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Date: 20010629

Dossier: 1999-4233-IT-I

ENTRE :

INRO CONSULTANTS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge P. R. Dussault, C.C.I.

[1]            L'appel dont il s'agit est interjeté à l'encontre d'une cotisation établie pour l'année d'imposition 1994 de l'appelante. Au moyen de cette cotisation, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé d'admettre à titre de dépense de recherche et de développement pour les besoins du calcul du crédit d'impôt à l'investissement de l'appelante un montant de 47 341 $ payé à l'Université de Montréal (l' « Université » ). Le ministre a considéré que ce montant représentait un paiement de redevances.

DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

[2]            La version pertinente de l'alinéa 37(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) est ainsi rédigée en partie :

37. (1) Le contribuable qui exploite une entreprise au Canada au cours d'une année d'imposition peut, en présentant le formulaire prescrit contenant les renseignements prescrits avec sa déclaration de revenu prévue à la présente partie pour l'année, déduire dans le calcul du revenu qu'il tire de cette entreprise pour l'année un montant qui ne dépasse pas l'excédent éventuel du total des montants suivants :

a) le total des montants dont chacun représente une dépense de nature courante qu'il a faite au cours de l'année ou d'une année d'imposition antérieure se terminant après 1973 : [...]

(ii) soit sous forme de paiement - devant servir à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental exercées au Canada en rapport avec une entreprise du contribuable, à condition que le contribuable soit en droit d'exploiter les résultats de ces activités [. . .]

(B) une université, un collège, un institut de recherches ou un autre établissement semblable agréés,

                                                [. . .]

Le paragraphe 37(4) est ainsi rédigé :

(4) Aucune déduction n'est permise en vertu du présent article relativement à une dépense faite en vue d'acquérir des droits relatifs à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental ou des droits en découlant.

[3]            Le paragraphe 127(5) porte sur le crédit d'impôt à l'investissement. En vertu du paragraphe 127(9), une dépense admissible pour les besoins d'un crédit d'impôt à l'investissement est une dépense décrite à l'alinéa 37(1)a) mais ne comprend pas une dépense prescrite. En vertu de l'article 2902 du Règlement de l'impôt sur le revenu (le « Règlement » ), une dépense prescrite est :

c) une dépense faite pour l'acquisition de droits dans des activités de recherche scientifique et de développement expérimental ou découlant de telles activités;

HYPOTHÈSES DE FAIT ET PREUVE

[4]            Pour établir la cotisation de l'appelante, le ministre s'est fondé sur les hypothèses de fait que l'on retrouve aux sous-paragraphes 4a) à h) de la réponse à l'avis d'appel, rédigées ainsi :

[TRADUCTION]

a)              L'appelante est constituée en personne morale en vertu de la Loi sur les sociétés par actions et son exercice se termine chaque 31 août;

b)             Le Dr Michael Florian, un professeur à plein temps à l'Université de Montréal, est l'unique actionnaire de INRO HOLDINGS INC. qui à son tour est l'unique actionnaire de l'appelante;

c)              Pendant la première partie des années 80, le Dr Michael Florian et le Dr Heinz Spiess ont développé un programme logiciel connu sous le nom de EMME/2;

d)             EMME/2 est un progiciel d'optimisation du transport urbain permettant à des organismes partout dans le monde, publics et privés, de souligner le moyen de transport optimal pour des entreprises commerciales ou industrielles définies;

e)              Le 15 mars 1988, une entente [subséquemment modifiée le 28 août 1989] a été dûment signée entre l'Université de Montréal et le Dr Michael Florian ainsi que le Dr Heinz Spiess qui prévoyait notamment d'un côté le transfert des droits de propriété de EMME/2 et d'un autre côté une méthode d'allocation des redevances reçues par l'Université de Montréal; la clause 2.01 de l'entente présente un intérêt et est ainsi rédigée :

Clause 2.01:

Tous les droits de propriété des inventeurs, y compris la propriété intellectuelle, découlant de la découverte, sont cédés à l'Université.

f)              Le 15 mars 1988, une entente a été dûment signée entre l'Université de Montréal et INRO CONSULTANTS INC. [l'appelante] prévoyant notamment le droit exclusif mondial de vendre des permis d'utilisation de EMME/2; la clause 2.01 de l'entente présente un intérêt et est ainsi rédigée :

Clause 2.01:

L'Université octroie à la Société une licence exclusive et assujettie à des redevances l'autorisant à vendre la "découverte" sur le territoire mondial. Cette licence exclut le droit de distribuer ou vendre la source de la découverte . . .

g)             Un montant de 47 341 $ payé en 1994 par l'appelante à l'Université de Montréal en vertu de l'entente du 15 mars 1988 représente le paiement de redevances et ne constitue pas une dépense de recherche scientifique et de développement expérimental qui permettrait à l'appelante d'obtenir un crédit d'impôt à l'investissement en ce qui concerne une dépense relative à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental;

h)             la nature du paiement n'est pas modifiée par l'utilisation ultérieure du paiement des redevances.

[5]            M. Michael Florian a été le seul témoin.

[6]            M. Florian a commencé à enseigner l'informatique et la recherche opérationnelle à l'Université à temps partiel en 1968 et à plein temps en 1969. En 1973, le « Centre de recherche sur les transports » (le « CRT » ) a été créé et M. Florian a été nommé son premier directeur, un poste qu'il occupe toujours. Le CRT est un centre de recherche multidisciplinaire ayant son propre budget et il doit rendre compte au « vice-recteur à la recherche » de l'Université. M. Florian était détaché de son département à temps partiel pour travailler au CRT.

[7]            M. Florian a déclaré qu'il avait travaillé sur le projet qui a entraîné le développement du progiciel connu sous le nom de EMME/2 dès 1973. Un certain M. Heinz Spiess, un étudiant au départ et, par la suite, un professeur adjoint au Département d'Informatique et de recherche opérationnelle ainsi qu'un chercheur invité au CRT a développé un produit logiciel. Le code source a été créé entre 1980 et 1983-1984 et a donné lieu à un progiciel EMME initial. La deuxième étape de la recherche concernant le développement de EMME/2 a été financée principalement par les différents paliers de gouvernement au Canada et à l'étranger. Aucuns fonds ne provenaient directement de l'Université.

[8]            Les discussions menant aux deux ententes du 15 mars 1988 entre l'Université et MM. Florian et Spiess et entre l'Université et l'appelante ont débuté en 1985. L'Université était représentée par un avocat, mais les deux autres parties ne l'étaient pas. M. Florian a indiqué dans son témoignage que leur principale préoccupation n'était pas de nature juridique. Comme la recherche est une activité continue, il a déclaré qu'ils souhaitaient disposer d'un courant continu de fonds de recherche et c'est exactement ce qui a été obtenu grâce aux ententes. Selon lui, il s'agissait d'une condition à laquelle était assujettie la vente.

[9]            Les deux ententes sont en français. La première est conclue entre l'Université et MM. Florian et Spiess (pièce R-2). Le préambule précise que MM. Florian et Spiess (les « inventeurs » ) ont développé le progiciel EMME/2 ainsi que le manuel de l'utilisateur dans le cadre du projet de recherche au CRT. Il précise également que les deux parties à l'entente sont réputées posséder les droits de propriété sur le progiciel, que ce dernier présente un intérêt commercial, que les parties ont l'intention de le commercialiser et que l'Université a l'intention de le commercialiser par l'entremise de l'appelante, une société dans laquelle M. Florian possède un intérêt. En outre, le progiciel EMME/2 est défini comme l'invention. Il comprend, entre autres choses, toutes les adaptations, améliorations et versions ultérieures de EMME/2 ainsi que toutes les applications et les utilitaires.

[10]          Comme le précise le sous-paragraphe 4e) de la réponse à l'avis d'appel, tous les droits des inventeurs dans l'invention sont transférés à l'Université par la clause 2.01 de l'entente. La clause 3 prévoit l'allocation des redevances découlant de la commercialisation de l'invention et reçues par l'Université de l'appelante à quatre fonds différents déterminés sur la base de pourcentages fixes pour chacun des six niveaux de redevances reçues. L'un des fonds est désigné au nom de M. Spiess personnellement. Un deuxième fonds est destiné aux montants mis à la disposition de M. Spiess pour ses dépenses courantes à titre de chercheur invité. Le troisième fonds est composé des montants mis à la disposition de M. Florian pour ses dépenses courantes à titre de chercheur et le quatrième est composé des montants mis à la disposition du vice-recteur à la recherche de l'Université pour la mise en place de la politique de l'Université relative à la promotion et au développement des résultats de recherche.

[11]          Selon le témoignage de M. Florian, le montant de 47 341 $ en litige en l'espèce représente le pourcentage des redevances payées par l'appelante à l'Université et allouées à son propre fonds, c'est-à-dire le montant mis à sa disposition pour ses dépenses courantes à titre de chercheur.

[12]          La deuxième entente (pièce R-1) a été conclue entre l'Université et l'appelante. Le préambule mentionne l'entente conclue entre l'Université et MM. Florian et Spiess. Elle précise également l'intention de l'appelant de développer et de vendre des permis d'utilisation du progiciel EMME/2 dans son état de développement actuel et futur. Comme le précise le sous-paragraphe 2f) de la réponse à l'avis d'appel, par la clause 2.01, l'Université accorde à l'appelante un permis exclusif, sous réserve des redevances, de vendre l'invention dans le monde entier. La clause 3.02 stipule que l'appelante doit agir à titre de partie principale et non comme représentante de l'Université. La clause 3.03 établit l'exigence selon laquelle les permis délivrés doivent mentionner les droits de propriété industrielle et intellectuelle de l'Université à l'égard de l'invention. La clause 3.04 comporte une liste des redevances devant être payées, lesquelles sont établies selon un pourcentage des différents niveaux de revenu net tiré de la vente des permis.

ARGUMENTS ET ANALYSE

1)             Thèse de l'appelante

[13]          Le représentant de l'appelante a soutenu que le montant payé à l'Université en 1994 et alloué au fonds de recherche de M. Florian devrait être considéré non pas comme un paiement de redevances, mais plutôt comme une dépense de recherche scientifique et de développement expérimental engagée au profit de l'appelante et qu'il serait donc couvert par l'alinéa 37(1)a) de la Loi. Il a soutenu que l'entente conclue entre l'Université et l'appelante (pièce R-1) devrait être lue conjointement avec celle conclue entre l'Université et les inventeurs (pièce R-2), laquelle prévoit que le montant en litige doit être alloué au fonds de recherche de M. Florian et qu'il sera utilisé à des fins de recherche scientifique et de développement expérimental. Afin d'appuyer sa prétention, le représentant de l'appelante s'est fondé sur la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire La Reine c. Bronfman Trust, [1987] 1 R.C.S. 32, et plus particulièrement sur le passage suivant aux pages 52 et 53 :

                Je reconnais toutefois que, tout comme il y a eu tendance dernièrement à s'éloigner d'une interprétation stricte des lois fiscales (voir Stubart Investments Ltd. c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536, aux pages 573 à 579, et La Reine c. Golden, [1986] 1 R.C.S. 209, aux pages 214 et 215), de même la jurisprudence récente en matière fiscale a tendance à essayer de déterminer la véritable nature commerciale et pratique des opérations du contribuable. En effet, au Canada et ailleurs, les critères fondés sur la forme des opérations sont laissés de côté en faveur de critères fondés sur ce que lord Peace a appelé une [TRADUCTION] « appréciation saine de toutes les caractéristiques directrices » des événements en question : B.P. Australia Ltd. v. Commissioner of Taxation of Australia, [1966] A.C. 224 (P.C.), à la p. 264. Voir aussi F. H. Jones Tobacco Sales Co., [1973] C.F. 825 (D.P.I.), à la p. 834, [1973] C.T.C. 784, à la p. 790 le juge en chef adjoint Noël; Hallstroms Pty. Ltd. v. Federal Commissioner of Taxation (1946), 8 A.T.D. 190 (High Ct.), à la p. 196, le juge Dixon; et Cochrane (Succession) c. Ministre du Revenu national, 76 D.T.C. 1154 (C.R.I.), Me A.W. Prociuk, c.r.

Il s'agit là, je crois, d'une tendance louable, pourvu qu'elle soit compatible avec le texte et l'objet de la loi fiscale. Si, en appréciant les opérations des contribuables, on a présent à l'esprit les réalités commerciales et économiques plutôt que quelque critère juridique formel, cela aidera peut-être à éviter que l'assujettissement à l'impôt dépende, ce qui serait injuste, de l'habileté avec laquelle le contribuable peut se servir d'une série d'événements pour créer une illusion de conformité avec les conditions apparentes d'admissibilité à une déduction d'impôt.

[14]          Le représentant de l'appelante a également mentionné la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Shell Canada Limited c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622 où figure le passage suivant aux paragraphes 39 et 40 (p. 641 et 642) :

                Notre Cour a statué à maintes reprises que les tribunaux doivent tenir compte de la réalité économique qui sous-tend l'opération et ne pas se sentir liés par la forme juridique apparente de celle-ci : Bronfman Trust, précité, aux pp. 52 et 53, le juge en chef Dickson; Tennant, précité, au par. 26, le juge Iacobucci. Cependant, deux précisions à tout le moins doivent être apportées. Premièrement, notre Cour n'a jamais statué que la réalité économique d'une situation pouvait justifier une nouvelle qualification des rapports juridiques véritables établies par le contribuable. Au contraire, nous avons décidé qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire de la Loi ou d'une conclusion selon laquelle l'opération en cause est un trompe-l'oeil, les rapports juridiques établis par le contribuable doivent être respectés en matière fiscale. Une nouvelle qualification n'est possible que lorsque la désignation de l'opération par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables : Continental Bank Leasing Corp. c. Canada, [1998] 2 R.C.S. 298, au par. 21, le juge Bastarache.

Deuxièmement, la jurisprudence fiscale de notre Cour est bien établie : l'examen de la « réalité économique » d'une opération donnée ou de l'objet général et de l'esprit de la disposition en cause ne peut jamais soustraire le tribunal à l'obligation d'appliquer une disposition non équivoque de la Loi à une opération du contribuable. Lorsque la disposition en cause est claire et non équivoque, elle doit simplement être appliquée : Continental Bank, précité, au par. 51, le juge Bastarache; Tennant, précité, au par. 16, le juge Iacobucci; Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312, aux pp. 326, 327 et 330, le juge Iacobucci; Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103, au par. 11, le juge Major; Alberta (Treasury Branches) c. M.R.N., [1996] 1 R.C.S. 963, au par. 15, le juge Cory.

[15]          Toutefois, le représentant de l'appelante a établi une distinction entre l'affaire Shell Canada, précitée et celle en l'espèce au motif que la première concernait des contrats distincts entre les parties qui n'avaient pas de lien de dépendance entre elles alors qu'à son avis, en l'espèce, il y a des transactions simultanées interdépendantes entre des parties qui ont un lien de dépendance. Je noterai simplement que, bien qu'il soit vrai que M. Florian avait un double intérêt, d'abord en tant que chercheur et inventeur du progiciel EMME/2 et ensuite en tant qu'actionnaire de l'appelante, rien dans la preuve n'indique que les parties à la première et à la seconde entente avaient en fait (puisqu'elles n'étaient pas des personnes liées) un lien de dépendance (voir l'alinéa 251(1)b) de la Loi).

[16]          Le représentant de l'appelante s'est également fondé sur le passage suivant figurant au paragraphe 47 (p. 645) de la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Shell Canada, précitée :

... comme le juge en chef Dickson l'a dit clairement dans l'arrêt Bronfman Trust, précité, à la p. 46, la raison pour laquelle un mode d'emprunt est préféré à un autre importe peu pour l'application du sous-al. 20(1)c)(i). Ce qui est déterminant, c'est l'utilisation de la somme empruntée. La raison pour laquelle l'opération d'emprunt est structurée comme elle l'est n'a pas d'importance, pas plus d'ailleurs que la raison pour laquelle l'argent est emprunté.

[17]          En appliquant ces principes en l'espèce, le représentant de l'appelante a insisté sur le fait que l'analyse devrait porter sur les mouvements de fonds, ce qui n'est pas contesté, ainsi que sur l'utilisation de ces fonds pour la recherche scientifique et le développement expérimental comme l'indiquent les deux ententes lorsqu'elles sont lues conjointement. Ainsi, il a soutenu que la désignation de « permis » utilisée dans l'entente conclue entre l'Université et l'appelante (pièce R-1) ne reflète pas correctement l'effet juridique réel, ce qui justifie en conséquence l'établissement d'une nouvelle qualification par la Cour. Selon lui, l'appelante n'a pas acquis de droits dans EMME/2, elle n'a acquis que le droit de le vendre. L'appelante ne cherche qu'à déduire la partie du montant payé à l'Université qui avait été allouée au fonds de recherche de M. Florian, et le représentant de l'appelante a maintenu que le montant ainsi alloué représentait finalement un montant utilisé par l'Université pour des besoins d'activités de recherche scientifique et de développement expérimental effectuées au Canada qui étaient liés à l'entreprise de l'appelante. Le représentant de l'appelante a en outre soutenu que M. Florian n'était pas un contribuable averti, que les deux ententes sont interdépendantes et que l'entente conclue entre l'Université et l'appelante n'aurait jamais été signée si l'autre conclue entre l'Université et les inventeurs ne l'avait pas été.

2)             Thèse de l'intimée

[18]          Selon l'avocat de l'intimée, ce qui importe est la nature du paiement versé par l'appelante à l'Université. D'après lui, il n'y a pas d'ambiguïté dans l'entente qui autoriserait la Cour à examiner les autres documents ou toute autre documentation. Pour lui, il ne s'agit pas non plus d'un problème de « désignation » . L'avocat a également souligné le fait que la Loi ne peut être appliquée différemment selon la question de savoir si les contribuables sont avertis ou non. Il a également soutenu que la nature du paiement n'est pas modifiée par l'utilisation ultérieure qu'en a fait l'Université. Cette dernière a accordé à l'appelante un permis mondial pour vendre l'invention. En contrepartie, l'appelante a accepté des payer des redevances. Selon l'avocat de l'intimée, l'appelante a donc engagé une dépense en vue d'acquérir un permis, laquelle dépense n'est pas déductible en vertu du paragraphe 37(4) de la Loi. L'avocat de l'intimée a soutenu en outre que la relation contractuelle entre l'Université et M. Florian en vertu d'une entente distincte (pièce R-2) n'a aucun rapport dans la détermination de la nature du paiement versé par l'appelante à l'Université.

[19]          En ce qui concerne l'application du paragraphe 37(4), l'avocat de l'intimée a mentionné en particulier les motifs du juge Rip dans l'affaire Halak c. M.R.N., C.C.I., no 86-794(IT), 8 août 1989 (89 DTC 531). Dans cette affaire, la Cour devait déterminer la question de savoir si le paragraphe 37(4) interdisait la déduction de dépenses engagées en vue d'acquérir un brevet pour une invention. L'avocat s'est particulièrement fondé sur le passage suivant des motifs du juge Rip, aux pages 8 et 9 (DTC : à la page 534) :

Les dépenses engagées pour obtenir un brevet ne constituent pas de la recherche scientifique; les dépenses pour des recherches scientifiques sont des dépenses faites pour des recherches scientifiques.

D'après ce que je sais, on accorde un brevet d'invention lorsque l'invention elle-même a été créée. Le brevet suit l'invention qu'on découvre par le biais de la recherche scientifique. Le brevet permet généralement à l'inventeur de bénéficier de certains privilèges, en particulier du droit exclusif d'exploiter cette invention pour en tirer profit pendant un temps limité.

Les dépenses engagées pour l'obtention du brevet l'ont été pour acquérir un droit, le brevet, qui découle de la recherche scientifique. Si Halak n'avait pas tenté ses expériences, il n'aurait pas pu obtenir un brevet. La Loi interdit la déduction de ce genre de dépenses. [Notes en bas de page omises.]

[20]          Pour ce qui est de la nature de la dépense en litige en l'espèce, l'avocat de l'intimée s'est fondé sur plusieurs affaires en maintenant que la nouvelle qualification du montant versé par l'appelante équivaudrait à considérer ce que l'appelante pouvait avoir fait plutôt que ce qu'elle a réellement fait.

[21]          Particulièrement, l'avocat de l'intimée a mentionné les motifs formulés par le juge d'appel Linden de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Canada c. Friedberg, C.A.F., A-65-89, 5 décembre 1991 (92 DTC 6031) (conf. par la Cour suprême du Canada, [1993] 4 R.C.S. 285), à la page 6032, où il a déclaré que :

En droit fiscal, la forme a de l'importance. Une simple intention subjective, en l'espèce comme dans d'autres instances en matière fiscale, ne suffit pas en soi à modifier la caractérisation d'une opération aux fins de l'impôt. Lorsqu'un contribuable prend certaines dispositions formelles à l'égard de ses affaires, il peut s'ensuivre d'importants avantages fiscaux, quand bien même ces dispositions seraient prises principalement dans le but d'éviter des impôts (voir La Reine c. Irving Oil 91 D.T.C. 5106, le juge Mahoney, J.C.A.). Toutefois, si un contribuable omet de prendre les mesures formelles appropriées, peut-être que des impôts devront être payés. S'il n'en était pas ainsi, Revenu Canada et les tribunaux se livreraient à des exercices interminables pour établir les intentions véritables derrière certaines opérations. Les contribuables et la Couronne chercheraient à restructurer des opérations après coup afin de profiter de la législation fiscale ou d'amener les contribuables à payer des impôts qu'ils pourraient autrement ne pas avoir à payer. Bien que la preuve de l'intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d'une intention subjective ne peut servir à « rectifier » des documents qui s'orientent clairement vers une direction précise.

[22]          L'avocat de l'intimée a en outre mentionné les affaires Giguère c. M.R.N., C.C.I., no 90-442(IT), 12 juin 1992 (93 DTC 488) et Entré Computer Centers Inc. c. La Reine, C.C.I., no 93-1190(IT)G, 15 octobre 1996 (97 DTC 846) dans lesquelles ces principes ont été appliqués. Il s'est également fondé sur l'affaire Molinaro c. La Reine, C.C.I., no 96-1523(IT)G, 16 mars 1998 (98 DTC 1636), une décision du juge Bowman (tel était alors son titre) de cette cour appliquant les mêmes principes. Cette décision a été confirmée par la Cour d'appel fédérale, 2000 DTC 6114.

[23]          Enfin, l'avocat de l'intimée s'est fondé sur l'affaire Shell Canada, précitée. Après avoir également cité les passages susmentionnés des motifs de la Cour suprême du Canada, l'avocat a cité le suivant aux paragraphes 45 et 46 (p. 644 et 645) :

Cependant, il ressort des arrêts plus récents de notre Cour qu'en l'absence d'une disposition expresse contraire, il n'appartient pas aux tribunaux d'empêcher les contribuables de recourir, dans le cadre de leurs opérations, à des stratégies complexes qui respectent les dispositions pertinentes de la Loi, pour le motif que ce serait inéquitable à l'égard des contribuables qui n'ont pas opté pour cette solution.[. . .] Sauf disposition contraire de la Loi, le contribuable a le droit d'être imposé en fonction de ce qu'il a fait, et non de ce qu'il aurait pu faire et encore moins de ce qu'un contribuable moins habile aurait fait.

Examiner la « réalité économique » d'une situation donnée, au lieu d'appliquer simplement une disposition claire et non équivoque de la Loi aux opérations juridiques effectuées par le contribuable a des répercussions regrettables en pratique. Cette démarche favorise à tort l'application d'une règle voulant que, s'il existe deux manières de structurer une opération pour produire le même effet économique, le tribunal doive ne tenir compte que de l'option qui ne confère aucun avantage fiscal. Avec égards, cette démarche n'accorde pas l'importance voulue à la jurisprudence de notre Cour selon laquelle, en l'absence de dispositions législatives expresses contraires, le contribuable peut diriger ses affaires de façon à réduire son obligation fiscale. [...]

[24]          En fonction de ce qui précède, l'avocat de l'intimée a prétendu que ce n'est pas ce que l'appelante avait l'intention de faire, mais ce qu'elle a réellement fait qui est pertinent à la qualification de la dépense.

3)             Analyse et conclusion

[25]          Conformément au paragraphe 37(4), aucune déduction n'est permise en vertu de l'article 37 relativement à une dépense engagée en vue d'acquérir des droits relatifs à des activités de recherche scientifique et de développement expérimental ou des droits en découlant. À mon avis, il s'ensuit qu'une dépense autrement déductible en vertu du paragraphe 37(1) n'est pas déductible si elle est engagée en vue d'acquérir un tel droit.

[26]          Je conviens avec l'avocat de l'intimée qu'en droit fiscal, la forme importe et que la Loi doit être appliquée en fonction de ce que l'appelante a réellement fait et non de ce qu'elle aurait pu faire. Comme la Cour d'appel fédérale l'a déclaré dans l'affaire Friedberg, précitée, « [b]ien que la preuve de l'intention puisse parfois aider les tribunaux à clarifier des marchés, elle est rarement déterminante. En résumé, la preuve d'une intention subjective ne peut servir à "rectifier" des documents qui s'orientent clairement vers une direction précise » . L'appelante a accepté de payer des redevances à l'Université parce que celle-ci lui accordait le droit exclusif mondial de vendre des permis d'utilisation du progiciel EMME/2. Le fait que M. Florian souhaitait que cette partie de l'argent reçu soit allouée par l'Université à la recherche scientifique et au développement expérimental effectués au Canada et qui étaient liés à l'entreprise de l'appelante (c'est-à-dire qu'elle soit allouée à son propre fonds de recherche) ne change pas la nature de la dépense de l'appelante. Ce n'est pas un cas où, comme il est déclaré dans l'affaire Shell Canada, précitée, la désignation de l'opération particulière par le contribuable ne reflète pas convenablement ses effets juridiques véritables, rendant ainsi une nouvelle qualification possible.

[27]          L'argument du représentant de l'appelante fondé sur l'utilisation réelle de l'argent par l'Université n'est pas pertinent à la détermination de la nature de la dépense de l'appelante. Bien qu'il ait mis l'accent sur le fait que la Cour suprême du Canada a déclaré, dans l'affaire Shell Canada, que la question au sens du sous-alinéa 20(1)c)(i) concernait l'utilisation de l'argent emprunté, cette déclaration ne fait que reprendre une condition figurant dans cette même disposition comme il ressort de l'analyse effectuée au paragraphe 31 (p. 638) de la décision :

La troisième condition — que l'argent emprunté soit utilisé en vue de tirer un revenu non exonéré d'une entreprise ou d'un bien — est également remplie. Elle met l'accent non pas sur l'objet de l'emprunt comme tel, mais plutôt sur l'objectif poursuivi par le contribuable en utilisant la somme empruntée. Comme l'a dit le juge en chef Dickson dans l'arrêt Bronfman Trust, précité, à la p. 46, « l'examen de la situation doit être centré sur l'usage que le contribuable a fait des fonds empruntés. »

[28]          La déclaration de la Cour suprême du Canada se rapporte à l'intention du contribuable en utilisant la somme empruntée par opposition à son intention en empruntant la somme. Il ne s'ensuit pas que, pour qualifier une dépense en vertu du paragraphe 37(4), il faille examiner l'utilisation finale de l'argent par le bénéficiaire comme il faudrait le faire pour qualifier des paiements versés à des tiers en vertu de l'alinéa 37(1)a) de la Loi. Cependant, la disposition liminaire du paragraphe 37(4) doit sans doute s'interpreter comme une limite ou une exception à la règle générale énoncée à l'alinéa 37(1)a) de la Loi. Les redevances payées pour un permis exclusif mondial de vendre une invention constituent certainement une dépense engagée en vue d'acquérir un droit découlant d'activités de recherche scientifique et de développement expérimental. En tout état de cause, l'appelante a utilisé l'argent en vue d'acquérir un permis. La clause 2.01 de son entente conclue avec l'Université (pièce R-1) est claire et non ambiguë à cet égard. L'utilisation par le bénéficiaire de l'argent ne change pas la nature de l'utilisation véritable de l'argent. En outre, l'alinéa 37(1)a) ne peut être interprété comme une exception au paragraphe 37(4).

[29]          À mon avis, le paragraphe 37(4) s'applique donc de façon à empêcher l'appelante de déduire le montant de 47 341 $ versé à l'Université à titre de redevances en vertu de son entente conclue avec l'Université (pièce R-1) et alloué par l'Université au fonds de recherche de M. Florian en vertu de leur propre entente (pièce R-2).

[30]          À la lumière de ce qui précède, l'appel interjeté par l'appelante pour son année d'imposition 1994 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juin 2001.

« P. R. Dussault »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-4233(IT)I

ENTRE :

INRO CONSULTANTS INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 5 avril 2001 à Montréal (Québec) par

l'honorable juge P. R. Dussault

Comparutions

Représentant de l'appelante :                Irving Ptack

Avocat de l'intimée :                            Me Daniel Marecki

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est rejeté en conformité avec les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 29e jour de juin 2001.

« P. R. Dussault »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de mars 2002.

Mario Lagacé, réviseur


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