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Date: 20020125

Dossier: 2001-1833-IT-I

ENTRE :

JOANNE CLINE-SCHUIT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

____________________________________________________________________

Représentant de l'appelante : Bernard Schuit

Avocate de l'intimée : Me J. Michelle Farrell

___________________________________________________________________

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience tenue à London (Ontario) le 20 septembre 2001)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]            Les appels en l'instance sont à l'encontre de nouvelles cotisations établies pour les années d'imposition 1995 et 1996. Ils ont été interjetés sous le régime de la procédure informelle de la Cour.

[2]            L'appelante exploitait une entreprise connue sous le nom de « the TaxMan » depuis 1995. Elle a déclaré un revenu brut de 24 800 $ en 1995 et de 24 215 $ en 1996, ainsi que des dépenses de 38 225,02 $ et de 31 169,67 $ pour ces deux années relativement à cette entreprise. Elle a apparemment demandé la déduction de pertes de 8 726,26 $ et de 4 520 $ respectivement pour les deux années en cause. L'entreprise appartenant en totalité à l'appelante, il n'est pas clair, à première vue, pourquoi elle n'a pas demandé la déduction de pertes plus élevées. Quoi qu'il en soit, une nouvelle cotisation a été établie à son égard pour inclure un revenu non déclaré tiré de son entreprise et pour refuser les pertes indiquées ci-après, dont elle avait demandé la déduction :

                                                                                1995                                                         1996

                Revenu non déclaré              55 354 $                                   65 875,00 $

                Dépenses refusées                               21 842 $                                   18 528,87 $

[3]            Dans les nouvelles cotisations, le ministre a refusé les pertes de 8 407 $ et de 5 622 $ dont l'appelante avait demandé la déduction en 1995 et en 1996 respectivement relativement à un bien locatif, et a qualifié différemment les profits tirés de la vente de deux immeubles résidentiels dont elle était propriétaire avec une autre personne en vertu d'un contrat de société. L'un des biens immobiliers a été vendu en 1995 et l'autre en 1996. L'appelante a inclus le montant dans son revenu à titre de gain en capital; le ministre a établi une nouvelle cotisation à son égard en partant du principe qu'il s'agissait de profits tirés d'une activité commerciale. Le ministre a également refusé d'accorder à l'appelante le crédit équivalent au crédit de personne mariée, ainsi que ce crédit est parfois appelé, prévu à l'alinéa 118(1)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la Loi) en 1996. Finalement, le ministre a imposé des pénalités de 7 523,77 $ et de 8 071 85 $ pour les années 1995 et 1996 relativement aux montants qui n'avaient pas été inclus dans le calcul du revenu de l'appelante.

[4]            L'appelante s'est opposée aux deux nouvelles cotisations, et, en temps utile, soit le 26 février 2001, le ministre a établi d'autres nouvelles cotisations en vertu du paragraphe 165(3). Les changements apportés au moyen de ces nouvelles cotisations sont les suivants :

a)              le ministre a autorisé la déduction de pertes locatives de 2 460 $ et de 3 321 $ pour les années 1995 et 1996 respectivement;

                b)             il réduit le revenu non déclaré tiré de l'exploitation de the TaxMan de 48 445 $ et de 60 640 $ dans les années 1995 et 1996;

                c)              il a réduit les pénalités imposées de 7 423,77 $ pour l'année 1995 et de 7 358,13 $ pour l'année 1996; les nouvelles pénalités sont de 100 $ et de 713,12 $ respectivement.

[5] La qualification des profits résultant de la vente des immeubles résidentiels, les dépenses se rapportant à l'entreprise the TaxMan dont la déduction avait été refusée et le refus du crédit demandé en 1996 en vertu de l'alinéa 118(1)b) sont demeurés inchangés. C'est de ces deux nouvelles cotisations dont il est interjeté appel en l'instance.

questions en litige

[6]            Les questions que je suis appelé à trancher sont les suivantes :

a)        Les profits résultant de la vente des deux maisons constituent-ils un revenu ou un gain en capital?

b)        À combien s'établit le montant, le cas échéant, des pertes locatives subies par l'appelante?

c)        L'appelante était-elle séparée de son conjoint en 1996, et était-elle dès lors admissible au crédit équivalent au crédit de personne mariée?

d)        Quel revenu l'appelante a-t-elle tiré de l'exploitation de the TaxMan dans chacune des années en cause? Se posent aussi les questions du revenu non déclaré et du bien-fondé des dépenses dont l'appelante a demandé la déduction dans chacune des années en cause.

e)        L'appelante est-elle tenue de payer des pénalités pour défaut d'avoir déclaré la totalité du revenu tiré de l'exploitation de the TaxMan?

la preuve

[7]            L'appelante et M. Bernard Schuit ont témoigné. M. Schuit a aussi représenté l'appelante dans le cadre des appels. L'appelante et M. Schuit se sont mariés il y a plusieurs années et ils ont quatre enfants. Selon leur témoignage, ils se sont séparés en 1989 environ. Il n'y a pas eu de jugement de divorce et ils n'ont pas signé d'entente de séparation. L'appelante habite avec les quatre enfants dans ce qui était leur domicile conjugal, à ce que j'ai cru comprendre, situé au 14, chemin County 45, à St-Thomas (Ontario). M. Schuit a indiqué qu'il travaille comme expert-conseil et qu'il exploite son entreprise dans le bureau emménagé au sous-sol de la maison. De temps à autre, il dort sur un sofa dans le bureau. Il partage des repas à l'occasion avec la famille, le dimanche par exemple. À certains moments, il a habité avec l'un de ses frères ou dans une autre maison dont l'appelante était copropriétaire. Il a produit une liste de ses diverses adresses depuis 1984, qu'il a obtenue du ministère des Transports de l'Ontario (pièce A-8). Cette liste indique que, selon les dossiers du ministère, il a résidé à un certain nombre d'adresses :

                                L2 14, chemin County 45, St-Thomas, N5R 5T5

                                14, chemin County 45, St-Thomas, N5R 5T5

                                49, Cinquième avenue, St-Thomas, N5R 4C7

                                8, Henry

                                7, rue Cypress, St-Thomas, N5R 1N2

                                NPTL 15 C6 app. 3, St-Thomas R5, N5P 3S9

                                NPTL

                                15, rue Naama, St-Thomas, N5R 1X3

                                77, rue Est, St-Thomas, N5P 2R4

                                77, rue Est, app. 8, St-Thomas, N5P 2R4

[8]            L'appelante et M. Schuit ont témoigné qu'ils avaient cessé d'avoir des relations conjugales en 1989, si ce n'est avant cette année-là. Paul Andres, le répartiteur de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) a affirmé le contraire. Il a mentionné avoir eu une conversation avec l'appelante au cours de laquelle celle-ci l'a informé qu'elle avait pris des vacances avec M. Schuit en 1996 et qu'ils avaient eu des relations intimes. L'appelante, M. Schuit et leurs enfants s'étaient rendus à Thunder Bay, où leur fille était sur le point d'entrer à l'université. Mme Cline-Schuit a affirmé qu'ils avaient fait le voyage dans des voitures séparées, qu'ils avaient dormi dans des chambres séparées et qu'ils n'avaient pas eu de relations intimes. M. Schuit a témoigné dans le même sens. Il est bien évident qu'ils défendent leurs intérêts communs. La pièce A-8 indique que, selon les registres du ministère des Transports, M. Schuit habitait sur la rue Cypress à St-Thomas en janvier 1996, et qu'il a résidé à trois autres adresses au cours de l'année, toutes situées à St-Thomas. Bien entendu, il s'agit seulement de la liste des adresses que M. Schuit a signalées au ministère des Transports, mais il convient d'y accorder une certaine importance car il est certainement illégal de donner une fausse adresse.

[9]            À mon sens, toutefois, étant donné que l'appelante et M. Schuit n'ont pas signé d'accord de séparation et que ce dernier a affirmé qu'il travaillait et dormait à l'occasion dans le bureau aménagé au sous-sol du domicile de l'appelante, le témoignage d'une personne indépendante est nécessaire pour corroborer celui de l'appelante. Celle-ci a déclaré que son époux habitait de temps à autre avec l'un de ses frères et qu'il avait vécu à trois autres adresses indiquées dans la pièce A-8. Le témoignage de M. Schuit à cet égard a été très imprécis, comme le reste de son témoignage et la totalité de celui de l'appelante. J'en suis venu à la conclusion qu'ils n'étaient pas des témoins crédibles. Ils ont été avares de renseignements pendant leur interrogatoire principal et leur contre-interrogatoire. Je n'accepte pas leur témoignage, dans la mesure où il est intéressé, sans autre preuve corroborante.

[10]          Il aurait été si simple d'appeler un voisin, un parent ou un ami à témoigner pour corroborer leurs dires sur la question du lieu de résidence. Aucun témoin n'ayant été entendu, j'en déduis que c'est parce qu'aucun témoignage n'aurait été favorable à l'appelante. Je conclus que l'hypothèse selon laquelle ils habitaient à la même adresse n'a pas été infirmée.

[11]          J'en viens maintenant aux profits résultant de la vente des biens immeubles. L'appelante les a qualifiés de gains en capital. Le ministre a établi une cotisation en tenant pour acquis qu'il s'agissait d'un revenu.

[12]          Avant de me pencher sur la preuve, je me dois de formuler des observations au sujet des actes de procédure de l'intimée relativement à cette question. Les « hypothèses de fait » plaidées par le sous-procureur général du Canada relativement à cette question sont les suivantes :

                [TRADUCTION]

                a)              à toutes les périodes pertinentes, l'appelante détenait une participation de 50 % dans J & K Enterprises (la « société de personnes » ). L'autre associée était Katheryn Collier;

                b)             la société de personnes exploitait une entreprise d'achat et de vente de biens immobiliers;

                c)              les profits de 5 533 $ et de 2 726 26 $ résultant de la vente de biens immobiliers versés par la société de personnes dans les années d'imposition 1995 et 1996 respectivement constituaient un revenu.

La troisième de ces hypothèses n'est évidemment pas un fait, mais une conclusion de droit tirée par les représentants du ministre et que le sous-procureur général du Canada voudrait maintenant faire confirmer par la Cour. Je me suis insurgé dans le passé contre cette pratique, à laquelle le sous-procureur général du Canada recourt fréquemment, qui consiste à plaider des conclusions de droit comme s'il s'agissait de faits que le ministre a tenus pour acquis. D'autres juges de la Cour se sont également élevés contre cette pratique. La jurisprudence a attribué un statut particulier aux hypothèses formulées par le ministre dans l'établissement des cotisations : voir l'arrêt Hickman Motors[1] et les affaires qui y sont citées. Il importe dès lors que les actes de procédure dans lesquels sont énoncées les hypothèses sur lesquelles le ministre s'est censément appuyé pour établir la cotisation soient rédigés avec soin de manière que les hypothèses plaidées s'appuient uniquement sur des faits et que ce qui a censément été tenu pour acquis par le ministre a véritablement été tenu pour acquis et n'est pas le fruit de l'imagination du rédacteur. Les actes de procédure du genre de ceux que j'ai devant moi suscitent généralement des interrogations quant à l'exactitude des réponses déposées par le sous-procureur général.

[13]          L'appelante a affirmé qu'elle avait conclu un contrat de société avec Katheryn Collier dans le but d'acheter des biens immeubles et de les louer par la suite et de disposer ainsi d'un revenu de retraite. Elle a déclaré qu'elle avait acquitté sa participation en versant comptant un montant de 34 000 $, lequel provenait du produit d'un prêt de 60 000 $ garanti par hypothèque consentie sur sa maison. Les associées ont acheté deux maisons qu'elles ont revendues à profit. Elles ont acheté une maison sur la rue Barwick en 1994 ou en 1995, qu'elles ont vendue en 1995. Elles ont acheté une maison sur la rue Cyprus en 1995 ou en 1996, qu'elles ont vendue en 1996. Les deux maisons avaient besoin de réparations ou de rénovations; des travaux ont été effectués avant qu'elles soient vendues. L'appelante a affirmé que son associée avait refusé de louer les maisons et qu'elle l'avait obligée à vendre sa participation. Il n'a pas été précisé de quelle manière elle l'avait obligée à vendre. Il est clair toutefois que les maisons ont été vendues une année ou deux après leur achat, qu'elles n'ont jamais été louées mais que des travaux ont été effectués pour en accroître la valeur de revente. L'appelante a expressément déclaré qu'elles cherchaient des maisons délabrées qui pouvaient être rénovées.

[14]          Il est un fait bien établi que la preuve subjective d'un contribuable ne pèse pas très lourd dans la balance lorsqu'il s'agit de trancher la question de savoir si un bien immobilier est acheté dans le but de réaliser un gain en capital ou un revenu. Quand on ajoute à cela, ainsi que je l'ai mentionné précédemment, le fait que l'appelante a été très avare de renseignements durant son interrogatoire principal et qu'elle a généralement usé de faux-fuyants durant le contre-interrogatoire, ainsi que la manière dont elle s'est comportée durant son témoignage, j'en arrive à la conclusion que sa preuve n'est pas digne de foi.

[15]          L'associée de l'appelante n'a pas été appelée à témoigner et le contrat de société n'a pas été produit en preuve. Il me semble que si l'appelante dit vrai, son associée devrait être en mesure de confirmer ses propos. Des personnes qui signent un contrat de société se donnent généralement la peine d'y préciser la nature de leur entreprise. L'absence du document et la non-comparution de Mme Collier m'incitent à croire que ni l'un ni l'autre ne seraient favorable à l'appelante.

[16]          Les associées ont été propriétaires des deux maisons pendant une très courte période, ce qui, en soi, est une indication que les biens immobiliers n'ont pas été achetés dans le but d'être loués, mais plutôt dans le but d'être revendus. En fin de compte, le fait que les maisons n'ont jamais été louées n'est pas du tout favorable à la thèse de l'appelante. Je conclus que les deux biens immobiliers ont été achetés dans les faits à titre de stock en vue d'être rénovés et revendus. L'appel est rejeté pour ce qui est de cette question.

pertes locatives se rapportant au triplex situé au 49, 5e avenue

[17]          L'appelante a demandé la déduction, dans le calcul de son revenu en vertu de l'article 3 de la Loi, de certaines pertes subies relativement à un immeuble locatif. Les pertes s'élevaient à 8 407 $ et 5 622 $ en 1995 et en 1996 respectivement. Selon la preuve produite par l'appelante et son conjoint, M. Schuit et un certain M. Don Perry étaient propriétaires à parts égales de la maison située au 49, 5e avenue à St-Thomas. La maison était louée et les loyers exigés étaient inférieurs, semble-t-il, aux frais engagés chaque année. L'appelante et son époux ont tous deux affirmé que, au moment de leur séparation, M. Schuit lui avait transféré sa part de la maison. Cependant, il est ressorti du contre-interrogatoire de l'appelante que, selon l'entente conclue entre M. Schuit et M. Perry, M. Schuit ne pouvait pas transférer ce bien sans l'accord de M. Perry et que ce dernier avait refusé de donner son accord. L'appelante a affirmé qu'elle avait pris en charge l'exploitation du bien immobilier, faisant effectuer des réparations, percevant le loyer et s'acquittant de toutes les autres responsabilités d'un locateur. Il se peut qu'elle ait accompli ces tâches, mais cela ne fait pas d'elle la propriétaire, susceptible de réaliser des profits et de subir des pertes. Elle n'a jamais acquis le titre du bien immobilier, en totalité ou en partie. Elle ne s'est pas non plus associée à M. Perry pour devenir propriétaire de la maison. Sur ce point également, j'estime que le témoignage de l'appelante n'est pas digne de foi. Sa preuve était contradictoire et M. Perry n'a pas été appelé à témoigner pour la corroborer. L'appel est rejeté en ce qui concerne cette question.

[18]          J'en viens maintenant à la question du revenu tiré de l'entreprise the TaxMan exploitée par l'appelante. Cette dernière et son époux, qui l'a aidé à démarrer l'entreprise, ont admis, dans le cadre de leur témoignage, que les registres financiers de the TaxMan n'avaient pas été adéquatement tenus en 1995 et 1996. Cela ne fait absolument aucun doute. Si je comprends bien, aux fins d'arriver à une estimation du revenu brut de l'appelante, le ministre a utilisé le dossier conservé par l'ADRC des clients pour lesquels des déclarations avaient été produites électroniquement par l'appelante et a ajouté les noms des clients, qui, selon les livrets de dépôt de l'appelante, avaient payé les montants déposés en banque, et des clients pour lesquels aucune déclaration n'avait été produite électroniquement — en tenant pour acquis qu'elles avaient été produites manuellement. Le répartiteur a ensuite ajouté un montant correspondant aux honoraires moyens exigés pour produire chaque déclaration afin d'arriver au montant estimatif des ventes brutes. En l'absence de livres et de registres acceptables, je ne vois pas de quelle autre manière le ministre du Revenu national aurait pu procéder pour effectuer ces calculs.

[19]          Le représentant de l'appelante a déclaré que toutes les déclarations préparées par the TaxMan avaient été produites électroniquement, mais ce n'est manifestement pas le cas. L'appelante a produit deux documents qu'elle a remis au vérificateur au début de la vérification pour indiquer le revenu brut de son entreprise. Il s'agit simplement de chiffres gribouillés sur une feuille. L'appelante a affirmé qu'elle n'avait aucune expérience commerciale en 1995 et 1996; de toute évidence, elle n'avait aucune formation comptable. Son époux aurait essayé d'instaurer un système comptable quelconque; c'est du moins ce qu'il a affirmé dans le cadre de son témoignage. Cependant, pour les années en cause, aucun journal des ventes ni aucun grand livre des comptes clients n'a été tenu, même si une certaine partie du travail au moins a été effectuée à crédit plutôt qu'au comptant.

[20]          Il est manifeste que le répartiteur s'est heurté au manque de collaboration de l'appelante et de M. Schuit. Ceux-ci ont refusé de produire les quelques registres qui existaient. Pendant la vérification, et plus tard, dans le cadre des négociations avec l'agent des appels de l'ADRC, ils auraient fourni certains renseignements tirés des registres de l'appelante. Aucun livre ou registre original n'a cependant été produit en preuve durant l'audition des appels. Un livre a été produit, lequel, selon le représentant de l'appelante, devrait m'inciter à conclure que l'appelante avait déclaré un revenu supérieur à son revenu réel en 1995, et un revenu légèrement moindre en 1996. Ce livre a été préparé, a-t-il dit, par un employé de bureau, à partir des factures originales que l'appelante conservait dans un dossier, au cours de l'année 2000. Les factures n'ont pas été produites en preuve et l'employé de bureau n'a pas été appelé à témoigner pour vérifier les inscriptions dans le livre. Il semble qu'on y a ajouté foi dans une certaine mesure durant les négociations de l'appelante avec Revenu Canada. Cependant, en l'absence de preuve corroborante, je conclus qu'elles n'ont aucune valeur probante.

[21]          Le débat au sujet des revenus bruts de the TaxMan a porté, surtout, sur le nombre de personnes et d'entreprises pour lesquelles des déclarations ont été préparées en 1995 et 1996. Pendant ces deux années, l'appelante consacrait presque tout son temps à d'autres activités et à ses responsabilités familiales. L'entreprise était dirigée en grande partie par d'autres personnes, qu'elle a qualifiées de sous-entrepreneurs. Il n'y avait aucun système de comptabilité en partie double en place et à peu près aucun des documents commerciaux habituels n'était tenu. Aucune preuve documentaire, aucun registre tenu ponctuellement ni aucune preuve orale digne de foi ne m'a été soumise qui permettrait, même en en faisant une interprétation libérale, d'infirmer les hypothèses du ministre en ce qui concerne le revenu brut. Si les registres pertinents avaient été tenus, il aurait alors été facile de déterminer le montant brut des ventes réalisées dans une année. En fait, le vérificateur, qui ne disposait d'aucun registre fiable et qui se heurtait au manque de collaboration de l'appelante, a établi un montant estimatif des ventes qu'il savait, a-t-il admis dans le cadre de son témoignage, être supérieur au montant réel. À preuve, le revenu non déclaré a été considérablement réduit dans les secondes nouvelles cotisations établies le 26 février 2001. Le ministre a établi ces cotisations en tenant pour acquis que l'appelante avait omis de déclarer des ventes de 6 909 $ en 1995, et de 5 235 $ en 1996. Le représentant de l'appelante s'est employé à démontrer que le ministre avait inclus des ventes de 1996 dans le revenu de 1995 et que certains comptes clients n'avaient jamais été recouvrés.

[22]          En ce qui concerne les dépenses dont la déduction a été refusée, l'appelante a affirmé, avec une désarmante franchise, qu'elle avait porté des frais personnels en réduction du revenu de the TaxMan, même si elle savait qu'elle n'avait pas le droit de le faire. Les dépenses en cause s'élevaient à 21 842 $ en 1995 et à 18 528 $ en 1996. L'appelante n'a aucunement cherché à prouver qu'il s'agissait de frais professionnels, à l'exception des frais d'intérêt. Les frais d'intérêt dont la déduction a été refusée s'élevaient à 9 239 $ en 1995 et à 6 858 $ en 1996.

[23]          Aucune preuve documentaire n'a été produite pour étayer les frais d'intérêt dont la déduction a été demandée. L'appelante a témoigné qu'elle avait emprunté 60 000 $ en consentant une hypothèque sur sa maison, qu'elle avait utilisé une partie de cette somme, soit 34 000 $, pour acquitter sa participation dans la société de personnes avec Mme Collier et qu'une autre partie, non précisée, avait servi à la construction d'un ajout à sa maison pour loger l'entreprise de the TaxMan et l'entreprise de services conseils de M. Schuit. Aucun document faisant état des modalités du prêt hypothécaire ou des frais d'intérêt payés n'a été produit. En réalité, les frais d'intérêt en cause étaient pour la plupart des frais d'intérêt exigés relativement à des cartes de crédit utilisées pour effectuer des achats personnels. Ainsi qu'il a déjà été précisé, l'appelant n'a produit aucune preuve qui permettrait de formuler une hypothèse éclairée quant à l'intérêt payé, le cas échéant, sur l'emprunt contracté aux fins de gagner ou de produire un revenu. Les appels sont rejetés en ce qui concerne les dépenses dont la déduction a été refusée.

[24]          La dernière question qu'il me reste à trancher est celle des pénalités. Celles-ci ont été ramenées à un montant minime après que l'appelante s'y fut opposée. Le ministre a imposé ces pénalités au motif que l'appelante avait commis une faute lourde en déclarant des ventes dont le montant était inférieur au montant réel des ventes réalisées dans chaque année en cause. L'appelante est une personne instruite et on ne saurait la qualifier de naïve. Elle a lancé une entreprise dans laquelle elle se présente au public comme une personne capable de donner des conseils sur des questions fiscales et de préparer des déclarations de revenu pour des clients. Elle a dirigé cette entreprise sans mettre en place de système acceptable pour comptabiliser son propre revenu. Elle a admis dans le cadre de son contre-interrogatoire que sa comptabilité laissait à désirer. Elle devait certainement savoir que ses déclarations, qui n'étaient pas fondées sur des registres acceptables, étaient susceptibles de renfermer des erreurs. Les déclarations, a-t-elle affirmé, ont été préparées par des membres de son personnel et elle les a examinées personnellement avant de les produire. Elle savait que des frais personnels avaient été portés en réduction de son revenu d'entreprise, et je conclus, en m'appuyant sur ce fait et sur l'absence de registres acceptables, que, dans la meilleure des hypothèses, elle a agi avec insouciance en signant et en produisant ses déclarations. Sa conduite équivaut certainement à faute lourde au sens courant de cette expression, qui a été interprétée dans l'arrêt Venne c. La Reine[2], et dans de nombreuses autres affaires.

[25]          Le représentant de l'appelante s'est employé à me prouver que l'appelante avait le droit de reporter sur les années visées par l'appel certaines pertes autres qu'en capital subies au cours des années antérieures. La pièce A-7 est un autre document manuscrit, qui renfermerait des calculs effectués par l'appelante selon lesquels le solde des pertes pouvant être reportées prospectivement s'établissait à 25 624,53 $ en 1994. Ainsi qu'il a déjà été précisé, aucune preuve digne de foi n'a été produite pour étayer cette prétention, et je ne puis tirer aucune conclusion relativement au solde des pertes, le cas échéant, que l'appelante était en mesure de reporter.

[26]          Je ne peux clore cette affaire sans faire observer que la plupart des difficultés que l'appelante a éprouvées relativement à ces cotisations sont manifestement attribuables au fait qu'elle s'est fiée à tort aux avis de son époux et représentant, M. Schuit. Celui-ci a admis qu'il était en très grande partie responsable de l'absence de système comptable acceptable pour l'entreprise the TaxMan. Les commerçants qui ne tiennent pas les registres exigés par l'article 265 de la Loi doivent s'attendre à ce que la Cour accueille avec scepticisme les explications fournies dans le cadre d'un témoignage oral au sujet de points qui devraient être consignés dans les livres de compte. Pour empirer les choses, l'appelante a choisi de se faire représenter par son époux devant la Cour. Durant l'audience, il est devenu manifeste qu'il ne possédait ni les connaissances ni les compétences nécessaires pour jouer le rôle de représentant dans le cadre d'une action en justice. Sa prestation confirme l'adage selon lequel est téméraire celui qui connaît peu de choses; a fortiori, est très téméraire celui qui connaît très peu de choses. Cependant, rien de tout cela ne libère l'appelante de son obligation de tenir les registres nécessaires et de produire des déclarations honnêtes et exactes.

[27]          Les appels pour les années 1995 et 1996 sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 25e jour de janvier 2002.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de juin 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur



[1]           Hickman Motors Ltd c. Canada, [1997] 2 R.C.S. 336 (97 DTC 5363) par le juge L'Heureux-Dubé aux pages 378 à 380 (DTC : aux pages 5376 et 5377).

[2]         C.F. 1re inst., no T-815-82, 9 avril 1984 (84 DTC 6247).

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