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Date: 20010622

Dossier: 2000-4283-IT-I

ENTRE :

CHERYL ANDREA GRANT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre de cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) à l'égard des années d'imposition 1998 et 1999.

[2]            Dans le calcul du revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999, l'appelante n'a pas inclus le montant de 4 200 $ pour chaque année d'imposition (les « montants » ) reçu à titre de pension alimentaire ou d'autres allocations à recevoir périodiquement pour subvenir aux besoins d'un enfant.

[3]            Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi une cotisation à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1998 et 1999, selon les déclarations qu'elle avait produites, au moyen d'avis de cotisation datés du 11 mars 1999 et du 13 mars 2000, respectivement.

[4]            En établissant une nouvelle cotisation à l'égard de l'appelante pour les années d'imposition 1998 et 1999 au moyen d'avis de nouvelle cotisation datés du 26 mai 2000, le ministre a inclus les montants dans le revenu.

FAITS

[5]            L'appelante et son ancien conjoint, Brian Slocum, ont signé un accord de séparation avant le mois de mai 1997. Conformément aux modalités de l'ordonnance de retenue des aliments de la Cour de l'Ontario (Division générale) datée du 16 mai 1994, l'ancien conjoint de l'appelante était tenu de verser à l'appelante une pension alimentaire pour enfants mensuelle de 350 $ à compter du 16 mai 1994. L'ancien conjoint de l'appelante a versé les montants à l'appelante pendant les années d'imposition 1998 et 1999 conformément à l'accord de séparation.

JURISPRUDENCE

[6]            Le ministre se fonde simplement sur l'alinéa 56(1)b) de la Loi et déclare que les montants doivent être inclus dans le revenu. Cet alinéa est ainsi rédigé :

b)             le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A - (B + C)

où :

A             représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue après 1996 et avant la fin de l'année d'une personne donnée dont il vivait séparé au moment de la réception de la pension,

B              le total des montants représentant chacun une pension alimentaire pour enfants que la personne donnée était tenue de verser au contribuable aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à la date d'exécution ou postérieurement et avant la fin de l'année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement,

C              le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a reçue de la personne donnée après 1996 et qu'il a incluse dans son revenu pour une année d'imposition antérieure; [Le caractère gras est de moi.]

[7]            Depuis 1997, les nouvelles règles prévoient que les pensions alimentaires pour enfants ne sont plus imposables ni déductibles si elles ont été versées en vertu d'ordonnances ou d'accords écrits établis après le 30 avril 1997. On prévoit également ce qu'il advient de l'application des nouvelles règles aux ordonnances ou aux accords écrits établis avant le 30 avril 1997 s'ils sont modifiés ou si un choix conjoint est produit après cette date. La disposition pertinente dans le présent appel est le paragraphe 56.1(4), et les définitions des expressions « date d'exécution » , « pension alimentaire » et « pension alimentaire pour enfants » y figurant sont ainsi rédigées :

56.1(4) Les définitions qui suivent s'appliquent au présent article et à l'article 56.

[...]

« date d'exécution » Quant à un accord ou une ordonnance :

a)       si l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

b)       si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997 :

(i)                    le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

(ii)                  si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

(iii)                 si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pension alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

(iv)                le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

« pension alimentaire » Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas :

a)                   le bénéficiaire est le conjoint ou l'ancien conjoint du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

b)                   le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

« pension alimentaire pour enfants » Pension alimentaire qui, d'après l'accord ou l'ordonnance aux termes duquel elle est à recevoir, n'est pas destinée uniquement à subvenir aux besoins d'un bénéficiaire qui est soit le conjoint ou l'ancien conjoint du payeur, soit le père ou la mère d'un enfant dont le payeur est le père naturel ou la mère naturelle.

[8]            L'alinéa 56(1)b) de la Loi prévoit la formule d'inclusion de la pension alimentaire dans le revenu du bénéficiaire. À cette fin, les éléments « A » et « B » sont pertinents. « A » prévoit qu'une pension alimentaire sera incluse dans la mesure où elle entre dans le cadre de la définition de « pension alimentaire » figurant au paragraphe 56.1(4). « B » prévoit essentiellement l'exclusion de montants reçus à titre de pension alimentaire pour enfants après leur date d'exécution. En d'autres termes, si une date d'exécution existe, la pension alimentaire pour enfants n'est pas incluse dans le revenu en vertu de l'alinéa 56(1)b).

[9]            La définition de « date d'exécution » découle de l'existence d'actions précises. La situation pertinente figure à l'alinéa b) de cette définition qui prévoit que si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997 (ce qui est le cas en l'espèce, puisqu'elle est datée du 16 mai 1994), une date d'exécution prend effet le jour précisé dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits.

PREUVE IMPORTANTE

[10]          L'appelante a déclaré qu'en 1998, elle-même et son ancien conjoint ont examiné le choix à l'égard de la pension alimentaire pour enfants en vertu de la nouvelle Loi de l'impôt sur le revenu applicable après le mois d'avril 1997. Elle a déclaré que son ancien conjoint a signé le choix, soit le formulaire T1157. Le formulaire original a été produit sous la cote R-10. (Une copie a été déposée sous la cote A-2.) La pièce R-10 indique que la date de signature du document était le « 98-10-01 » et le document a été reçu par le centre fiscal d'Ottawa le « 98-10-13 » . Elle a également déclaré que son ancien conjoint l'a signé en affirmant que la déduction n'aurait aucune conséquence pour lui.

[11]          Dans un affidavit produit avec l'avis d'appel, l'appelante déclare que son fils a été témoin de la signature de l'ancien conjoint.

[12]          Selon le témoignage de vive voix de l'appelante, la pièce R-10 a été signée par l'ancien conjoint peu de temps avant Noël, au mois de novembre ou de décembre 1998. À cette occasion, l'ancien conjoint aidait le fils à installer l'arbre de Noël chez l'appelante. Le fils de l'appelante a déclaré ne pas avoir vu l'appelante ou l'ancien conjoint signer le document, mais il se rappelle l'installation de l'arbre de Noël. L'ancien conjoint se rappelle avoir installé l'arbre de Noël au mois de novembre ou de décembre 1998 et il a déclaré qu'il peut n'avoir signé qu'une demande de passeport pour son fils (pièce A-4).

[13]          L'ancien conjoint nie catégoriquement avoir signé le formulaire T1157 et il affirme expressément que sa signature ne figure pas sur le document (pièce R-10) et en outre qu'à aucun moment il n'a choisi que les versements de la pension alimentaire pour enfants ne soient pas déductibles.

ANALYSE

APPRÉCIATION DE LA PREUVE

[14]          Il revient à l'appelante de présenter suffisamment d'éléments de preuve pour démontrer que la cotisation est erronée.

[15]          Elle a déclaré que l'ancien conjoint avait signé le formulaire T1157, puis elle a passé en revue plusieurs années de relation hargneuse entre son ancien conjoint et elle-même et elle a prétendu que le comportement de l'ancien conjoint en relation avec la garde, la pension alimentaire et le divorce devrait, à son avis, mener à la conclusion selon laquelle le témoignage de l'ancien conjoint était moins que crédible.

[16]          Le témoignage de l'ancien conjoint a clairement révélé qu'il n'a pas signé le document, qu'à la date où il aurait signé il ne se trouvait pas chez l'appelante et qu'il pouvait, selon son comportement habituel, justifier sa présence ailleurs.

[17]          Il n'est pas clair si l'installation de l'arbre de Noël a coïncidé avec la signature prétendue le 1er octobre 1998. En effet, selon la preuve, je conclus que le formulaire T1157 n'a été signé par personne au moment où l'arbre de Noël a été installé puisque l'ADRC a reçu le document bien avant la période des Fêtes.

[18]          L'appelante a également admis avoir modifié le formulaire T1157 au moins jusqu'à écrire le nom de l'ancien conjoint au recto du document bien après le moment de la prétendue signature. Le souvenir de l'appelante des autres questions relatives aux détails ou aux dates était imprécis. Des allégations de tromperie et de contrefaçon ont créé une ambiance acrimonieuse qui a voilé l'ensemble de la preuve.

[19]          Selon la prépondérance des probabilités, la Cour ne dispose pas de preuve décisive pour conclure qu'elle peut se fonder sur le choix énoncé dans le formulaire T1157, à l'égard de la pension alimentaire pour enfants (pièce R-10). L'appelante ne s'est pas acquittée du fardeau de démontrer que la cotisation était erronée.

[20]          L'appelante, toujours dans le cadre de son témoignage, a raconté les difficultés qu'elle a éprouvées avec l'ADRC et comment elle prétend que son dossier a été incorrectement traité. Elle déclare que l'ADRC l'a finalement informée du fait qu'elle ne croyait pas que la signature figurant sur le formulaire était celle de l'ancien conjoint et qu'elle avait été contrefaite. On lui a dit que son ancien conjoint avait nié avoir signé le formulaire. L'ADRC a alors refusé de faire des commentaires sur la nature du document que l'ancien conjoint avait présenté pour être comparé par un expert. L'appelante a alors présenté des copies de documents juridiques comportant la signature de son ancien conjoint (c.-à-d. un affidavit de cession immobilière, un contrat de prêt). Elle prétend que le ministre a refusé d'examiner les documents qu'elle a présentés, et on l'a informé qu'un appel officiel était nécessaire.

QUESTIONS RELATIVES À LA CHARTE, JUSTICE NATURELLE

ET POUVOIR DISCRÉTIONNAIRE DU MINISTRE

[21]          L'appelante déclare que les droits que lui garantissent les alinéas 11a) et d) de la Charte canadienne des droits et libertés ont été violés. D'abord, en vertu de l'alinéa 11a), elle déclare que le ministre a omis de révéler les motifs légitimes de la nouvelle cotisation pendant environ cinq mois. Ensuite, en vertu de l'alinéa 11d), elle déclare que le ministre a arbitrairement imposé une pénalité malgré l'existence d'une exception à la forme et la possibilité d'un appel.

[22]          En particulier, ces prétendus abus semblent être liés au ministre et à l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.

[23]          Les droits garantis par l'article 11 de la Charte peuvent être invoqués par des personnes poursuivies par l'État pour avoir commis des infractions publiques comportant des sanctions punitives (c.-à-d. des infractions criminelles, quasi criminelles et réglementaires). Cette cour a conclu que l'article 11 ne s'applique pas aux cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Dans l'affaire Rahey v. Canada, 90 DTC 1053, le juge Bonner de la Cour a conclu que l'article 11 de la Charte ne s'applique pas aux affaires en matière d'impôt sur le revenu parce que les cotisations fiscales et les pénalités n'étaient pas des infractions au sens de l'article 11. Comme le juge en chef adjoint Christie l'a déclaré dans l'affaire Budyk c. La Reine, C.C.I., no 95-2331(IT)I, 28 juin 1996 ([1996] 3 C.T.C. 2328) :

Ni les nouvelles cotisations que le ministre a établies à l'égard de l'appelant pour les années 1992 et 1993, ni les questions d'ordre administratif qui s'y rattachent, ne faisaient état du fait que l'appelant a été accusé d'avoir commis une infraction. Il en va de même des procédures instituées devant la Cour.

Pour ce qui est de la suggestion selon laquelle il y a eu déni de justice naturelle à l'égard de l'appelante dans le cadre de l'établissement de la cotisation à l'étape de l'opposition, le processus relatif à l'établissement d'une cotisation est un processus administratif dans un contexte civil. Le droit de l'appelante à la justice naturelle[1] est préservé dans le cadre de son appel interjeté devant cette cour. La Cour canadienne de l'impôt est un tribunal indépendant qui n'a pas d'intérêt direct à l'égard de l'une des parties et qui entend à parts égales le témoignage et les observations de toutes les parties.

[24]          Pour ce qui est de toute demande présentée à la Cour visant à faire examiner le pouvoir discrétionnaire du ministre dans le cadre de l'établissement d'une cotisation, la Cour canadienne de l'impôt ne constitue pas le forum approprié pour un tel examen[2].

DÉCISION

[25]          Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juin 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 5e jour de mars 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4283(IT)I

ENTRE :

CHERYL ANDREA GRANT,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 13 juin 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Pour l'appelante :                       L'appelante elle-même

Avocate de l'intimée :                 Me Sointula Kirkpatrick

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1998 et 1999 sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de juin 2001.

« D. Hamlyn »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 5e jour de mars 2002.

Martine Brunet, réviseure




[1] Regina v. Rondeau (1974), 5 W.W.R. 664 à la page 667 :

            [TRADUCTION]

Les affaires portant sur les principes de ce qui est appelé justice naturelle n'avancent essentiellement que deux principes fondamentaux, bien qu'ils soient énoncés de nombreuses manières. Le premier de ces principes est qu'aucun tribunal ne doit juger sa propre cause et il doit agir de bonne foi. Le deuxième de ces principes est couvert par l'expression latine audi alteram partem.

[2] Kravetsky c. La Reine, C.C.I., no 98-2262(IT)G, 23 décembre 1998 ([1999] 1 C.T.C. 2809).

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