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Date: 20010726

Dossiers: 2001-64-EI,

2001-65-CPP

ENTRE :

HEATH STEELE MINES TRANSITION ADJUSTMENT COMMITTEE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]            L'appel se rapporte à la question de savoir si Kelly Sherrard (ci-après « Mme Sherrard » ) était employée par Heath Steele Mines Transition Adjustment Committee (ci-après l' « appelante » ) et occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension pendant la période du 19 octobre 1998 au 17 janvier 2000.

[2]            L'appelante est un organisme financé à parts égales par la province du Nouveau-Brunswick et la filiale Heath Steele de Minéraux Noranda (ci-après « Minéraux » ). L'organisme avait pour but d'aider les employés de Minéraux à trouver un autre emploi, à se recycler et à rédiger des curriculum vitæ avant et après la fermeture de Minéraux.

[3]            L'appelante soutient que Mme Sherrard était une entrepreneuse indépendante qui fournissait ses services à l'appelante. Mme Sherrard effectuait son travail de façon autonome presque sans supervision de la part de l'appelante. Un contrat soulignant une telle relation avait été conclu par les parties.

[4]            Le ministre a soutenu et supposé que l'appelante était dirigée par un comité composé de douze membres. Avant la période en litige, Mme Sherrard était l'une des douze membres dudit comité, agissant à titre d'employée d'Avantage Carrière, un programme de stages à l'intention des nouveaux diplômés. En tant qu'employée d'Avantage Carrière, Mme Sherrard a été affectée à la section des ressources humaines de Minéraux, et certaines de ses fonctions étaient semblables à celles exercées pour l'appelante pendant la période en litige. À la fin de son stage avec Avantage Carrière, Mme Sherrard a été embauchée à titre de coordonnatrice des ressources du centre des ressources de l'appelante. Les fonctions de Mme Sherrard consistaient à effectuer de la recherche dans Internet en ce qui concerne les possibilités d'emploi, à publier un bulletin d'information tous les deux mois, à informer les employés de Minéraux de l'existence de programmes de formation et à les aider dans leur recherche d'emploi et dans la rédaction de leur curriculum vitæ. Mme Sherrard devait participer aux réunions du comité et faire rapport régulièrement au président du comité. Elle recevait 12 $ de l'heure pour une semaine de 35 heures et bénéficiait de vacances payées ainsi que des congés de maladie. Mme Sherrard travaillait dans des locaux fournis par l'appelante qui lui fournissait également tout l'équipement et toutes les fournitures dont elle avait besoin pour remplir ses fonctions. L'appelante contrôlait les heures de travail de Mme Sherrard et avait le droit de contrôler ses activités. On a donc soutenu que Mme Sherrard et l'appelante avaient conclu un contrat de louage de services.

[5]            En réponse aux hypothèses du ministre, l'appelante a établi que Mme Sherrard n'a jamais été une employée de Heath Steele Mines Transition Adjustment Committee et qu'elle n'a jamais été un membre du comité ayant droit de vote[1]. Elle a également indiqué que les services rendus pour l'appelante l'ont été de manière indépendante, sans supervision et sans directives et qu'elle prévoyait, contrôlait et gérait son travail. Si Mme Sherrard devait être remplacée, elle engageait et payait son propre remplaçant dont la compétence devait au préalable être reconnue par l'appelante.

[6]            Selon l'appelante, la rémunération a été établie à 840 $, versée toutes les deux semaines selon une semaine de travail de 35 heures à un taux horaire de 12 $. Toutefois, les heures de travail n'étaient pas rigides et ont été modifiées de façon à être adaptées aux besoins de l'appelante, de son client et de Mme Sherrard.

[7]            Selon la preuve soumise par l'appelante, les directives que Mme Sherrard recevait provenaient du président du comité, M. DesBrisay, et non de l'appelante.

[8]            La relation contractuelle entre les parties était définie par deux documents relativement identiques intitulés Protocole d'entente (pièce A-1 et R-2). Les documents déterminaient que Mme Sherrard avait un statut d'entrepreneuse indépendante auprès de l'appelante. Ils indiquaient que les services que Mme Sherrard rendaient étaient des services de coordination. Mme Sherrard était libre d'effectuer un autre travail à forfait qui n'empièterait pas sur le travail du comité.

[9]            Le témoin principal de l'appelante, M. DesBrisay, a déclaré que, pendant les négociations contractuelles, Mme Sherrard s'est vu offrir un emploi à l'origine pour rendre ses services à l'appelante en tant qu'employée des Métallurgistes unis d'Amérique (ci-après « MUA » ). Il a continué en ajoutant qu'elle a refusé cette offre parce qu'elle préférait être payée à titre d'entrepreneuse indépendante. Le témoin suivant était Kelly Enright, secrétaire-trésorière des MUA, qui a déclaré que M. DesBrisay était autorisé à faire l'offre au nom du syndicat.

[10]          Mme Sherrard, dans le cadre de son témoignage, a nié qu'une telle offre lui avait été faite et que, si on lui avait offert un emploi auprès du syndicat, elle l'aurait accepté. Le Protocole d'entente ne semble pas avoir été signé par les parties. Toutefois, Mme Sherrard a accusé réception de l'entente et a confirmé qu'elle acceptait le travail ainsi que le taux de salaire.

QUESTIONS

I.               Mme Sherrard occupait-elle un « emploi assurable » au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi pendant la période en litige?

II.             Mme Sherrard occupait-elle un « emploi ouvrant droit à pension » au sens du paragraphe 6(1) du Régime de pensions du Canada pendant la période en litige?

CADRE LÉGISLATIF

[11]          Les dispositions pertinentes de la Loi sur l'assurance-emploi[2] sont libellées comme suit :

Sens de « emploi assurable »

5 (1) Sous réserve du paragraphe (2), est un emploi assurable :

a) l'emploi exercé au Canada pour un ou plusieurs employeurs, aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage exprès ou tacite, écrit ou verbal, que l'employé reçoive sa rémunération de l'employeur ou d'une autre personne et que la rémunération soit calculée soit au temps ou aux pièces, soit en partie au temps et en partie aux pièces, soit de toute autre manière;

...

[12]          Les articles pertinents du Régime de pensions du Canada[3] sont libellés comme suit :

2(1) « employé »

« employé » Est assimilé à un employé tout fonctionnaire.

2(1) « employeur »

« employeur » Personne tenue de verser un traitement, un salaire, ou une autre rémunération pour des services accomplis dans un emploi. Est assimilée à un employeur, dans le cas d'un fonctionnaire, la personne qui lui verse sa rémunération.

2(1) « emploi »

L'accomplissement de services aux termes d'un contrat de louage de services ou d'apprentissage, exprès ou tacite, y compris la période d'occupation d'une fonction.

2(1) « emploi excepté »

« emploi excepté » Emploi spécifié au paragraphe 6(2).

Emplois ouvrant droit à pension

6. (1) Ouvrent droit à pension les emploi suivants :

a) l'emploi au Canada qui n'est pas un emploi excepté;

ANALYSE

[13]          La distinction entre un employé et un entrepreneur indépendant est parfois difficile à établir. En conséquence, la jurisprudence a élaboré un certain nombre de critères utiles à cette détermination. Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N.[4], le juge MacGuigan a examiné les différents critères appliqués par les tribunaux et a fait siens les commentaires du juge Cooke dans l'affaire Market Investigations Ltd. v. Minister of Social Security, dans laquelle ce dernier a déclaré :

                [TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement[5].

[14]          Donc, la Cour doit examiner quatre critères principaux lorsqu'elle détermine la question de savoir si une personne a été engagée en tant qu'employée ou en tant qu'entrepreneuse indépendante : le degré de contrôle et la supervision, les chances de bénéfices et les risques de perte, la propriété des instruments de travail et l'intégration de la personne dans l'entreprise de l'appelante.

[15]          Il convient de remarquer qu'aucun critère ne constituera un facteur déterminant puisqu'ils doivent être examinés ensemble à la lumière de toutes les circonstances. Ce point a été pris en note dans Moose Jaw Kinsmen Flying Fins Inc. c. M.R.N.[6] dans laquelle la Cour d'appel fédérale, à la page 4 (DTC : à la page 6100), a déclaré ce qui suit :

[...] nous considérons les critères comme des subordonnés utiles pour peser tous les faits relatifs à l'entreprise de la requérante. C'est maintenant l'approche appropriée et préférable pour la très bonne raison que dans une cause donnée, et celle-ci peut très bien en être une, un ou plusieurs des critères peuvent être peu ou pas applicables. Pour rendre une décision, il faut donc considérer l'ensemble de la preuve en tenant compte des critères qui peuvent être appliqués et donner à toute la preuve le poids que les circonstances peuvent exiger.

CONTRÔLE ET SUPERVISION

[16]          Une explication classique du critère du contrôle a été donnée dans l'affaire Wiebe Door, dans laquelle le juge MacGuigan a déclaré à la page 558 (DTC : à la page 5027) ce qui suit :

En common law, le critère traditionnel qui confirme l'existence d'une relation employeur-employé est le critère du contrôle, que le baron Bramwell a défini dans Regina v. Walker (1858), 27 L.J.M.C. 207, à la page 208 :

                [TRADUCTION] À mon sens, la différence entre une relation commettant-préposé et une relation mandant-mandataire est la suivante: -un mandant a le droit d'indiquer au mandataire ce qu'il doit faire, mais le commettant a non seulement ce droit, mais aussi celui de dire comment la chose doit être faite.

[17]          Le ministre a soutenu que Mme Sherrard était soumise à un degré de contrôle et de supervision. Mme Sherrard était tenue de participer à des réunions et de faire rapport régulièrement au président du comité qui dirigeait cette organisation.

[18]          Je conclus que Mme Sherrard se trouvait sous le contrôle supervisé de l'appelante, qu'elle avait une obligation continue de faire rapport à M. DesBrisay si nécessaire et que M. DesBrisay lui donnait des directives au besoin. Mme Sherrard remplissait ses fonctions sans une surveillance constante, mais il était toujours possible de communiquer et de recevoir des directives au moyen du téléphone ou du courriel.

[19]          En ce qui concerne la subordination, le Protocole d'entente réservait à l'appelante le droit de résilier l'entente à tout moment sans préavis.

PROFIT ET PERTE

PROPRIÉTÉ ET FOURNITURE DES INSTRUMENTS

DE TRAVAIL ET LOCAUX

INTÉGRATION

[20]          La question des chances de bénéfice et des risques de perte, de la propriété des instruments de travail et de l'intégration est réglée selon la preuve.

[21]          La semaine de travail de Mme Sherrard garantissait à cette dernière un salaire de 420 $ par semaine, peu importe le travail requis. Elle ne se trouvait pas dans une position à risque. Toutefois, si elle devait être remplacée, elle devait payer pour ce remplacement.

[22]          L'appelante fournissait également un local ainsi que l'équipement et les fournitures nécessaires permettant à Mme Sherrard de remplir ses fonctions.

[23]          Il est également évident que les services rendus par Mme Sherrard visaient les besoins et les objectifs de Heath Steele Mines Transition Adjustment Committee et que les fonctions de Mme Sherrard faisaient partie intégrante de l'organisme puisque son objectif d'ensemble consistait à aider les employés à trouver un autre emploi, à se recycler et à rédiger des curriculum vitæ.

[24]          Tous ces facteurs mènent à la conclusion selon laquelle Mme Sherrard rendait ses services à l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services.

CONCLUSION

[25]          Il est évident que l'intention de l'appelante consistait à engager Mme Sherrard à titre d'entrepreneuse indépendante. Il est également évident que Mme Sherrard connaissait l'intention de l'appelante. Toutefois, elle n'a pas accepté cette intention mais, en tout état de cause, a accepté le poste.

[26]          Après avoir analysé les quatre critères principaux et soupesé tous les facteurs, je conclus que Mme Sherrard, indépendamment de l'intention de l'appelante, a été engagée en vertu d'un contrat de louage de services. Kelly Sherrard occupait un emploi assurable et ouvrant droit à pension chez l'appelante pendant la période du 19 octobre 1998 au 17 janvier 2000 au sens de la Loi sur l'assurance-emploi et du Régime de pensions du Canada.

DÉCISION

[27]          L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 15e jour d'avril 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-64(EI)

ENTRE :

HEATH STEELE MINES TRANSITION ADJUSTMENT COMMITTEE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu avec l'appel de Heath Steele Mines Transition Adjustment Committee (2001-65(CPP)) le 19 juillet 2001 à Moncton (Nouveau-Brunswick) par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Représentant de l'appelante :                R. B. DesBrisay

Avocat de l'intimé :                              Me Simon Nicolas Crépin

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour d'avril 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-65(CPP)

ENTRE :

HEATH STEELE MINES TRANSITION ADJUSTMENT COMMITTEE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu avec l'appel de Heath Steele Mines Transition Adjustment Committee (2001-64(EI)) le 19 juillet 2001 à Moncton (Nouveau-Brunswick) par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Représentant de l'appelante :                R. B. DesBrisay

Avocat de l'intimé :                             Me Simon Nicolas Crépin

JUGEMENT

          L'appel est rejeté et la décision du ministre est confirmée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 15e jour d'avril 2002.

Mario Lagacé, réviseur



[1] Mme Sherrard a indiqué dans son témoignage qu'elle était un membre du comité ayant droit de vote.

[2] L.C. 1996, ch. 23, sanctionnée le 20 juin 1996.

[3] L.R.C. 1985, ch. C-8, dans sa version modifiée.

[4] [1986] 3 C.F. 553 (87 D.T.C. 5025) (C.A.F.).

[5] [1968] 3 All E.R. 732, aux pages 738 et 739.

[6] C.A.F., no A-531-87, 15 janvier 1988 (88 D.T.C. 6099).

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