Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010704

Dossier: 2001-99-EI

ENTRE :

RANJU VERMA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge Hershfield, C.C.I.

[1]            Le présent appel est interjeté en vertu de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ), à l'encontre d'un règlement, par l'intimé, selon lequel l'emploi que l'appelante a exercé pour 1262828 Ontario Limited ( « Ontario Limited » ) au cours des périodes allant du 11 mai au 24 octobre 1998 et du 14 mai au 23 octobre 1999 n'était pas un emploi assurable en raison de la restriction prévue à l'alinéa 5(2)i) de la Loi relativement à un emploi dans le cadre duquel l'employeur et l'employé ont entre eux un lien de dépendance. La question de savoir si des personnes ont entre elles un lien de dépendance est, aux termes de l'alinéa 5(3)a) de la Loi, déterminée conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]            Il n'y a aucun différend quant au fait que l'appelante et Ontario Limited avaient entre elles un lien de dépendance durant les périodes en question, ce qui a été déterminé conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu. Ainsi, il n'est pas nécessaire de faire état de la répartition des actions de la société. Toutefois, aux fins du dossier, je signale que l'appelante détenait 18 p. 100 des actions de l'employeur, tout comme son époux, et qu'elle était liée à un groupe d'actionnaires dominants comprenant elle-même et son époux, ainsi que le frère et la soeur de son époux. Ainsi, au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, l'appelante était liée à son employeur, Ontario Limited, durant les périodes en question, et elle et son employeur avaient de ce fait un lien de dépendance durant ces périodes. Je signale également que l'appelante n'était pas une dirigeante ni une administratrice de la société et qu'elle ne participait pas à la gestion de la société. Son époux, Naresh, était le président d'Ontario Limited, et la soeur de son époux, Santosh, était la secrétaire de la société.

[3]            Étant donné que l'appelante et Ontario Limited avaient entre elles un lien de dépendance durant les périodes en question, l'emploi de l'appelante n'était pas assurable, sous réserve de l'application de l'alinéa 5(3)b) de la Loi, qui dispose :

5. (3) Pour l'application de l'alinéa (2)i) :

[...]

b)             l'employeur et l'employé, lorsqu'ils sont des personnes liées au sens de cette loi, sont réputés ne pas avoir de lien de dépendance si le ministre du Revenu national est convaincu qu'il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils auraient conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[4]            La réponse à l'avis d'appel dit que l'intimé a exercé le pouvoir discrétionnaire que lui confère la Loi et a décidé que l'emploi de l'appelante ne serait pas réputé assurable. Il s'agit de savoir en l'espèce si le ministre a correctement exercé le pouvoir discrétionnaire qui lui est conféré en vertu de l'alinéa de la Loi précité. Le fait qu'il y avait un contrat de louage de services durant les périodes en question a été admis par l'intimé.

[5]            En rendant sa décision, l'intimé s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes (les faits relatifs au statut de personne liée de l'appelante sont omis) :

[TRADUCTION]

a)              le payeur exploite un motel de 47 chambres à Niagara Falls;

b)             durant la période en question, le payeur exploitait cette entreprise sous le nom « Cataract Motel » ;

c)              l'entreprise du payeur est une entreprise saisonnière exploitée de mai à octobre;

d)             durant la haute saison, l'entreprise du payeur est exploitée 24 heures sur 24, 7 jours sur 7;

g)             les fonctions de l'appelante étaient les suivantes :

                -    faire remplir une fiche aux clients quand ils arrivent et leur faire payer leur note quand ils partent;

                -    prendre les réservations par téléphone ou par Internet;

                -    régler les plaintes des clients;

                -    veiller à ce que les chambres soient prêtes;

                -    faire de la commercialisation, traiter avec des agents de voyage et prendre des réservations de groupe;

                -    gérer le matériel d'entretien;

h)             l'appelante remplissait ses fonctions à l'établissement du payeur;

i)               durant la période de pointe, l'appelante travaillait 7 jours sur 7, soit 50 à 60 heures par semaine au total;

j)               durant la basse saison, l'appelante travaillait selon les besoins, soit au moins 40 heures par semaine;

k)              les heures de travail de l'appelante étaient déterminées par le payeur;

l)               les heures de travail de l'appelante n'étaient pas enregistrées;

m)             l'appelante ne recevait aucun avantage d'employé;

n)             la paye de l'appelante était de 550 $ par semaine, indépendamment du nombre d'heures travaillées;

o)             l'appelante était payée par chèque à toutes les deux semaines;

p)             le taux de rémunération de l'appelante était déterminé par le payeur;

q)             l'appelante était supervisée par son conjoint, Naresh Verma, et par les autres actionnaires;

r)              l'appelante et une autre personne étaient inscrites dans le livre de paye du payeur durant la période en question;

s)              tout le matériel était fourni à l'appelante gratuitement par le payeur;

t)              l'appelante et son conjoint habitent au motel;

u)             pendant les périodes pour lesquelles elle avait été mise en disponibilité, l'appelante fournissait des services pour le payeur sans rétribution;

x)              il est raisonnable de conclure, compte tenu de toutes les circonstances, notamment la rétribution versée, les modalités d'emploi ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, qu'ils n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance;

[6]            L'appelante a témoigné, ainsi que son époux. Ce dernier a été exclu de la salle d'audience pendant que l'appelante témoignait. Au cours de leurs dépositions, ils ont confirmé les hypothèses de fait énoncées ci-devant, mais en apportant des précisions, notamment sur la nature et l'étendue des services dont il est question dans l'hypothèse u) ci-devant. Voici un résumé de leurs dépositions.

[7]            Le motel de 47 chambres était exploité tout au long de l'année, principalement par l'époux de l'appelante, Naresh. L'année se divisait en trois périodes. La période de l'hiver était la morte-saison et allait de la fin d'octobre jusqu'au début de mai[1]. Pendant cette période, il y avait peu de clients au motel. Seulement cinq à six chambres - ou moins - étaient occupées chaque semaine. Les deux à trois personnes par semaine qui passaient une nuit au motel et un nombre semblable de locataires à la semaine, à qui on ne fournissait aucun service, constituaient la clientèle du motel durant la morte-saison. Autrement dit, durant la morte-saison, il y avait peu de travail à accomplir, et Naresh était là 7 jours sur 7 pour s'occuper du peu qu'il y avait à faire. En mai, les affaires redémarraient et, en septembre, elles recommençaient à ralentir. La période de pointe était en juillet et en août. Durant cette période, le motel était pratiquement complet tous les soirs. La saison touristique coïncide avec la période de pointe du motel. Durant cette période, l'appelante travaillait 50 à 60 heures par semaine, comme le dit l'hypothèse i). En mai et pendant la majeure partie des mois de juin, de septembre et d'octobre, qui étaient des périodes de ralentissement, l'appelante travaillait environ 40 heures par semaine, comme l'indique l'hypothèse j). L'appelante n'était pas embauchée pour fournir des services durant la morte-saison.

[8]            Comme l'indique l'hypothèse g), les fonctions de l'appelante en tant qu'employée d'Ontario Limited se rapportaient en grande partie au service à la clientèle. Durant les périodes considérées en l'espèce, le motel n'était pas lié à un réseau de réservation, de sorte que le plus gros de la clientèle était attribuable à la circulation routière, et il n'y avait guère de réservations de groupe. En fait, la gestion des réservations était, en grande partie, effectuée manuellement. On faisait ce que l'on pouvait par ordinateur. L'appelante avait suivi des cours d'informatique et elle n'avait pas de difficulté à utiliser le courrier électronique, WordPerfect, Lotus et d'autres programmes. Au cours de son précédent emploi, elle travaillait dans un bureau d'expédition d'une entreprise de vente de produits informatiques et elle se servait d'un ordinateur, en contrôlant les envois. Elle gagnait 12 $ l'heure lorsqu'elle a quitté cet emploi, soit un emploi qu'elle a exercé pendant sept ans à Toronto, avant que, en janvier 1998, la famille acquière le motel.

[9]            Tandis que l'appelante accomplissait le travail de bureau relatif au service à la clientèle, Naresh s'occupait de tout le reste, ce qui allait des opérations bancaires jusqu'au ménage[2]. Pour la haute saison, le frère de Naresh partait des États-Unis pour venir aider à faire le ménage, mais il n'était pas inscrit dans le livre de paye. L'appelante aidait occasionnellement à faire le ménage, et des femmes de ménage étaient embauchées occasionnellement, mais, pour l'essentiel, le motel était exploité par les trois membres de la famille durant la haute saison et seulement par Naresh durant la morte-saison, période pendant laquelle Naresh faisait de l'entretien et des réparations et s'occupait des rares clients. Avant que la famille acquière le motel, c'est-à-dire à l'époque où la famille vivait à Toronto, Naresh dirigeait sa propre entreprise de rénovation et, même après qu'il eut abandonné cette entreprise et qu'il eut déménagé à Niagara Falls pour exploiter le motel, sa camionnette portait le logo de l'entreprise de rénovation (ainsi qu'un numéro de téléphone comportant l'indicatif régional de Toronto).

[10]          Comme l'appelante n'était pas employée durant la morte-saison, elle pouvait demander des prestations d'assurance-emploi pour cette période, à condition que son emploi fût assurable. Le ministre a refusé à l'appelante de telles prestations, en vertu du pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 5(3)b) de la Loi, c'est-à-dire que, compte tenu de l'arrangement qui avait été conclu, le ministre a déterminé qu'un arrangement semblable n'aurait pas été conclu par une personne sans lien de dépendance.

[11]          L'hypothèse cruciale sur laquelle le ministre s'est fondé en exerçant ainsi son pouvoir discrétionnaire est énoncée à l'alinéa u) précité. L'avocat de l'intimé reconnaissait que, sans cette hypothèse, il n'y aurait aucun fondement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire de l'intimé. En d'autres termes, il reconnaissait que, au cours des périodes considérées en l'espèce, une personne sans lien de dépendance aurait conclu un contrat de travail à peu près semblable au contrat de travail conclu par l'appelante. On argue toutefois que le fait que l'appelante a fourni des services hors de ces périodes sans rémunération entache cet engagement qui, à tous autres égards, correspond à un engagement passé entre des parties sans lien de dépendance.

[12]          Bien que son salaire ait été fixé sur une base hebdomadaire, l'appelante gagnait environ 12 $ l'heure pendant les six mois de son engagement. L'appelante et son époux ont témoigné qu'un tel taux - ou plus particulièrement le salaire hebdomadaire de l'appelante pour cette période - était la norme régionale dans ce secteur d'activité et que, à tous les égards, les modalités d'emploi étaient comme elles auraient été si la personne embauchée n'avait pas eu de lien de dépendance. L'avocat de l'intimé ne contestait pas cela, mais arguait que l'hypothèse u) était pertinente et qu'elle distinguait l'emploi de l'appelante en y incorporant la contribution que l'appelante faisait à l'entreprise de l'employeur durant la morte-saison. Avant de me pencher sur la pertinence de cette distinction, j'examinerai un plus grand nombre des éléments de preuve se rapportant à la morte-saison.

[13]          L'appelante a témoigné que, durant la morte-saison, l'aide qu'elle fournissait se limitait à répondre occasionnellement au téléphone du motel ou à s'occuper d'un client lorsque son époux n'était pas là. Leur résidence était annexée au bureau du motel. Il y avait deux lignes téléphoniques, soit une pour le motel et une pour la résidence. La ligne téléphonique du motel n'était pas raccordée à la résidence, mais le téléphone du motel était un téléphone sans fil, et on pouvait le laisser dans la résidence pour y recevoir des communications d'affaires relatives au motel. L'appelante a reconnu que, si son époux n'était pas dans les parages pendant la journée au cours de la morte-saison, le téléphone du motel était laissé dans la résidence et qu'elle y répondait quand elle était à la maison. Elle a témoigné que cela n'arrivait que rarement. Elle a témoigné que la résidence avait sa propre entrée et que l'on pouvait également y accéder en passant par le bureau du motel. Elle a témoigné que, indépendamment du fait que la résidence était annexée au motel, elle ne passait pas de temps au bureau du motel durant la morte-saison, simplement parce qu'il n'y avait guère de travail à accomplir et que son époux s'occupait du peu qu'il y avait à faire. Bien que le bureau ait généralement été fermé lorsque son époux n'était pas aux alentours, l'appelante a confirmé qu'il y avait une sonnette à l'extérieur du bureau du motel qui se faisait entendre dans la résidence et que, lorsque son époux n'était pas là pendant la morte-saison, elle s'occupait du client qui avait sonné. Elle a témoigné que cela n'arrivait que deux ou trois fois durant une saison. Je suis convaincu que ce n'était pas une question quant à savoir quelles étaient ses responsabilités. Il n'y avait simplement guère de travail à accomplir vu la saison, et l'époux de l'appelante s'occupait régulièrement du peu qu'il y avait à faire. Les services de l'appelante ou d'un travailleur éventuel sans lien de dépendance n'étaient pas nécessaires. Durant la morte-saison, les affaires ne justifiaient pas l'embauchage d'une deuxième personne pour s'occuper du peu qu'il pourrait y avoir à faire.

[14]          L'époux de l'appelante a témoigné qu'il remplissait toutes les fonctions durant la morte-saison. Il fermait la porte du bureau à clé lorsqu'il n'était pas au bureau et, lorsqu'il était dans les parages mais pas au bureau, il avait le téléphone portatif avec lui, mais il y avait peu à faire durant la morte-saison. Il n'y avait pas de touristes à cette époque. L'époux de l'appelante a témoigné qu'il faisait de l'entretien et des réparations autour du motel à cette époque et qu'il était généralement là pour s'occuper des rares clients qui se présentaient.

[15]          L'intimé se fondait sur la déposition d'un enquêteur qui a témoigné à l'audience. L'enquêteur, du bureau de Brampton (Ontario) de Développement des ressources humaines Canada, a témoigné que, le 28 janvier 2000, à 12 h 55, il a téléphoné au motel, qu'une femme a répondu, qu'elle lui a donné le numéro de télécopieur du motel et qu'elle lui a dit qu'une télécopie pouvait être envoyée à l'attention de « Ranju » . « Ranju » est le prénom de l'appelante. Le 4 février 2000, l'enquêteur est allé au motel, et l'appelante était au bureau, en train de s'occuper d'un client qui s'inscrivait sur le registre. Dans des brochures qui se trouvaient dans le bureau, on voyait l'appelante derrière le bureau de la réception. Le 24 février 2000, l'enquêteur s'est de nouveau rendu au motel, et Naresh était là, en train d'installer un nouveau bureau de réception. L'enquêteur a demandé à voir Ranju et s'est fait dire qu'elle n'était pas là. Lors de cette visite, ayant remarqué dans le stationnement une camionnette qui portait l'inscription « Verma Renovation Services » , l'enquêteur a demandé à Naresh si ce dernier exploitait une autre entreprise. Naresh lui a dit qu'il faisait seulement des réparations autour du motel[3]. L'enquêteur a reconnu que le décalque apposé sur la camionnette comportait l'indicatif régional 416. Le ministre invoque ce témoignage à l'appui de sa position voulant que Naresh n'ait pas toujours été autour du motel durant la morte-saison pour s'occuper des clients occasionnels et que l'appelante ait été employée durant la morte-saison, sans rémunération, pour fournir ses services en l'absence de son époux. Compte tenu de l'ensemble du témoignage, je suis convaincu que Naresh était généralement disponible au motel durant la morte-saison pour s'occuper du peu qu'il y avait à faire à cette époque et qu'il n'exploitait pas une seconde entreprise qui l'aurait empêché d'être ainsi généralement disponible au motel. Il est également clair que Naresh n'était pas autour du motel pour s'en occuper tout le temps et que l'appelante, dont la résidence faisait partie du motel, était disponible pour fournir de l'aide occasionnellement. Cela n'est pas incompatible avec le témoignage de l'appelante et celui de son époux, quoique l'appelante et son époux puissent bien tous les deux avoir minimisé l'aide occasionnelle que l'appelante fournissait.

[16]          Le 4 mars 2000, l'enquêteur a interrogé Ranju à St. Catharines. Il a confirmé qu'elle avait reçu des prestations d'assurance-emploi chaque année durant l'hiver parce que les affaires tournaient très au ralenti et que son époux dirigeait le motel à cette époque. Elle a dit à l'enquêteur que son rôle était de servir les clients durant les périodes considérées en l'espèce. Elle entendait probablement par là qu'il n'y avait pas de travail pour elle durant la morte-saison, puisqu'il y avait si peu de clients à servir à cette époque. Bien qu'aucune déclaration signée ne fasse mention de ceci, l'enquêteur a témoigné à l'audience que l'appelante avait reconnu lors de leur entretien qu'elle aidait bel et bien un peu durant l'hiver en répondant au téléphone lorsque son époux n'était pas là et qu'elle n'était pas payée pour fournir de l'aide occasionnellement.

[17]          L'avocat de l'intimé a argué que le ministre peut raisonnablement conclure que l'appelante travaille à longueur d'année, comme en témoigne le fait que, lors de deux contacts au hasard sur trois, l'enquêteur avait constaté que l'appelante s'occupait des affaires du bureau durant la morte-saison. En supposant qu'une telle conclusion ne soit pas déraisonnable ou que notre cour n'ait pas compétence pour se prononcer sur le fond quant à savoir si elle serait arrivée à la même conclusion que celle du ministre, il n'y a alors qu'une question à trancher : il s'agit de savoir si le fait que l'appelante fournissait des services occasionnels durant la morte-saison, sans rémunération, est un facteur pertinent dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l'alinéa 5(3)b). Dans l'affirmative, l'appel doit être rejeté, comme le démontre l'analyse suivante du droit applicable. Par contre, si un tel facteur n'est pas pertinent, et c'est le seul facteur invoqué par le ministre comme l'a admis l'avocat du ministre, l'appel doit alors être accueilli.

Analyse

[18]          Dans les appels relatifs à l'exercice du pouvoir discrétionnaire conféré au ministre par l'alinéa 5(3)b), le rôle de notre cour est bien établi. L'avocat de l'intimé et l'avocat de l'appelante ont fait état d'un certain nombre de jugements sur ce point. Le plus bref énoncé de droit concernant ce rôle figure dans l'arrêt Légaré c. Canada[4]. Dans cette affaire, le jugement de la Cour d'appel fédérale a été rendu par le juge Marceau. Ce dernier faisait remarquer ceci au sujet du rôle de notre cour :

[...] La Cour n'est pas chargée de faire la détermination au même titre que le ministre et, en ce sens, elle ne saurait substituer purement et simplement son appréciation à celle du ministre : c'est ce qui relève du pouvoir dit discrétionnaire du ministre. Mais la Cour doit vérifier si les faits supposés ou retenus par le ministre sont réels et ont été appréciés correctement en tenant compte du contexte où ils sont survenus, et après cette vérification, elle doit décider si la conclusion dont le ministre était « convaincu » paraît toujours raisonnable.

[19]          Si cela semble une simplification excessive du droit sur la question, il convient de faire également référence aux conclusions rendues par la Cour d'appel fédérale dans les arrêts Le procureur général du Canada c. Jencan Ltd. et Bayside Drive-In Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national)[5].

[20]          Ces arrêts, qui s'inspirent de la décision rendue par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Tignish Auto Parts Inc. c. Canada (ministre du Revenu national)[6], confirment que la Cour canadienne de l'impôt est tenue d'entreprendre un examen à deux étapes quand elle entend un appel portant sur le règlement d'une question, par le ministre, selon l'alinéa 5(3)b). La première étape - par déférence pour le pouvoir discrétionnaire du ministre - consiste à déterminer si ce pouvoir a été exercé d'une manière judiciaire ou, en d'autres termes, d'une manière conforme à la loi. Un juge de la Cour canadienne de l'impôt est fondé à intervenir dans le règlement du ministre seulement s'il est établi que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi. La Cour canadienne de l'impôt peut passer à la deuxième étape de l'examen - qui porte sur le bien-fondé du règlement du ministre - uniquement lorsqu'il est établi que le ministre a exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière contraire à la loi, c'est-à-dire lorsqu'il est établi que le ministre :

(i)             a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites;

(ii)            n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii);

(iii)           a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[21]          Sur la foi de ce qui précède, notre cour n'a compétence pour examiner le bien-fondé du règlement du ministre en l'espèce que si le ministre a tenu compte d'un facteur non pertinent. Autrement dit, dans la présente espèce, rien n'indique que le ministre a agi de mauvaise foi ou dans un but illicite, et je suis en outre convaincu que le ministre a été en mesure de prendre en compte toutes les circonstances pertinentes lorsque la décision a été rendue. L'avocat de l'intimé n'a reconnu qu'un seul facteur pivot, de sorte qu'il s'agit seulement de savoir si ce facteur est pertinent.

[22]          Je ne vois pas comment une circonstance qui se rapporte seulement à un laps de temps ne faisant pas partie de la période d'emploi considérée en l'espèce peut être pertinente comme circonstance de cet emploi pour cette période lorsque tout indique que les modalités de cet emploi pour cette période dénotent une absence de lien de dépendance. Si le contrat ne reflétait pas un arrangement dénotant une absence de lien de dépendance, cela pourrait être expliqué par rapport à des travaux accomplis hors de la période contractuelle stipulée. Par exemple, si le taux de rémunération était trop élevé pour une période spécifiée, des travaux accomplis pour cet employeur hors de cette période à un taux inférieur à un taux dénotant une absence de lien de dépendance seraient pertinents quant à savoir si les modalités du contrat pour la période spécifiée indiquent une absence de lien de dépendance ou si la durée et les taux spécifiés étaient authentiques. Un autre exemple serait un cas dans lequel l'aspect saisonnier d'un contrat d'emploi était suspect parce que cet emploi particulier ne ferait généralement pas l'objet d'un contrat saisonnier. Dans un tel cas, des travaux accomplis hors de la période de l'emploi saisonnier seraient pertinents quant à savoir si les modalités du contrat pour la période spécifiée dénotent une absence de lien de dépendance ou si la durée spécifiée du contrat est authentique. En l'espèce, le caractère saisonnier du travail est admis. On ne met pas en doute le fait que les services de l'appelante sont nécessaires et que l'appelante est capable de fournir ces services durant la période d'emploi d'environ six mois chaque année. Les modalités de l'engagement durant la période d'emploi, par exemple les heures travaillées et la rémunération versée par rapport aux fonctions remplies, ne sont pas très différentes des modalités qui se seraient appliquées si une personne sans lien de dépendance avait été employée. En fait, les modalités de l'emploi de l'appelante étaient la norme dans la région. L'avocat de l'intimé n'a pas contesté la preuve sur ces points. De plus, j'ai conclu que les services de l'appelante ou d'une personne sans lien de dépendance n'étaient pas nécessaires durant la morte-saison. La clientèle obtenue grâce à l'aide occasionnelle de l'appelante ne justifiait pas de retenir les services de l'appelante ou de qui que ce soit d'autre. L'activité commerciale de l'employeur durant la morte-saison ne justifiait pas d'embaucher un travailleur suppléant, que l'appelante ait ou non aidé occasionnellement, et le ministre le savait[7]. Cela souligne le caractère non pertinent de l'hypothèse du ministre énoncée à l'alinéa u) de la réponse à l'avis d'appel.

[23]          Des membres d'une famille fournissent souvent à une entreprise familiale des services occasionnels sans rémunération. L'appelante ne doit pas être punie pour avoir accepté de répondre au téléphone du bureau ou de s'occuper de quelqu'un ayant appuyé sur la sonnette du bureau dans la mesure où c'était aussi peu fréquent que l'indique la preuve en l'espèce. Si une personne sans lien de dépendance était employée sur une base saisonnière durant les périodes de pointe et de ralentissement et que cette personne demandait des prestations d'assurance-emploi pour la morte-saison, le caractère non pertinent de l'aide fournie par l'appelante durant la morte-saison serait évident. Le fait que ce soit moins évident dans le cas où la personne employée est l'appelante ne rend pas cet aspect plus pertinent à mon avis.

[24]          En exerçant le pouvoir discrétionnaire que lui confère l'alinéa 5(3)b), le ministre doit être convaincu qu'il est raisonnable de conclure qu'une partie sans lien de dépendance aurait conclu un contrat de travail semblable, comme dans le cas de l'appelante en l'espèce, et le ministre doit tenir compte « de toutes les circonstances » , c'est-à-dire de toutes les circonstances de l'emploi en cause. Le contrat d'emploi en cause dans la présente espèce va de mai à octobre et non de novembre à avril inclusivement. À mon avis, en exerçant son pouvoir discrétionnaire dans ce cas-ci, le ministre a pris en compte comme facteur pivot une circonstance (l'aide occasionnelle fournie par l'appelante durant la morte-saison) qui n'était pas pertinente relativement à l'exercice du pouvoir discrétionnaire du ministre. Vu ces conclusions, il m'est permis de me prononcer sur le fond, et j'accueillerais l'appel. En se basant sur le fond de cette affaire, il est raisonnable de conclure que l'appelante et Ontario Limited auraient conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu de lien de dépendance.

[25]          J'ajoute que je suis conforté dans cette conclusion par le jugement Rita Harvey c. M.R.N.[8]. Dans cette cause-là, le juge en chef adjoint Bowman a pris en compte des faits semblables à ceux de la présente espèce. Il s'agissait d'une dame qui travaillait pour son mari dans une ferme céréalière et qui était payée à toutes les deux semaines selon un taux fixe. Il n'y avait aucun registre des heures effectivement travaillées, et aucune supervision n'était exercée. Les heures travaillées n'étaient pas régulières. Ce n'était pas un travail de 9 heures à 5 heures. L'importance du travail pour l'employeur était la même que si le travail avait été accompli par une personne sans lien de dépendance. Rien n'indiquait que le taux horaire n'était pas un taux dénotant une absence de lien de dépendance. Bien qu'il y ait eu un contrat de travail à temps partiel dans l'année considérée, l'appelante dans cette cause-là avait, sans rémunération, accompli des travaux semblables pour son mari au cours d'une année précédente. Le fait qu'elle avait alors travaillé sans rémunération n'avait pas d'incidence quant à savoir si un contrat semblable aurait été conclu par des parties sans lien de dépendance. On a conclu dans cette affaire que le ministre n'avait pas exposé de raisons indiquant que les parties au contrat n'auraient pas conclu le même arrangement si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance. L'analyse faite dans cette affaire par le juge en chef adjoint Bowman met l'accent sur l'absence totale de pertinence des facteurs pris en compte par le ministre dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire. Dans cette affaire, tout comme dans la présente espèce, les modalités du contrat particulier étaient des modalités dénotant une absence de lien de dépendance. Dans de telles circonstances, le fait qu'un contrat semblable aurait été conclu entre des parties sans lien de dépendance ne doit pas être passé sous silence sous prétexte que, en dehors de la durée du contrat, des membres d'une famille peuvent occasionnellement travailler l'un pour l'autre sans rémunération et le font effectivement. En soi, une telle circonstance n'est pas un facteur pertinent dans la détermination de la nature du contrat considéré.

[26]          Par conséquent, l'appel est accueilli.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet 2001.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 20e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-99(EI)

ENTRE :

RANJU VERMA,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 29 mai 2001 à St. Catharines (Ontario), par

l'honorable juge J. E. Hershfield

Comparutions

Avocat de l'appelante :                Me Paul M. Bauerle

Avocat de l'intimé :                     Me Ernest Wheeler

JUGEMENT

          L'appel est accueilli et le règlement par le ministre que l'appelante n'exerçait pas un emploi assurable dans les périodes pertinentes est modifié, conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de juillet 2001.

« J. E. Hershfield »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de mars 2002.

Mario Lagacé, réviseur




[1] Cela est compatible avec l'hypothèse c) de la réponse à l'avis d'appel, sauf que cette hypothèse indique qu'aucune entreprise n'est exploitée d'octobre à mai.

[2] L'appelante n'était pas signataire autorisée aux fins bancaires. Santosh signait les chèques de paye faits à toutes les deux semaines, et l'appelante les déposait dans son propre compte bancaire. Ces paiements étaient effectués régulièrement, d'une manière qui dénote une absence de lien de dépendance.

[3] Le témoignage de l'enquêteur n'était pas clair sur ce point. À un moment donné, l'enquêteur a déclaré que Naresh lui avait dit qu'il faisait occasionnellement de petits travaux pour des motels de la région, mais, à un autre moment, il a déclaré que Naresh lui avait dit qu'il faisait seulement de petits travaux autour du motel.

[4] C.A.F., no A-392-98, 28 mai 1999 ([2000] 246 N.R. 176).

[5] [1998] 1 C.F. 187 ([1997] 215 N.R. 352); C.A.F., no A-626-96, 25 juillet 1997 ([1998] 218 N.R. 150).

[6] C.A.F., no A-555-93, 25 juillet 1994 ([1994] 185 N.R. 73).

[7] Je renvoie de nouveau à l'hypothèse c) de la réponse à l'avis d'appel. Dans cette hypothèse, on semble admettre ma conclusion selon laquelle un travailleur suppléant n'était pas nécessaire durant la morte-saison.

[8] [1995] A.C.I. no 916.

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.