Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20011120

Dossier: 1999-1746-IT-G

ENTRE :

HELGA ZELINSKI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsde l'ordonnance

Le juge Bowie

[1]            Je dois examiner deux requêtes. L'une, présentée par l'intimée, vise à obtenir une ordonnance supprimant un certain nombre des paragraphes de l'avis d'appel modifié. L'autre, qui a été présentée par l'appelante, a pour but d'obtenir une ordonnance lui permettant d'ajouter plusieurs paragraphes à l'avis d'appel modifié.

[2]            L'appelante a fait l'objet d'une cotisation en vertu de l'article 160 de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) est d'avis qu'un certain Herman Gebele ( « Herman » ), qui a été à un certain moment l'époux de l'appelante, a transféré à cette dernière des biens immeubles sans contrepartie ou pour une contrepartie insuffisante, et ce, à un moment où il devait une somme à la Couronne à titre d'impôt sur le revenu impayé, et il croit également que l'appelante et Herman avaient entre eux un lien de dépendance. Le montant visé par la cotisation s'établit à 306 636,38 $. C'est cette cotisation qui fait l'objet du présent appel. Au départ, différents motifs d'opposition à la cotisation ont été invoqués. Du consentement de l'intimée, un avis d'appel modifié a été produit. Il appert que le consentement de l'intimée n'équivalait pas à proposer un acte de procédure modifié. Devant composer avec l'avis d'appel modifié, l'intimée demande maintenant qu'en soient supprimés les paragraphes 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 27, 28 et 34, au motif que ces paragraphes sont frivoles et vexatoires, constituent un recours abusif et risquent fort de compromettre ou de retarder l'instruction équitable de l'appel. Bien que la requête soit conforme au libellé de l'article 58 des Règles de la Cour canadienne de l'impôt (procédure générale) (les « Règles » ), la raison réelle de l'opposition à ces paragraphes est que ceux-ci n'énoncent pas des faits pertinents.

[3]            L'avis d'appel modifié ayant fait l'objet d'une requête de la part de l'intimée, l'appelante présente à son tour une requête afin d'ajouter une dizaine de paragraphes et d'alinéas, que l'on peut subdiviser en deux catégories. L'objet de la première est de contester pour la première fois la cotisation en invoquant les articles 7 et 8 de la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte » ). Les paragraphes de la deuxième catégorie visent à invoquer les principes du tribunal de Nuremberg (1950) (les « principes de Nuremberg » ) et la Charte des Nations Unies. L'intimée fait opposition à ces modifications additionnelles, exception faite d'un changement mineur de la demande de redressement.

[4]            L'acte de procédure a pour but de définir les questions faisant l'objet du litige entre les parties aux fins de production et de communication préalable ainsi qu'en prévision du procès. Il incombe aux parties de présenter un exposé concis des faits pertinents sur lesquels elles se fondent. Les faits pertinents sont ceux qui, dans l'éventualité où ils sont établis au cours du procès, concourront à démontrer que la partie ayant déposé l'acte de procédure a droit au redressement demandé. De façon générale, il convient que la modification d'un acte de procédure soit autorisée, dans la mesure où cela n'est pas préjudiciable à l'autre partie - qui n'a pas droit à une contrepartie sous forme de dépens ou sous une autre forme -, les Règles visant à assurer, dans la mesure du possible, un procès équitable portant sur les vraies questions en litige entre les parties.

[5]            Le principe applicable est formulé ainsi par Holmsted et Watson[1] :

                [TRADUCTION]

Il s'agit de la grande règle en matière d'actes de procédure; toutes les autres règles sont essentiellement des règles accessoires ou des réserves à cette règle de base selon laquelle le plaideur doit exposer les faits pertinents sur lesquels il fonde sa demande ou sa défense. La règle comporte quatre composantes distinctes : (1) chaque acte de procédure doit exposer des faits et non pas simplement des conclusions de droit; (2) il doit exposer les faits pertinents et ne pas contenir de faits dénués de pertinence; (3) il doit exposer des faits, non les éléments de preuve qui serviront à étayer ces faits; (4) il doit exposer les faits avec concision.

M'inspirant de ces principes, j'aborde chaque requête en gardant à l'esprit le critère pertinent, à savoir si les paragraphes contestés et ceux que l'appelante veut ajouter sont conformes au principe selon lequel l'acte de procédure doit exposer les faits pertinents. La requête de l'appelante vise à ajouter deux questions à celles déjà incluses dans l'acte de procédure. Cette requête doit être accueillie, sauf s'il est évident que les questions ne sont pas fondées en droit et qu'on ne saurait faire droit à l'appel à leur égard, et ce, même si les faits sur lesquels elles sont fondées devaient être prouvés.

[6]            Les faits suivants sont pertinents dans le contexte d'un appel portant sur une cotisation établie en vertu de l'article 160 :

i)               le fait qu'il y a eu ou non transfert d'un bien à l'appelante;

ii)              le fait que l'appelante a donné ou non une contrepartie pour le bien transféré et, le cas échéant, la valeur de la contrepartie;

iii)             la juste valeur marchande du bien au moment du transfert;

iv)            le fait que l'auteur du transfert et l'appelante avaient ou non un lien de dépendance entre eux au moment du transfert;

v)             le fait que l'auteur du transfert devait ou non une somme à la Couronne à titre d'impôt sur le revenu impayé au moment du transfert et, le cas échéant, le montant ainsi payable à ce moment;

vi)            le fait que la ou les cotisations ayant donné lieu à l'obligation de payer la somme en question étaient ou non fondées en fait et en droit.

[7]            Je ne reproduirai pas en totalité les paragraphes contestés par l'intimée. Il peut être pratique, en vue de les examiner, de les diviser en deux catégories. Je tiens toutefois à mentionner en premier lieu que l'avocat de l'appelante a admis lors de l'audience que les paragraphes 18, 21, 24, 25, 27, 28 et 34 ne peuvent être étayés. Ces paragraphes seront supprimés.

Paragraphes 9, 10, 11, 12 et 13

[8]            Ces paragraphes renferment des allégations voulant qu'Herman et une société appelée Herman's Auto Repair Service Centre Limited ( « Herman's Auto » ) aient produit certaines déclarations de revenus, que, d'après l'appelante, ils aient produit certaines autres déclarations de revenus, et que certains actifs d'Herman's Auto aient été transférés à une banque des Bermudes. Ces faits, si leur véracité était établie au cours du procès, n'auraient aucune incidence sur la validité de la cotisation faisant l'objet de l'appel. L'avocat de l'appelante a donné à entendre que les paragraphes 12 et 13 seraient pertinents relativement à la question de savoir si certaines cotisations avaient été établies à l'égard d'Herman après le délai imparti aux termes de la Loi. Cet argument reposait sur une interprétation erronée des dispositions de la Loi ayant trait à l'obligation, pour le ministre, d'établir une cotisation. Le contenu de ces paragraphes est dénué de pertinence par rapport aux questions reliées à l'appel. Ces paragraphes seront supprimés.

Paragraphes 15, 16, 17, 19 et 20

[9]            Ces paragraphes contiennent des allégations relatives à la conduite de fonctionnaires de l'intimée dans le cadre de l'enquête ayant conduit à l'établissement de la cotisation qui fait l'objet de l'appel. Le paragraphe 19 mentionne également un manuel d'opérations et soutient que les fonctionnaires en question n'ont pas observé ce manuel au cours de l'enquête. Il est allégué au paragraphe 20 que certains passages de ce manuel [TRADUCTION] « [...] sont particulièrement pertinents en l'espèce » . La thèse de l'avocat de l'appelante est que la conduite de ces fonctionnaires violait le droit de l'appelante à la protection contre les fouilles, les perquisitions et les saisies abusives garanti par l'article 8 de la Charte. Il a invoqué la décision rendue dans l'affaire R. v. Dial Drug Stores Ltd.[2], qui porte sur la preuve dans le contexte d'une poursuite pénale, pour appuyer son argument selon lequel l'appelante est fondée à demander que la cotisation soit annulée en raison de la conduite des fonctionnaires.

[10]          Il ressort clairement de décisions comme celles rendues dans les affaires Canada c. O'Neill Motors Ltd. (C.A.)[3], Norman Jurchison et Norway Insulation Inc. c. La Reine[4] et Norwood c. La Reine[5] que, même si l'appelante parvenait à prouver qu'il y a eu violation de l'article 8 de la Charte par les enquêteurs, elle ne pourrait demander que la cotisation soit annulée, sauf s'il était établi que la Couronne n'avait d'autres éléments de preuve pour fonder la cotisation que ceux obtenus en violation de la Charte. L'avis d'appel modifié ne contient pas d'argument de ce genre; de fait, on n'y invoque nulle part l'article 8, lacune à laquelle l'avocat de l'appelante tente de remédier par sa requête en vue de modifier de nouveau l'acte de procédure.

[11]          Cela dit, les allégations formulées aux paragraphes 15, 16, 17 et 19 seront pertinentes dans la mesure où l'appelante veut contester la recevabilité de la preuve lors du procès. Il appartiendra alors au juge du procès de décider du bien-fondé de cette contestation lors de la présentation de la preuve, le cas échéant. Toutefois, dans l'intervalle, je ne vois pas pourquoi l'appelante ne pourrait pas incorporer à son acte de procédure la question de fait entourant la manière dont la preuve a été recueillie par les fonctionnaires de l'intimée, et ce, en dépit du fait que cette question, telle que présentée à l'heure actuelle, est pertinente uniquement sous l'angle de la recevabilité de la preuve, et non par rapport au redressement principal faisant l'objet de l'appel. La question sera probablement pertinente lors du procès. En conséquence, les paragraphes 15, 16, 17 et 19 ne seront pas supprimés. Par contre, le paragraphe 20 est dénué de pertinence et sera supprimé.

Requête de l'appelante

[12]          Les paragraphes et alinéas que l'appelante, dans sa requête, demande d'incorporer à l'avis d'appel modifié font partie de deux catégories. Les paragraphes et alinéas 17A, 35(l) et 36A ont pour but d'invoquer les articles 1, 7, 8 et 24 de la Charte, et les paragraphes 34A, 34B, 34C, 34D, 36B et 36C, d'invoquer les principes de Nuremberg et la Charte des Nations Unies. Les avocats de l'intimée ont consenti à une modification mineure touchant le redressement demandé.

Charte canadienne des droits et libertés

[13]          J'ai déjà fait part de ma conclusion selon laquelle l'appelante peut alléguer que ses droits en vertu de la Charte ont été violés dans le cadre de l'enquête qui a donné lieu à la cotisation établie à son égard. Dès lors, elle peut, de façon plus précise, invoquer l'article 8 de la Charte. Par contre, on ne saurait invoquer l'article 7, étant donné la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Tyler c. M.R.N. (C.A.)[6], où, pour l'application de l'article 7 de la Charte, on fait une distinction entre l'utilisation de renseignements dans le cadre d'une vérification d'impôt et leur emploi dans une enquête criminelle. À la page 82 (C.T.C. : à la page 20) de cette décision, le juge Stone a déclaré ceci :

[¼] en cas de vérification d'impôt, cette atteinte [aux droits] ne constitue pas une violation des principes de justice fondamentale. Dans une vérification d'impôt proprement dite, il n'y a ni suspect ni accusé. Il s'agit d'une procédure entièrement administrative.

[14]          L'appelante peut modifier son avis d'appel afin d'invoquer les articles 8 et 24 de la Charte, en se fondant sur les faits déjà mentionnés dans l'acte de procédure. Par contre, notre cour n'a pas compétence pour accorder le redressement déclaratoire que l'appelante souhaite obtenir.

Principes de Nuremberg et Charte des Nations Unies

[15]          On peut dire en résumé que les paragraphes 34A, 34B, 34C et 34D proposés constituent une défense selon laquelle l'appelante n'est pas tenue de payer un montant d'impôt (y compris, probablement, une cotisation sous-jacente en vertu de l'article 160 de la Loi) parce que le gouvernement du Canada utilisera une partie de ses recettes fiscales pour acquérir des armes de destruction massive, ce qui va à l'encontre des principes de Nuremberg et de la Charte des Nations Unies. La déclaration sous serment de l'appelante, déposée à l'appui de sa requête, n'expose aucun problème de conscience à cet égard. Elle allègue simplement aux paragraphes 34A et 34B qu'elle ne veut pas fournir un appui au gouvernement du Canada parce qu'il [TRADUCTION] « fait partie, avec d'autres nations, d'une alliance qui repose sur la capacité et la volonté de tuer des millions d'être humains sans défense » .

[16]          Ce sont là pour l'essentiel les mêmes arguments que ceux examinés par la Cour fédérale dans l'affaire Prior c. La Reine[7]. Dans cette affaire, l'avis d'appel a été radié, étant donné que l'appel n'avait aucune chance d'être admis, puisqu'il était fondé sur le seul motif que l'appelante n'avait pas à payer d'impôt au gouvernement si les recettes fiscales correspondantes servaient à l'acquisition d'armes de guerre. Concernant les présentes requêtes, l'avocat de l'appelante a cherché à faire une distinction en faisant valoir que, dans l'affaire en question, l'argument avancé était fondé sur l'alinéa 2a) et sur l'article 15 de la Charte, et qu'on n'invoquait pas, comme en l'espèce, les principes de Nuremberg et la Charte des Nations Unies. Or, malgré toute leur valeur, ces deux documents ne sauraient, en matière juridique, avoir plus de poids que la Charte des droits et libertés, qui, inutile de le rappeler, fait partie intégrante de la constitution canadienne. La décision rendue dans l'affaire Prior établissait essentiellement que l'alinéa 2a) de la Charte ne pouvait prévaloir sur le pouvoir d'imposition conféré par le paragraphe 91(3) de la Loi constitutionnelle de 1867. Par conséquent, l'argument de l'appelante fondé sur les principes de Nuremberg et sur la Charte des Nations Unies ne pourrait être admis. Si ces paragraphes avaient figuré dans l'avis d'appel déposé au départ, ils auraient pu faire l'objet d'une suppression. L'appelante ne peut donc pas apporter la modification proposée.

[17]          L'intimée a eu en bonne partie gain de cause relativement aux deux requêtes. Les frais lui sont adjugés en l'espèce.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 20e jour de novembre 2001.

« E.A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour d'avril 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-1746(IT)G

ENTRE :

HELGA ZELINSKI,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Requête entendue le 7 novembre 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge E.A. Bowie

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me George Gligoric

Avocats de l'intimée :                 Me David E. Spiro et Me Brianna Caryll

ORDONNANCE

VU la requête présentée par les avocats de l'intimée afin d'obtenir une ordonnance portant la suppression des paragraphes 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 20, 21, 24, 25, 27, 28 et 34 de l'avis d'appel modifié, au motif que ces paragraphes sont frivoles et vexatoires, constituent un recours abusif et risquent fort de compromettre ou de retarder l'instruction équitable de l'appel;

VU la requête présentée par l'avocat de l'appelante afin d'obtenir une ordonnance autorisant une modification additionnelle de l'avis d'appel;

VU l'avis d'appel modifié et la déclaration sous serment d'Helga Zelinski;

ET VU les allégations des avocats des parties;

J'ORDONNE PAR LES PRÉSENTES CE QUI SUIT :

1. les paragraphes 9, 10, 11, 12, 13, 14, 18, 20, 21, 24, 25, 27, 28 et 34 de l'avis d'appel modifié sont supprimés;

2. l'appelante est autorisée à modifier de nouveau l'avis d'appel modifié de manière à invoquer l'article 8 de la Charte canadienne des droits et libertés, et à ajouter les mots [TRADUCTION] « ou annulée » à l'alinéa 38a), l'avis d'appel ainsi modifié devant être déposé et signifié d'ici le 15 décembre 2001;

3. l'intimée aura 45 jours à compter du moment où l'avis d'appel modifié de nouveau lui aura été signifié pour déposer une réponse;

4.      l'ordonnance du juge en chef datée du 6 juillet 2001 est modifiée de manière à préciser que chaque partie doit déposer et signifier à l'autre partie une liste de documents en application de l'article 82 des Règles (communication intégrale) d'ici le 28 février 2002, que les interrogatoires préalables doivent être terminés d'ici le 29 mars 2002 et que les engagements doivent être tenus d'ici le 30 avril 2002. Le dernier paragraphe de ladite ordonnance demeure en vigueur;

5.      l'intimée a droit aux dépens à l'égard des deux requêtes en l'espèce.

Signé à Ottawa (Ontario), ce 20e jour de novembre 2001.

« E. A. Bowie »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 11e jour d'avril 2002.

Martine Brunet, réviseure




[1]           Holmsted et Watson, Ontario Civil Procedure, vol. 3, pages 25-20 à 25-21.

[2]           52 O.R. (3d) 367 (C.J.O.).

[3]           [1998] 4 C.F. 180 (98 DTC 6424).

[4]           C.A.F., no A-798-99, 26 avril 2001 (2001 DTC 530l).

[5]           C.A.F., no A-220-00, 12 janvier 2001 (2001 DTC 5111).

[6]           [1991] 2 C.F. 68 ([1991] 1 C.T.C. 13).

[7]           C.F. 1re inst., no T-1838-87, 2 février 1988 ([1988] 1 C.T.C. 241); confirmée par C.A.F., no A-179-88, 10 octobre 1989 ([1989] 2 C.T.C. 280).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.