Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20000620

Dossier: 2000-4220-IT

ENTRE :

EMILIA SPENSIERI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsde l'ordonnance

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            L'appelante s'est trouvée dans un certain imbroglio procédural, et il est dans l'intérêt de la justice de régler ce problème pour que l'appelante puisse faire juger sa cause sur le fond.

[2]            Le 6 octobre 2000, l'appelante a présenté une demande afin d'obtenir une prolongation du délai dans lequel déposer son avis d'appel relatif à la cotisation établie à son égard pour 1995. Son comptable agréé avait mis l'avis d'appel à la poste le 18 septembre 2000, soit le dernier jour pour interjeter appel de la cotisation. La Cour l'a reçu un jour après l'expiration du délai de 90 jours. La Couronne ne s'est pas opposée à la demande et, le 21 décembre 2000, j'ai accueilli la demande et ordonné :

[TRADUCTION]

                Qu'un appel de la cotisation puisse être interjeté au plus tard le 5 février 2001.

[3]            L'avis d'appel qui avait initialement été déposé et qui a également été déposé avec la demande originale était signé par J. Altenhaus, CA, en tant que représentant de l'appelante. Comme il n'y était pas indiqué expressément que l'on optait pour la procédure informelle, il s'ensuit que l'intention sous-jacente était que l'appel soit régi par la procédure générale[1].

[4]            Une copie de mon ordonnance avait été envoyée à l'ADRC et au ministère de la Justice ainsi qu'à l'avocat de l'appelante, Me Alexandre Dufresne, du cabinet Spiegel Sohmer.

[5]            Le 12 juin 2001, j'ai, par conférence téléphonique, entendu la requête du 28 mars 2001 visant la modification de mon ordonnance du 21 décembre 2000. Par sa requête, l'appelante demandait que l'ordonnance soit modifiée de manière à ce qu'elle puisse déposer l'avis d'appel à la date à laquelle la requête serait accueillie. La requête était étayée d'un affidavit et accompagnée d'un nouvel avis d'appel, c'est-à-dire d'un avis d'appel modifié, ainsi que d'un chèque de 250 $. Ce montant relatif aux droits de dépôt indique que l'on opte pour la procédure générale.

[6]            La façon dont le problème s'est posé ressort des paragraphes 8 à 11 de l'affidavit déposé à l'appui de la requête.

[TRADUCTION]

8.              Ayant déposé l'avis d'appel avec sa demande le 6 octobre 2000, la requérante considérait que l'avis d'appel avait été déposé conformément à l'ordonnance du 21 décembre 2000 (soit avant le 5 février 2001).

9.              Toutefois, au cours d'une conversation téléphonique avec le fonctionnaire du greffe de la Cour, les avocats de la requérante se sont fait dire que la Cour n'avait pas accepté l'avis d'appel parce que les droits y relatifs n'avaient pas été payés.

10.            Les avocats de la requérante croyaient que les droits exigibles avaient été payés lorsque l'avis d'appel original avait été déposé par le comptable de la requérante, soit le 18 septembre 2000.

11.            La Cour n'a pas avisé la requérante qu'elle n'avait pas accepté l'avis d'appel déposé avec la demande de prolongation de délai le 6 octobre 2000.

[7]            Cette erreur, parfaitement compréhensible, ne devrait pas être préjudiciable à l'appelante.

[8]            Néanmoins, la Couronne a répondu par une série d'objections de forme, énoncées clairement dans les observations écrites qui suivent.

[TRADUCTION]

La présente fait suite à votre lettre du 5 avril 2001 relative au dossier susmentionné, lettre par laquelle vous demandiez à Me Jacques Loïacono des observations écrites concernant la requête de Me Alexandre Dufresne en date du 28 mars 2001.

Le requérant a déposé auprès de la Cour canadienne de l'impôt une requête en vue de remédier au défaut de ne pas avoir déposé son avis d'appel dans le délai accordé par une ordonnance du juge Bowman en date du 21 décembre 2001. Par sa requête, le requérant demande à la Cour « de modifier l'ordonnance du juge D. G. H. Bowman en date du 21 décembre 2000 » de manière à permettre au requérant de déposer son avis d'appel.

L'intimée s'oppose à la requête, car la modification d'une ordonnance, par la Cour canadienne de l'impôt, n'est pas un recours qui s'offre au requérant aux termes de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt, des Règles de la Cour canadienne de l'impôt ou d'autres textes faisant partie de la législation applicable à la Cour canadienne de l'impôt. L'intimée soutient donc qu'il n'y a aucun fondement juridique à la requête en cause.

Tout d'abord, c'est la procédure informelle qui s'applique aux demandes de prolongation de délai, selon le paragraphe 18.29(3) de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt. Aucune disposition de cette loi ne prévoit le réexamen d'un jugement ou d'une ordonnance. En outre, les Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure informelle) sont également muettes quant à l'existence d'un tel recours.

Non seulement les lois sont muettes pour ce qui est de la modification d'une ordonnance, mais encore l'article 18.24 de la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt prévoit expressément que « [l]e jugement de la Cour sur un appel visé à l'article 18 est définitif et sans appel sous réserve de la révision prévue à l'article 28 de la Loi sur la Cour fédérale. » Cette disposition s'applique également aux demandes de prolongation de délai.

La Loi et les règles relatives à la procédure informelle étant muettes en ce qui concerne la possibilité de modifier une ordonnance de la Cour canadienne de l'impôt, nous pourrions examiner ce qu'indiquent les règles relatives à la procédure générale. L'article pertinent des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) est l'article 172, qui se lit comme suit :

172.          (1) Le jugement qui :

a) comporte une erreur découlant d'un lapsus ou d'une omission;

b) doit être modifié relativement à une question sur laquelle la Cour n'a pas statué,

peut être modifié par la Cour, sur demande ou de son propre chef.

(2) Une partie peut demander, par voie de requête dans l'instance, selon le cas :

a) l'annulation ou la modification d'un jugement en raison d'une fraude ou de faits survenus ou découverts après qu'il a été rendu;

b) un sursis d'exécution d'un jugement;

c) une mesure de redressement différente de celle qui a déjà été accordée.

L'article 172 des Règles prévoit un mécanisme permettant le réexamen des jugements. Même dans le cas où ce recours est prévu, la situation relative au dossier susmentionné ne répond pas aux critères énoncés par la loi.

Il n'est pas satisfait aux critères mentionnés au paragraphe (1). Le requérant ne soutient pas qu'il pourrait y avoir eu une erreur dans l'ordonnance du juge Bowman. En fait, le requérant veut simplement que la Cour modifie son ordonnance parce qu'il ne s'y est pas conformé et non pas parce que l'ordonnance contiendrait des erreurs.

Pour ce qui est du paragraphe (2), il n'y a aucune allégation de fraude dans la requête en cause, et nous ne croyons pas que des faits découverts après que l'ordonnance eut été rendue auraient changé la décision du juge Bowman. En fait, la décision du juge Bowman était favorable au requérant, lui accordant un délai de 90 jours pour déposer son avis d'appel. Le requérant demande une modification de l'ordonnance; donc, il ne demande pas « une mesure de redressement différente de celle qui a déjà été accordée » . En fait, le requérant demande une modification de la mesure de redressement initialement demandée.

Quand on consulte la législation applicable à la Cour canadienne de l'impôt, on constate que la mesure de redressement demandée par le requérant n'est pas prévue dans les règles relatives à la procédure informelle. Même en examinant ce qu'indiquent les règles relatives à la procédure générale, on constate que l'article autorisant le réexamen d'un jugement ne permet pas un tel recours dans ce cas-ci.

Enfin, le requérant savait ou aurait dû savoir que son appel n'avait pas été dûment formé devant la Cour canadienne de l'impôt. La formulation de l'ordonnance elle-même aurait dû alerter le requérant, car cela lui laissait plus de deux mois pour déposer son avis d'appel. Une fois cet avis d'appel déposé, l'ordonnance aurait permis que le dépôt de l'avis d'appel soit accepté. De plus, le requérant n'a jamais reçu la preuve de la signification de son avis d'appel, ce qui aurait également dû soulever un doute quant au dépôt de l'avis d'appel.

Pour toutes ces raisons, la requête du requérant devrait être rejetée.

[9]            Je suis enclin à reconnaître que la règle relative aux lapsus ne s'applique pas dans ce cas-ci. Cela ne règle toutefois pas la question.

[10]          Je ne veux pas faire preuve de mépris ou d'irrespect à l'égard de l'argumentation de la Couronne, mais je ne peux m'empêcher de penser que l'intimée est plutôt formaliste dans sa vaste campagne visant à empêcher l'appelante de faire entendre son appel devant la Cour par suite d'une bévue plutôt mineure. Si une personne doit composer avec deux lois (la Loi de l'impôt sur le revenu et la Loi sur la Cour canadienne de l'impôt) et avec deux séries de règles, soit les règles relatives à la procédure informelle et celles relatives à la procédure générale, il n'est pas étonnant qu'elle puisse commettre une erreur. Les règles ne sont pas destinées à tendre un piège aux personnes imprudentes ou à créer des obstacles pour les parties à un litige. Elles sont plutôt censées faciliter le règlement de différends sur des questions de fond.

[11]          Je pense que la présente cause relève de la procédure générale. L'article 21 des règles relatives à la procédure générale énonce la manière dont un appel doit être interjeté. Cela exige que l'avis d'appel soit déposé au greffe et que les droits de dépôt soient payés.

[12]          Les articles 7 et 9 des règles relatives à la procédure générale se lisent comme suit :

7.              L'inobservation des présentes règles constitue une irrégularité et n'est pas cause de nullité de l'instance ni d'une mesure prise, d'un document donné ou d'une directive rendue dans le cadre de celle-ci. La Cour peut :

a)             soit autoriser les modifications ou accorder les conclusions recherchées, à des conditions appropriées, afin d'assurer une résolution équitable des véritables questions en litige;

b)             soit annuler l'instance ou une mesure prise, un document donné ou une directive rendue dans le cadre de celle-ci, en tout ou en partie, seulement si cela est nécessaire dans l'intérêt de la justice.

9.              La Cour peut dispenser de l'observation d'une règle seulement si cela est nécessaire dans l'intérêt de la justice.

[13]          Ces règles confèrent clairement à la Cour le pouvoir de prolonger le délai de paiement des droits de dépôt.

[14]          Je pourrais ajouter qu'on obtiendra exactement le même résultat si je traite la présente requête comme une demande, présentée en vertu de l'article 167 de la Loi de l'impôt sur le revenu, visant une prolongation du délai pour produire un appel. L'appelante respecte le délai pour présenter une telle demande, et l'article 167 n'interdit plus d'accorder une prolongation de délai lorsque la Cour a préalablement accordé une telle prolongation relativement à la même cotisation.

[15]          En conséquence, j'ordonne :

a)              qu'une dispense soit accordée au regard de l'observation de l'exigence prévue à l'article 30 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), soit que l'avis d'appel original soit signé par un avocat;

b)             que l'avis d'appel original en date du 18 septembre 2000 soit considéré comme un avis d'appel valable;

c)              que l'appelante ait le droit de déposer un nouvel avis d'appel, soit un avis d'appel modifié, en la forme accompagnant l'avis de requête du 28 mars 2001;

d)             que le délai de paiement des droits de dépôt soit prorogé jusqu'à la date à laquelle le chèque de 250 $ de Spiegel Sohmer a été reçu par la Cour;

e)                    que le nouvel avis d'appel, soit l'avis d'appel modifié, accompagnant l'avis de requête de l'appelante en date du 28 mars 2001 soit considéré comme un avis d'appel valable;

f)              que l'intimée ait 60 jours à partir de la date de la présente ordonnance pour déposer une réponse au nouvel avis d'appel, soit l'avis d'appel modifié.

[16]          Les frais de la présente requête suivront l'issue de la cause.

Signé à Montréal, Canada, ce 20e jour de juin 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4220(IT)

ENTRE :

EMILIA SPENSIERI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue par voie de conférence téléphonique le 12 juin 2001, par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me Alexandre Dufresne

Avocate de l'intimée :                 Me Annick Provencher

ORDONNANCE

          Vu la requête que l'appelante a présentée afin de faire modifier l'ordonnance du 21 décembre 2000;

          Et vu les allégations des parties;

          Il est ordonné que la requête soit accueillie et :

a)        qu'une dispense soit accordée au regard de l'observation de l'exigence prévue à l'article 30 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale), soit que l'avis d'appel original soit signé par un avocat;

b)       que l'avis d'appel original en date du 18 septembre 2000 soit considéré comme un avis d'appel valable;

c)        que l'appelante ait le droit de déposer un nouvel avis d'appel, soit un avis d'appel modifié, en la forme accompagnant l'avis de requête du 28 mars 2001;

d)       que le délai de paiement des droits de dépôt soit prorogé jusqu'à la date à laquelle le chèque de 250 $ de Spiegel Sohmer a été reçu par la Cour;

e)        que le nouvel avis d'appel, soit l'avis d'appel modifié, accompagnant l'avis de requête de l'appelante en date du 28 mars 2001 soit considéré comme un avis d'appel valable;

f)        que l'intimée ait 60 jours à partir de la date de la présente ordonnance pour déposer une réponse au nouvel avis d'appel, soit l'avis d'appel modifié.

          Les frais de la présente requête suivront l'issue de la cause.

Signé à Montréal, Canada, ce 20e jour de juin 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mars 2002.

Philippe Ducharme, réviseur




[1]            On pourrait conclure que, l'avis d'appel étant signé par un comptable agréé et non par un avocat, on voulait opter pour la procédure informelle, puisque seul un avocat peut interjeter appel pour une autre personne sous le régime de la procédure générale. J'estime que je forcerais un peu la note si je devais conclure que le fait qu'un comptable a signé l'avis d'appel équivaut au choix de la procédure informelle. Une conclusion encore plus exagérée serait que l'avis d'appel est frappé de nullité parce qu'il n'a pas été signé par un avocat. Ce serait là pousser le formalisme jusqu'à l'absurdité. Quoi qu'il en soit, je me propose d'accorder une dispense pour ce qui est de l'observation de l'exigence prévue à l'article 30 des règles, soit que l'appel soit signé par un avocat, vu notamment le fait que le nouvel avis d'appel, soit l'avis d'appel modifié, est signé par un avocat.

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