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Date: 20010811

Dossier: 97-2121-IT-G

ENTRE :

ISABEL WEBER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]            Cet appel a été entendu à Prince George (Colombie-Britannique), le 25 juin 2001. Les avocats des deux parties se sont appuyés sur un exposé conjoint des faits, dont voici le texte :

                                [TRADUCTION]

Dossier no 97-2121 (IT)G

COUR CANADIENNE DE L'IMPÔT

LOI DE L'IMPÔT SUR LE REVENU

ENTRE :

ISABEL WEBER,

APPELANTE,

ET

SA MAJESTÉ LA REINE,

INTIMÉE.

________________________________________________

EXPOSÉ CONJOINT DES FAITS

________________________________________________

                Par l'entremise de leur procureur respectif, les parties aux présentes admettent les faits suivants, aux fins de la présente action seulement et à la condition que leurs admissions ne puissent être utilisées à leur encontre dans quelque autre contexte que ce soit.

1.                     En 1992, l'appelante a réalisé un gain en capital de 75 699,11 $ par suite de la vente du droit d'enlever du bois se trouvant sur sa terre agricole.

2.                     L'appelante n'a pas déclaré ce gain en capital dans sa déclaration de revenu de 1992 et n'a pas appliqué à celui-ci l'exemption pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6 de la Loi de l'impôt sur le revenu (Canada) (la « Loi » ), qui s'appliquait à la disposition d'un bien en immobilisation autre qu'une action admissible de petite entreprise ou qu'un bien agricole admissible.

3.                     L'omission de l'appelante de déclarer le gain en capital en question dans sa déclaration de revenu de l'année d'imposition 1992 n'a pas été faite sciemment ou dans des circonstances équivalant à une faute lourde.

4.                     L'appelante a produit sa déclaration de revenu de l'année d'imposition 1994 le 1er mai 1995.

5.                     Aux fins de la préparation et de la production de sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1994 et conformément au paragraphe 110.6(19) de la Loi, l'appelante a effectué un choix concernant le « bois » (le « bien indiqué dans le choix » ) et indiqué un produit de disposition de 90 000 $, ce qui a donné lieu à un gain en capital de 90 000 $, à l'égard duquel elle a demandé l'exemption pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(3) de la Loi, qui s'appliquait à la disposition d'un bien en immobilisation autre qu'une action admissible de petite entreprise ou qu'un bien agricole admissible. [...]

6.                     L'appelante est encore propriétaire en common law et à titre bénéficiaire du bien indiqué dans le choix.

7.                     Dans un avis de nouvelle cotisation daté du 31 juillet 1995 relativement à l'année d'imposition 1992, l'intimée a inclus dans le revenu de l'appelante le produit net de la vente du droit d'enlever du bois se trouvant sur sa terre agricole à titre de revenu tiré d'une entreprise.

8.                     Par suite de la décision de la Cour d'appel fédérale dans Larsen c. Canada, datée du 29 octobre 1999, les parties aux présentes conviennent maintenant que le produit net que l'appelante a tiré en 1992 de la vente du droit d'enlever du bois se trouvant sur sa terre agricole constituait un gain en capital. Les parties aux présentes ne s'entendent pas sur le droit de l'appelante d'appliquer à ce gain en capital, dans l'année d'imposition 1992, l'exemption pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(3) de la Loi, qui s'appliquait à la disposition d'un bien en immobilisation autre qu'une action admissible de petite entreprise ou qu'un bien agricole admissible.

Par l'entremise de leur procureur respectif, les parties aux présentes ont, par leur signature, convenu des faits exposés ci-dessus.

               

                                                « signature »                       

                                                                KENNETH R. HAUSER

                                                                avocat de l'appelante

                                                                MORRIS A ROSENBERG

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Procureur de l'intimée

                                                                Par :         « signature »                        

                                                                                ERIC DOUGLAS

                                                                                Avocat de l'intimée

[...]

Les arguments de l'avocat de l'appelante

[2]            Les arguments de l'avocat de l'appelante sont, pour l'essentiel, repris dans les passages suivants de ses observations écrites :

                                [TRADUCTION]

Nous soutenons respectueusement que, lorsqu'elle tranche un appel en vertu du paragraphe 171(1) de la Loi, la Cour canadienne de l'impôt a la tâche de déterminer si le contribuable doit payer de l'impôt pour l'année d'imposition en cause. Aux fins de cette détermination, la Cour canadienne de l'impôt doit se reporter aux dispositions législatives qui s'appliquent dans l'année en question et aux faits tels qu'ils existent alors. Dans la présente affaire, cela signifie que, pour déterminer le montant de l'impôt payable par l'appelante dans l'année d'imposition 1992, les seuls facteurs que la Cour doit prendre en considération sont les faits qui existaient en 1992 et les dispositions de la Loi qui étaient alors en vigueur.

[...]

[...] Étant donné la nature fondamentale du régime d'autocotisation — selon lequel le contribuable doit produire sa déclaration compte tenu uniquement des dispositions législatives en vigueur dans l'année en question et des faits qui existaient alors — les appels interjetés à l'encontre de nouvelles cotisations doivent être tranchés suivant ce principe uniquement. Dans la présente affaire, les seuls faits qui sont pertinents relativement à l'année 1992 sont les suivants : l'appelante a réalisé un gain en capital de 75 699,11 $, le paragraphe 110.6(3) de la Loi était encore en vigueur et l'appelante pouvait se prévaloir du plein montant de l'exemption pour ce gain en capital.

[...]

Le droit de l'appelante d'appliquer l'exemption de base pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(3) de la Loi au gain en capital de 75 699,11 $ qu'elle a réalisé en 1992 est reconnu également dans la jurisprudence relative au droit du contribuable de modifier une déclaration, d'effectuer une désignation tardive ou d'effectuer un choix dans le cadre d'un appel d'une nouvelle cotisation, surtout à la lumière du paragraphe 110.6(6) de la Loi. La décision de principe à cet égard a été rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada c. Nassau Walnut Investments Inc. (C.A.), [1997] 2 C.F. 279 (1996 CarswellNat 2329) (C.A.F.), qui porte sur les choix tardifs aux termes de l'alinéa 55(5)f) de la Loi.

Aux paragraphes 35 et 36, le juge Robertson établit une distinction entre l'affaire dont il est saisi et certaines affaires antérieures, comme l'affaire Miller c. La Reine, C.A.F., no A-782-90, 18 décembre 1992 ((1992) CarswellNat 452), pour le motif que celles-ci ne s'appliquent que si le contribuable tente d'effectuer une planification fiscale rétroactive.

35             À mon avis, il ne fait guère de doute que la méthode restrictive adoptée par les tribunaux à l'égard des dispositions de la Loi prévoyant l'exercice d'un choix vient de la possibilité que les contribuables se livrent à une planification fiscale rétroactive. C'est l'une des raisons qui expliquent la décision de la présente Cour dans l'arrêt Miller, précité, qui est l'une des principales causes sur lesquelles s'appuie le ministre. Dans cette affaire, le contribuable avait choisi d'étaler son revenu pour son année d'imposition 1982. Le ministre a refusé la déduction du contribuable relativement à sa cotisation au REER pour l'année en question et a aussi refusé d'augmenter le montant d'étalement choisi. À la page 271, le juge Mahoney, J.C.A., s'exprimant au nom de la Cour (avec l'appui des juges Linden et Robertson), a refusé au contribuable l'avantage de faire son choix en profitant d'un certain recul :

[...] le contribuable avait le droit d'effectuer un choix en fonction des circonstances, que lui seul pouvait connaître, qui existaient au moment où il a produit sa déclaration. La Loi ne prévoyait pas le choix effectué sur le fondement de nouvelles circonstances découlant d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation.

36             En l'espèce, toutefois, la Cour n'est pas saisie d'une question de planification fiscale rétroactive dans une situation où le contribuable demanderait à « refaire son choix » . Au contraire, le cas en l'espèce est plus semblable à une situation dans laquelle le contribuable demande à modifier sa déclaration d'impôt afin de tirer parti d'une déduction à laquelle il a un certain droit. À certains égards, la désignation exigée à l'alinéa 55(5)f) de la Loi n'est pas différente, par exemple, de la déduction prévue au paragraphe 112(1). Cette dernière disposition convertit un dividende imposable entre sociétés en dividende non imposable. La société contribuable doit toutefois déduire une somme égale au dividende afin d'obtenir ce résultat ( « Lorsqu'une corporation a reçu ... un dividende imposable ... une somme égale au dividende peut être déduite du revenu » ) [non souligné dans l'original]. Il n'y a qu'une seule différence importante entre ces deux articles de la Loi, et c'est que le paragraphe 112(1) ne requiert aucun calcul. Le contribuable est simplement tenu de faire la déduction. Par ailleurs, l'alinéa 55(5)f) oblige le contribuable à calculer son revenu sauf avant de faire la déduction. Il me semble qu'il s'agit là d'une différence de degré, et non pas de nature.

Dans la présente affaire, comme dans l'affaire Nassau Walnut, l'appelante ne se livre à aucune planification fiscale rétroactive. Elle ne fait qu'effectuer une déduction à laquelle elle a un certain droit. Il y a lieu également de noter que les affaires relatives au choix, comme l'affaire Miller, portent sur des dispositions de la Loi qui prévoient expressément que le choix doit être effectué dans un délai déterminé. Dans la présente affaire, étant donné le paragraphe 110.6(6) de la Loi, la possibilité de demander une exemption pour gains en capital n'est limitée que dans certaines circonstances. Nous soutenons que, en l'absence de telles circonstances, le législateur envisageait précisément le droit du contribuable de demander une exemption pour gains en capital pour une année d'imposition donnée à une date ultérieure.

[...]

Au paragraphe 37 de l'affaire Nassau Walnut, le juge Robertson a recours à un exemple hypothétique pour illustrer un cas où le contribuable ne se livre à aucune planification fiscale rétroactive :

37                    Pour ce qui a trait à l'article 55 de la Loi, la difficulté se pose bien entendu dans les cas où le contribuable a omis en premier lieu de demander l'allégement prévu à l'alinéa 55(5)f) parce qu'il n'a pas présumé que le paragraphe 55(2) s'appliquerait. La question peut donc être reformulée sous forme d'hypothèse : supposons que le contribuable calcule son revenu d'après la disposition « A » ; le ministre refuse l'applicabilité de la disposition « A » et invoque la disposition « B » ; le contribuable ne conteste pas que la disposition « B » puisse s'appliquer mais note que cette disposition « B » autorise une déduction partielle si une désignation est faite; il demande donc de modifier sa déclaration pour profiter de cette déduction, mais on lui refuse la possibilité de le faire au motif qu'il n'a pas fait la désignation exigée; le contribuable demande ensuite comment il aurait pu faire la désignation alors qu'il ne savait pas que la disposition « B » s'appliquait. Selon ce scénario, la modification de la déclaration d'impôt initiale ne peut agiter le spectre de la planification fiscale rétroactive, comme dans le cas des choix. Autrement dit, notre contribuable hypothétique n'a pas déjà évalué les risques potentiels entre faire la désignation ou ne pas la faire, et il ne cherche pas non plus à se soustraire aux conséquences négatives d'une décision qu'il aurait prise consciemment après mûre réflexion.

Nous soutenons que le gain en capital que l'appelante a réalisé dans l'année d'imposition 1992 est exactement ce dont il est question dans l'exemple hypothétique. L'appelante a calculé son revenu gagné en 1992 en se fondant sur la disposition « A » — c'est-à-dire qu'elle n'avait pas à inclure dans son revenu le gain en capital tiré de la vente du droit d'enlever du bois se trouvant sur sa terre agricole. Le ministre a ensuite rejeté cette façon de traiter le gain en capital et a invoqué la disposition « B » — selon laquelle le produit de disposition du droit d'enlever du bois se trouvant sur la terre agricole de l'appelante donne lieu à un gain en capital dont les trois quarts doivent être inclus dans le revenu. L'appelante ne conteste pas cette disposition, mais elle signale que, en 1992, les gains en capital de cette nature pouvaient être exempts d'impôt si le contribuable demandait l'exemption pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(3) de la Loi. Elle cherche donc à modifier sa déclaration pour tirer profit de cette déduction. Comment l'appelante aurait-elle pu demander l'exemption pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(3) alors qu'elle ignorait qu'elle avait réalisé un gain en capital qui devait être exempté?

[...]

Pour les motifs qui précèdent, nous soutenons respectueusement que, aux fins de l'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie à son égard pour l'année d'imposition 1992, l'appelante a le droit d'appliquer l'exemption pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(3) de la Loi au gain en capital réalisé lors de la vente du droit d'enlever du bois se trouvant sur sa terre agricole et ce, en dépit du choix qu'elle a effectué en vertu du paragraphe 110.6(19) dans l'année d'imposition 1994.

[...]

Permettre à l'appelante d'appliquer l'exemption pour gains en capital prévue au paragraphe 110.6(3) de la Loi au gain en capital qu'elle a réalisé au cours de l'année d'imposition 1992, même si elle a demandé cette exemption pour gains en capital en 1994, n'aura pas pour effet de lui accorder deux fois le bénéfice de cette disposition. Cela fera plutôt en sorte d'invalider le choix effectué en 1994 du fait de l'application de la division 110.6(20)a)(i)(A) de la Loi et de la jurisprudence portant sur le report prospectif de soldes incorrects.

[...]

[...] C'est l'analyse de Stikeman, publiée par Carswell Publishing, sur les limites imposées par le paragraphe 110.6(20) de la Loi aux choix effectués en vertu du paragraphe 110.6(19), qui est la plus pertinente relativement aux sous-alinéas en question. En voici un passage :

[TRADUCTION]

Limites (par. 110.6(20))

Le paragraphe 110.6(20) prévoit certaines limites qui régissent l'application d'un choix fait conformément au paragraphe 110.6(19). L'alinéa 110.6(20)a) s'applique dans le cas où l'auteur du choix est un particulier, sauf une fiducie. Dans de telles circonstances, le choix effectué aux termes du paragraphe 110.6(19) ne sera valide que s'il est satisfait à l'une des conditions suivantes au moins :

(i)                    le choix donnerait lieu à une augmentation de l'exemption pour gains en capital de 100 000 $ déductible en application du paragraphe 110.6(3) par l'auteur du choix ou son conjoint, et le choix ne donnerait pas lieu au dépassement du reste de l'exemption de 100 000 $ déductible par l'auteur du choix ou son conjoint par le moins élevé du plafond annuel des gains et du plafond des gains cumulatifs (qui dépassent les montants déduits pour l'année en application de l'exemption à vie de 500 000 $ pour gains en capital);

(ii)                  le montant indiqué dans le choix relativement à un bien de l'auteur du choix dépasse les 11/10 de la juste valeur marchande du bien à la fin du 22 février 1994;

(iii)                 le montant indiqué dans le choix relativement à l'entreprise de l'auteur du choix correspond à 1 $ ou dépasse les 11/10 de la juste valeur marchande de l'ensemble des immobilisations admissibles dont l'auteur du choix est alors propriétaire dans le cadre de l'entreprise.

Suivant cette disposition, le choix prévu au paragraphe 110.6(19) n'est valide que si, dans les faits, il donne lieu, relativement à l'auteur du choix ou à son conjoint, à un gain en capital qui peut être protégé par l'exemption à vie de 100 000 $ pour gains en capital. Suivant cette disposition également, l'auteur du choix ne peut éviter les conséquences fiscales défavorables associées à un montant indiqué dans un choix qui dépasse les 11/10 de la juste valeur marchande du bien ou de l'entreprise au 22 février 1994. (Je souligne.)

[...]

Puisqu'il n'est satisfait à aucune des conditions énoncées aux sous-alinéas 110.6(20)a)(i), (ii) et (iii) de la Loi, le paragraphe 110.6(20) a pour effet d'invalider le choix que l'appelante a effectué dans l'année d'imposition 1994 en vertu du paragraphe 110.6(19) de la Loi. Par conséquent, le prix de base rajusté du bien indiqué dans le choix ne s'en trouve pas augmenté de 90 000 $, et la disposition du bien en question donnera lieu au plein montant du gain en capital accumulé.

L'intimée peut appliquer cette analyse en l'espèce et refuser l'augmentation du prix de base rajusté du bien indiqué dans le choix, que l'appelante souhaitait lorsqu'elle a effectué un choix en 1994. Les tribunaux ont chaque fois statué que, lorsque les implications fiscales d'une année donnée dépendent d'un solde reporté sur une année ultérieure, le ministre peut, pour déterminer avec exactitude si un impôt est dû et payable pour l'année d'imposition ultérieure en question, rajuster les soldes reportés sur une année ultérieure si ces soldes sont inexacts à certains égards. Dans la présente affaire, ce principe permet au ministre de traiter le choix de l'appelante effectué en 1994 relativement aux gains en capital comme étant invalide pour le motif que le plafond des gains cumulatifs des années d'imposition 1992 et 1993 reportés sur une année ultérieure doit être réduit du gain exempté dans l'année d'imposition 1992.

Le droit de l'ADRC de refuser l'utilisation de ce prix de base majoré est prévu dans de nombreuses décisions portant sur l'application de la Loi. La plus récente décision est celle de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Bradley c. La Reine, C.A.F., no A-48-95, 16 juin 1998 (1998 CarswellNat 1028). Dans cette affaire, le ministre a tenté d'établir une nouvelle cotisation à l'égard du contribuable pour l'année d'imposition 1984 pour le motif que la déduction d'une partie des dons de charité effectués par celui-ci devait être refusée. La Cour canadienne de l'impôt a conclu que, bien qu'une partie des dons de charité ne fût pas légitime, l'année d'imposition 1984 était frappée de prescription et la nouvelle cotisation établie pour cette année-là devait par conséquent être rejetée. La Cour canadienne de l'impôt a conclu également que le montant total des dons de charité effectués en 1984 pouvait être reporté sur les années d'imposition 1985, 1986 et 1987. Le ministre a interjeté appel de cette dernière conclusion à la Cour d'appel fédérale. Déterminant que le report des dons de charité sur les années d'imposition 1985, 1986 et 1987 devait refléter le montant exact des dons effectués seulement, le juge Strayer a dit ceci au paragraphe 6 :

6                Il nous semble que, par exemple, dans une cotisation établie relativement à l'impôt de 1985, le ministre est tenu, en examinant le montant à reporter, de déterminer le total des "dons" faits dans les années précédentes et dans ce contexte, ceux-ci doivent être limités aux dons de charité admissibles. En l'espèce, le juge de la Cour de l'impôt a déterminé que la somme prétendument donnée au musée en 1984 (soit 98 867 $) n'était pas un don parce qu'il n'y avait pas de prêt auquel l'intimé pouvait renoncer. Par conséquent, le calcul, pour les fins du report sur les années ultérieures, du total des dons faits en 1984, prévu à l'alinéa 110(1)a), ne peut inclure le montant invalide de 98 867 $. Ce qui laisse un total de 178 357 $ (le total de la somme reportée) moins 98 867 $ (le montant non valide), c'est-à-dire 79 490 $ et non 178 357 $ dont a tenu compte le juge de la Cour de l'impôt. Étant donné que le contribuable avait déjà déduit 111 237 $ en 1984, il ne restait plus de solde à reporter sur les années ultérieures. Nous croyons que ce résultat est compatible avec la jurisprudence antérieure de la Cour fédérale et de la Cour de l'impôt [Voir Note 1 ci-dessous]. À moins qu'il y ait prescription, le ministre est tenu d'évaluer chacune des années d'imposition conformément à la Loi. (Je souligne.)

Le juge Bowman, de la Cour canadienne de l'impôt, est arrivé à la même conclusion dans l'affaire Coastal Construction and Excavating Ltd. c. La Reine, C.C.I., no 94-1724(IT)G, 5 septembre 1996 (1996 CarswellNat 1811). Au paragraphe 24 de cette décision, il a dit ceci :

24              Enfin, l'appelante soutient que, comme au cours d'années antérieures, le ministre avait considéré l'entreprise comme un "établissement" au sens de la LSDR, il n'avait pas le droit de modifier le montant du crédit d'impôt à l'investissement pour des années reconnues comme étant prescrites qui pouvait être reporté, et ainsi d'influer sur le revenu imposable dans une année qui n'était pas prescrite, et ce, afin de refléter son opinion selon laquelle il s'agissait en l'espèce d'un bien admissible plutôt que d'un bien certifié. Cette interprétation impliquerait une conclusion que la détermination du solde des crédits d'impôt à l'investissement pouvant être reportés d'une année prescrite équivaut à cotisation. Je n'interprète pas l'article 152 de la Loi comme étayant pareille conclusion. Le ministre est tenu d'établir la cotisation conformément à la loi. S'il établit une cotisation erronée à l'égard d'une année antérieure et que cette année devienne par la suite prescrite, il ne peut pas établir une nouvelle cotisation pour cette année-là. Cela ne l'empêche toutefois pas de corriger l'erreur dans une année qui n'est pas prescrite, même si cela comporte le rajustement des soldes pouvant être reportés d'années antérieures, et ce, qu'il s'agisse du report prospectif de pertes ou de soldes de crédits d'impôt à l'investissement. [...] (Je souligne.)

Étant donné les dispositions de l'alinéa 110.6(20)a) de la Loi et la jurisprudence portant sur la correction du report prospectif de soldes, nous soutenons que le prix de base rajusté du bien indiqué dans le choix demeure le même qu'avant le choix effectué en 1994 et que le total du gain en capital sera réalisé lorsque l'appelante disposera finalement du bien.

Observations de l'avocat de l'intimée

[3]            Pour l'essentiel, les observations de l'avocat de l'intimée sont contenues dans les passages suivants tirés de ses observations écrites.

                                [TRADUCTION]

3.                     L'intimée soutient que le choix de l'appelante d'effectuer une disposition réputée en 1994 (le « choix » ) ne peut aujourd'hui être modifié ou révoqué en application de la Loi. L'appelante ne peut révoquer cette disposition simplement en changeant l'année dans laquelle elle souhaite utiliser son exemption pour gains en capital. L'année d'imposition 1994 est maintenant frappée de prescription en ce qui concerne l'appelante. Par conséquent, lui permettre d'utiliser son exemption pour gains en capital en 1992 reviendrait à lui permettre de demander, et pour 1992 et pour 1994, des exemptions importantes qui dépassent considérablement le total de l'exemption auquel elle a droit. Puisque le ministre ne peut plus établir de nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante pour refuser l'exemption demandée en 1994, nous soutenons que l'appelante ne peut plus demander la même exemption en 1992.

[...]

4.                     Le choix a donné lieu à une disposition réputée d'un bien le 22 février 1994. L'appelante a par conséquent réalisé un gain en capital de 90 000 $ cette année-là. Au moment de produire sa déclaration, elle a cru avoir droit à une exemption pour gains en capital personnelle suffisante pour exempter d'impôt le montant total du gain, soit 90 000 $. Elle a choisi d'utiliser cette exemption dans sa déclaration de 1994.

5.                     L'appelante ne peut plus revenir sur son choix. Les paragraphes 110.6(25) et 110.6(27) de la Loi permettent la révocation ou la modification d'un choix fait en vertu du paragraphe 110.6(19). Ils exigent cependant, pour toute modification, que la documentation requise soit remise au ministre « avant 1998 » . L'appelante ne s'est pas conformée à cette exigence.

6.                     En dépit du fait qu'une vérification a été effectuée et qu'une nouvelle cotisation a été établie, le ministre n'a pas le pouvoir de modifier un choix lorsque la Loi ne contient aucune disposition à cet égard. Dans l'affaire Miller c. La Reine (Recueil de jurisprudence et de doctrine de l'intimée, onglet 3), la Cour d'appel fédérale en est arrivée à la conclusion suivante (à la page 4) :

En ce qui concerne le droit du contribuable de modifier un choix après l'établissement d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation en fonction de sa déclaration de revenus, il ne s'agit pas, à mon avis, d'une question de délai de prescription. En 1982, plusieurs dispositions de la Loi prévoyaient le cas de choix tardifs. Aucune ne visait le choix relatif à l'étalement du revenu; celui-ci devait être effectué et produit au plus tard à la date à laquelle la déclaration de revenus concernée devait être produite. L'intention du Parlement était claire : le contribuable avait le droit d'effectuer un choix en fonction des circonstances, que lui seul pouvait connaître, qui existaient au moment où il a produit sa déclaration. La Loi ne prévoyait pas le choix effectué sur le fondement de nouvelles circonstances découlant d'une cotisation ou d'une nouvelle cotisation.

Permettre que le choix soit modifié, soit par le ministre dans le cadre de l'établissement de la cotisation ou par le contribuable une fois cette dernière établie, exigerait, à mon avis, l'introduction inadmissible dans la Loi, par une interprétation large, de termes qui n'y sont pas. J'accueillerais l'appel et je rétablirais la cotisation.

7.                     Contrairement à ce qui s'est produit dans l'affaire Miller, dans ce cas-ci, le législateur a prévu la révocation ou la modification d'un choix effectué en vertu du paragraphe 110.6(19). Il a cependant fixé un délai pour effectuer cette modification. En l'espèce, ce délai est expiré depuis longtemps. Nous soutenons que l'intention du législateur est aussi claire pour ce qui est des choix effectués en vertu du paragraphe 110.6(19) qu'elle l'était dans l'affaire Miller, et que ni le ministre ni l'appelante n'ont aujourd'hui le pouvoir de changer quoi que ce soit à la disposition qui est réputée avoir eu lieu en 1994.

[...]

9.                     Nous soutenons que les dispositions législatives susmentionnées ainsi que la jurisprudence mènent à la conclusion que l'appelante ne peut aujourd'hui changer le choix qu'elle a effectué. Ceci étant, l'appelante avait un gain en capital de 75 699,11 $ en 1992 et un gain en capital de 90 000 $ en 1994. La question est donc celle-ci : Comment peut-elle appliquer son exemption pour gains en capital?

10.                  Du fait de la nouvelle cotisation que le ministre a établie et du gain en capital qu'il a inclus dans son revenu de 1992, l'appelante demande à utiliser son exemption pour gains en capital en 1992 plutôt qu'en 1994.

[...]

12.                  Nous soutenons, compte tenu de la demande de l'appelante de modifier sa déclaration de revenu de 1992 à la lumière de la nouvelle cotisation établie par le ministre, que le facteur clé dont la Cour doit tenir compte est que l'appelante a pris, après 1992, des mesures qui restreignent son droit de modifier sa déclaration de 1992. En d'autres termes, l'appelante ne peut plus prétendre avoir le droit de se prévaloir de son exemption pour gains en capital en 1992 car elle a déjà choisi de s'en prévaloir en 1994.

[...]

16.               Les éléments essentiels de la théorie de la préclusion ( « estoppel » ) sont les suivants (tiré de Wilchar Construction, à la p. 5) :

[TRADUCTION]

a)                    une assertion faite avec l'intention que la personne à qui elle est faite y donne suite;

b)                     la personne à qui l'assertion a été faite y donne suite;

c)                    cette personne en subit un préjudice.

[...]

18.                      L'intimée soutient que les faits de l'affaire Wilchar Construction, susmentionnée, sont à peu près semblables à ceux de la présente affaire. Dans sa déclaration de revenu de 1992, l'appelante a omis d'indiquer qu'elle avait réalisé un gain en capital dans l'année en question. Il va sans dire qu'elle n'a pas indiqué non plus qu'elle avait l'intention de se prévaloir de son exemption pour gains en capital. L'appelante a ensuite produit sa déclaration de revenu de 1994, y compris son choix, et a choisi de se prévaloir de son exemption pour gains en capital de 90 000 $. Nous soutenons que ces faits permettent de conclure que tous les éléments de la théorie de la préclusion sont réunis :

a)                 L'appelante espérait que le ministre se fonde sur les assertions qu'elle a faites dans ses déclarations de revenu — qui étaient toutes des assertions de fait. L'appelante n'ayant pris aucune mesure pour modifier ou révoquer le choix ou pour modifier sa déclaration de revenu de l'année d'imposition 1994, elle s'est trouvée à maintenir les assertions en question.

b)                Le ministre a accepté les documents déposés par l'appelante et a établi une cotisation à l'égard de cette dernière en fonction de ces documents. Il s'est donc fondé sur les assertions qu'elle a faites relativement à l'utilisation de son exemption pour gains en capital dans ses déclarations de 1992 et 1994;

c)                 Le ministre a subi un préjudice en se fondant sur ces assertions puisque la période normale de nouvelle cotisation pour l'année d'imposition 1994 est maintenant écoulée en ce qui concerne l'appelante. Si l'appelante est autorisée à appliquer son exemption pour gains en capital au gain en capital qu'elle a réalisé en 1992, elle aura profité de cette exemption et en 1992 et en 1994 et ce, au détriment du ministre.

19.                     Les commentaires de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Jencan Ltd. sont pertinents relativement à la situation de l'appelante (Recueil de jurisprudence et de doctrine de l'intimée, onglet 10, à la page 215) :

Je suis d'avis que, lorsque les conditions applicables sont réunies, le ministre peut invoquer la théorie de la fin de non-recevoir fondée sur une assertion lorsqu'un prestataire amène le ministre à se fier à un état de fait qui n'existe plus et à rendre ainsi une décision fondée sur des renseignements inexacts.

Encore une fois, la situation envisagée par la Cour d'appel s'applique aux faits de l'affaire en l'espèce. Le ministre a été amené à se fonder sur le fait que l'appelante pouvait utiliser la totalité de son exemption pour gains en capital en 1994. Il a donc accepté le choix tel qu'il a été déposé et a permis à l'appelante d'imputer l'exemption pour gains en capital au gain en capital qu'elle a réalisé par suite de la disposition réputée. L'appelante cherche aujourd'hui à modifier sa déclaration de revenu de 1992, ce qui aura pour effet de changer son droit à l'exemption en 1994. Le ministre n'a cependant plus le pouvoir de se pencher sur l'année 1994. [...]

20.            [...] Le ministre s'est fondé sur des assertions faites dans les déclarations de revenu de l'appelante. Cette dernière demande aujourd'hui l'autorisation de modifier ces assertions au détriment du ministre. Nous soutenons que la jurisprudence appuie clairement la conclusion qu'elle ne peut plus le faire.

Analyse et décision

[4]            Je suis d'avis que ce sont les observations de l'avocat de l'appelante qui reflètent le plus fidèlement les conséquences, au niveau juridique, des faits du présent appel. Je ne crois pas qu'il y ait ici modification ou révocation d'un choix car, si l'on permet à l'appelante d'appliquer l'exemption pour gains en capital à la disposition faite en 1992, le choix effectué en 1994 s'en trouve invalidé. Ce choix étant invalide, l'appelante n'aura pas droit à la déduction de 90 000 $ lorsqu'elle disposa finalement du bien indiqué dans le choix.

[5]            Je suis d'avis également que le principe de la préclusion ne devrait pas s'appliquer au préjudice de l'appelante car, lorsque cette dernière a produit sa déclaration de 1992, dans laquelle elle n'a pas déclaré le gain en capital ni utilisé l'exemption pour gains en capital, elle l'a fait en toute innocence et elle n'avait certainement pas l'intention de frauder le ministre du Revenu national. Il ne s'agit pas ici de planification fiscale rétroactive comme ce fut le cas dans certaines des affaires citées. Au contraire, si l'on considère la situation telle qu'elle existait en 1992, l'appelante n'a pas réalisé qu'elle pouvait appliquer au gain en capital réalisé en 1992 l'exemption pour gains en capital dont elle pouvait se prévaloir cette année-là. C'est la situation telle qu'elle existait en 1992 et, à mon avis, cette situation n'a pas été changée par le choix invalide effectué subséquemment, soit en 1994. De plus, à mon avis, l'analyse hypothétique du juge Robertson dans l'affaire Nassau Walnut était juste et s'applique à la présente affaire. Peu importe que l'année 1994 soit frappée de prescription, le ministre n'a pas besoin d'établir de nouvelle cotisation pour cette année-là car, en demandant l'exemption dans l'année 1992 après qu'une nouvelle cotisation eut été établie à l'égard de cette même année en 1995, l'appelante a invalidé le choix effectué en 1994.

[6]            Pour tous ces motifs, l'appel est admis avec frais.

                Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'août 2001.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 31e jour de mai 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-2121(IT)G

ENTRE :

ISABEL WEBER,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 25 juin 2001 à Prince George (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge Terrence O'Connor

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me Kenneth R. Hauser

Avocat de l'intimée :                            Me Eric Douglas

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1992, est admis avec frais, et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

          Signé à Ottawa, Canada, ce 11e jour d'août 2001.

« T. O'Connor »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour de mai 2002.

Mario Lagacé, réviseur

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