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Date: 20010620

Dossier: 2001-428-IT-I

ENTRE :

LINDA RUSSELL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Les présents appels sont interjetés à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1996 et 1997. Dans les cotisations qu'il a établies à l'égard de l'appelante, le ministre du Revenu national a rejeté les demandes de crédit pour taxe sur les produits et services (TPS) qu'elle avait faites en vertu de l'article 122.5 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Lors des années en cause, son revenu s'est élevé à 24 664 $ et à 23 888 $, respectivement, et celui de son mari, à 34 736 $ et à 11 961 $, respectivement. Leur revenu familial net était donc de 59 400 $ et de 35 849 $.

[2]            Le crédit pour TPS prévu à l'article 122.5 est une somme théorique versée au titre de la taxe sur les produits et services dans le but d'alléger le fardeau que représente cette taxe pour les travailleurs à faible revenu.

[3]            Au cours des années en cause, l'appelante et son conjoint étaient mariés et habitaient ensemble. Aucune « personne à charge admissible » , au sens de la Loi, n'habitait chez l'appelante.

[4]            Cette dernière conteste le rejet du crédit pour TPS, expliquant que, malgré le fait qu'elle et son époux aient gagné le revenu net mentionné précédemment, c'est elle qui était dans les faits le soutien de famille et qui avait la charge de la famille, car son époux était du genre à jeter l'argent par les fenêtres, avait fait deux faillites personnelles et gaspillait son argent en gadgets. J'éprouve beaucoup de sympathie pour elle, mais je ne vois pas là de raison suffisante pour lui accorder un montant de crédit pour TPS auquel elle n'a pas droit aux termes de la Loi.

[5]            Lors des années en question, le crédit prévu au paragraphe 122.5(3) s'élevait à l'excédent du produit de [1/4 x [190 $ + 190 $]] (alinéas 122.5(3)a) et b), les alinéas c), d) et e) ne s'appliquant pas en l'espèce) sur 5 % de l'excédent du revenu rajusté du particulier pour l'année sur 25 921 $ (alinéa 122.5(3)f)).

[6]            Bien sûr, si nous ne tenions compte que du revenu de l'appelante, ce dernier chiffre serait égal à zéro et l'appelante aurait droit à un montant de crédit pour TPS.

[7]            La question est donc de savoir si son « revenu rajusté » (en anglais « adjusted income » ), au sens du paragraphe 122.5(1), comprend le revenu de son époux. La version anglaise de la définition de ce terme se lit ainsi :

"adjusted income" of an individual for a taxation year means the total of all amounts each of which would be the income for

the year of

(a)          the individual, or

(b)        the individual's qualified relation for the year

if no amount were included in respect of a gain from a disposition of property to which section 79 applies in computing that income.

[8]            Ce libellé laisse plutôt à désirer. L'avocate a soutenu que, dans l'arrêt McFadyen c. R., C.C.I., no 98-3463(IT)I, 16 mars 2000 ([2000] 2 C.T.C. 2777), confirmé par C.A.F., no A-238-00, 7 décembre 2000 ([2001] 1 C.T.C. 140), le juge Bowie avait conclu que le mot « or » (en français, « ou » ) était inclusif, ce qui justifiait la prise en compte du revenu de l'appelante et de celui de son époux dans le calcul du « revenu rajusté » de celle-ci.

[9]            Les tribunaux se sont acharnés pendant des années sur la question de savoir si, dans le libellé anglais, le mot « or » était inclusif ou exclusif (voir Maxwell on The Interpretation of Statutes, douzième édition, pages 232-234). Dans son ouvrage intitulé Elements of Drafting (J. K. Aitken, huitième édition), Piesse consacre un chapitre entier aux problèmes posés par les mots « and » et « or » .

[10]          En temps normal, « and » ( « et » ) est inclusif et « or » ( « ou » ), exclusif; toutefois, il est parfois justifié de s'écarter de cette règle si cela permet de donner un sens à une disposition législative ou de respecter l'intention du législateur (Radage c. La Reine, C.C.I., no 95-1014(IT)I, 12 juillet 1996 (96 DTC 1615)). Je ne considère pas que la décision rendue par le juge Bowie dans l'affaire McFadyen avait trait à ce point précis. On y a simplement supposé que la définition prévoyait la prise en compte des deux revenus en question. À la page 2781, le juge Bowie a déclaré ceci : « Dans son argumentation, l'appelant n'a pas prétendu que le ministre avait interprété la Loi de façon erronée. » Le juge Bowie s'est penché uniquement sur la validité constitutionnelle de l'article 122.5, et c'est également ce qu'a fait la Cour d'appel fédérale. Par conséquent, je n'estime pas que la décision rendue dans l'affaire McFadyen ait force obligatoire quant à la nécessité d'additionner le revenu du conjoint et celui de la personne qui demande le crédit aux fins de calculer le revenu rajusté de ce dernier.

[11]          Il ne faut pas supposer automatiquement, sans analyser davantage la question, que, dans la définition, le mot « or » est inclusif. Les tribunaux doivent à tout le moins se demander si la disposition est ambiguë et, le cas échéant, si cette ambiguïté doit être résolue en faveur du contribuable (Stubart Investments Limited c. La Reine, C.A.F., no A-476-78, 27 avril 1981 (84 DTC 6305); Canada c. Fries, [1990] 2 R.C.S. 1322 (90 DTC 6662)).

[12]          Ma prémisse est que le mot « or » est à première vue exclusif, et qu'il ne convient pas de lui prêter une valeur inclusive sans raison valable.

[13]          Par contre, ce mot peut être inclusif si cela est justifié par le contexte. Si l'on aborde la situation en prenant pour acquis que le mot « or » est exclusif dans la définition, cela voudrait normalement dire que l'on doit prendre en compte soit le revenu du particulier, soit celui du « proche admissible » (son conjoint), mais pas les deux. Si l'on suppose au contraire que « or » signifie « and » , il est clair alors que l'on doit additionner les revenus des deux conjoints. Si telle était l'intention du législateur, quel est donc le principe de rédaction des lois voulant que l'on utilise le mot « or » ?

[14]          Ces deux mots sont utilisés à l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu dans sa version anglaise. Ainsi, on parle au sous-alinéa 3(b)(i) du total de (A) « and » (B); à l'alinéa 3(d), on mentionne « the total of all amounts each of which is [x] or [y] » ([TRADUCTION] le total de tous les montants dont chacun est [x] ou [y]). Au sous-alinéa 66.7(3)(a)(i), il est question du total de « (A) and (B) » . Voici maintenant le libellé anglais du paragraphe 66.7(4) :

[...] the total of [ ...]

(ii)          all amounts each of which is an amount ...

(iii)           all amounts each of which is an amount ... and

(iv)          all amounts each of which is an amount ...

(Le libellé français équivalent est le suivant :

                                [...] sur le total : [ ...]

(ii)                 des montants représentant chacun un montant [...]

(iii)                des montant représentant chacun un montant [...]

(iv)               des montants qui [...] )

Ce libellé est repris aux sous-alinéas 66.7(4)(b)(ii) et (iii).

[15]          De même, les sous-alinéas 127.52(1)(b)(i) et (ii) et 127.52(1)(c)(i) et (ii) contiennent le passage « all amounts each of which is an amount » (le total des montants représentant chacun un montant), le mot « and » servant de charnière. Je me serais attendu à retrouver le mot « or » dans le cas d'une liste de montants à l'égard desquels on écrit « the total of all amounts each of which is an amount » (le total des montants représentant chacun un montant), le mot « and » étant utilisé dans le cas d'une simple liste (par exemple au sous-alinéa 3(b)(i)). Tel n'est toutefois pas le cas, ainsi que la lecture des dispositions précédentes l'a montré.

[16]          Il serait vain de chercher à distinguer une règle cohérente.

[17]          Je comprends mal pourquoi le rédacteur de la définition du revenu rajusté a jugé bon d'utiliser le mot « or » alors que c'est le sens du mot « and » qui s'applique ici. Quel élément de cette disposition pourrait m'amener à conférer au mot « or » un sens autre que son sens ordinaire? L'avocate de l'intimée s'est fondée principalement sur l'utilisation du terme « total » dès les premiers mots de la définition, mais il s'agit d'un élément bien mince pour servir de pivot à l'interprétation de la disposition. La phrase « the total of all amounts each of which is A or B » ([TRADUCTION] le total des montants représentant chacun A ou B) veut-elle dire la même chose que « the total of all amounts each of which is A and B » ([TRADUCTION] le total des montants représentant chacun A et B)? On ne peut pas donner de réponse décisive à cette question, mais il faut supposer que le législateur, s'il utilise un mot différent, veut véhiculer un sens différent. Dès lors, si le législateur voulait dire « and » , pourquoi a-t-il employé « or » ?

[18]          Cela dit, peu importe mon opinion au sujet du libellé, je dois souscrire à l'interprétation qui correspond le plus à l'esprit de la Loi et à l'intention du législateur. Dans l'arrêt Trans-Canada Investment Corp. Ltd. v. M.N.R., 53 DTC 1227, à la p. 1231 (confirmé par 55 DTC 1191 (C.S.C.)), le juge Cameron a déclaré ceci :

                                [TRADUCTION]

                Je conviens qu'il est possible d'interpréter le libellé de la disposition de façon à y voir une exigence selon laquelle les dividendes doivent être reçus directement de la société qui en effectue le versement. Toutefois, je pense que l'on peut en faire une autre interprétation, qui correspondrait davantage selon moi à l'intention du législateur telle que je la déduis du libellé proprement dit.

                Dans l'affaire Caledonian Railway v. North British Railway, (1881) 6 A.C. 114, plus précisément à la page 122, Lord Selborne a déclaré ce qui suit :

L'interprétation littérale d'une loi ne doit pas prévaloir si elle va à l'encontre de l'intention du législateur telle qu'elle ressort de la loi elle-même et si les mots employés peuvent se prêter à une autre interprétation qui serve mieux cette intention.

                De même, dans l'affaire Shannon Realties v. St. Michel, (1924) A.C. 192, il a été déclaré que, si les mots employés présentent des ambiguïtés, le tribunal doit retenir une interprétation qui s'harmonise avec le système que la loi est censée régir.

[19]          Dans la même veine, dans l'affaire Highway Sawmills Ltd. v. M.N.R., 66 DTC 5116, le juge Cartwright déclarait à la p. 5120 :

                                [TRADUCTION]

                La réponse à la question de savoir ce que constitue l'impôt payable dans des circonstances données dépend évidemment du libellé de la loi prévoyant l'impôt à payer. S'il est difficile d'établir le sens du libellé en question, il peut être utile d'examiner les deux interprétations alléguées en fonction du résultat de leur application en vue d'identifier celle qui est conforme à l'esprit apparent de la loi.

[20]          Je doute que l'on porte atteinte à l'esprit de la Loi en interprétant le mot « or » comme marquant la disjonction. Je ne crois pas non plus que l'une ou l'autre interprétation possible donne lieu à une situation absurde (Victoria City v. Bishop of Vancouver Island, [1921] 2 A.C. 384).

[21]          L'examen de la version française de la Loi pourrait-elle apporter quelque lumière? Voici le libellé de la définition pertinente :

« revenu rajusté » Quant à un particulier pour une année d'imposition, le total des montants qui représenteraient chacun le revenu pour l'année du particulier ou de son proche admissible pour l'année si aucun montant n'était inclus dans le calcul de ce revenu au titre d'un gain provenant d'une disposition de bien à laquelle s'applique l'article 79.

[22]          Cette définition ne m'apporte aucun éclaircissement. Je suppose que le mot « ou » peut, tout autant que « or » en anglais, être inclusif ou exclusif, tout dépendant du contexte (Marzetti c. Marzetti, [1994] 2 R.C.S. 765).

[23]          Dans l'affaire Glaxo Wellcome Inc. c. La Reine, C.C.I., no 93-1327(IT)G, 4 janvier 1996 (96 DTC 1159), confirmée par C.A.F., no A-114-96, 8 octobre 1998 (98 DTC 6638), j'ai tenté d'énoncer les principes d'interprétation des lois que j'estimais utiles pour donner un sens aux mots qui y sont employés, mais aucun de ces principes ne s'avère très utile ici.

[24]          Je reviens donc à ma question : le législateur, lorsqu'il emploie le mot « or » dans la définition de « adjusted income » , voulait-il en fait dire « and » ? En d'autres termes, y a-t-il un élément contextuel faisant en sorte que le mot « or » soit inclusif? J'ai déjà mentionné que la présence du mot « total » représentait un élément plutôt mince sur lequel faire reposer l'interprétation d'une disposition ambiguë. Par contre, si l'on ajoute à cela le fait que le mot « amounts » (montants) est au pluriel tandis que « income » (revenu) est au singulier, on peut penser que l'interprétation qui concorde le plus avec l'intention du législateur est que le mot « or » a valeur inclusive. Je remarque que la définition de « adjusted income » (en français, « revenu modifié » ) à l'article 122.6 est essentiellement la même que celle figurant à l'article 122.5. De plus, trois juges de notre cour ont conclu que cette définition prévoyait l'addition des revenus des conjoints, soit dans les affaires Sanford c. R., C.C.I., no 1999-1853(IT)G, 21 novembre 2000 ([2001] 1 C.T.C. 2273), Ford c. R., C.C.I., no 98-588(IT)I, 12 novembre 1998 ([1999] 1 C.T.C. 2540) et Monette c. R., no 97-33(IT)I, 23 juillet 1997 ([1998] 3 C.T.C. 2348). Par souci de cohérence, je devrai interpréter l'article 122.5 de la même manière.

[25]          Il est possible de mettre à l'épreuve le bien-fondé de cette conclusion en posant quatre hypothèses puis en retenant celle qui est la plus conforme à l'esprit apparent de la Loi.

1.              L'un des conjoints a droit au crédit pour TPS, ou le montant de crédit auquel il a droit diminue si son revenu est en deçà du seuil de 25 921 $ prévu, et ce, peu importe le revenu de l'autre conjoint.

2.              Aucun des conjoints n'a droit au crédit pour TPS, ou le montant de crédit auquel ils ont droit diminue si le revenu de l'un ou de l'autre est supérieur au seuil de 25 921 $.

3.              Aucun des conjoints n'a droit au crédit pour TPS si leur revenu combiné dépasse 25 921 $, et ce, même si leur revenu individuel est inférieur à ce montant.

4.              Un seul des conjoints a droit au crédit pour TPS, et ce, uniquement si le revenu combiné des conjoints est inférieur à 25 921 $.

                En l'espèce, le montant de crédit est nul à partir du moment où le « revenu rajusté » est supérieur à 25 921 $ plus 1 900 $.

[26]          Les trois dernières hypothèses semblent correspondre à l'intention du rédacteur. Il ne me semble pas exister réellement de concordance entre la première hypothèse et la phraséologie de la définition.

[27]          Il est malheureux qu'une telle incertitude puisse découler de l'emploi d'un élément du discours ayant valeur exclusive alors que la logique, la grammaire et l'usage semblent exiger l'utilisation d'un élément ayant valeur inclusive. Les personnes qui rédigent des lois sont censées être des spécialistes de la formulation précise et intelligible des concepts. Il ne devrait pas être nécessaire de posséder les compétences à la fois d'un logicien, d'un grammairien et d'un érudit du Moyen-Âge ni de procéder à des analyses fastidieuses pour parvenir à déduire du libellé d'une disposition législative un concept aussi simple que celui que l'on cherche à exprimer à l'aide de la définition du revenu rajusté.

[28]          Le problème se corse encore par suite de l'emploi des mots « all amounts each of which is [or would be] » ([TRADUCTION] le total des montants dont chacun représente [ou représenterait]). Cette formulation, reprise sous une forme ou une autre tout au long de la Loi, n'est pas nécessaire et, en fait, n'ajoute rien. Il n'y a aucune raison pour laquelle la définition n'aurait pu se lire ainsi : « adjusted income of an individual means the total of the incomes of the individual and of the individual's qualified relation, computed as if no amount in respect of a gain from the disposition of property to which section 79 were included » ([TRADUCTION] « « revenu rajusté » Quant à un particulier, le total des montants qui représenteraient chacun le revenu du particulier et celui de son proche admissible si aucun montant n'était inclus dans le calcul de ce revenu au titre d'un gain provenant d'une disposition de bien à laquelle s'applique l'article 79 » ).

[29]          C'est là apparemment le sens de cette définition, malgré l'ambiguïté de la formulation.

[30]          Les appels sont rejetés.

Signé à Montréal, Canada, ce 20e jour de juin 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 29e jour de mai 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-428(IT)I

ENTRE :

LINDA RUSSELL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 4 juin 2001 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint

Donald G. H. Bowman

Comparutions

Pour l'appelante :                       L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :                 Me P. Tamara Sugunasiri

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 soient rejetés.


Signé à Montréal, Canada, ce 20e jour de juin 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur

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