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Date : 20010727

Dossier : 2000-2785-IT-I

ENTRE :

PAULINE ANN KENNEDY,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Pour l'appelante : L'appelante elle-même

Avocat de l'intimée: Me Paul Plourde

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Motifsdu jugement

(Rendus oralement à l'audience le 21 juin 2001 à Ottawa, Canada)

Le juge Bowie, C.C.I.

[1]            Le présent appel, interjeté à l'encontre d'une cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998, a été entendu sous le régime de la procédure informelle. Le seul point en litige concerne la question de savoir si l'appelante a droit à un crédit d'impôt en vertu du paragraphe 118(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu qui établit ce qui est parfois appelé le crédit pour pension. Ce paragraphe est ainsi rédigé :

118(3)      Le montant déterminé selon la formule suivante est déductible dans le calcul de l'impôt payable par un particulier en vertu de la présente partie pour une année d'imposition :

A x B

A représente le taux de base pour l'année;

B le moins élevé de 1 000 $ et du montant suivant :

                a)             si le particulier a atteint l'âge de 65 ans avant la fin de l'année, le revenu de pension qu'il a reçu au cours de l'année,

                b)             sinon, le revenu de pension admissible qu'il a reçu au cours de l'année.

Les termes « revenu de pension » et « revenu de pension admissible » sont tous les deux définis. Je reviendrai sous peu à leur signification.

[2]            Je ferais peut-être remarquer que le pourcentage approprié pour l'année en litige était de 17, ce qui fait que le crédit en litige en l'espèce est de 170 $ dans la mesure où le revenu de pension était supérieur à 1 000 $.

[3]            Les faits en l'espèce ne sont pas contestés. Mme Kennedy a travaillé pendant environ 16 ans en tant que fonctionnaire fédérale. À la fin de cette période, elle faisait partie de ces nombreux fonctionnaires dont l'emploi a pris fin en raison d'une réduction des effectifs de la fonction publique. Ces personnes ont eu le choix d'abandonner leurs cotisations à la Caisse de retraite de la fonction publique et de recevoir une prestation différée ou, si elles le préféraient, de les transférer libres d'impôt dans un Régime enregistré d'épargne-retraite (REER).

[4]            L'appelante a choisi la seconde option, et ses fonds ont par la suite été transférés dans deux Fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR) desquels elle a reçu des versements de rente totalisant 3 329 $ en 1998.

[5]            Cela me ramène aux définitions de « revenu de pension » et de « revenu de pension admissible » . Pour les besoins de l'espèce, il suffira de comprendre que le versement d'une rente viagère « prévue par un régime de retraite ou d'autres pensions » entre dans le cadre de la définition de « revenu de pension » ainsi que de celle de « revenu de pension admissible » . D'autres types de revenus de pension, dont « un paiement prévu par un fonds enregistré de revenu de retraite » , entrent dans le cadre de la définition de « revenu de pension admissible » uniquement s'ils ont été reçus par la suite du décès du conjoint du bénéficiaire.

[6]            À la fin de 1998, l'appelante n'avait pas atteint l'âge de 65 ans. Elle n'avait pas non plus reçu ses versements de rente à la suite du décès de son conjoint. En fait, elle n'était pas veuve. Le ministre a refusé de lui accorder les déductions relatives à la pension et l'appelante interjette appel à l'encontre de cette décision.

[7]            L'appelante a d'abord soutenu que les paiements provenant de son FERR étaient admissibles à titre de paiements « prévu[s] par un régime de retraite ou d'autres pensions » et qu'ils constituent donc un « revenu de pension admissible » parce que la source originale des sommes qui, en 1998, comprenaient les FERR découlait de son droit en vertu de la Caisse de retraite de la fonction publique. Cet argument ne peut tenir. Le libellé du sous-alinéa a)(i) de la définition de revenu de pension ne permet tout simplement pas l'interprétation selon laquelle les versements provenant d'un FERR financés à même les prestations d'un régime de retraite qui sont transférés d'abord dans un REER puis dans un FERR constituent des versements découlant du régime de retraite. Ce motif d'appel est rejeté.

[8]            Deuxièmement, l'appelante a soutenu que les deux restrictions placées sur le droit à un crédit pour pension contrevenaient à l'article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés et qu'elles sont donc inopérantes. Si l'appelante avait atteint l'âge de 65 ans avant la fin de l'année d'imposition, elle aurait été admissible en vertu de l'alinéa 118(3)a) parce qu'elle a reçu plus de 1 000 $ de revenu, lequel est sans conteste un revenu de pension en 1998. De plus, si l'appelante avait reçu son revenu de pension à la suite du décès de son conjoint, ce revenu aurait alors été un « revenu de pension admissible » et elle aurait eu droit au crédit en vertu de l'alinéa 118(3)b). Elle affirme, par conséquent, qu'elle est victime de discrimination fondée sur son âge et son état matrimonial.

[9]            La Cour suprême du Canada a récemment examiné l'application de l'article 15 de la Charte dans le contexte d'une loi offrant des prestations sociales. L'affaire Law c. La Reine[1] concernait la restriction fondée sur l'âge relative aux prestations payables au conjoint survivant qui n'a pas d'enfant. L'appelante dans cette affaire n'a reçu aucune prestation puisqu'elle était âgée de moins de 35 ans. Si elle avait eu 45 ans, elle aurait reçu le plein montant des prestations. Si elle avait eu entre 35 et 45 ans, elle aurait reçu des prestations réduites. De toute évidence, elle a été traitée différemment d'une personne de plus de 35 ans et cela à son désavantage. Par conséquent, il s'agissait d'une différence de traitement fondée sur l'âge.

[10]          Toutefois, la Cour a conclu qu'au surplus, afin d'invalider une loi en vertu de l'article 15 de la Charte, il doit être démontré que la différence de traitement prive le demandeur d'un avantage d'une manière qui dénote une application stéréotypée de présumées caractéristiques personnelles ou de groupe ou qu'elle a pour effet de perpétuer ou de promouvoir l'opinion que l'individu touché est moins capable ou est moins digne d'être reconnu ou valorisé en tant qu'être humain ou que membre de la société canadienne.

[11]          En l'espèce, le groupe de personnes auquel l'appelante appartient et qui est traité différemment est celui des personnes âgées de moins de 65 ans ou, subsidiairement, celui dont le revenu de rente provient non pas du décès du conjoint, mais d'une autre source.

[12]          À mon avis, il est évident que l'objet des dispositions en litige consiste à améliorer, dans une faible mesure, le sort des personnes âgées de plus de 65 ans et celui des personnes qui ont perdu un conjoint qui contribuait au revenu familial. Comme le juge Iaccobucci le fait remarquer dans ses motifs du jugement dans l'arrêt Law, l'on considérera rarement qu'une telle loi porte atteinte à la dignité humaine de personnes favorisées.

[13]          Aucune preuve déposée devant moi n'indique que les personnes âgées de moins de 65 ans ou celles dont les rentes découlent de leurs propres ressources économiques plutôt que du décès de leur conjoint verront probablement leur dignité ou leur liberté violée parce qu'elles se sont vu refuser un crédit pour pension de 170 $ (1 000 $ x 17 p. 100) dans le calcul de l'impôt qu'elles doivent payer. On ne m'a pas non plus présenté, en argumentation, d'élément qui m'aurait amené à cette conclusion sans le dépôt d'une preuve.

[14]          De toute évidence, même en faisant un effort d'imagination, aucun des deux groupes, tels je les ai décrits ci-dessus, qui ne sont pas admissibles à un crédit d'impôt, ne peuvent le devenir, comme l'exige la jurisprudence susmentionnée, en vertu de l'article 15, en tant que minorités discrètes et isolées.

[15]          Un argument semblable portant sur le crédit pour personnes âgées offert aux contribuables âgés de plus de 65 ans a été examiné puis rejeté par le juge Garon (tel était alors son titre) dans l'affaire Tiberio c. M.R.N., C.C.I., no 86-1832(IT), 19 octobre 1990 (91 DTC 17). Je ne connais pas d'autre décision qui pourrait mettre en doute le bien-fondé de ce jugement. Je ne vois pas non plus de fondement rationnel sur lequel établir une distinction entre le crédit pour personnes âgées et le crédit pour pension en ce qui concerne l'application de l'article 15 de la Charte.

[16]          L'âge est, bien entendu, l'un des motifs énumérés par l'article 15 de la Charte. L'état matrimonial et la source des rentes d'une personne ne sont pas des motifs énumérés. De toute évidence, si l'on ne peut obtenir gain de cause en vertu de l'article 15 pour ce qui est de l'âge, on ne peut non plus obtenir gain de cause pour ce qui est d'un motif qui n'est pas énuméré. L'argument de l'appelante portant sur la Charte est mal fondé. Ce motif d'appel est également rejeté.

[17]          Enfin, l'appelante a avancé un argument selon lequel les versements de rente qu'elle a reçus constitueraient un indicateur lui permettant d'être admissible au crédit pour pension. Il ne m'a pas été précisé clairement si l'indicateur en question avait été offert par le ministre du Revenu national ou par un service privé. On ne m'a pas non plus précisé comment cet indicateur (qui figure dans un extrait de la pièce A-4) amènerait quelqu'un à la même conclusion que celle à laquelle est parvenue l'appelante. Poussant cet argument à son extrême, je suis prêt à supposer que les fonctionnaires du ministre ont en réalité informé l'appelante, au moyen de ce document, que son revenu de pension la rendait admissible au crédit qu'elle demandait. Un tel avis, s'il a été donné, était manifestement erroné, mais les avis erronés, qu'ils proviennent des fonctionnaires du ministre, du ministre lui-même ou d'une source privée, ne peuvent tout simplement modifier le droit tel qu'il a été libellé par le législateur et conférer le droit à des crédits d'impôt qui, en réalité, ne figure pas dans le texte de la Loi : voir l'affaire M.R.N. c. Inland Industries Limited[2].

[18]          L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 27e jour de juillet 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 24e jour d'avril 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur



[1] [1999] 1 R.C.S. 497.

[2]    [1974] R.C.S. 514, aux pages 523 et 524 (72 DTC 6013, à la page 6017).

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