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Date: 20010718

Dossier: 1999-1366-IT-G

ENTRE :

BRIAN RIKLEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Les appels en l'instance sont à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992, et 1993. La question est de savoir si l'appelant est en droit de déduire des pertes relatives à l'affrètement d'un yacht C & C 51 (appelé « Spice II » ) dans les îles Vierges britanniques ( « IVB » ). Au cours de la présentation de la preuve et de l'argumentation, on disait qu'il s'agissait de savoir si l'appelant avait une attente raisonnable de profit. Dans les causes de ce genre, il s'agit essentiellement de savoir s'il y a ou non une entreprise.

[2]            L'appelant a acheté le Spice II en 1990 et l'a exploité, pendant et après les années considérées en l'espèce, comme yacht à voiles avec équipage et avec service complet. Il a déduit des pertes importantes pour ces années-là, soit :

                   1990                         1991                      1992                       1993

                188 071,93 $            232 787,89 $            243 401,40 $            129 798,87 $

Bien que les revenus et la plupart des dépenses aient été en dollars américains, ces montants sont en dollars canadiens.

[3]            Sur ces montants, les sommes suivantes représentaient la déduction pour amortissement ( « DPA » ) :

                                1990                       1991                       1992                       1993

$ CAN     86 653,22 $                              145 826,00 $            145 826,00 $            76 026,73 $

[4]            La DPA demandée était le résultat de la déduction pour amortissement accéléré permise à l'égard de navires canadiens en vertu de l'alinéa 1100(1)v) du Règlement de l'impôt sur le revenu. C'est pourtant cet amortissement accéléré visant à favoriser la construction de navires au Canada qui en partie donne lieu aux pertes que le ministre du Revenu national utilise pour justifier l'assertion selon laquelle l'appelant n'avait pas d'attente raisonnable de profit. Voilà un exemple frappant des difficultés que pose l'affirmation suivante faite par le juge Dickson dans l'affaire Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, à savoir que l'on n'a pas d'attente raisonnable de profit ( « ARP » ) si l'on ne peut faire état d'un profit après déduction pour amortissement. Je ne vais pas réitérer ce que j'ai dit à ce sujet dans l'affaire Roopchan c. La Reine, C.C.I., no 94-2533(IT)I, 12 avril 1995 (96 DTC 1338), si ce n'est que l'existence ou la non-existence d'une ARP ne doit pas dépendre des taux de la DPA permise ou du montant de la DPA demandée.

[5]            L'appelant était un homme d'affaires expérimenté et prospère ayant un revenu important. De 1985 à 1989, il a exploité dans les IVB une entreprise d'affrètement coque nue d'un yacht appelé Marathon Rummer. Le ministre a présumé erronément que ce yacht s'appelait Spice I. Cette erreur ne tire pas à conséquence. Le Marathon Rummer a été exploité à perte. L'entreprise d'affrètement coque nue représentait un arrangement avec Nova Scotia Yacht Charters en vertu duquel l'appelant recevait 60 p. 100 des revenus, et Nova Scotia Yacht Charters, 40 p. 100. Cette entreprise n'a pas été un succès et a été abandonnée en 1989. Le Marathon Rummer a été vendu en 1991.

[6]            L'appelant avait pris part à d'autres entreprises, comportant la fabrication et la vente de bateaux et de voiles, et il avait de l'expérience en matière de bateaux, car il avait été élevé dans la région des Grands Lacs, avait été propriétaire de plusieurs yachts et avait fait beaucoup de voile et participé à des courses de yachts en Amérique du Nord.

[7]            En 1990, l'appelant a acheté le Spice II, soit un sloop rapide comportant deux cockpits et deux cabines. D'après les photos figurant dans les annonces, ce voilier semblait être de prestige et luxueux. Il était muni d'une dérive centrale rétractable plutôt que d'une quille, ce qui lui permettait d'aller dans des eaux moins profondes. Six personnes pouvaient y coucher. L'appelant était parvenu à négocier un prix d'achat favorable de 335 000 $, représentant une réduction de plus de 100 000 $ US par rapport au prix initialement demandé, peut-être parce que le fabricant, C & C Industries, était en faillite.

[8]            L'achat a été financé en partie au moyen d'un prêt hypothécaire maritime de 279 000 $ US, plus une garantie relative à la maison de l'appelant située à Hudson (Québec). L'hypothèque de 279 000 $ US a subséquemment été ramenée à 269 000 $ US.

[9]            En ce qui a trait au Spice II, l'appelant avait décidé que des arrangements semblables à ceux qu'il avait conclus dans le cas du Marathon Rummer n'étaient pas appropriés et qu'il dirigerait l'entreprise lui-même, soit une entreprise consistant à exploiter un yacht à voiles avec équipage et avec service complet. L'équipage du Spice II se composait d'un capitaine et d'un cuisinier, qui faisaient fonction d'hôtes, assuraient le fonctionnement du yacht et s'occupaient de divertir et de nourrir les clients.

[10]          Les croisières étaient organisées par l'entremise de courtiers, qui demandaient une commission représentant 15 p. 100 des droits de croisière.

[11]          Beaucoup de publicité a été faite tout au long de la période en question, notamment par l'intermédiaire de Yacht Connections, qui publiait « The Leading Charter Yachts of the World » en plusieurs langues. Cette publication fait de la réclame, avec photos, pour des yachts qui sont très luxueux, y compris le Spice II.

[12]          Le 4 novembre 1991, l'appelant a écrit au gouvernement des IVB et a demandé un permis pour exploiter son entreprise dans les IVB. Sa lettre indiquait les projections suivantes quant aux revenus et aux dépenses pour les cinq premières années ($ US) :

                                   1                               2                               3                               4                               5

Revenus                 127 000 $                 140 000 $                 159 000 $                 228 000 $                 240 000 $

Dépenses               126 000 $                 128 000 $                 140 300 $                 194 100 $                 205 100 $

(sans amortissement)

[13]          Les montants effectifs pour les premières années (1991-1995), déclarés par l'appelant, ont été les suivants ($ US) :

                                1991       1992       1993       1994       1995

Revenus                 55 813 $ 70 904 $ 120 965 $                 134 467 $                 133 763 $

[14]          En 1990, il y a eu des revenus bruts de 6 000 $ et des dépenses de 194 071,93 $, soit une perte de 188 071 $. Cela incluait une DPA de 86 653 $ CAN.

[15]          Les dépenses indiquées dans les états des résultats sont un peu déroutantes. Pour 1991, on indique comme dépenses un montant brut de 158 684,19 $ US, sans DPA, soit une perte de 102 870,46 $ US; lorsque ce montant brut est converti en dollars canadiens et qu'une DPA de 145 836 $ CAN et des frais de bureau de 373,20 $ CAN sont pris en compte, la perte est de 264 057,89 $ CAN.

[16]          Pour 1992, nous avons deux groupes de dépenses, 84 253 $ US plus 193 607 $ US, soit une perte de 206 955 $ US. Si nous enlevons la DPA de 126 201 $ US, nous arrivons à une perte de 80 754 $ US.

[17]          Pour 1993, nous avons deux groupes de dépenses, 95 100 $ US et 133 075 $ US, soit une perte de 107 209 $ US. Si nous excluons la DPA de 65 795 $ US, nous avons une perte de 41 414 $ US.

[18]          Pour 1994, nous avons encore deux groupes de dépenses, 79 827 $ US et 52 954 $ US, et un revenu net de 1 685 $ US.

[19]          Pour 1995, un calcul semblable (sans DPA) donne un profit net de 479,77 $ US.

[20]          Les projections remises au gouvernement des IVB se sont révélées optimistes par rapport aux résultats effectifs. Néanmoins, si nous ne tenons pas compte de la DPA, un profit a été réalisé en 1994 et en 1995. En 1994, la DPA relative au yacht était épuisée, en raison de l'amortissement linéaire accéléré permis dans le cas de navires canadiens. Si nous suivons strictement l'affirmation faite par le juge Dickson dans l'affaire Moldowan, l'absence de DPA ne devrait pas avoir d'incidence sur la question de l'ARP pour 1994, car la DPA avait été épuisée au cours d'années précédentes, et il n'y avait donc rien à déduire. Si, par ailleurs, nous considérons qu'il est question d'amortissement comptable dans la remarque incidente du juge Dickson, aucun élément de preuve ne me permettrait de déterminer un taux d'amortissement approprié. M. Dubois, soit le répartiteur appelé comme témoin de l'intimée, avait établi des états des résultats « théoriques » dans lesquels il utilisait deux taux d'amortissement linéaire, l'un basé sur une durée de vie de huit ans, l'autre, sur une durée de vie de vingt ans. Avant de faire état du rapport de M. Dubois, je vais traiter de plusieurs points préliminaires.

a)              Les pertes provenant de l'entreprise d'affrètement coque nue du Marathon Rummer qui ont été indiquées pour 1985 à 1989 étaient les suivantes ($ CAN) :

                                1987                         47 680 $

                                1988                         60 040 $

                                1989                         27 180 $

                L'intimée soutient que je devrais prendre en compte les pertes provenant de cette entreprise en déterminant si l'exploitation du Spice II comportait une ARP. Certes, les pertes antérieures d'une entreprise peuvent être un facteur, mais il importe de souligner que, bien que cela puisse présenter un intérêt historique dans le contexte de la détermination de l'existence ou de la non-existence d'une attente de profit, la véritable question est de savoir s'il y a une entreprise.

                Je ne pense pas que l'affrètement coque nue du Marathon Rummer éclaire beaucoup la question de savoir si l'affrètement du Spice II représente une entreprise. Il s'agissait d'une activité fondamentalement différente exercée en association avec quelqu'un d'autre et comportant une forme d'affrètement différente. Les deux activités ne sont pas comparables. L'entreprise d'affrètement coque nue n'a pas prospéré, et l'appelant y a mis un terme après plusieurs années et est passé à l'exploitation du Spice II.

b)             En établissant ses cotisations, l'intimée a présumé que l'appelant avait utilisé le Spice II pour des vacances personnelles. C'était une hypothèse fondamentale, et la preuve, non contestée, indique sans équivoque que tel n'a pas été le cas. S'il faisait de la voile ou participait à des courses de bateaux pendant qu'il était en vacances, l'appelant affrétait d'autres voiliers ou se servait de bateaux d'autres personnes.

c)              L'intimée fait remarquer que le Spice II a été mis au nom de l'appelant lui-même pour des raisons fiscales, sur le conseil du comptable s'occupant des affaires fiscales de l'appelant. C'est indiscutablement vrai. L'appelant avait un revenu élevé, et il aurait été insensé que l'appelant mette le Spice II au nom d'une société, de sorte qu'il n'aurait pu tirer parti de la DPA élevée relative aux navires construits au Canada pour réduire son revenu personnel. En fait, lorsque, en 1996, il est allé s'installer dans les IVB, l'appelant a transféré le Spice II à une société canadienne en vertu de l'article 85. Je ne vois rien de sinistre à tirer profit des mesures incitatives offertes par le gouvernement. Le fait d'en tirer profit ne prouve guère qu'il n'y a pas d'ARP ou d'entreprise.

d)             L'intimée dit que, en prêtant à l'appelant l'argent nécessaire pour l'achat du Spice II, la banque a également pris une garantie sur la maison de l'appelant située à Hudson (Québec) et que cela prouve que la banque, du moins, estimait que l'entreprise ne comportait pas d'ARP. À mon avis, cela ne prouve rien de tel. Les banques prennent des garanties sur tout ce qu'elles peuvent, et une garantie sur une maison au Canada est de loin préférable à une garantie sur un yacht naviguant dans la mer des Antilles. Cela ne prouve rien quant à ce que la banque pouvait penser des perspectives de l'entreprise, même si l'opinion de la banque était pertinente, ce qui n'est pas le cas.

[21]          Je passe maintenant à l'analyse faite par M. Dubois. La conclusion de M. Dubois était que, même en 1994, année pour laquelle l'appelant a déclaré un profit, il n'y a pas eu de profit. M. Dubois base cette conclusion sur un certain nombre de considérations. Pour l'essentiel, son rapport indique implicitement que l'appelant a artificiellement gonflé le revenu provenant du Spice II pour cette année-là, en exagérant les revenus ou en minimisant les dépenses.

[22]          M. Dubois a conclu qu'une croisière pour laquelle la famille Maura avait passé un contrat n'a pas eu lieu ou que, de toute façon, un acompte de 2 400 $ US a été compté deux fois dans les revenus de l'appelant pour 1994. Ainsi, affirme-t-il, les revenus pour 1994 ont été gonflés, c'est-à-dire qu'ils ont été majorés soit de 2 400 $ US (montant de l'acompte), soit de 8 950 $ US (montant intégral des droits de croisière). La preuve n'étaye pas cette affirmation. Le témoignage de M. Rickley n'a pas été contesté. La croisière des Maura a eu lieu vers la fin de 1994, après deux annulations, dont la seconde a donné lieu à une confiscation de l'acompte.

[23]          La deuxième question soulevée par M. Dubois concerne l'affrètement relatif aux Campbell. Il semble qu'aucun salaire n'a été payé en septembre, octobre et novembre 1994 et que l'on avait des problèmes avec l'équipage, composé d'Ian et de Suzanne, au sujet du salaire de ces derniers.

[24]          M. Rickley a expliqué que, durant la période où il avait un différend avec les membres de l'équipage et où le départ de ces derniers pour aller travailler à bord d'un autre bateau, le Thalassi, avait été reporté, les membres de l'équipage avaient accepté de travailler à bord du Spice II sans rémunération, mais ils pouvaient garder tous les pourboires. Je ne trouve pas cet arrangement incroyable. Les membres de l'équipage sont partis en bons termes et pouvaient bien être déjà payés par l'exploitant du Thalassi.

[25]          Le nouvel équipage qui avait commencé à travailler en décembre a été payé en janvier de l'année suivante. M. Dubois a conclu que l'absence de salaires indiquait que la croisière des Campbell n'avait pas eu lieu et semblait même indiquer qu'une partie de la somme portée au crédit de la croisière des Campbell pouvait avoir été versée par l'appelant lui-même. Il me faudrait une preuve forte pour accepter une hypothèse aussi improbable.

[26]          Les explications de M. Rickley me convainquent. En outre, je suis convaincu que la croisière des Campbell a eu lieu.

[27]          M. Dubois doute également que les affrètements relatifs aux Burguess et aux Watts aient eu lieu, parce que, sur la foi de son analyse, la nourriture achetée était insuffisante pour eux. Un point litigieux se rapportait à un congélateur que M. Rickley avait acheté pour le Spice II. M. Dubois ne croyait pas que l'on avait pu faire en sorte que cet appareil fonctionne. Le fait est que cet appareil fonctionnait bel et bien, et cela explique pourquoi de la nourriture pouvait être achetée à l'avance et entreposée en prévision d'une croisière.

[28]          L'affrètement relatif aux Yurch était un autre affrètement auquel M. Dubois trouvait à redire. Cet affrètement a eu lieu en 1995, mais M. Dubois contestait le fait que le revenu ait été inclus pour 1994, ce qu'il considère comme une autre distorsion du revenu pour 1994. En bref, la réponse est que l'argent a été reçu en 1994 et que, en vertu de l'alinéa 12(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu, il devait être inclus dans le revenu pour cette année-là, même si les services devaient être fournis l'année suivante. L'alinéa 20(1)m) permet la déduction d'une somme à titre de provision, mais il ne l'exige pas.

[29]          La conclusion générale de M. Dubois était que les revenus avaient été déclarés en trop et que les dépenses avaient été déclarées en moins dans une tentative pour gonfler le revenu pour 1994 de manière à établir que, en 1994, le Spice II était rentable.

[30]          M. Dubois a cherché à démontrer que le Spice II n'avait pas réalisé un profit en 1994 et que, selon que les quatre affrètements mentionnés précédemment aient eu lieu ou non, il y a eu une perte de 60 979 $ ou de 21 300 $ CAN. L'intimée soutient que, si ces affrètements n'ont pas eu lieu, la perte devrait être de 60 979 $. Elle dit que, s'ils ont eu lieu, il y a quand même une perte, d'un montant de 21 300 $.

[31]          Je ne traiterai pas de l'hypothèse selon laquelle ces affrètements n'ont pas eu lieu. Je conclus qu'ils ont eu lieu.

[32]          Pour arriver à la perte de 21 300 $ CAN selon la seconde hypothèse, il faut déduire ce qui suit du profit déclaré de 2 302 $.

a)              l'acompte de 2 400 $ US dont M. Dubois dit qu'il a été compté deux fois; je conclus que tel n'a pas été le cas; l'acompte a été confisqué après la seconde annulation;

b)             les droits de 4 130 $ US pour l'affrètement relatif aux Yurch qui a eu lieu en 1995; ces droits devaient être inclus dans le revenu pour l'année dans laquelle ils avaient été reçus, soit 1994, en raison de l'alinéa 12(1)a);

c)              le salaire de 8 250 $ US qui aurait dû être payé pour septembre à novembre; j'ai accepté l'explication de l'appelant à cet égard.

[33]          Bien que je félicite M. Dubois pour sa ténacité et sa minutie, ses conclusions se fondent en grande partie sur des conjectures et sur des hypothèses de fait erronées.

[34]          En fait, même si j'avais reconnu qu'une perte de 21 300 $ avait été subie en 1994, cela n'aurait pas influé sur ma conclusion selon laquelle M. Rickley exploitait une entreprise.

[35]          Je suis convaincu que, au cours des cinq années suivant la création de l'entreprise en 1990, les revenus ont augmenté, tout comme le nombre d'affrètements. M. Rickley a fait de gros efforts pour accroître les revenus et réduire les dépenses. Je ne crois pas que M. Rickley ait artificiellement gonflé le revenu pour 1994. En fait, le Spice II est encore exploité, bien que cette entreprise soit maintenant dirigée par le fils de l'appelant.

[36]          Il n'est pas nécessaire que je reproduise en détail l'analyse très approfondie de l'entreprise faite par la conseillère fiscale de l'appelant, Mme Danielle Lacasse, soit l'analyse figurant sous la cote A-46 et décrite comme étant un résumé d'observations. Cette analyse et les dépositions de Mme Lacasse et de M. Rickley, soit des témoins que j'ai trouvé crédibles et impressionnants, démontrent qu'il s'agissait d'une entreprise étroitement contrôlée et bien dirigée qui est devenue rentable en un laps de temps relativement bref. Je conclus que c'était une véritable entreprise et que les pertes sont déductibles.

[37]          Il est suffisant que je résume brièvement mes motifs.

a)              Si ce n'était pas une entreprise, qu'est-ce que c'était? Ce n'était pas un passe-temps. Il n'y avait pas d'élément personnel. Le principe d'ARP doit être appliqué avec beaucoup de circonspection dans de telles circonstances. (Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001); Keeping c. La Reine, 2001 C.A.F. 182; Bélec c. La Reine, C.C.I., no 93-3443(IT)I, 5 août 1994 (95 DTC 121); Walls c. La Reine, C.A.F., no A-163-96, 23 novembre 1999 (2000 DTC 6025) (en appel devant la C.S.C.).)

b)             Le ministre ne doit pas faire de conjectures sur l'appréciation commerciale de l'appelant. C'est exactement ce que le ministre a essayé de faire en l'espèce. (Keeping; Tonn; Nichol c. La Reine, C.C.I., no 91-2094(IT)G, 9 septembre 1993 (93 DTC 1216); Kuhlmann c. La Reine, C.A.F., no A-981-96, 30 octobre 1998(98 DTC 6652); Bélec; Smith c. La Reine, C.C.I., no 92-604(IT)G, 20 octobre 1995 (96 DTC 1886.)

c)              Selon toute norme objective, l'activité semble être une entreprise et est exercée conformément à des principes commerciaux reconnus. Comme le disait le juge dans l'affaire Kaye c. La Reine, C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998, aux pages 2 et 3 (98 DTC 1659, à la page 1660) :

                [4]            Je ne trouve pas particulièrement utile, dans les cas de ce genre, l'utilisation de l'expression rituelle, et je préfère formuler ainsi la question : « Y a-t-il une entreprise véritable? » C'est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu'elle englobe la question du caractère raisonnable de l'attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu'un entrepreneur faisant le forage de puits d'exploration a une attente raisonnable de profit et qu'il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d'entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C'est le caractère commercial de l'entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L'intention subjective de faire de l'argent entre certes en ligne de compte, mais ce n'est pas le facteur déterminant, bien que l'absence d'une telle intention puisse nuire à l'assertion qu'une activité est une entreprise.

                [5]            On ne peut considérer le caractère raisonnable de l'attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : « Est-ce qu'une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d'entreprise affirmerait qu'il s'agit bien d'une entreprise? » Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l'activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

                [6]            Cela mène à une autre considération -, soit la question du caractère raisonnable. L'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu traite en particulier du caractère raisonnable des dépenses, mais la notion n'est pas coulée dans le béton. L'article 67 s'applique dans le contexte d'une entreprise et suppose l'existence d'une entreprise. C'est également un des volets de la question visant à déterminer si une activité particulière est une entreprise. Par exemple, on ne peut dire, en l'absence de raisons contraignantes, qu'une personne dépenserait 1 000 000 $ si tout ce dont elle pouvait raisonnablement s'attendre de tirer est un revenu de 1 000 $.

                [7]            En fin de compte, les choses se résument à évaluer, en faisant preuve de sens pratique, l'ensemble des facteurs, en accordant à chacun l'importance qui convient dans le contexte global. Bien entendu, on ne doit pas faire fi de la vision et de l'imagination de l'entrepreneur, mais ce sont là deux aspects qui sont difficiles à évaluer à prime abord. En d'autres termes, si vous voulez qu'on vous traite comme un homme d'affaires, agissez en homme d'affaires.

d)             Le ministre a appliqué le critère d'ARP dès la première année de l'entreprise. Le contribuable a droit à une période raisonnable pour établir l'entreprise (Keeping). Une période d'au moins cinq ans n'est pas déraisonnable dans le cas d'une entreprise de ce genre, soit en l'occurrence une entreprise d'affrètement qui doit acquérir une réputation, se faire une clientèle et accroître son fonds commercial sur un certain nombre d'années.

e)              L'appelant a tiré parti de certaines dispositions fiscales favorables relatives à l'amortissement accéléré de bateaux construits au Canada. Cela ne peut être invoqué à l'appui de l'argument du ministre en matière d'ARP.

f)              Il n'y a rien d'irrationnel, d'absurde ou de ridicule dans l'attente de profit de l'appelant (Kuhlmann).

[38]          Bref, cela me frappe comme étant une entreprise commerciale ordinaire et, malgré l'habileté consommée avec laquelle Me Labbé a présenté le point de vue de l'intimée, je ne vois rien qui justifie l'application du principe d'ARP en l'espèce.

[39]          Les appels sont admis avec dépens et les cotisations pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation de manière que soit accordée la déduction demandée à l'égard des pertes provenant de l'entreprise d'affrètement du Spice II.

Signé à Toronto, Canada, ce 18e jour de juillet 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A

Traduction certifiée conforme ce 8e jour d'avril 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1366(IT)G

ENTRE :

BRIAN RIKLEY,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus les 18, 19 et 20 juin 2001 à Montréal (Québec), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Avocats de l'appelant :               Me André P. Gauthier

                                                Me Josée Vigeant

Avocate de l'intimée :                 Me Nathalie Labbé

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1991, 1992 et 1993 soient admis et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations de manière que soit accordée la déduction demandée à l'égard des pertes provenant de l'entreprise d'affrètement du Spice II.

Signé à Toronto, Canada, ce 18e jour de juillet 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour d'avril 2002.

Mario Lagacé, réviseur

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