décision était prise en collaboration avec Noel Dépres, le directeur général de l'appelante. C'est le capitaine qui décidait où pêcher dans le secteur ou sur le banc auquel il était affecté. Dans la plupart des cas, il recevait les chèques de l'appelante pour la totalité du montant étant due au capitaine et à l'équipage et il payait l'équipage avec ses propres chèques;

i)               la transformation du poisson est la principale entreprise de l'appelante. Celle-ci achète du poisson à des pêcheurs utilisant des bateaux autres que les siens;

j)               avant l'évaluation effectuée aux fins du RPC pour 1997, les cotisations au Régime de pensions du Canada avaient été payées par chaque pêcheur en tant que travailleur indépendant;

k)              Noel Dépres, le directeur général de l'appelante, appelait les capitaines des pétoncliers la plupart des matins lorsqu'ils étaient en mer (la plupart des sorties duraient plusieurs jours, généralement 10), pour s'assurer que tout allait bien et pour les informer au sujet de la taille des pétoncles requis par l'appelante. Il existait cinq bancs distincts pour les pétoncles. Lorsque les capitaines sont en mer, ils envoient un rapport quotidien portant sur leur pêche juste après minuit chaque jour. Les sorties de pêche au hareng étaient quotidiennes, principalement dans la Baie de Fundy;

l)               le ministère des Pêches et Océans ( « MPO » ) détermine chaque année les quotas pour l'industrie et répartit ces quotas en fonction d'un pourcentage, aux diverses sociétés de pêche. En outre, le MPO, l'appelante et le capitaine déterminent quoi pêcher, où, quand et comment le faire. L'appelante décide quels bancs seront exploités. Le capitaine exerce un pouvoir décisionnel une fois rendu au banc désigné par l'appelante. Il incombe au capitaine de trouver des pétoncles dans le secteur désigné par l'appelante;

m)             j'accepte également comme avérés les faits décrits aux paragraphes 161, 162, 167, 168 et 169, cités ci-dessous, des observations de l'appelante présentées après l'audience.

OBSERVATIONS DES AVOCATS DE L'APPELANTE

[5]            Je cite les paragraphes suivants tirés des observations de l'appelante présentées après l'audience :

[TRADUCTION]

8.              Le paragraphe 6(1) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, indique quels emplois ouvrent droit à pension et le paragraphe 2(1) de cette loi définit la notion d'emploi aux fins de ladite loi comme : « L'accomplissement de services aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage, exprès ou tacite... » (Cahier de la jurisprudence et de la doctrine, onglet 1)

9.              La question en litige, dans le cadre de l'appel de l'appelante interjeté à l'encontre de l'évaluation fixée en vertu du Régime de pensions du Canada et dans le cadre de l'appel interjeté à l'encontre de la décision du ministre concernant l'existence d'un droit à pension découlant des services de M. d'Entremont et, par conséquent, de tous les pêcheurs engagés par l'appelante, est simplement de savoir si le travail des pêcheurs a été accompli aux termes d'un contrat de louage de services. Si les pêcheurs ont accompli les services aux termes d'un contrat de louage de services, ils ont alors exercé un emploi ouvrant droit à pension en vertu du Régime de pensions du Canada, ce qui fait en sorte que l'appelant a l'obligation d'effectuer des retenues, à titre de cotisations au Régime de pensions du Canada (quelques fois appelé le « RPC » ), sur les paiements effectués aux pêcheurs, et de remettre ces retenues, ainsi que la cotisation de l'employeur, au Receveur général du Canada. Avant que l'intimé ne fixe l'évaluation pour 1997, des montants équivalents au titre des cotisations au RPC étaient dus, mais ont été versés par les pêcheurs en tant que cotisations sur les gains d'un travailleur autonome.

[...]

11.            En vertu de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, tout comme ce qu'il en est en vertu du Régime de pensions du Canada, une personne est engagée dans un emploi assurable si l'emploi est exercé « ...aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite » . (Cahier de la jurisprudence et de la doctrine, onglet 2). Si le pêcheur est un travailleur indépendant, les dispositions de la Loi sur l'assurance-emploi ne s'appliquent pas aux gains dudit pêcheur pendant qu'il est engagé en tant que travailleur indépendant. [...]

12.            En vertu de l'article 2 du Règlement sur l'assurance-emploi (Pêche), DORS/96-445 (Cahier de la jurisprudence et de la doctrine, onglet 3) une personne qui est un « pêcheur » au sens du Règlement fait partie des assurés au sens de la Loi sur l'assurance-emploi. Il en résulte que l'obligation de payer des cotisations et le droit de recevoir les prestations de l'assurance-emploi ne dépendent pas de la décision portant sur la question de savoir si l'équipage est engagé en vertu d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise.

13.            La question de savoir si un pêcheur est engagé en vertu d'un contrat de louage de services exprès ou tacite est essentielle pour déterminer si les pêcheurs sont engagés dans un emploi ouvrant droit à pension aux fins du Régime de pensions du Canada et assurable aux fins de la Loi sur l'assurance-emploi. Cependant, comme l'appelante avait, en l'espèce, déduit les cotisations d'assurance-emploi au cours de la période en litige, le ministre n'a pas fixé d'évaluation en la matière. La décision de cette cour concernant le caractère assurable des pêcheurs n'aura aucune incidence sur l'appelant ou sur les pêcheurs en ce qui concerne les retenues et les versements des cotisations d'assurance-emploi.

14.            En ce qui concerne la question des cotisations au RPC, les répercussions sont très différentes.

[...]

16.            En outre, ce n'est pas une affaire dans laquelle le ministre dispose d'un pouvoir discrétionnaire que le juge des faits doit s'assurer de ne pas usurper. Un appel de cette nature constitue, dans les faits, un nouveau procès. La question, commune aux trois appels, constitue une question de droit et de fait. [...]

[6]            Les avocats de l'appelante renvoient à l'arrêt de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N., C.A.F., no A-531-87, 15 janvier 1988 (88 D.T.C. 6099). La Cour a déclaré à la page 3 (DTC : à la page 6100) :

La cause décisive concernant cette question dans le contexte de la loi est la décision de la Cour dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 (87 DTC 5025). Parlant au nom de la Cour, le juge MacGuigan a analysé des causes canadiennes, britanniques et américaines et, en particulier, il a mentionné les quatre critères pour rendre une telle décision qui sont énoncés par lord Wright dans l'affaire La ville de Montréal c. Montreal Locomotive Works Ltd., [1974] 1 D.L.R. 161, aux pages 169 et 170. Il a conclu à la page 5028 que :

Dans ce contexte, les quatre critères établis par lord Wright [contrôle, propriété des instruments de travail, chances de bénéfice, risques de perte] constituent une règle générale, et même universelle, qui nous oblige à [TRADUCTION] « examiner l'ensemble des divers éléments qui composent la relation entre les parties » .

[TRADUCTION]

115.          Dans un important corps de jurisprudence faisant suite à l'arrêt Wiebe Door, il a été reconnu que le critère « composé de quatre parties intégrantes » était constitué des éléments suivants :

1. le contrôle;

2. la propriété des outils et de l'équipement;

3. les chances de bénéfices et les risques de pertes;

4. le critère de l'intégration ou de l'organisation.

[7]            L'avocat a ajouté ce qui suit :

[TRADUCTION]

116.          L'appelante soutient que le ministre a erré en déterminant que l'appelante, ... était un employeur des pêcheurs qui formaient les équipages de ses bateaux. Les pêcheurs étaient des travailleurs autonomes compte tenu du fait qu'ils étaient très indépendants et qu'ils avaient des chances de réaliser des bénéfices et un risque réel de subir des pertes économiques. Les décisions de la Cour canadienne de l'impôt dans les affaires Murray c. M.R.N., C.C.I., no 84-2526(IT), 19 novembre 1986 ([1987] 2 C.T.C. 2284, 87 D.T.C. 559), ... (ci-après appelé « Murray » ) et Benjamin c. M.R.N., C.C.I., no 96-1303(UI), 2 février 1998, ... (ci-après appelé « Benjamin » ) ainsi que l'analyse adoptée par la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Wiebe Door ... étayent la position de l'appelante.

117.          La relation entre les membres d'équipage et l'appelante est très similaire à celle qui a été examinée par le juge Sarchuk dans l'affaire Murray, affaire dans laquelle il a soutenu que le capitaine d'un bateau de pêche et son équipage étaient des entrepreneurs indépendants.

118.          Comme en l'espèce, la Cour a fait remarquer dans la décision Murray qu'il n'existait aucun contrat d'emploi entre la société et les membres d'équipage. Les pêcheurs ne bénéficiaient non plus d'aucune garantie de gains minimums. En outre, chaque membre de l'équipage recevait une partie du produit de la vente de la prise selon une base prédéterminée.

119.          Après en être arrivé à la conclusion que le capitaine du bateau et les membres de l'équipage étaient des entrepreneurs indépendants, la Cour a exprimé son raisonnement comme suit aux paragraphes 15 à 17 :

La preuve a clairement établi que les membres de l'équipage embauchés par Cape Beale était des entrepreneurs indépendants. Absolument rien dans la preuve ne vient appuyer la proposition selon laquelle Murray aurait été traité de façon différente. Comme capitaine de bateau de pêche, ses fonctions n'ont pas été supervisées [par] Cape Beale et Murray était entièrement responsable des méthodes et des moyens utilisés pour faire son travail; comme capitaine de bateau de pêche, peut-être même l'était-il davantage que ne l'auraient exigé d'autres circonstances.

Il n'existait pas de contrat d'embauche et il n'y a aucune preuve que M. Murray avait droit à une rémunération fixe ou déterminable. Chaque membre d'équipage, y compris Kenneth Murray, était payé selon la méthode des résultats. S'ils pêchaient de façon efficace, leurs gains augmentaient. Si le temps, des conditions atmosphériques défavorables, une mauvaise gestion ou un mauvais travail venaient perturber leurs habitudes de travail, ils assumaient la perte ou une partie de la perte.

Je ne vois aucun élément témoignant d'un rapport maître-employé dans cette situation. De plus, Revenu Canada a établi une distinction entre les pêcheurs-employés et les entrepreneurs indépendants. Je renvoie au Bulletin d'interprétation IT-254R2, qui traite d'une question complètement différente mais comprend quand même ce commentaire au paragraphe 1 :

Le bulletin s'applique aux « pêcheurs-employés » (membres de l'équipage d'un bateau rémunérés sous forme de traitement ou de salaire par opposition aux personnes ayant droit à une part du profit au prorata des pêches effectuées et ayant une responsabilité quant aux dépenses. [...]

120.          Dans l'affaire Murray, la Cour a soutenu sans équivoque que les membres de l'équipage, dont les modalités de travail étaient presque identiques à celles des membres de l'équipage de l'appelante, n'étaient pas des employés du propriétaire du bateau.

121.          [...] la décision rendue par la Cour canadienne de l'impôt dans l'affaire Benjamin est la décision publiée la plus récente qui porte sur le statut d'emploi des pêcheurs. Les modalités de travail conclues entre le pêcheur et le propriétaire du bateau étaient très similaires aux modalités constatées dans l'affaire Murray et à celles de l'équipage de l'appelante. Dans cette affaire, la Cour a qualifié les parties de coentrepreneurs. Le juge Rowe a appliqué le critère énoncé dans l'arrêt Wiebe Door et a conclu que l'appelant était un travailleur indépendant malgré le fait que le pêcheur :

a)              ne possédait aucun outil ou matériel;

b)             n'exerçait aucun contrôle sur le lieu de la pêche;

c)              ne participait pas au paiement des dépenses liées à l'achat de la nourriture, du carburant, des appâts, de la glace.

Le facteur le plus important aux yeux de la Cour en vue de déterminer si le pêcheur était indépendant était ses chances de réaliser un bénéfice. La rémunération du pêcheur correspondait à 35 p. 100 du produit de la vente de la prise. [...]

[8]            L'avocat analyse ensuite la règle comprenant quatre critères et je cite des extraits de son argumentation écrite :

                               

[TRADUCTION]

Contrôle [...]

127.          La nature de l'industrie de la pêche est telle que les pêcheurs ne peuvent avoir le contrôle sur la totalité des aspects du travail devant être accompli. Ainsi, le permis de pêche limite le nombre d'espèces de poisson pouvant être pêchées ainsi que les lieux et les jours de pêche. En outre, la nature des expéditions de pêche oblige les pêcheurs à s'organiser en équipages ayant à leur tête un capitaine. Tous les membres de l'équipage doivent fournir un effort collectif dans le cadre du processus de pêche en mer. Il est évident que chaque membre de l'équipage de pêche ne peut exercer son travail sans faire l'objet d'un certain contrôle. Cependant, les membres d'équipage exercent leur travail d'une manière indépendante de l'appelante et ils ne reçoivent aucune directive de la société lorsqu'ils pêchent et ils ne sont pas supervisés par celle-ci.

128.          Le juge Robertson de la British Columbia Court of Appeal a soutenu dans l'arrêt Mark Fishing Co. v. U.F.A.W., [1972] 3 W.W.R. 641, 24 D.L.R. (3d) 585 (B.C.C.A.), ... (ci-après appelé « Mark Fishing » ) que les pêcheurs n'étaient pas des employés et a fait remarquer que l'absence de contrôle par les membres d'équipage sur le lieu et le moment de la pêche ne menait pas nécessairement à la conclusion qu'il s'agissait d'une relation d'employeur-employé. Il a reconnu que la nature même d'une sortie en mer signifie qu'un certain nombre de décisions doivent être laissées au capitaine du bateau.

L'avocat a renvoyé, en particulier, à la déclaration suivante du juge Robertson :

[TRADUCTION]

Le contrat en question entre les pêcheurs et les propriétaires comporte une caractéristique qui me fait pencher particulièrement vers la conclusion selon laquelle les pêcheurs n'étaient pas des employés du propriétaire. En fait, si une perte était encourue lors d'une sortie, une facture « négative » était présentée aux membres d'équipage à parts égales. Cela constituait une dette de chaque membre de l'équipage envers le propriétaire ou les propriétaires et qui suivait le membre d'équipage où qu'il aille. Son obligation de s'en acquitter ne dépendait pas de la réalisation, lors de sorties subséquentes sur un bateau appartenant au même propriétaire ou aux mêmes propriétaires, de profits qui lui auraient permis de s'acquitter de son obligation. Il me semble que cela est incompatible avec une relation commettant-préposé mais compatible avec une relation de coentrepreneurs. [les caractères gras sont de moi]

129.          La preuve a démontré que non seulement le capitaine mais tout l'équipage jouait un rôle important dans la détermination du nombre d'équipages ou du nombre de membres d'équipage. Cela constitue une décision importante qui a une répercussion directe sur leur rémunération totale. ... Alors que d'habitude tous les membres d'équipage reçoivent une part égale sauf certains membres comme le cuisinier de bord, l'ingénieur, l'officier de pont et le capitaine qui reçoivent une part plus importante, la preuve a démontré que les nouveaux membres d'équipage étaient souvent intégrés, sur entente, avec une part des profits inférieure aux autres.

[...]

2. Propriété des outils

134.          Il incombe souvent aux personnes travaillant à leur propre compte de fournir les outils et fournitures nécessaires à la réalisation de leurs tâches en vertu d'un contrat. Cependant, il est important de remarquer que les tribunaux ont donné moins de poids au critère de la propriété des outils car, selon la nature des services rendus, il peut ne pas être probant.

135.          Les pêcheurs sur les bateaux qui sont la propriété de l'appelante sont responsables de la fourniture, ou du paiement, de certains des outils nécessaires, tels que les couteaux à décoquiller ou à écailler ainsi que leur matériel personnel, notamment les gants, les vêtements de protection contre la pluie et les bottes.

136. [...]

Les tribunaux ont accordé un poids moindre à cet aspect du critère juridique lorsqu'ils ont examiné les relations de travail. Dans le marché actuel, tout comme dans d'autres industries, la participation à l'industrie de la pêche exige de vastes investissements en capital et un équipement moderne pour rester à la hauteur des changements technologiques et des autres pressions concurrentielles. Étant donné que le matériel de pêche est de plus en plus sophistiqué et que le coût de ce matériel est de plus en plus élevé, il n'est pas réaliste de demander à chaque pêcheur de contribuer au coût d'achat de l'équipement ou du bateau. C'est que des personnes participant à une industrie essentiellement saisonnière seraient appelées à effectuer un investissement majeur en capital. [...]

3. Chances de bénéfices ou risques de pertes

142.          Des personnes exploitant leur propre entreprise auront généralement la possibilité de réaliser un bénéfice sur le travail effectué mais elles courent également le risque de subir des pertes. Les employés, eux, sont assurés de recevoir un paiement pour les services rendus et n'auraient pas le droit de recevoir des bénéfices s'ajoutant au taux quotidien ou horaire.

143. [...]

(i)             Aucun salaire ou rémunération garantis

144.          En ce qui concerne les chances de bénéfices, l'appelante n'est clairement pas employeuse car les membres des équipages de ses bateaux n'ont aucun salaire garanti. Ils paient leur portion des dépenses et ils ont le droit de recevoir leur portion proportionnelle du produit de la vente de la prise. La rémunération reçue par les membres des équipages de l'appelante est fondée, en totalité, sur la réalisation de profits. L'appelante reçoit la « part du bateau » du produit de la vente de la prise parce qu'elle est la propriétaire du bateau et non parce qu'elle est l'employeuse des pêcheurs. L'appelante doit payer, à même cette part, les dépenses liées à son matériel et à ses permis.

[...]

[9]            L'avocat renvoie également à l'arrêt Klingner c. Mark Fishing Co., C.F. 1ère inst., no T-3239-90, 3 mai 1993 (1993 Carswell Nat. 726, 63 T.T.R. 83) dans lequel la Cour fédérale, Section de première instance, a soutenu qu'une relation similaire à celle en litige était assimilable à une coentreprise.

[TRADUCTION]

161.          Ici, la preuve a démontré que le senneur de hareng revenait souvent bredouille d'une sortie nocturne. Cependant, en vertu de l'entente, le règlement était différé jusqu'à ce qu'un certain nombre de sorties aient été accomplies afin que le règlement se solde par un paiement de l'équipage. Les pétoncliers avaient également des « sorties interrompues » . Il n'est pas contesté que l'équipage d'un bateau obligé de rentrer d'une sortie plus tôt que prévu, ce qui empêchait la sortie d'être profitable, discutait avec l'autre équipage pour savoir s'il pouvait retourner en mer à sa place. Il y avait une entente selon laquelle le premier équipage retournait en mer pour qu'il puisse avoir une sortie profitable. Les dépenses liées à la première sortie sont alors différées jusqu'au règlement final concernant une sortie. Si ce n'était de l'entente entre les deux équipages, (sans participation ou apport de l'appelante), l'équipage subirait une perte. Cependant, parce que les équipages se sont mis d'accord entre eux sur le fait qu'ils peuvent retourner en mer jusqu'à ce qu'ils aient effectué une sortie complète, ils ont fait en sorte que, de ce fait, le solde négatif de leur compte au total soit compensé par la valeur d'une sortie subséquente.

162.          Dans le cas de la pêche au hareng, il est encore plus évident qu'un compte « négatif » est tenu. La Cour a entendu des témoignages selon lesquels au cours de la saison, le Lady Melissa sort tous les jours mais revient souvent bredouille. Le paiement des dépenses liées à chaque sortie est différé jusqu'à ce qu'une pêche assez fructueuse ait lieu. Une feuille de règlement est alors finalement remplie. Le paiement des dépenses encourues lors de sorties précédentes et pour lesquelles aucun règlement n'a eu lieu est différé jusqu'à ce qu'il y ait un certain nombre de sorties générant des profits.

[...]

4. Critère de l'intégration ou de l'organisation

[...]

166.          Si le travail réalisé par une personne fait partie intégrante de l'entreprise, alors ce peut être pertinent pour la détermination de la question de savoir si une personne est un employé de la société. Le travail réalisé par un entrepreneur autonome sera généralement nécessaire au fonctionnement de l'entreprise mais n'en fera pas partie intégrante.

167.          Les pêcheurs doivent tous posséder des permis de pêche personnels émis par le MPO. Ces permis sont renouvelables tous les ans. Les membres des équipages qui agissent en qualité de capitaines, d'officiers de pont et d'ingénieurs doivent également posséder d'autres formations spécifiques telles que des certificats de secourisme et de Fonctions d'urgence en mer. L'appelante ne paie pas les coûts de ces permis et de ces certificats aux pêcheurs et ne les rembourse pas non plus.

168.          De nombreux membres d'équipage des bateaux de l'appelante participaient activement à d'autres aspects de l'industrie de la pêche dans des domaines distincts de ceux de l'appelante. Ainsi, un certain nombre de membres de l'équipage du senneur de hareng, le Lady Melissa, participent à la pêche au homard à diverses époques de l'année. D'autres membres des équipages des pétoncliers et du senneur de hareng coupent du bois, possèdent et exploitent une scierie, travaillent, sur d'autres bateaux qui n'appartiennent pas à l'appelante, à la pêche au poisson de fond tel que la goberge, la morue et l'aiglefin et travaillent pour d'autres pétoncliers côtiers sans lien avec l'appelante.

169.          L'appelante n'est pas responsable de la formation des membres de l'équipage. Chaque personne possède les compétences nécessaires ou reçoit la formation d'autres membres d'équipage dans le cadre de l'équipe de coentrepreneurs. Tant pour la pêche au pétoncle que pour celle au hareng, les membres de l'équipage ont des compétences et des connaissances spécialisées liées à leur domaine de pêche. Ces connaissances et compétences sont acquises par les pêcheurs eux-mêmes et ne sont pas fournies par l'appelante.

170.          En vue de déterminer le niveau d'intégration des pêcheurs dans leur entreprise, le fait que l'appelante ne verse aux pêcheurs aucune somme pour les primes, pour les congés payés, pour la rémunération de jours fériés ou pour les heures supplémentaires est également pertinent.

[...]

Conclusion : critère juridique

175.          Une analyse correcte de la relation entre l'appelante et les pêcheurs travaillant sur ses bateaux effectuée en conformité avec le critère juridique composé de quatre parties intégrantes nous amène à qualifier les pêcheurs comme étant des entrepreneurs autonomes ou des coentrepreneurs. Une application correcte du critère ne peut être effectuée sans tenir compte des réalités de l'industrie de la pêche et du fait que les pêcheurs et l'appelante partagent les dépenses et les profits. Cette qualification est appuyée par le courant jurisprudentiel majoritaire concernant le statut d'emploi des pêcheurs.

[...]

C.             Pratique administrative

182.          ... l'approche utilisée par les représentants du ministre pour déterminer si un pêcheur est un employé ou un entrepreneur autonome peut être utile en tant qu'aide à l'interprétation. Revenu Canada a émis diverses interprétations techniques et une majorité écrasante d'entre elles soutient la conclusion selon laquelle l'appelante n'est pas l'employeur de ces pêcheurs.

183.          Comme il a été noté dans l'affaire Murray ... mentionnée ci-dessus, dans le bulletin d'interprétation IT-254R2 -Pêcheurs - Employés et marins - Valeur de la pension et du logement daté du 26 mai 1980, ... ; le ministre opère une distinction entre « pêcheurs-employés » et pêcheurs indépendants en vue de la détermination de l'application des dispositions portant sur les prestations d'emploi et déclare :

1. Le bulletin s'applique aux « pêcheurs-employés » (membres de l'équipage d'un bateau rémunérés sous forme de traitement ou de salaire par opposition aux personnes ayant droit à une part du profit au prorata des pêches effectuées et ayant une responsabilité quant aux dépenses) et aux officiers et à l'équipage de tout navire autre qu'un navire de pêche.

184.          Dans l'interprétation technique 9419327 datée du 10 août 1994, ... le Ministère déclare qu'il considérera généralement une personne comme un pêcheur indépendant si :

                                               

[TRADUCTION]

·          La personne possède ou loue un bateau de pêche;

·          La personne est capitaine d'un bateau de pêche;

·          La personne est un pêcheur à la part qui obtient une part du profit de la prise.

[les caractères gras sont de moi]

[...]

186.          Un « communiqué » daté du 6 septembre 1997 (voir pièce AR-1, vol. 3, onglet 26) réitère qu'un pêcheur sera réputé indépendant s'il :

                [TRADUCTION]

a) participe à la prise;

b) ne pêche pas pour son divertissement;

c) remplit au moins une des conditions suivantes :

i) il est propriétaire ou locataire du bateau utilisé pour réaliser la prise,

ii) il est propriétaire ou locataire de l'attirail spécialisé (les outils à main ou les vêtements non compris) servant à réaliser la prise,

iii) il détient un permis de pêche pour une espèce donnée émis par le ministère des Pêches et des Océans nécessaire pour réaliser la prise;

iv) il possède le droit de propriété sur la totalité ou sur une partie du produit de la vente de la prise et a une responsabilité financière pour la totalité ou pour une partie des dépenses d'exploitation engagées pour réaliser la prise. [les caractères gras sont de moi]

187.          Dans le Guide du revenu de pêche de 1997 (T4004) (Cahier de la jurisprudence et de la doctrine, onglet 15), on peut lire que le revenu d'un pêcheur à la part constitue le montant perçu après la déduction de toutes les dépenses de voyage du produit de la vente de la prise. Les déductions permises comprennent les montants payés pour l'achat de permis de pêche personnels, de vêtements en caoutchouc, de gants et de couteaux.

188.          Selon les lignes directrices et interprétations publiées par le ministre, les pêcheurs qui travaillent sur les bateaux de l'appelante devraient être qualifiés de travailleurs indépendants. Le facteur auquel il faut donner le plus d'importance, c'est que les pêcheurs répondent à l'exigence du ministre, celle qu'ils doivent être « des pêcheurs à la part » . Chaque membre d'équipage a le droit de recevoir une portion du produit de la vente de la prise et doit payer certaines dépenses liées à la sortie en mer.

ARGUMENTATION DE L'AVOCAT DE L'INTIMÉ

[10]          L'avocat de l'intimé renvoie au droit applicable et à l'arrêt Wiebe Door. Je cite les passages suivants de son argumentation écrite analysant les quatre critères.

[TRADUCTION]

Le critère du contrôle

20.            En common law le critère traditionnel qui confirme l'existence d'une relation employeur-employé est le critère du contrôle. Ce critère a été reformulé par la jurisprudence à nombreuses occasions. Dans l'arrêt Wiebe Door, le juge MacGuigan note deux reformulations du critère du contrôle. La première constitue un énoncé du critère effectué par le baron Bramwell dans l'arrêt R. v. Walker (1858), 27 L.M.J.C. 207, cité au paragraphe 6 de l'arrêt Wiebe Door.

[TRADUCTION] À mon sens, la différence entre une relation commettant-préposé et une relation mandant-mandataire est la suivante: - un mandant a le droit d'indiquer au mandataire ce qu'il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit, mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite.

21.            La seconde constitue un énoncé du critère adopté par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Hôpital Notre-Dame de l'Espérance et Théorêt c. Laurent, [1978] 1 R.C.S. 605 à la page 613, cité au paragraphe 6 de l'arrêt Wiebe Door :

... le critère essentiel destiné à caractériser les rapports de commettant à préposé est le droit de donner des ordres et instructions au préposé sur la manière de remplir son travail.

22.            Aux fins du critère du contrôle, il faut donc examiner la question de savoir si le prétendu employeur dispose du droit de donner des ordres et des instructions à l'employé concernant la manière dont ce dernier effectue son travail. Comme le juge MacGuigan l'a fait remarquer, le critère peut perdre de sa pertinence dans le cas de travailleurs chevronnés et de professionnels qui possèdent des compétences se trouvant bien au-delà de la capacité de leur employeur de les diriger. Pour ce motif, l'application correcte de ce critère exige de la cour qu'elle se concentre sur le droit que possède le prétendu employeur de donner des ordres plutôt que sur la question de savoir si, en réalité, le prétendu employeur donne des ordres. Ainsi, dans l'arrêt Gallant c. M.R.N. (C.A.F.), [1986] A.C.F. no 330, le juge d'appel Pratte déclare ce qui suit :

Ce qui est la marque du louage de services, ce n'est pas le contrôle que l'employeur exerce effectivement sur son employé, c'est plutôt le pouvoir que possède l'employeur de contrôler la façon dont l'employé exécute ses fonctions.

[...]

24.            Comme il est déclaré dans l'arrêt Scherrer c. Canada (Ministre du Revenu national - M.R.N.), [1994] A.C.I. no 966, 27 octobre 1994, inédit, au paragraphe 15 :

Le degré de contrôle exercé par l'employeur est un des facteurs déterminants et varie, bien sûr, selon les emplois. Le contremaître à l'usine exerce un contrôle visible et présent à l'endroit des employés sous ses ordres. Par contre, les compagnies maritimes ou aériennes ne peuvent exercer qu'un contrôle restreint sur les capitaines de vaisseaux ou les pilotes d'avion. Il serait impensable d'asseoir un surveillant à côté de chacun d'eux. Et, pourtant, ils n'en sont pas moins des employés de la compagnie qui les emploie.

25.            Les facteurs suggérant une relation de subordination devraient être examinés par la Cour dans le cadre de l'application du critère du contrôle. Dans l'affaire Chiasson c. M.R.N. (23 février 1990), 87-603(UI), il n'y avait aucune consultation concernant la rémunération des pêcheurs, le début et la fin de la période de pêche, la nature du travail et sa durée, et les pêcheurs étaient obligés de participer au travail préparatoire au départ des bateaux. La Cour a conclu ce qui suit à la page 9 :

Dans ces circonstances, il me paraît difficile de conclure qu'il y a une aventure commune, lorsqu'une seule partie a le contrôle absolu de toutes les opérations relatives à l'initiative projetée. Le contrôle des travaux par l'une des parties est si absolu et l'absence de participation dans la prise des décisions par l'autre partie est si totale qu'il paraît plus plausible de croire, en appliquant ce premier critère, que la nature des relations juridiques entre les propriétaires de bateau de pêche et l'homme de pont est plutôt celle d'un employeur qui traite avec ses employés.

Le critère de l'intégration

26.            Le critère de l' « organisation » a d'abord été énoncé par lord Denning dans l'arrêt Stevenson, Jordan and Harrison, Ltd. v. MacDonald and Evans, [1951] T.L.R. 101 à la page 111. Il est repris dans l'arrêt Wiebe Door au paragraphe 3 :

[TRADUCTION]

Une particularité semble se répéter dans tous les cas : en vertu d'un contrat de louage de services, une personne est employée en tant que partie d'une entreprise et son travail fait partie intégrante de l'entreprise; alors qu'en vertu d'un contrat d'entreprise, son travail, bien qu'il soit fait pour l'entreprise, n'y est pas intégré mais seulement accessoire.

27.            En employant ce critère, la Cour suprême du Canada, dans l'arrêt Cooperators Insurance Association v. Kearney, [1965] R.C.S. 106, cherchait principalement à savoir si le prétendu employé faisait partie intégrante de l'organisation de son employeur. Bendel, dans l'ouvrage de Fleming, The Law of Torts (2e éd. 1961) [sic], cité dans l'arrêt Wiebe Door au paragraphe 11, utilise un passage d'une décision de la Commission des relations de travail de l'Ontario pour expliquer la raison de l'utilisation du critère de l'intégration. Il déclare à la p. 382 :


[TRADUCTION]

Au fond, exploiter une entreprise, c'est offrir à une clientèle divers biens et services au meilleur prix possible, compte tenu des contraintes que la concurrence fait subir à un marché donné. D'après la Commission, il est bien évident qu'une entreprise ne peut prospérer si sa croissance est totalement liée aux opérations d'un certain client. L'indépendance de l'entrepreneur est le facteur principal qui permet de le distinguer de l'employé ... Dans les cas où le soutien financier du chauffeur est inextricablement lié aux activités de l'intimé, nous croyons qu'il ne peut être considéré comme un entrepreneur indépendant.

28.            Dans l'arrêt Wiebe Door, le juge MacGuigan déclare que le critère de l'organisation produit des résultats tout à fait acceptables lorsqu'il est appliqué correctement, c'est-à-dire lorsque la question de l'intégration est posée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . Le juge MacGuigan justifie cette perspective comme suit au paragraphe 16, : « il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante » . Lorsque le critère est examiné du point de vue du travailleur, il est facile de voir que, si l'entreprise du travailleur est totalement intégrée aux opérations du payeur, le travailleur n'est pas un entrepreneur indépendant. Selon l'arrêt Wiebe Door au paragraphe 16, la question qui doit toujours être posée en ce qui concerne le critère de l'organisation ou de l'intégration est la suivante : « À qui appartient l'entreprise? » [...]

29.            En ce qui concerne la question : « À qui appartient l'entreprise? » , la Cour s'est fondée sur les facteurs énoncés à la page 10 de l'affaire Chiasson, précitée :

Si on considère ce critère du point de vue des pêcheurs il m'apparaît clair que ces expéditions de pêche ne faisaient pas partie d'une entreprise qui aurait été exploitée collectivement par tous les hommes de pont d'un même équipage. Ces hommes de pont ne participaient pas, par exemple, en aucune façon au choix de leurs co-équipiers, ni évidemment au choix de leur capitaine. Plusieurs d'entre eux avaient des liens de parenté avec le capitaine. À l'examen objectif des faits relatifs aux appels qui nous concernent, il est de toute évidence que l'entreprise pour laquelle les hommes de pont oeuvraient était bel et bien celle du propriétaire du bateau. D'après moi, l'on ne peut pas soutenir sérieusement que l'entreprise en question était même partiellement celle des pêcheurs. L'application de ce troisième facteur favorise nettement la thèse voulant que les pêcheurs soient des employés.

[...]

32.            Une partie du critère composé de quatre parties intégrantes porte sur la détermination du propriétaire des outils nécessaires à la réalisation des tâches examinées. Comme il a été noté dans l'affaire Chiasson précitée à la page 9 :

Comme on l'a vu la propriété du bateau, des agrès de pêche et des instruments de travail sans exception étaient la propriété exclusive du propriétaire du bateau. Si l'application de ce deuxième critère pointe dans une direction, ce serait dans celle où les pêcheurs sont des employés. En effet, on s'attendrait normalement à ce que ces pêcheurs fassent un apport quelconque à ce niveau et, s'ils étaient parties à une aventure commune.

33.            En ce qui concerne la chance de bénéfices ou le risque de pertes, le simple fait qu'un travailleur soit payé à la pièce n'indique pas qu'il est travailleur indépendant. En fait, l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi envisage le paiement à la pièce [...]

34.            Dans l'affaire Chiasson, précitée, la Cour a examiné, aux pages 10 et 11, la question de savoir si la part accordée après les retenues effectuées sur les feuilles de règlement des pêcheurs « équivalait à un partage des profits provenant des expéditions de pêche » . La Cour a tenu compte de certaines dépenses que devait absorber le propriétaire des bateaux de pêche comme l'amortissement relatif à la dépréciation du bateau, le matériel utilisé pour l'entretien et les réparations, à l'attirail de pêche et aux outils sauf dans le cas des installations électroniques. La Cour a conclu, à la page 11, que le montant qui revient aux membres d'équipage provient, en réalité, d'un « calcul arbitraire qui s'explique seulement par le contexte historique. » ...

APPLICATION DES PREUVES AU DROIT

35.            L'intimé soutient qu'en ce qui concerne le critère du contrôle, les facteurs suivants suggèrent l'existence d'un contrat de louage de services entre l'appelante et les pêcheurs :

·          l'appelante est propriétaire des bateaux, des permis de pêche pour une espèce donnée, des permis pour les bateaux et du gros matériel utilisé pour pêcher. Aucun des pêcheurs ne pourrait pêcher les pétoncles ou le hareng sur la côte de façon indépendante car ils ne pourraient pas obtenir les permis nécessaires pour se livrer à ces activités. Le nombre de permis disponibles est limité aux participants faisant déjà partie de l'industrie;

·          l'appelant détermine le prix devant être versé aux pêcheurs sans leur apport. Les pêcheurs ne négocient pas ce prix;

·          l'appelante déterminait, sans consulter les pêcheurs, que les équipages seraient doubles;

·          l'appelante décide vers quels bancs les bateaux se rendront;

·          le capitaine peut déterminer l'endroit où pêcher dans le banc. Si l'appelante veut des pétoncles particuliers quant à leur genre ou à leur qualité, elle peut demander au capitaine de changer de place. Si l'appelante demande à un capitaine de ce déplacer d'un secteur de pêche à un autre, il doit le faire;

·          les capitaines travaillant sur les bateaux de l'appelante sont des pêcheurs chevronnés hautement qualifiés. Cette expérience leur permet de trouver le poisson une fois rendu dans le secteur désigné par l'appelante. Le fait que le capitaine de chaque bateau décide lui-même où pêcher dans le secteur désigné par l'appelante ne signifie pas que celle-ci n'exerce pas un contrôle. Cela appuie plutôt le principe exprimé dans l'affaire Scherrer, précitée au paragraphe 15, selon lequel il serait impensable qu'un superviseur soit assigné à chaque capitaine de bateau. Et pourtant, il n'en sont pas moins des employés de la société qui les emploie;

·          la nature de la pêche est telle qu'il serait impossible pour l'appelante de diriger le capitaine précisément vers un endroit du banc. Cependant, il est clair que l'appelante a le droit de contrôler les capitaines et le fait dans une grande mesure, allant même jusqu'à leur demander de changer de place afin de répondre à la demande d'un produit d'une certaine qualité;

·          l'appelante indique au capitaine quand partir et quand revenir. Le capitaine ne peut prendre de décision à cet égard qu'en ce qui concerne la sécurité de l'équipage;

·          l'appelante est en communication quotidiennement avec les bateaux;

·          lorsque les pêcheurs ne veulent pas pêcher dans un secteur désigné par l'appelante en raison du fait qu'ils pensent que le règlement sera moindre, ils estiment quand même être obligés de s'y rendre;

·          Marcel Comeau a déclaré qu'après la saison du hareng, qui s'étale de la fin mai à la mi-octobre, les pêcheurs disposent du reste de l'année pour faire ce qu'ils veulent. Cela implique qu'ils ne peuvent pas faire ce qu'ils veulent pendant la saison proprement dite.

36.            L'intimé soutient qu'en ce qui concerne le critère d'intégration, les facteurs suivants suggèrent l'existence d'un contrat de louage de services entre l'appelante et les pêcheurs :

·          les pétoncliers et le senneur de hareng de l'appelante font partie intégrante de l'entreprise de l'appelante;

·          l'appelante est propriétaire des permis de bateaux et des permis pour une espèce donnée de même que des navires à pêcher nécessaires pour l'exploitation de son entreprise. L'appelante doit payer une somme considérable pour obtenir ces permis et ces bateaux. Cela suggérerait que l'appelante ne considère pas le travail réalisé par les pêcheurs comme simplement connexe à son entreprise;

·          bien que l'appelante possède plusieurs entreprises distinctes, la transformation du poisson est son activité principale. Les pêcheurs fournissent la matière première utilisée par l'appelante dans ses usines de transformation. En pêchant le hareng et les pétoncles, l'appelante est en mesure de contrôler le moment, la quantité et la qualité de l'arrivage de poisson à ses usines en vue de la production. L'appelante est ainsi plus sûre que les travailleurs de ses usines disposeront de produits à transformer;

·          la relation des pêcheurs avec l'appelante est renouvelée chaque année. Travailler sur les bateaux de l'appelante prévaut sur tout autre travail que ce soit pendant la saison. Une fois encore, les pêcheurs de hareng étaient libres de travailler ailleurs une fois le quota de l'appelante atteint.

37.            L'intimé soutient qu'en ce qui concerne la propriété des outils, les facteurs suivants suggèrent l'existence d'un contrat de louage de services entre l'appelante et les pêcheurs :

·          l'appelante était propriétaire des principaux outils utilisés par les pêcheurs pour réaliser leur travail : les bateaux, l'attirail de pêche de grande taille et les permis de pêche;

·          il incombait à l'appelante d'effectuer les réparations des bateaux.

·          l'appelante payait la totalité des assurances pour les bateaux;

·          l'appelante était propriétaire du quota de prises de poisson;

·          les pêcheurs ne fournissaient que des articles personnels comme les vêtements de pluie, les gants, les bottes et les couteaux.

38.            L'intimé soutient qu'en ce qui concerne les chances de bénéfices et les risques de pertes, les facteurs suivants suggèrent l'existence d'un contrat de louage de services entre l'appelante et les pêcheurs :

·          l'équipage était payé à la livre, taux qu'il ne négociait pas avec l'appelante. Selon les témoignages, le prix par livre n'avait pas fluctué depuis 10 ans. Lorsque les quotas de l'appelante ont augmenté en 2000, elle a baissé le taux par livre payé aux pêcheurs. Ces derniers n'avaient aucune garantie de participation aux bénéfices découlant de l'augmentation des quotas;

·          étant donné que les pêcheurs devaient partager la pêche au pétoncle dans des secteurs moins souhaitables, ils n'ont pas eu la chance de maximiser leurs profits;

·          la somme qui revient aux pêcheurs provient en réalité d'un calcul arbitraire qui s'explique seulement par le contexte historique;

·          d'autres dépenses étaient déduites d'une façon qui ne pouvait être expliquée que dans un contexte historique puisque les montants déduits ne reflétaient pas les coûts réels, comme c'est le cas pour le matériel électronique (radars et loran). La déduction de telles dépenses ne peut être décrite comme un partage des pertes;

·          en vertu du système de rémunération utilisé par l'appelante les pêcheurs étaient assurés de ne jamais se trouver dans une situation de perte. Lorsqu'un équipage était obligé de revenir d'une sortie plus tôt que prévu, il lui était permis de retourner en mer pour continuer de pêcher sans avoir à « régler » avant leur retour de la deuxième sortie. En convenant de la notion de « sortie interrompue » et de périodes de règlement flexibles, ce qui n'était pas contesté par l'appelante, si un risque de perte existait (l'intimé soutient toujours qu'il n'y en avait pas) les pêcheurs et l'appelante l'avaient éliminé par le biais de cet arrangement;

·          aucun des témoins ne pouvait se souvenir d'un cas où un pêcheur s'était trouvé à devoir de l'argent à la société parce qu'il avait encouru des dépenses supérieures au montant qu'il avait reçu pour la prise.

·          si un membre d'équipage, ayant subi une perte à cause d'une « sortie interrompue » , ne participait pas à la seconde sortie, la perte était à la charge de l'équipage. Par conséquent, contrairement à la situation de fait dans l'affaire Mark Fishing Co. v. U.F.A.W., 1972 Carswell BC 95, [1972] 3 W.W.R. 641, 24 D.L.R. (3d) 585, (B.C.C.A.), le pêcheur n'était pas individuellement assujetti à l'obligation de payer la dette. [...]

·          bien que la détermination du nombre de membres de l'équipage par le capitaine et l'équipage puisse avoir une incidence sur la rémunération, c'est la valeur que l'appelante donnera à la prise qui aura le plus d'impact sur la rémunération. Il s'agit là d'un facteur non négociable et au sujet duquel ils ne sont pas appelés à exprimer leur avis. L'intimé soutient que l'appelante contrôle la valeur des prises et effectue des choix fondés sur la détermination de la façon dont le marché affectera les intérêts de l'appelante en matière de profits. Les pêcheurs n'ont pas accès à cette information et ne peuvent pas, comme le ferait un pêcheur indépendant, fixer leur propre prix en fonction du marché;

·          l'appelante a fait référence aux dépenses et à la sophistication croissantes au sein de l'industrie de la pêche et au fait qu'il n'est pas pratique d'exiger des pêcheurs individuels qu'ils participent au paiement du coût d'achat de l'équipement ou du bateau. L'intimé soutien que les pêcheurs indépendants réalisent effectivement cet investissement en capital important et déduisent leurs dépenses à la rubrique des prêts à intérêts, des réparations du bateau, de l'assurance, etc., et bénéficient de déductions pour amortissement sur du matériel amortissable de leur entreprise. Dans le cas en l'espèce, il y a une distinction à faire entre les risques qu'un pêcheur indépendant doit subir et les investissements qu'il doit faire et la situation des pêcheurs qui travaillent pour l'appelante;

·          c'est l'appelante qui courait vraiment le risque de subir une perte, qui assumait l'entière responsabilité de financer et d'assurer les bateaux ainsi que d'acquérir les permis. En outre, toute diminution importante du produit de la pêche aurait eu une incidence négative importante sur les usines de transformation de l'appelante, accroissant ainsi les risques de perte pour l'appelante dans d'autres domaines de son entreprise.

[...]

40.            En ce qui concerne l'ensemble de la relation entre les parties, l'intimé soutient que les pêcheurs étaient dans une relation de subordination avec l'appelante, ce qui limitait la portée de tout véritable partenariat ou de toute relation de « coentreprise » .

[...]

42.            Dans la section C de son argumentation, l'appelante a renvoyé à des bulletins d'information publiés par l'Agence des douanes et du revenu du Canada, anciennement le ministre du Revenu national, portant sur la situation professionnelle des pêcheurs. L'appelante a raison lorsqu'elle déclare que ces bulletins ne constituent pas des textes législatifs dont l'application est obligatoire. Ce sont des documents d'interprétation portant sur certains facteurs dont le ministre doit tenir compte lorsqu'il décide quelle est la situation professionnelle d'un pêcheur particulier.

[...]

44.            Pour répondre à l'argumentation de l'appelante, l'intimée déclare que les pêcheurs ne partageaient pas le produit de la vente de la prise mais que leur rémunération était déterminée en fonction d'une formule obscure et bien établie. Il faut remarquer que cette formule ne tenait pas compte du profit ou de la perte de l'entreprise de pêche.

ANALYSE ET DÉCISION

[11]          Le paragraphe 6(1) du Régime de pensions du Canada, L.R.C. 1985, ch. C-8, définit un emploi ouvrant droit à pension et le paragraphe 2(1) de cette même loi définit l'emploi aux fins de ladite loi comme étant « l'accomplissement de services aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage, exprès ou tacite » . Tout comme pour le Régime de pensions du Canada, en vertu de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi, L.C. 1996, ch. 23, une personne est engagée dans un emploi assurable si l'emploi est « aux termes d'un contrat de louage de services [...] exprès ou tacite » . La question devient alors celle de savoir si les pêcheurs, en l'espèce, étaient employés en vertu d'un contrat de louage de services ou d'un contrat d'entreprise.

[12]          À la lumière de l'ensemble des facteurs présents dans les appels qui nous occupent, je conclus, sur la base de la prépondérance des probabilités, que la relation qui existait dans ces affaires était, dans chaque cas, un contrat d'entreprise et non un contrat de louage de services. On ne peut se limiter à examiner la question de la propriété des bateaux dispendieux et conclure de ce simple fait que, puisque les principaux outils (les bateaux, les agrès de pêche et les radars, etc.) étaient la propriété de l'appelante et que seuls des articles et des outils mineurs étaient la propriété des pêcheurs, il s'agissait de contrats de louage de services. On ne peut s'attendre à ce que des pêcheurs saisonniers contribuent aux coûts liés à l'acquisition ou au fonctionnement d'un matériel aussi onéreux que celui en cause. En ce qui concerne le contrôle, certains éléments de contrôle sont exercés par l'appelante mais le capitaine et l'équipage disposaient d'une indépendance considérable dans le cadre de la réalisation de leurs tâches. En fait, l'appelante choisissait les capitaines après avoir consulté les équipages. C'était les capitaines qui embauchaient les membres d'équipage et qui, dans la plupart des cas, payaient ces derniers par chèque après avoir reçu les montants appropriés de l'appelante. Qui plus est, nombre des aspects du contrôle découle de la relation avec le MPO qui détermine les lieux où la pêche peut être effectuée ainsi que les quotas. Quant à l'intégration, les facteurs suggèrent deux choses. Les pêcheurs en question n'étaient pas totalement intégrés dans l'entreprise de l'appelante. La question qui se pose consiste à savoir à qui appartient l'entreprise. Sur ce point, il est évident que c'est principalement l'entreprise de l'appelante mais il demeure que l'appelante, en partageant le produit de la vente de la prise, partage en fait les profits de l'entreprise avec l'équipage en tant que coentrepreneur. Je pense que cela constitue un élément clé dans la détermination de la nature de la relation. Je renvoie, en particulier, aux arrêts suivants :

                Re Lunenburg Sea Products Ltd., Re Zwicker, [1947] 3 D.L.R 195 (C.N.S.P.N.)

Murray c. M.R.N., C.C.I., no 84-2526(IT), 19 novembre 1986 (87 D.T.C. 559)

Robinson c. M.R.N., C.C.I., no 88-352(UI), 17 juillet 1991 ([1991] T.C.J. No. 624)

                Benjamin c. M.R.N., C.C.I., no 96-1303(UI) ([1998] T.C.J. No. 153)

[13]          Le Règlement sur l'assurance-emploi (Pêche)( « Règlement sur la pêche » ) constitue une reconnaissance tacite du fait que les pêcheurs sont souvent considérés comme des entrepreneurs indépendants. La volonté d'étendre les avantages de la Loi sur l'assurance-emploi aux pêcheurs démontre clairement qu'en l'absence de ce règlement les personnes exerçant cette profession ne bénéficieraient pas des avantages de cette loi.

[14]          Le Règlement sur la pêche a été pris en application du paragraphe 153(1) de la Loi sur l'assurance-emploi qui prévoit ce qui suit :

153. (1) Malgré les autres dispositions de la présente loi, la Commission peut, avec l'agrément du gouverneur en conseil, prendre les règlements, qu'elle juge nécessaires, visant l'établissement et le fonctionnement d'un régime d'assurance-emploi applicable aux travailleurs indépendants qui se livrent à la pêche, notamment des règlements visant à :

a)             faire considérer comme travailleur indépendant qui se livre à la pêche toute personne se livrant à une activité ou occupation reliées ou se rapportant à la pêche;

b)             faire considérer comme employeur d'un travailleur indépendant qui se livre à la pêche toute personne avec laquelle le travailleur indépendant établit des relations contractuelles ou autres relations commerciales en rapport avec son métier de pêcheur indépendant.

[15]          Cette disposition remplace l'ancien paragraphe 130(1) de la Loi sur l'assurance-chômage (paragraphe 146(1) de la Loi de 1970-71-72 ).

[16]          Dans l'affaire Silk c. Juge-arbitre (Loi sur l'assurance-chômage) [1982], 1 C.F. 795 (C.A.F.), l'arbitre devait déterminer si un règlement pris en application de l'ancien paragraphe 146(1) de la Loi sur l'assurance-chômage était ultra vires et nul en ce qu'il prévoyait une période de qualification différente de celle fournie par la Loi sur l'assurance-chômage. La Cour d'appel fédérale a conclu que l'article n'autorisait pas la mise en place d'une méthode plus restrictive que celle prévue par la Loi sur l'assurance-chômage. Le juge en chef Thurlow a déclaré dans son interprétation de l'ancien paragraphe 146(1) :

L'argument avancé à l'appui du Règlement est que la Commission était habilitée par l'article 146 de la Loi à établir, ce qu'elle a fait d'ailleurs, un système distinct d'assurance-chômage pour les pêcheurs qui autrement ne seraient pas admissibles à recevoir des prestations.

[...]

Ce que l'alinéa a) veut dire, c'est, à mon avis, que des règlements peuvent être pris pour « inclure au nombre des assurés » tout pêcheur, même s'il n'est pas l'employé d'une autre personne. Une fois ce règlement pris, le pêcheur tombe dans la définition que la Loi donne de l'assuré et doit être considéré comme tel, même s'il n'est pas employé. Par conséquent, il doit verser les cotisations.

Il en est de même de l'alinéa b), selon lequel des règlements peuvent être pris pour inclure au nombre des employeurs toute personne avec laquelle le pêcheur entretient des relations contractuelles ou commerciales dans le cadre de son métier de pêcheur, même si cette personne n'est pas un employeur. Par conséquent, cette dernière doit aussi payer les cotisations.

Il ressort de ces alinéas qu'il ne s'agit pas simplement de règlements visant à assimiler les pêcheurs aux assurés au sens de la Loi, mais de règlements visant à leur étendre le régime d'assurance-chômage établi par la Loi à l'intention des employés.

[17]          Par la suite, la Cour suprême du Canada, [1983] 1 R.C.S. 335 (C.S.C.) a confirmé les motifs de la Cour d'appel fédérale. Le juge McIntyre a déclaré :

Avant l'adoption de l'art. 146, les pêcheurs n'avaient pas droit aux prestations d'assurance-chômage. Les termes qu'emploie cette disposition indiquent clairement qu'elle vise à étendre l'application de la Loi aux pêcheurs.

[18]          Il me faut ajouter que, si ces appelants devaient être réputés des employés dans une telle situation, bien qu'ils étaient clairement rémunérés uniquement selon un pourcentage du produit de la vente de la prise, il n'est alors pas clair à qui le Règlement sur la pêche pourrait bien s'appliquer.

[19]          En outre, les pratiques administratives de Revenu Canada présentées en détail dans l'argumentation de l'appelante indiquent sans ambiguïté que les pêcheurs qui partagent le produit de la vente de la prise ne sont pas des employés. Qui plus est, les pêcheurs dont il est question dans les présents appels ne recevaient aucune rémunération fixe, aucun congé payé, etc. Lorsqu'ils ne se trouvaient pas sur les bateaux de l'appelante pour pêcher, ils pouvaient prendre d'autres emplois et le faisaient. En outre, à mon avis, le partage du produit de la vente de la prise ne constitue pas une rémunération à la pièce.

[20]          Les décisions Scherrer et Chiasson sont distinctes des faits de l'espèce. Les affaires citées par les avocats de l'appelante sont plus convaincantes.

[21]          Pour ces motifs, les appels sont accueillis sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2001.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de mai 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1793(EI)

ENTRE :

COMEAU'S SEA FOODS LIMITED,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Comeau's Sea Foods Limited (1999-1794(CPP)) et (1999-1932(CPP))

le 22 janvier 2001 à Halifax (Nouvelle-Écosse) par

l'honorable juge Terrence O'Connor

Comparutions

Avocats de l'appelante :                       Me Roderick H. Rogers

Me R. Dan Harasemchuk

Avocats de l'intimé :                            Me John P. Bodurtha

                                                          Me Caitlin A. Ward

JUGEMENT

          L'appel est accueilli sans frais et la décision du ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2001.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1794(CPP)

ENTRE :

COMEAU'S SEA FOODS LIMITED,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Comeau's Sea Foods Limited (1999-1793(EI)) et (1999-1932(CPP))

le 22 janvier 2001 à Halifax (Nouvelle-Écosse) par

l'honorable juge Terrence O'Connor

Comparutions

Avocats de l'appelante :                       Me Roderick H. Rogers

Me R. Dan Harasemchuk

Avocats de l'intimé :                            Me John P. Bodurtha

                                                          Me Caitlin A. Ward

JUGEMENT

          L'appel est accueilli sans frais et la décision du ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2001.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1932(CPP)

ENTRE :

COMEAU'S SEA FOODS LIMITED,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec les appels de

Comeau's Sea Foods Limited (1999-1793(EI)) et (1999-1794(CPP))

le 22 janvier 2001 à Halifax (Nouvelle-Écosse) par

l'honorable juge Terrence O'Connor

Comparutions

Avocats de l'appelante :                       Me Roderick H. Rogers

Me R. Dan Harasemchuk

                            

Avocats de l'intimé :                            Me John P. Bodurtha

                                                          Me Caitlin A. Ward

JUGEMENT

          L'appel est accueilli sans frais et la décision du ministre est annulée selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour de juin 2001.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 24e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur

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