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Date: 20000531

Dossier: 98-2650-IT-I

ENTRE :

KEITH WHYBROW,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Pour l'appelant : l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée : Me Scott Simser

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audienceà Toronto (Ontario) le 18 avril 2000)

Le juge McArthur, C.C.I.

[1]            Le ministre du Revenu national a établi à l'égard de l'appelant, en sa qualité d'administrateur de 954228 Ontario Limited, une cotisation dans laquelle il a réclamé approximativement 10 000 $, plus la somme de 4 000 $ au titre des pénalités et des intérêts, pour avoir omis de lui remettre l'impôt sur le revenu retenu sur les salaires des employés. L'appelant soutient qu'il a satisfait à la norme requise pour échapper à la responsabilité prévue au paragraphe 227.1(3) de la Loi de l'impôt sur le revenu, la disposition relative à la diligence raisonnable. En outre, il fait valoir qu'il a remis sa démission à titre d'administrateur de 954228 le 21 mars 1995, soit plus de deux ans avant que soit établi l'avis de cotisation du 21 juillet 1997, et qu'il échappe donc à la responsabilité aux termes du paragraphe 227.1(4) de la Loi. L'appelant a comparu pour son compte et il a été le seul témoin.

[2]            Les faits qui ont été établis devant moi sont notamment les suivants. Lors de la création de 954228 en 1992, l'appelant détenait 25 % des actions et il était un administrateur de la société. Celle-ci exploitait une salle de billard sous la dénomination de Blues & Cues. Elle a perdu de l'argent en 1992 et en 1993, puis a réalisé un faible bénéfice — 1 600 $ — en 1994. L'appelant et Gene Lew ont été chargés de l'exploitation jusqu'en février ou mars 1995; les frères Joe et Tom Kovacevic, qui étaient chargés des questions financières, ont alors pris la relève car ils étaient insatisfaits de la gestion de l'appelant et de M. Lew.

[3]                 Blues & Cues, qui comptait de 20 à 30 employés, a omis de remettre les retenues faites au titre de l'impôt sur le revenu ainsi que les cotisations au Régime de pensions du Canada et au régime de l'assurance-emploi pour les mois de juillet, septembre et décembre 1994, et pour trois mois en 1995, y compris, je crois, les mois de février et mars. Au mois de mars 1995, l'appelant ne prenait plus aucune part active à la gestion. Dans son avis d'appel, il a indiqué qu'après cette date il avait régulièrement et à maintes reprises exigé en vain de M. Kovacevic qu'il lui remette des renseignements de nature comptable et qu'il acquitte tous les montants dus aux ministères gouvernementaux concernés. Au mois de juillet 1995 à peu près, grâce aux efforts de l'appelant, les actionnaires ont reçu d'un tiers une offre d'achat de l'entreprise. M. Kovacevic a exercé son droit d'égaler l'offre du tiers conformément à l'accord de financement, mais il a par la suite omis de signer les contrats, comme le prévoyait l'accord, niant par conséquent à l'appelant et à la société la possibilité d'acquitter toutes les dettes existantes.

[4]            Au mois d'avril 1996, l'appelant a reçu de Revenu Canada des lettres portant sur la responsabilité des administrateurs relativement aux retenues à la source impayées. Il a répondu rapidement à chaque lettre. Aujourd'hui, il invoque une télécopie (pièce A-4) qu'il aurait transmise à Paul Chadwick le 21 mars 1995, et qui est reproduite ci-après :

                                [TRADUCTION]

À L'INTENTION DE : PAUL CHADWICK

DE : KEITH WHYBROW

OBJET : 954228 ONTARIO INC. S/N BLUES & CUES MISSISSAUGA

Paul,

Je démissionne comme administrateur de la société susmentionnée, et ma démission entre en vigueur immédiatement. Auriez-vous l'obligeance d'effectuer les écritures et les déclarations appropriées.

Je vous prie d'accepter, Paul, l'expression de mes sentiments distingués.

Keith Whybrow

Original transmis par courrier ordinaire

[5]            L'avocat de l'intimée fait valoir que cette démission n'est pas authentique et qu'il s'agit d'une invention. Je souscris à cette thèse pour les motifs suivants. Aucune preuve corroborante n'est venue confirmer l'authenticité du document. Aucun original n'a été produit, et la lettre n'est pas signée. Il n'y a pas de copie de l'original, ni confirmation que la lettre a été transmise par télécopieur; elle a censément été envoyée au procureur de la société, Me Chadwick, mais il n'y a jamais été donné suite. À ce chapitre, on ne peut dire avec certitude si Me Chadwick représentait les frères Kovacevic uniquement ou s'il représentait aussi la société. Son rôle n'était pas clairement défini. Dans son compte détaillé (pièce A-5), Me Chadwick renvoie aux tâches suivantes, accomplies les 21 et 22 mars 1995 :

                               

                                [TRADUCTION]

21 mars 1995

CONVERSATION AU TÉLÉPHONE AVEC CLIENT

À Keith, objet : remise de garantie de 20 000 $ à la banque;

21 mars 1995

RENCONTRE AVEC CLIENT

Rencontre avec Tom Kovacevic; informé de l'impossibilité de communiquer les registres des procès-verbaux; convenu de fournir copies des délibérations consignées dans le registre des procès-verbaux et rédaction d'une convention des actionnaires;

22 mars 1995

CONVERSATION AU TÉLÉPHONE AVEC CLIENT

Gene et Keith, objet : questions relatives à la société

22 mars 1995

PRÉPARATION DE DOCUMENTS

Préparation de documents;

22 mars 1995

CORRESPONDENCE

lettre à Tom, objet : registre des procès-verbaux

22 mars 1995

CONVERSATION AU TÉLÉPHONE AVEC CLIENT

À Keith, objet : qualité de dirigeant et d'administrateur;

Ce compte, dressé par Me Chadwick, est tellement détaillé que l'on peut difficilement croire que l'avocat aurait omis d'y mentionner un élément aussi important que la démission d'un administrateur. Dans une lettre datée du 22 mars 1995, à titre de procureur des Kovacevic, Me Chadwick a offert à l'appelant la somme de 10 000 $ en retour, notamment, de sa démission. L'appelant a refusé l'offre. Cette lettre (pièce A-6) est libellée en partie dans les termes suivants :

                                [TRADUCTION]

[...] Tom Kovacevic et Joe Kovacevic nous ont donné le mandat de prendre les mesures nécessaires ou souhaitables pour que Keith Whybrow et Gene Lew ne soient plus administrateurs, dirigeants et actionnaires de la société et qu'ils ne détiennent plus le moindre droit ou participation relativement à Blues and Cues à Mississauga.

[6]            En 1996, l'appelant a institué, je crois, une action contre Tom Kovacevic à la cour des petites créances. Dans sa déclaration, il a indiqué qu'il était actionnaire et administrateur de 954228. Il est peu probable qu'il ait démissionné et permis ainsi aux frères Kovacevic de devenir les administrateurs majoritaires. Après le mois de mars 1995, il a essayé très activement de se tenir au fait des finances de l'entreprise. Il est important de noter que c'est pendant qu'il était un administrateur interne actif que la plupart des montants en cause n'ont pas été remis. Le mal a été fait lorsque l'appelant était à la tête des finances.

[7]            En ce qui concerne la défense de diligence raisonnable, je conclus encore une fois que l'appelant n'en a pas établi le bien-fondé. La décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Soper c. Canada[1]offre des indications sur les principes auxquels est assujetti le comportement des administrateurs lorsqu'il s'agit d'appliquer le critère de la diligence raisonnable. Suivant ces principes, notamment, la norme de prudence est souple, et celui qui effectue l'analyse doit prendre toutes les circonstances en considération. La norme de prudence relative à la responsabilité des administrateurs est en partie objective et en partie subjective. Dès qu'il est ou qu'il devrait être au courant de l'existence de problèmes concernant les remises, l'administrateur a une obligation expresse d'agir. La norme de prudence qui s'applique à l'administrateur interne est plus rigoureuse que celle à laquelle est tenu l'administrateur externe.

[8]            En 1994, l'appelant connaissait l'existence d'un problème concernant les remises et il avait une obligation expresse d'agir. Il a agi avec vigueur après le mois d'avril 1995, mais le mal avait alors été fait et il était trop tard. Il participait très activement à la gestion quotidienne de la société avant le mois d'avril 1995, mais il a choisi de ne rien faire pour que les montants dus au ministre soient payés au complet au cours de cette période. Ses actions, après qu'il eut cessé de s'occuper activement de la gestion, n'ont eu aucune fin utile.

[9]            La présente affaire, comme la plupart des affaires portant sur la responsabilité des administrateurs, est un cas d'espèce. L'appelant était l'un des deux gérants d'une salle de billard avec bar. Au cours de la période où il en a assumé la responsabilité, l'entreprise comptait de 20 à 30 employés. L'appelant savait que les retenues à la source étaient effectuées, mais qu'elles n'étaient pas remises à Revenu Canada. De toute évidence, il avait une liste de priorité des créanciers et une partie de l'argent qui a été perçu sur les salaires des employés pour Revenu Canada a servi à payer d'autres créanciers. Le point de vue du juge Bowman sur la défense de diligence raisonnable est utile. Dans l'affaire Jeffs c. La Reine[2], il a dit ceci :

Qu'aurait fait une personne raisonnable se trouvant dans la position de l'appelant à l'époque pour veiller à ce que le gouvernement touche la taxe qui lui était due?

Dans l'arrêt Cloutier et al. v. M.N.R., 93 DTC 544, j'ai exposé l'approche que j'ai suivie dans ces cas-là, aux pages 545 et 546 :

Il s'agit donc de trancher une question de fait; la Cour doit essayer, dans la mesure du possible, de déterminer ce qu'une personne raisonnablement prudente aurait dû et aurait pu faire à l'époque dans des circonstances comparables. Les tentatives faites par les tribunaux pour évoquer l'hypothétique personne raisonnable ne se sont pas toujours soldées par une réussite incontestable. Des critères ont été élaborés, affinés et réitérés de manière à donner au processus une apparence de rationalité et d'objectivité, mais, en fin de compte, le juge chargé de rendre une décision doit appliquer ses propres notions du bon sens et de l'équité. Il est facile de faire preuve de sagesse après coup. Le tribunal doit essayer d'éviter de se demander : qu'aurais-je fait en sachant ce que je sais maintenant? Ce n'est pas ce genre de jugement ex post facto qu'il nous faut porter en l'espèce. Bien des décisions subjectives qui se révèlent ultérieurement mauvaises n'auraient pas été prises si, au moment de les prendre, la personne avait su ce qui allait se passer ensuite.

[10]          Dans la présente affaire, l'appelant a été, pendant le plus gros de la période en cause, un administrateur interne au sens où ce terme a été décrit dans l'affaire Soper. Il savait que l'entreprise éprouvait des difficultés financières. Il savait qu'il y avait plusieurs mois où les retenues à la source n'avaient pas été remises. Jusqu'au mois de février 1995, il n'a pris aucune mesure ou, à tout le moins, aucune mesure positive suffisante pour que les montants dus à Revenu Canada soient acquittés. Lorsqu'il a été écarté de la gestion au mois de mars 1995, alors que l'entreprise devait déjà un montant équivalant à cinq mois de retenues, il a commencé à demander à la nouvelle gestion de régler l'arriéré. Cela n'est pas faire preuve de diligence raisonnable. L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 31e jour de mai 2000.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 5e jour d'avril 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

98-2650(IT)I

ENTRE :

KEITH WHYBROW,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Appel entendu le 18 avril 2000 et jugement rendu oralement

le 20 avril 2000 à Toronto (Ontario),

par l'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions

Pour l'appelant :                                        L'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                                   Me Scott Simser

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JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation d'impôt établie en vertu de l'article 227.1 de la Loi de l'impôt sur le revenu, dont l'avis est daté du 21 juillet 1997 et porte le numéro 00327, est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de mai 2000.

« C .H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour d'avril 2002.

Mario Lagacé, réviseur




[1]               [1998] 1 C.F. 124 (97 DTC 5407).

[2]               C.C.I., no 98-644 (GST)I, 5 mai 1999 ([1999] G.S.T.C. 48).

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