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Date: 20010612

Dossier: 2001-1013-GST-G

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsde l'ordonnance

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            La présente requête sollicitant des directives soulève un point plutôt intéressant et nouveau.

[2]            L'appelante interjette appel à l'encontre d'une cotisation établie en vertu des dispositions relatives aux produits et services de la Loi sur la taxe d'accise. Elle a retiré des montants d'un régime autogéré d'épargne-retraite collectif de la Société de Fiducie Banque de Nouvelle-Écosse, qui agissait à titre de fiduciaire. Des frais de retrait de 50 $ ont été imposés par la société de fiducie, et une TPS de 3,50 $ a été perçue. L'appelante a produit une opposition, qui a été rejetée, et la cotisation a été ratifiée.

[3]            L'appelante a produit son appel en vertu des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) en tant qu'action de catégorie A et a payé des droits de dépôt de 250 $. De toute évidence, pour la présente requête, je ne peux décider du fond de l'appel, mais que faire remarquer qu'elle soulève une question contentieuse, dont la détermination peut avoir une incidence sur quiconque se voit imposer des frais au moment du retrait de fonds d'un REER. Manifestement, l'appelante considère qu'il s'agit d'une question de principe très importante. Seul un montant de 3,50 $ est en litige, mais elle se sent de toute évidence suffisamment en confiance pour payer des droits de dépôt de 250 $ et courir le risque de voir des dépens adjugés contre elle si elle n'obtient pas gain de cause.

[4]            Aucune réponse à l'avis d'appel n'a été produite. Toutefois, l'intimée a signifié et produit un consentement à jugement daté du 15 mai 2001, qui est ainsi rédigé :

                                [TRADUCTION]

CONSENTEMENT À JUGEMENT

L'intimée consent à jugement, admettant l'appel en ce qui concerne l'avis de cotisation portant le numéro 002-920-976-123-700-01 et daté du 3 novembre 2000, à l'égard de la période allant du 1er février 2000 au 30 juin 2000, sans frais, et déférant la question au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que :

1.              L'appelante doit recevoir un remboursement de la taxe sur les produits et services de 3,50 $ en vertu de l'article 261 de la Loi sur la taxe d'accise, L.R.C. (1985), ch. E-15, dans sa version modifiée.

2.              L'appelante n'a pas droit à d'autres mesures de redressement.

[5]            Il a été signé par l'avocate de l'intimée, mais non par l'appelante ou par quelqu'un d'autre en son nom.

[6]            L'article 170 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) est ainsi rédigé :

Lorsque toutes les parties ont donné leur consentement par écrit à un jugement disposant d'un appel, la Cour peut :

                a) accorder le jugement demandé sans audience;

                b) ordonner la tenue d'une audience;

                c) ordonner le dépôt d'observations écrites.

[7]            Un « consentement » signé par une seule des parties n'est pas un consentement signé par « toutes les parties » comme le prévoit l'article 170. Aucune partie n'est obligée d'accepter un tel document, a fortiori lorsque le « consentement » vise à priver l'autre partie de dépens. Il est évident que la Cour ne peut se prononcer sur la base d'un tel document. Elle n'a pas à appliquer un consentement à jugement si elle n'est pas convaincue qu'il a été donné conformément à la loi : The Clarkson Co. Ltd. c. La Reine, [1979] 1 C.F. 630, à la page 631 (79 DTC 5150, à la page 5151), note en bas de page 3. En effet, l'article 170 des Règles envisage expressément la possibilité que la Cour puisse remettre en question un consentement à jugement et ordonner la tenue d'une audience ou le dépôt d'observations écrites, particulièrement lorsque ce consentement concerne, comme en l'espèce, un jugement qui pourrait entraîner le paiement d'un montant par prélèvement sur le Trésor sans que le Parlement n'ait affecté de crédit à cette fin. La question est examinée en profondeur par le juge Le Dain, de la Cour d'appel fédérale, dans l'affaire La Reine c. Stevenson Construction Co. Ltd., C.A.F., no A-77-77, 22 novembre 1978, aux pages 12 et 13 (79 DTC 5044, aux pages 5049 et 5050). Le point est tellement important que le passage suivant des motifs du juge Le Dain mérite d'être répété :

La Cour a soulevé cette question de son propre chef à la lumière de certains précédents selon lesquels la Cour ne doit pas conclure à la responsabilité consensuelle de la Couronne, à moins d'avoir établi en fait et en droit qu'elle est responsable. Toute autre interprétation serait une violation du principe constitutionnel du contrôle parlementaire des dépenses publiques. Voir Le Roi c. Hooper [1942] R.C.E. 193; Galway c. M.R.N. [1974] C.F. 600; Northrop Corp. c. La Reine et al, [1977] 1 C.F. 289; The Clarkson Company Limited, Rapid Data Systems & Equipment Limited c. La Reine (A-884-77, arrêt en date du 11 septembre 1978 de la Cour d'appel fédérale, non encore publié). Dans Northrop, aux pages 291-9, le juge en chef adjoint Thurlow a exposé le principe en jeu comme suit :

                 On peut dire à bon droit que s'il s'agissait d'une action ordinaire entre deux personnes privées majeures et jouissant de leur pleine capacité, la Cour n'hésiterait pas un instant à accorder le jugement demandé. Mais il s'agit d'une situation dans laquelle les pouvoirs de la personne privée à engager ses propres ressources sont sans limites. Le problème auquel la Cour doit faire face ici est différent, je pense. Il s'agit de savoir si la Cour fédérale peut, en se fondant sur les éléments dont elle dispose, accorder à bon droit le jugement demandé contre la Couronne. À mon avis, la réponse réside dans le paragraphe 57(3) de la Loi sur la Cour fédérale et la portée qu'il faut lui attribuer. En voici le texte :

                57. (3) Les sommes d'argent ou dépens adjugés à une personne contre la Couronne, dans toutes procédures devant la Cour, doivent être prélevés sur le Fonds du revenu consolidé.

                Un jugement de la Cour fédérale rendu contre la Couronne a donc pour résultat d'autoriser le paiement du montant accordé par prélèvement sur le Fonds du revenu consolidé sans que le Parlement n'ait affecté de crédit à cette fin. À l'audition de la requête, l'avocat de la demanderesse a volontiers reconnu qu'on s'est adressé à la Cour pour obtenir ce jugement précisément parce qu'aucun crédit n'avait été affecté au paiement de 1 888 131 $ et en raison du retard considérable que nécessiterait une telle affectation de crédits.

[8]            Au mieux, le « consentement » peut être considéré comme une offre de régler la question par le remboursement du montant de 3,50 $ sans dépens. L'offre a été rejetée par l'appelante.

[9]            L'avis de requête de l'appelante est le suivant :

                                [TRADUCTION]

                SACHEZ QUE la requérante présente une requête sollicitant des directives à la Cour en vertu du paragraphe 4(2) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) et demande que la Cour tranche cette requête sur la base des observations écrites et sans comparution des parties en vertu du paragraphe 69(1) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

LA REQUÊTE VISE À OBTENIR des directives de la Cour quant à la procédure à suivre en vue d'obtenir les motifs de jugement écrits du présent appel. Afin de respecter le souhait de l'intimée en ce qui concerne l'ajout de dépens supplémentaires, est-il possible d'obtenir les motifs de jugement écrits en vertu du paragraphe 167(3) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt par la production d'une requête conformément au paragraphe 63(1) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt ou est-il nécessaire de poursuivre l'audition de l'appel afin d'obtenir les motifs de jugement écrits?

LES MOYENS AU SOUTIEN DE LA REQUÊTE SONT les suivants :

Le présent appel a été produit afin d'atteindre deux objectifs.

(1)            Obtenir un jugement qui, selon la procédure générale, lie l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC) en ce qui concerne la politique administrative erronée de cette dernière exigeant des inscrits qu'ils perçoivent et remettent la TPS et la TVH sur des frais de services exempts qui sont imposés aux détenteurs de régimes autogérés d'épargne-retraite (REER);

(2)            Obtenir la publication du jugement ainsi que des motifs afférents afin de faire prendre conscience aux contribuables canadiens que, depuis 1991, ils paient la TPS et la TVH par erreur sur les frais de services exempts qui sont imposés à l'égard des REER autogérés.

Je crois qu'il est important que les contribuables comprennent les raisons pour lesquelles ils ont payé de l'impôt par erreur pendant une période considérable.

Si la Cour ne fait qu'accorder la mesure de redressement recherchée en l'espèce, j'aurai fait défaut d'atteindre mes objectifs et j'aurai fait perdre le temps de la Cour pour 3,50 $.

Je crains que, sans la publication des motifs de jugement écrits, le résultat suivant surviendra :

·               l'ADRC continuera d'obliger les inscrits à percevoir la TPS et la TVH sur les frais de services exempts qui sont imposés à l'égard des REER autogérés,

·               les contribuables canadiens continueront à payer de l'impôt par erreur,

·               les contribuables canadiens ne sauront pas qu'ils ont droit à un remboursement de l'impôt payé par erreur à cet égard.

LES ÉLÉMENTS SUIVANTS DE PREUVE DOCUMENTAIRE sont mentionnés à des fins d'examen par la Cour pour qu'elle dispose de la requête :

·               Une lettre datée du 16 mai 2001, qui m'est adressée et qui a été envoyée par Me Suzanne M. Bruce, l'avocate de l'intimée;

·               Un consentement à jugement à l'égard de l'avis de cotisation no 002-920-976-123-700-01 produit par l'avocate de l'intimée.

[10]          L'argument de l'intimée est le suivant :

                                [TRADUCTION]

Nos prétentions à l'égard de la requête de l'appelante, datée du 18 mai 2001, sont les suivantes :

1. L'intimée est prête à consentir à jugement pour un montant de 3,50 $ ou, subsidiairement, à établir une nouvelle cotisation afin d'accorder le remboursement dudit montant pour éviter des frais supplémentaires;

2. Il est respectueusement soumis que la maxime « de minimis non curat lex » s'applique en l'espèce : Union Gas Ltd. c. TransCanada PipeLine Ltd., [1974] 2 C.F. 313 (1re inst.); R v. Webster (1981), 15 M.P.L.R. 60 (Cour de justice de l'Ontario), Farnell Electronic Components v. Collector of Customs (7 novembre 1996), (Cour fédérale de l'Australie) [inédit] (copie ci-jointe);

3. Quoi qu'il en soit, il est respectueusement soumis qu'il n'existe pas de procédure visant à obtenir des motifs écrits relativement à une question de fond sans qu'un procès n'ait lieu. Par conséquent, les motifs de jugement ne sont appropriés qu'après la tenue d'un procès en vertu du régime de la procédure générale;

4. Il est respectueusement soumis que la présente demande devrait être rejetée;

5. Si un procès tenu en vertu du régime de la procédure générale a lieu, nous demandons la prorogation du délai afin de pouvoir produire notre réponse en vertu de l'article 12 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

[11]          La doctrine « de minimis non curat lex » , qui serait selon moi probablement valable en droit dans certaines circonstances, ne devrait pas être soulevée dans le cadre d'une requête sollicitant des directives. Bien que l'intimée puisse, si elle le souhaite, soulever l'argument à l'audience et que le juge présidant puisse l'examiner, ce n'est pas l'endroit pour la débattre. L'appelante souhaite plaider un point d'importance générale considérable, et je n'ai pas l'intention de la priver de son droit de le faire simplement parce que le montant en cause dans son appel est peu élevé et en raison de l'existence d'un « consentement » à jugement sans fondement. Je reconnais que les motifs de jugement ne peuvent être rendus qu'après l'audience. Un consentement à jugement n'a pas de valeur jurisprudentielle, et l'ADRC ne peut se soustraire à l'examen du bien-fondé juridique de sa position par la Cour en produisant simplement un consentement unilatéral, qui n'est pas, en fait, un consentement.

[12]          Le consentement à jugement est rejeté. L'appelante a droit à une audience et, par la suite, aux motifs de jugement qu'elle demande. L'intimée dispose d'un délai de 30 jours à partir de la date de la présente ordonnance pour produire et signifier la réponse à l'avis d'appel. Par la suite, l'appelante, si elle le souhaite, peut demander que la date du procès soit fixée en vertu de l'article 123 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

[13]          Les dépens afférents à la présente requête suivront l'issue de la cause.

Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juin 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 26e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Isabelle Chénard, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-1013(GST)G

ENTRE :

R. MAXINE COLLINS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

L'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

ORDONNANCE

          Vu la requête sollicitant des directives présentée par l'appelante,

il est ordonné que le consentement à jugement soit rejeté. L'intimée dispose d'un délai de 30 jours à partir de la date de la présente ordonnance pour produire et signifier la réponse à l'avis d'appel. Par la suite, l'appelante, si elle le souhaite, peut demander que la date du procès soit fixée en vertu de l'article 123 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale).

          Les dépens afférents à la présente requête suivront l'issue de la cause.


Signé à Ottawa, Canada, ce 12e jour de juin 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de mars 2002.

Isabelle Chénard, réviseure

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