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Date: 20020319

Dossier : 2000-3534-IT-I

ENTRE :

LOUISE NOBERT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel concernant les années d'imposition 1997 et 1998.

[2]            La question en litige est de déterminer, à l'égard des deux années en litige, si les sommes respectives de 5 082 $ et de 6 318 $ ont dûment été incluses dans le calcul du revenu de l'appelante, au titre de pension alimentaire ou autre allocation payable périodiquement.

[3]            Pour établir les avis de nouvelles cotisations datés du 29 décembre 1999, le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) a pris pour acquis les faits suivants :

a)              l'appelante et monsieur Denis Dufresne ont convolé en justes noces le 22 décembre 1989;

b)             l'appelante et monsieur Denis Dufresne sont les parents de deux enfants :

i)               Audray-Anne, née le 5 octobre 1990;

ii)              Bruno-Pierre, né le 9 juillet 1992;

c)              le mariage de l'appelante et de monsieur Denis Dufresne a été dissous le 17 novembre 1995;

d)             conformément à une convention sur requête en modification des mesures accessoires datée du 21 mars 1997, les parties ont convenu des mesures suivantes :

i)               monsieur Denis Dufresne s'oblige à verser à l'appelante une somme de 325 $ à titre d'arrérages en pension alimentaire,

ii)              monsieur Denis Dufresne s'oblige à verser à l'appelante, pour le bénéfice des enfants mineurs, Audray-Anne et Bruno-Pierre, la somme hebdomadaire suivante selon la provenance de ses revenus :

a)              bénéficiaire de prestation d'assurance-emploi : 100 $,

b)             perception d'un salaire :                                                                       150 $,

c)              aucun revenu :                                        aucune somme exigible;

e)              le 20 mai 1997, l'honorable juge Robert Legris, J.C.S. a reçu, a entériné et a donné force exécutoire à la convention entre les parties datée le 21 mars 1997, et a ordonné aux dites parties de s'y conformer;

f)              le Ministre a établi que les sommes reçues par l'appelante, au titre de pension alimentaire, étaient imposables pour les années d'imposition 1997 et 1998;

g)             le Ministre fondait sa décision sur le fait que le jugement daté du 20 mai 1997 ne faisait qu'entériner la convention entre les parties qui était datée du 21 mars 1997.

[4]            Après avoir été assermentée, l'appelante a nié les faits décrits aux paragraphes f) et g).

[5]            L'appelante a expliqué, qu'elle et son conjoint avaient convenu les modalités des montants payables dans le cadre d'obligations alimentaires. Elle a expliqué que tous deux étaient alors représentés par avocat et que, de part et d'autre, les parties voulaient que le contenu de la convention soit assujetti aux nouvelles dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) relatives à la défiscalisation devenue en vigueur à compter de mai 1997.

[6]            Le contenu de la convention en date du 21 mars 1997 était le suivant :

                ...

CONVENTION SUR REQUÊTE EN
MODIFICATION DES MESURES ACCESSOIRES

Les parties aux présentes établissent entre elles la convention suivante :

1)              MODIFIER le jugement du 22 janvier 1996;

2)              CONDAMNER le demandeur à verser à la défenderesse la somme de 325 $ à titre d'arrérage en pension alimentaire pour la période s'échelonnant du mois de juillet 1996 jusqu'à la date des présentes;

3)              CONDAMNER le demandeur à verser à la défenderesse, pour le bénéfice des enfants mineurs Audray-Anne et Bruno-Pierre une pension alimentaire, laquelle s'élève à la somme de 100 $ par semaine lorsque le demandeur recevra des prestations d'assurance-emploi et à la somme de 150 $ par semaine lorsque le demandeur occupera un emploi. Le demandeur n'étant pas tenu de verser une pension alimentaire à la défenderesse lorsqu'il n'enregistrera aucun revenu;

4)              LE TOUT chaque partie payant ses frais.

...

[7]            La convention a été ratifiée par l'honorable juge Robert Legris, le tout, tel qu'il appert au jugement en date du 20 mai 1997, se lisant comme suit :

...

                Le tribunal est saisi d'une requête en modification de mesures accessoires.

                Considérant que les parties ont déposé au dossier une convention qu'il y a lieu d'entériner;

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

                REÇOIT, ENTÉRINE ET DONNE FORCE EXÉCUTOIRE à la convention intervenue entre les parties le 21 mars 1997, annexée au présent jugement et ORDONNE aux parties de s'y conformer.

...

[8]            L'appelante a indiqué que la convention avait été retenue délibérément et soumise au Tribunal de manière à ce qu'elle porte une date ultérieure à l'entrée en vigueur des dispositions relatives de la Loi relative à la défiscalisation.

[9]            Pour appuyer ses prétentions, l'appelante a soumis que la convention prévoyait une diminution importante du montant qui lui était jusqu'alors payable, justement pour la raison que les montants prévus ne devaient plus être imposables entre ses mains.

[10]          Elle a aussi ajouté que son ex-conjoint avait changé d'idée, puisqu'il avait d'abord renoncé à réclamer la déduction.

[11]          De son côté, l'intimée a mis l'emphase sur la date de la convention, laquelle était antérieure à la mise en vigueur des dispositions relatives à la défiscalisation.

[12]          Selon le Ministre, le jugement a essentiellement ratifié le contenu intégral de la convention, d'où la date est sans effet. Pour consolider la qualité de la convention, l'intimée a fait état que les parties s'étaient conformées au contenu de la convention et cela, dès la date de sa signature.

[13]          À l'appui de ses prétentions quant aux effets d'une convention privée, elle s'est référée au jugement H.L. c. R.M. de la Cour supérieure du Québec, où l'honorable juge Morin s'exprimait comme suit :

10.            La procureure de Mme H.L. souligne au tribunal que l'entente du 22 janvier 1993 n'a pas l'effet d'une transaction, vu qu'elle n'a pas été entérinée par jugement. Elle soutient que le tribunal n'est donc pas lié par cette entente et qu'il peut décider suivant ce qu'il estime juste et approprié, compte tenu des circonstances de l'article 17 de la Loi sur le divorce. S'appuyant par ailleurs sur le témoignage de Mme H.L., elle conteste la validité de l'entente, vu que sa cliente n'aurait pas été assistée d'un conseiller juridique indépendant lors de la signature de cette entente.

11.            Le fait que l'entente n'ait pas été entérinée par le tribunal ne l'empêche nullement de produire ses effets entre les parties. Dans l'arrêt Droit de la famille no 153, l'honorable Jean Marquis, j.c.s., s'est prononcé ainsi sur cette question :

Lors de la signature du R-3, le 1er mai 1961, les parties pouvaient s'entendre sur le montant de la pension alimentaire, entente qu'elles n'étaient pas tenues de soumettre à l'approbation des tribunaux si ce n'est pour en obtenir la consécration judiciaire avec les conséquences qui en découlent.

Toutefois, la validité de cette entente n'est pas assujettie à son homologation ou sa sanction par la Cour : il s'agit d'une convention valide qui produit ses effets entre les parties.

[14]          Le juge Morin se référait à un extrait du jugement de la Cour suprême dans l'affaire Pelech c. Pelech, [1987] A.C.S. no 31 (Q.L.), où l'honorable juge Wilson affirmait ce qui suit :

Je crois que les tribunaux doivent reconnaître à l'individu le droit de mettre fin à une relation tout comme celui d'en commencer une et qu'ils ne devraient pas, lorsque tous les autres aspects de la relation ont depuis longtemps cessé d'exister, considérer que la responsabilité financière se prolonge indéfiniment dans l'avenir. Lorsque les parties, au lieu d'avoir recours à la justice, ont agi en adultes responsables pour régler leurs affaires financières d'une manière définitive, et que le règlement ne peut être contesté sur aucun autre fondement, les tribunaux ne devraient pas, à mon avis, miner ce règlement en concluant, après coup, que les parties auraient dû régler leurs affaires différemment.

[15]          Ces deux extraits démontrent que la ratification judiciaire d'une convention n'est pas essentielle pour produire des effets. Par contre, il est aussi clairement mentionné qu'une telle ratification apporte ce que le juge Morin décrit comme « la consécration judiciaire avec les conséquences qui en découlent » .

[16]          Seul un accord écrit ou un jugement est pris en considération pour l'analyse des conséquences fiscales relatives à des paiements alimentaires. Toute entente ou convention verbale est sans effet en matière fiscale. Valable en droit civil, une entente verbale est cependant vulnérable, puisqu'il peut être extrêmement difficile d'en faire la preuve.

[17]          En l'espèce, le litige découle essentiellement de la date qui doit être prise en considération et cela, a évidemment des conséquences significatives.

[18]          L'intimée soutient que la convention du 21 mars 1997 doit être le document de référence pour déterminer si la convention rencontrait ou non les exigences de la Loi.

[19]          Pour appuyer la justesse de son interprétation, l'intimée plaide que les parties ont appliqué et respecté le contenu de la convention et cela, dès sa signature le 21 mars 1997.

[20]          Il s'agit là d'un argument très peu convaincant et qui n'établit rien d'autre que les parties ont respecté leur signature, et cela, jusqu'à l'obtention du jugement.

[21]          Une convention sous seing privé génère des droits et obligations pour les signataires qui peuvent en tout temps l'annuler, la modifier ou en confirmer le contenu, soit par écrit, soit verbalement. Une convention verbale est assujettie à des problèmes de preuve; elle doit, en outre, être reconnue par les tribunaux pour être exécutoire.

[22]          Au contraire, un jugement est rapidement exécutoire en tout temps et seul un autre jugement peut en modifier le contenu.

[23]          En l'espèce, le jugement du 20 mai 1997 constitue la confirmation, la consécration de la volonté des parties exprimée le 21 mars 1997.

[24]          Même si le jugement reprenait le contenu de la convention en date du 21 mars 1997, il occultait pour le futur le contenu de la convention. Toute procédure de recouvrement de la créance alimentaire prenait ses assises dans le jugement exclusivement, la convention étant devenue sans effet juridique.

[25]          Le jugement en date du 20 mai 1997 constituait l'aboutissement ultime d'une entente et, à défaut d'une mention expresse, à l'effet que certaines dispositions avaient des effets rétroactifs. Seule la date du jugement constitue la référence applicable.

[26]          En l'espèce, les parties ont signé une entente le 21 mars 1997; ils auraient pu changer, modifier voire même annuler verbalement cette convention écrite en tout temps. Dans les faits, ils en ont confirmé et ratifié verbalement le contenu, puisqu'ils ont choisi de la faire entériner par le Tribunal. En effet, l'appelante a expliqué que son ex-conjoint et elle avaient cette intention bien arrêtée au moment de soumettre leur entente au Tribunal. Il n'y a rien dans la preuve qui permette de réfuter ou rejeter l'explication crédible et vraisemblable de l'appelante.

[27]          Pour ces motifs, l'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada ce 19e jour de mars 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        2000-3534(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Louise Nobert et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Ville de Bécancour (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 25 février 2002

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 19 mars 2002

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                                  L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :                          Me Marie-Aimée Cantin

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

2000-3534(IT)I

ENTRE :

LOUISE NOBERT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 25 février 2002 à Ville de Bécancour (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Pour l'appelante :                                L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :                          Me Marie-Aimée Cantin

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1997 et 1998 est accueilli, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de mars 2002.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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