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Date: 20010629

Dossier: 2000-4092-IT-I

ENTRE :

ALWYN B. GILL,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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                                Pour l'appelant :                                     L'appelant lui-même

                                Avocat de l'intimée :                             Me John O'Callaghan

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Motifsdu jugement

(Rendus oralement à l'audience à Edmonton (Alberta), le mardi 27 février 2001)

Le juge Margeson, C.C.I.

[1]            L'affaire sur laquelle la Cour doit maintenant statuer est intitulée Alwyn Gill c. Sa Majesté la Reine, 2000-4092(IT)I. La seule question est de savoir si l'appelant a convaincu la Cour selon la prépondérance des probabilités qu'il avait droit à la perte déductible au titre d'un placement d'entreprise ( « PDTPE » ) qu'il avait indiquée dans sa déclaration de revenu pour l'année d'imposition 1998.

[2]            La Cour fait remarquer que l'épouse de l'appelant aurait été un témoin très important en l'espèce. En témoignant, l'épouse de l'appelant pourrait avoir été en mesure de corroborer le témoignage de l'appelant quant à l'intention des parties. Elle pourrait avoir expliqué pourquoi il n'y avait aucun document énonçant les modalités de la prétendue fiducie et, notamment, l'objet des prêts.

[3]            L'avocat du ministre n'a pas soulevé cette question, mais on aurait pu raisonnablement s'attendre que l'appelant le fasse. L'épouse de l'appelant n'était pas à l'audience, et l'on n'a pas expliqué pourquoi elle n'était pas venue étayer le témoignage de l'appelant lui-même. La preuve était très faible quant à l'existence d'un contrat de fiducie ou quant à savoir ce que les modalités pouvaient être.

[4]            La seule preuve de l'existence d'une fiducie tient à ce que l'appelant lui-même a dit. La seule preuve documentaire de l'existence d'un contrat de fiducie (la Cour ne considère pas qu'il s'agit d'un contrat de fiducie) est le document mentionné aux pages 53-54 des pièces de l'appelant. Ce document indiquait simplement que les parties entendaient que les actions puissent être détenues en fiducie, mais il n'y avait aucune déclaration de fiducie, et il n'y avait aucune précision quant à savoir ce qu'était la fiducie. Il faut pouvoir prouver quels étaient les objets de la fiducie.

[5]            Comme la conjointe de l'appelant n'a pas témoigné, on pourrait conclure que son témoignage pourrait avoir nui à la cause de l'appelant.

[6]            La Cour a écouté attentivement la déposition de l'appelant et a donné à ce dernier toutes les chances de produire des éléments de preuve lui permettant de s'acquitter de la charge qui lui incombait d'établir que la cotisation du ministre était erronée.

[7]            Les arguments que l'avocat de l'intimée a présentés dans son sommaire étaient détaillés et étaient des arguments de poids, du point de vue de la Cour, et l'avocat de l'intimée a fait référence à un certain nombre de jugements à l'appui de sa position.

[8]            Du point de vue de la Cour, l'appelant a deux problèmes. Premièrement, il doit prouver qu'il était un actionnaire. Deuxièmement, concernant la façon dont il convient de considérer le prêt, il doit prouver que le prêt a été accordé et qu'il l'a été en vue de gagner un revenu. Il incombe à l'appelant de prouver cela.

[9]            La Cour n'est pas convaincue que l'appelant s'est acquitté de la charge de prouver qu'il était un actionnaire. Tout d'abord, la Cour ne peut se fonder sur aucun contrat de fiducie qui indique d'une manière claire et précise l'existence d'une fiducie et l'objet de celle-ci. La Cour considère que le document qui figure à la page 53 ou 54 des pièces de l'appelant n'est pas suffisant à cet égard. Ce n'est rien de plus qu'une déclaration d'intention. Ce document n'est pas suffisant pour répondre aux exigences quant à l'existence d'un contrat de fiducie acceptable.

[10]          En outre, certains éléments de preuve semblent contredire la position de l'appelant selon laquelle c'était lui et non son épouse qui était en fait l'actionnaire. Encore là, son épouse n'était pas à l'audience pour contredire cela. Par contre, certains documents juridiques mentionnés dans les propres pièces de l'appelant contrediraient cela. Dans un cas, il s'agissait d'un moyen de défense indiquant que le vendeur des actions était l'épouse de l'appelant et non l'appelant.

[11]          Il semblerait sur la foi de la preuve que l'appelant considérait que les actions lui appartenaient — qu'elles n'appartenaient pas à son épouse ou n'étaient pas détenues en fiducie pour elle — lorsque c'était commode, sinon les documents indiquaient que les actions étaient vendues par l'épouse et appartenaient à cette dernière. Rien dans ces documents ne convaincrait la Cour que les actions étaient destinées à appartenir à l'appelant et lui appartenaient effectivement et que, à cause d'une négligence ou d'une méprise ou pour quelque autre raison, on n'avait pas expressément déclaré qu'il devait en être ainsi. Il y a en fait des documents qui tendent à indiquer le contraire.

[12]          Les raisons que l'appelant a données initialement quant à savoir pourquoi il faisait un investissement ne répondent pas vraiment aux questions qui ont été posées. Il se peut très bien que l'appelant se soit attendu qu'à la longue l'entreprise gagne de l'argent et qu'il en bénéficie, mais il n'y avait rien dans une déclaration ou un document quelconque qui indiquerait que c'était à cette fin que l'appelant avait accordé le prêt ou une partie de celui-ci.

[13]          L'avocat de l'intimée a fait référence à l'affaire Cadillac Fairview Corp. Ltd. c. La Reine, C.A.F., no A-282-96, 25 janvier 1999 (1999 CarswellNat 75), et a argué que, compte tenu des faits de cette affaire, l'appelant en l'espèce a un problème. Il faudrait que la Cour soit convaincue que, lorsqu'il a consenti le prêt, l'appelant avait conclu un arrangement en matière de paiement qui indiquait comment l'appelant serait remboursé, d'où venait l'argent, quel serait le taux d'intérêt et qu'est-ce que l'appelant pouvait raisonnablement s'attendre à tirer du prêt; il faudrait en outre que l'appelant puisse prouver que l'objet des garanties et du prêt subséquent était de gagner un revenu. La Cour n'est pas convaincue quant à savoir pourquoi le prêt a été consenti ou s'il a été consenti pour gagner un revenu.

[14]          L'avocat de l'intimée a également fait référence à l'affaire Helen Lepp c. La Reine, C.C.I., no 97-2884(IT)I, 13 janvier 1999 (1999 CarswellNat 2897). Dans cette affaire, la Cour avait statué qu'il ne devait y avoir aucun doute quant à l'objet du prêt pour que les intérêts soient déductibles. Elle avait conclu que, en fait ou en droit, l'objet de la garantie était non pas de gagner un revenu, mais simplement d'aider l'époux de l'appelante et sa société. Dans la présente espèce, pour que le prêt soit considéré comme ayant donné lieu à une PDTPE, il doit être établi que l'argent obtenu par suite de la garantie a été utilisé en vue de gagner un revenu.

[15]          Il incombe à l'appelant d'établir que le prêt a été consenti à cette fin. Une documentation appropriée permettrait d'établir cela. En l'espèce, il n'y a guère d'éléments de preuve qui établissent l'objet du prêt. Un prêt peut être consenti à des fins autres que gagner un revenu. On peut prêter l'argent pour la constitution d'un capital social. On peut prêter l'argent pour veiller à ce que la société demeure en activité. Il appartient à l'appelant d'établir que le but était de gagner un revenu.

[16]          Sur la foi des faits de l'espèce, la Cour est convaincue qu'il ne s'agissait pas d'un projet comportant un risque de caractère commercial. L'appelant lui-même n'exploitait pas une entreprise consistant à prêter de l'argent, et c'est lui qui doit établir que l'argent a été prêté en vue de gagner un revenu. La Cour n'est pas convaincue qu'il l'a fait.

[17]          Dans l'affaire John Strecker c. La Reine, C.C.I., no 94-406(IT)I, 12 août 1994 (1994 CarswellNat 1085), la Cour avait statué qu'elle n'était pas convaincue que la garantie avait été donnée dans un but commercial. Quand on donne une garantie, quand on prête de l'argent à une entreprise, que ce soit la sienne ou celle d'une autre, ou quand on investit dans une entreprise, sur le marché des valeurs mobilières ou ailleurs, il devrait être relativement simple d'établir à quelle fin la garantie a été donnée ou à quelle fin l'argent a été prêté ou investi. Il n'est pas suffisant d'alléguer d'une manière générale que la partie appelante s'attendait à recevoir une part des profits à un moment donné ou d'arguer qu'il y avait une certaine contrepartie à la garantie donnée. Ce n'est pas suffisant. Il faut pouvoir établir avec précision quel était l'objet de l'opération et pouvoir démontrer avec précision qu'il y a eu défaillance et que le contribuable demandant la déduction a subi une perte à cause de cette défaillance.

[18]          En l'espèce, tout comme dans l'affaire Strecker, précitée, la Cour est convaincue qu'il n'y avait pas de contrat verbal ou écrit quant aux modalités de la participation de l'appelant ou quant à savoir quel pouvait être l'objet du prêt.

[19]          L'affaire La Reine c. Edwin Byram, C.A.F., no A-684-94, 25 janvier 1999 (1999 CarswellNat 77), concernait un revenu en dividendes. Il semble ressortir clairement de la jurisprudence que, si l'on peut prouver que c'était en vue de gagner un revenu en dividendes que l'on avait investi l'argent dans la société dans laquelle on était un actionnaire, cela satisfait aux exigences. Mais dans la présente espèce, encore là, la Cour n'avait pas assez de preuves pour conclure sans risque d'erreur que c'était en vue de gagner un revenu que l'appelant avait prêté ou avancé l'argent ou qu'il avait garanti le prêt. L'appelant lui-même a dit qu'ils n'avaient pas décidé de tous les faits et de toutes les conditions, quant à savoir comment ils obtiendraient l'argent ou comment ils pensaient pouvoir gagner de l'argent. Ces omissions sont fatales pour la cause de l'appelant en l'espèce.

[20]          L'affaire William J. McKissock c. La Reine, C.C.I., no 96-593(IT)I, 19 septembre 1996 (1996 CarswellNat 2190), traitait du fait que, quoique la totalité des sommes puisse ne pas être déductible, une partie peut l'être. Mais encore là, dans la présente espèce, il incombe à l'appelant d'établir ce qui est déductible. L'appelant cherchait à convaincre la Cour qu'il était en droit de déduire la totalité de la somme avancée. La preuve indiquait bien clairement qu'une partie de la somme avancée provenait des parts de profit de l'appelant et de sa conjointe dans la vente du domicile conjugal. Il n'est guère suffisant dans de telles circonstances de dire simplement que l'épouse s'était engagée à rembourser l'appelant et de déclarer devant la Cour que l'appelant n'a pas encore été remboursé.

[21]          Même si la Cour pouvait conclure qu'une partie de la somme plutôt que la totalité serait admissible comme PDTPE, il faudrait quand même que la Cour soit convaincue que l'appelant en l'espèce était un actionnaire. La Cour a déjà conclu que tel n'était pas le cas.

[22]          L'affaire Barnes c. M.R.N., C.C.I., no 84-1576(IT), 19 juin 1986 (1986 CarswellNat 424), indique clairement que trois conditions sont essentielles à la création d'une fiducie : a) la certitude quant à l'intention b) la certitude quant à la chose visée et c) la certitude quant à l'objet. La Cour convient avec l'avocat de l'intimée que, en l'espèce, la certitude quant à l'intention n'a pas été établie selon la prépondérance des probabilités. La certitude quant à la chose visée existe probablement, car il s'agissait avant tout de la propriété des actions, mais la certitude quant à l'objet de la fiducie fait problème, c'est-à-dire quant à savoir premièrement quel était l'objet du contrat de fiducie et, deuxièmement, quel était l'objet du prêt.

[23]          L'appelant reconnaissait qu'il avait manqué de précision. Il a dit qu'il avait peut-être mal rempli la déclaration de revenu, mais, assurément, lorsque la déclaration de revenu est produite, il est essentiel de savoir si les actions sont détenues en fiducie ou non. S'il devait y avoir un gain en capital, qui le déclarerait? S'il y avait un contrat de fiducie approprié, il serait répondu à cette question. Sinon, comment le ministre saurait-il qui était censé déclarer le gain en capital?

[24]          La Cour a beaucoup de mal à croire qu'un comptable agréé ayant de l'expérience à l'égard de telles questions permettrait qu'une déclaration de revenu soit produite comme ce fut le cas en l'espèce, en tenant compte du fait qu'il y avait une possibilité de PDTPE et que quelqu'un devrait déclarer le gain en capital, le cas échéant, si la position de l'appelant était soutenable.

[25]          La déclaration de revenu modifiée fait également problème. L'appelant disait qu'il avait produit une déclaration de revenu modifiée. Il est possible que la déclaration modifiée ait simplement été une demande visant à faire en sorte que la PDTPE puisse être calculée et à ce que celle-ci règle la question du gain en capital qui aurait résulté de la vente des actions. Encore là, toutefois, la Cour n'est pas convaincue quant à savoir exactement ce qui a été produit et ce qui ne l'a pas été. Si l'appelant avait produit une déclaration de revenu modifiée, il aurait pu en fournir une copie à la Cour pour lui montrer ce qui avait été fait.

[26]          La Cour considère que l'appelant n'a pas établi selon la prépondérance des probabilités qu'il était un actionnaire. Elle estime que l'appelant n'a pas prouvé que le prêt avait été consenti en vue de gagner un revenu.

[27]          La Cour n'a pas à déterminer à ce stade si l'épouse de l'appelant a droit ou non à une PDTPE. Elle est toutefois convaincue que la preuve indique que le détenteur et propriétaire des actions était l'épouse de l'appelant et non l'appelant. Il appartient à l'épouse de l'appelant de prendre les mesures qu'elle juge appropriées dans les circonstances. Il y a en l'espèce des éléments de preuve importants qui indiquent que l'actionnaire était en fait l'épouse de l'appelant. La Cour ne tranche pas la question de savoir si l'épouse de l'appelant avait droit à une PDTPE, car ce n'est pas une question dont la Cour est saisie.

[28]          En conséquence, la Cour conclut que l'appelant ne s'est pas acquitté de la charge qui lui incombait de prouver que la cotisation du ministre était erronée. La Cour confirmera la cotisation du ministre et rejettera l'appel.

Signé à Sydney (Nouvelle-Écosse), ce 29e jour de juin 2001.

« T. E. Margeson »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 27e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

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