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Date: 20010516

Dossier: 1999-4570-GST-G

ENTRE :

VILLE DE REGINA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Rip, C.C.I.

[1]            La ville de Regina (la « ville » ou l' « appelante » ) interjette appel d'une cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise (la « Loi » ) et rejetant sa demande de crédits de taxe sur les intrants (les « CTI » ) de 246 435,63 $, faite en application du paragraphe 169(1) de la Loi relativement aux frais engagés, au cours des années 1996, 1997 et 1998, dans le cadre de travaux d'immobilisation visant à améliorer plusieurs voies publiques dans le territoire de la ville, que celle-ci appelle des « voies de jonction publiques » .

[2]            Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a accordé une petite partie seulement du montant total des CTI demandés et il a refusé d'accorder le reste. De l'avis du ministre, les travaux visant à améliorer les voies de jonction ne sont pas une fourniture taxable effectuée par la ville puisque celle-ci n'a pas exécuté les travaux en question dans le cadre d'une activité commerciale. La ville est tenue par la loi d'entretenir et de réparer les voies de jonction publiques. Le ministre soutient que, de toute façon, les travaux de réparation constituent des fournitures exonérées conformément aux articles 10 et 21 et, après 1996, à l'article 21.1 de l'annexe V, partie VI de la Loi. Le ministre paraît aussi soutenir que les travaux de construction en cause étaient simplement des améliorations, ou encore des travaux de réparation et d'entretien des routes, et non des améliorations ayant le caractère d'immobilisations.

[3]            La principale question sur laquelle je dois me pencher est de savoir si l'appelante exerçait une activité commerciale lorsqu'elle a effectué les travaux sur les voies de jonction publiques. Conformément au paragraphe 169(1)de la Loi, un inscrit aux termes de la Loi a droit à des CTI dans la mesure où il a utilisé les fournitures relativement auxquelles il demande les CTI dans le cadre d'une activité commerciale. La ville est inscrite. La ville prétend en fait qu'elle fournit un service de vente de produits et services au gouvernement de la Saskatchewan (parfois appelé ci-après la « province » ou la « Saskatchewan » ) en contrepartie des subventions de fonctionnement que celui-ci lui verse.

[4]            Une « voie de jonction publique » , parfois appelée « voie de jonction » , est une voie urbaine reliant au moins deux routes provinciales qui passent dans la ville ou près de celle-ci ou menant à une route provinciale. Ces routes sont utilisées par les résidents de la ville de même que par les non-résidents qui empruntent les routes provinciales ou passent de l'une à l'autre. Les routes publiques suivantes et leurs voies de jonction dans la ville sont pertinentes en l'espèce :

                [TRADUCTION]

1)            Les routes 6 et 11 mènent à la rue Albert Nord et continuent jusqu'à la rue Albert Sud, qui mène au chemin Ring et à la route 1, un axe est-ouest, et à la route 6 Sud;

2)            la route 33 mène à l'avenue Arcola, qui traverse le chemin Ring et rejoint plus loin l'avenue Victoria;

                                3)        la route 1 mène à l'avenue Victoria, qui rejoint la rue Albert;

                                4)        la route 46 mène à la rue McDonald, qui rejoint le chemin Ring;

5)        la route 1 rejoint la promenade Lewvan, qui continue en direction nord jusqu'à la rue Pasqua et rejoint la route 11;

6)        la route 1 mène au chemin Ring, qui continue vers l'est, le nord puis vers l'ouest jusqu'à la rue Pasqua, donnant accès aux routes 33, 46, 6 et 11;

7)        les voies de service nord et sud longeant l'avenue Victoria et les voies de service est et ouest longeant la rue Albert mènent aux mêmes routes que l'avenue Victoria et la rue Albert.

[5]            Le gros, soit approximativement 80 pour 100, de la demande de CTI porte sur un projet, de la promenade Lewvan à la rue Pasqua, jusqu'à la route 11 (numéro 5 ci-dessus, appelé le « projet Pasqua » ). La rue Pasqua traversait les voies ferrées de la Compagnie des chemins de fer nationaux du Canada (le « CN » ). La ville a exercé un passage sous les voies ferrées et construit un pont pour ces dernières au-dessus de la rue Pasqua, qui a aussi été élargie. La ville a facturé au CN le coût du déplacement des voies ferrées pendant les travaux de construction et a réclamé la taxe sur les produits et services (la « TPS » ). (De temps en temps, de simples citoyens de la ville de Regina demandent la prestation de certains services à la ville, qui facture ces services et perçoit la TPS.) La ville peut déterminer le coût de chaque élément du projet Pasqua et d'autres projets, comme la route et le pont.

[6]            Pour rendre la circulation plus fluide, on construit des routes et on les améliore. On peut aussi les élargir (de deux voies à quatre ou plus) et augmenter les limites de vitesse. C'était l'objectif visé dans le cadre du projet Pasqua.

[7]            M. Kenneth Kosolofski, ancien responsable des services de comptabilité de la ville, a témoigné que celle-ci utilise ses propres employés pour réparer et entretenir les routes qui parcourent son territoire, et ne perçoit aucune TPS. Pour construire des routes, elle retient les services de sous-traitants, et la TPS est facturée. Le gouvernement de la Saskatchewan est propriétaire de toutes les rues et les ruelles de la province, y compris celles qui sont situées dans la ville[1]. Cela inclut les voies de jonction publiques. Le gouvernement de la Saskatchewan délègue à la municipalité le pouvoir d'en déterminer les usages. Aux termes de la Urban Municipality Act de 1984[2], la ville est tenue de maintenir toutes les rues dans un état convenable. Sous réserve de l'approbation du ministre de la voirie et du transport de la province, le conseil municipal de Regina peut exercer ses pouvoirs en vue de réglementer temporairement la circulation sur une voie de jonction publique pour construire, réparer ou améliorer la route[3].

[8]            Chaque année, le conseil municipal dresse un schéma d'aménagement des travaux d'immobilisation pour une période d'au moins cinq ans, qui inclut l'année en cours, faisant état du coût estimatif et des sources de financement proposées pour chacun des travaux au cours de chaque année. Une copie du schéma est transmise au gouvernement provincial[4].

[9]            Le budget de la ville indique les fonds à recevoir de la province aux fins d'un projet de travaux d'immobilisations[5]. Un compte distinct est maintenu pour chaque source de financement. La ville reçoit de la province des fonds destinés à la construction et à la réparation des routes conformément à la Municipal Revenue Sharing Act[6] et au Urban Municipalities Revenue Sharing Regulations[7]. Au cours des années visées par l'appel, la ville a également reçu des fonds aux termes du programme national d'infrastructure du gouvernement fédéral. Les taxes et autres prélèvements municipaux constituent aussi des sources de revenus que la ville utilise pour réparer, entretenir et construire des routes.

[10]          M. Kosolofski a expliqué qu'une subvention de fonctionnement versée par la province peut être utilisée aux fins de l'entretien aussi bien que des immobilisations, c'est-à-dire pour construire des routes ou pour toute autre fin que la ville estime appropriée, ce qui, si je comprends bien, peut inclure des services de bibliothèque et de santé, par exemple, de même que des routes. La subvention est inconditionnelle. Il n'est pas nécessaire d'entreprendre un projet particulier. M. Robert Linner, directeur de la ville de Regina, a produit une lettre dans laquelle le sous-ministre de la voirie et du transport de la Saskatchewan reconnaît, entre autres choses, qu'une indemnité est versée à la ville au titre de l'entretien, de l'exploitation et de la construction de sections de voies publiques dans le territoire de la ville. Consciente qu'il est dans l'intérêt mutuel de la province et de la ville d'avoir des routes de jonction, la province fournit un financement inconditionnel à la ville sous forme de subventions générales de fonctionnement pour permettre à celle-ci, notamment, d'entretenir et de construire des routes de jonction, entre autres responsabilités qui lui incombent.

[11]          Le directeur des services d'ingénierie de la ville de Regina, M. David Colm, a expliqué que les ingénieurs de la ville et ceux de la province sont en constante communication aux fins de planifier les améliorations à apporter au réseau routier de la ville de Regina et de ses environs. La province peut déterminer les besoins de la ville en matière de construction de routes et lui faire des suggestions. La ville et la province peuvent entreprendre chacune de son côté des études des voies publiques et des routes qui parcourent Regina. Lorsque des travaux sont effectués sur une route de jonction, la ville et la province travaillent en étroite collaboration puisque ces travaux touchent des routes municipales et des routes provinciales.

[12]          M. Linner a expliqué que la province avait également versé des subventions conditionnelles aux municipalités pour les aider à réaliser des projets précis. Pour obtenir une subvention conditionnelle, la municipalité doit en faire la demande, alors qu'elle n'a jamais à le faire pour obtenir une subvention inconditionnelle. Dans ce dernier cas, qui est très courant, la ville exécute ses travaux publics sans le consentement de la province : aucun document n'est nécessaire.

[13]          Les projets financés en partie par le gouvernement fédéral dans le cadre du programme national d'infrastructure font l'objet d'une demande qui est soumise à un comité fédéral-provincial; la demande doit porter sur un projet en particulier. La ville de Regina a soumis deux ou trois demandes de cette nature totalisant 12,9 millions de dollars. Lorsqu'elle travaille en collaboration avec la province, la ville se fonde sur les relations qu'elles entretiennent en permanence pour mener à bien des travaux de construction comme le projet Pasqua. Celui-ci a été présenté par la ville comme une route de jonction nécessitant une amélioration. Le projet Pasqua a été financé par la province pour 18 pour 100, par la ville pour 49 pour 100 et aux termes du programme national d'infrastructure pour 33 pour 100.

[14]          On s'est demandé jusqu'à un certain point si les travaux de construction de routes de jonction constituaient des travaux d'immobilisation ou des travaux de réparation et d'entretien des routes. L'avocat de l'intimée a fait valoir, par exemple, que l'entretien et la réparation des routes situées dans le territoire de la ville sont généralement considérés comme faisant partie des services municipaux normaux. Je n'en doute pas. Cependant, selon la preuve en l'espèce, le projet Pasqua, par exemple, nécessitait plus que de simples travaux de réparation et d'entretien des routes. Il nécessitait la construction d'une route complètement nouvelle et constituait un projet d'immobilisation. Les autres projets paraissent eux aussi nécessiter des travaux d'immobilisation.

Arguments

[15]          Aux fins du présent appel,

« activité commerciale » Constituent des activités commerciales exercées par une personne :

a)       l'exploitation d'une entreprise (à l'exception d'une entreprise exploitée sans attente raisonnable de profit par un particulier, une fiducie personnelle ou une société de personnes dont l'ensemble des associés sont des particuliers), sauf dans la mesure où l'entreprise comporte la réalisation par la personne de fournitures exonérées[8] [...].

[16]          Le terme « entreprise » est défini en partie dans les termes suivants :

« entreprise » [...] les commerces, les industries, les professions et toutes affaires quelconques avec ou sans but lucratif, ainsi que les activités exercées de façon régulière ou continue qui comportent la fourniture de biens par bail, licence ou accord semblable. En sont exclus les charges et les emplois.

[17]          Aux termes du paragraphe 123(1), la « fourniture exonérée » s'entend d'une fourniture figurant à l'annexe V. La partie VI de l'annexe V énonce les exonérations pour les fournitures effectuées par les organismes du secteur public. L'expression « organisme du secteur public » s'entend d'un gouvernement ou d'un organisme de services publics, lequel fait référence à une municipalité, ce qui englobe la ville de Regina[9].

[18]          L'article 10 de la partie VI de l'annexe V[10] énonce ceci :

La fourniture par un organisme du secteur public de biens ou services, [...] si la totalité, ou presque, des fournitures des biens ou services sont effectuées par l'organisme à titre gratuit.

[19]          Une personne peut demander des CTI uniquement dans la mesure où les fournitures en cause sont consommées ou utilisées dans le cadre d'une activité commerciale[11]. Ainsi que le juge Bowman, tel était alors son titre, l'a conclu dans l'affaire Centre provincial de ressources pédagogiques c. R., « [...] si toutes les fournitures que produit un organisme du secteur public sont exonérées, aucun crédit de taxe sur les intrants ne peut être réclamé » [12].

[20]          L'intimée soutient que la ville s'acquitte d'une obligation légale lorsqu'elle construit des routes de jonction. Or, la construction de ces routes par la ville n'est pas une activité commerciale puisque la réalisation du projet de construction est une fourniture exonérée conformément à l'article 10 de la partie VI de l'annexe V. L'intimée est d'avis que, puisque les subventions provinciales étaient versées inconditionnellement à la ville et qu'elles n'étaient liées à aucun projet précis, aucune contrepartie, au sens de la Loi, n'a été payée à la ville aux fins de la réalisation du projet; il n'y avait aucun lien entre la province et la ville pour ce qui est des travaux de construction. La Couronne paraît s'être fondée sur le fait que la ville a déterminé que le financement provenait pour moins de la moitié de la province, et donc que les subventions provinciales n'ont pas été accordées précisément pour les projets en cause, plus particulièrement pour le projet Pasqua.

[21]          À mon avis, la construction des routes de jonction était une activité commerciale au sens de la Loi. Les routes de jonction sont utilisées par les résidents de la Saskatchewan et d'autres personnes dans le cadre de l'exploitation de leurs activités commerciales, et profitent à la province. Les nouvelles routes et les ajouts faits à des routes plus anciennes sous forme de glissières de sécurité, par exemple, améliorent les biens de la province. L'appelante a pris part à une « affaire quelconque » au sens de la définition d' « activité commerciale » . Dans l'affaire Hleck, Kanuka, Thuringer c. La Reine [13], mon collègue le juge Bell a donné l'explication suivante :

Le critère prévu dans la Loi est plus large que le critère régissant la déductibilité d'une dépense d'entreprise en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu. Les dépenses faites en vue de tirer un revenu d'une entreprise sont, par définition, effectuées dans le cadre d'une activité commerciale. Cependant, les dépenses effectuées dans le cadre d'une activité commerciale ne sont pas nécessairement des dépenses faites en vue de tirer un revenu d'une entreprise. [...] [Je souligne.]

[22]          Dans l'affaire Timmins c. La Reine[14], la Cour d'appel fédérale a conclu que la province du Nouveau-Brunswick exploitait une « entreprise » au sens de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui s'entend notamment d' « activités de quelque genre que ce soit » [15]. Le gouvernement du Nouveau-Brunswick fournissait des services à l'extérieur du Canada aux fins d'établir et d'administrer plusieurs fermes laitières au Malawi en contrepartie de certains frais et du remboursement de certaines dépenses. La province du Nouveau-Brunswick exploitait une entreprise même si les travaux étaient exécutés pour des raisons humanitaires ainsi que pour accroître les possibilités d'emploi au Nouveau-Brunswick et stimuler l'économie de la province.

[23]          Dans ses notes techniques du mois de juillet 1997, le ministère des Finances indique que l'article 10 de la partie VI de l'annexe V exonère les fournitures de biens ou de services faites par un organisme du secteur public si la totalité, ou presque, des fournitures sont effectuées à titre gratuit. De plus, parce qu'elles sont effectuées à titre gratuit, conclut le ministère, les fournitures ne sont pas considérées comme étant effectuées dans le cadre d'une activité commerciale.

[24]          Les travaux qui sont entrepris conformément à une obligation légale ne sont pas de ce fait exclus de la définition d'une activité commerciale, dans la mesure où la personne qui a entrepris les travaux n'a effectué aucune fourniture exonérée dans le cadre de l'activité. Dans la mesure où une partie quelconque de l'entreprise consiste à effectuer des fournitures exonérées, elle doit, au niveau conceptuel, être dissociée des autres parties de l'entreprise[16].

[25]          La question est donc de savoir si la ville a effectué une fourniture exonérée. La ville a-t-elle obtenu une contrepartie de la province pour réaliser les projets? La ville affirme qu'elle a reçu une contrepartie sous forme de subventions de fonctionnement et que ces subventions devraient être considérées comme une contrepartie au sens de la Loi.

[26]          Le paragraphe 123(1) définit « contrepartie » en partie dans les termes suivants :

[...] tout montant qui, par effet de la loi, est payable pour une fourniture.

[27]          L'avocate de l'appelante fait valoir que, bien que les subventions provinciales soient inconditionnelles, elles sont versées à l'appelante par effet de la loi. L'avocate a invoqué le Bulletin d'information technique B-067, daté du 24 août 1992 ( « Bulletin I. T. B-067 » ), dans lequel le ministère du Revenu national (Douanes et Accise), tel qu'il s'appelait à l'époque, a affirmé que « [s]'il est déterminé qu'il y a fourniture en retour d'un paiement de transfert, le [Ministère] peut considérer le paiement comme la ‘contrepartie' de la fourniture » . Une « subvention » est une forme de « paiement de transfert » .

[28]          L'auteur de la partie I du bulletin I. T. B-067 explique que, « lorsque sont directement liés un paiement de transfert accordé à une personne et une fourniture effectuée par cette personne, soit au donateur du paiement de transfert ou à un tiers, le paiement de transfert sera considéré comme la contrepartie de la fourniture » . On y souligne qu' « [i]l se peut qu'un lien direct ne soit pas immédiatement apparent et qu'il soit nécessaire d'étudier les circonstances entourant chaque cas » . Peuvent faire partie de ces circonstances l'accord entre les parties, la conduite des parties, les objectifs ou les énoncés de politique du donateur, les dispositions législatives, les arrêtés et les règlements applicables.

[29]          La partie II du Bulletin I. T. B-067 expose les lignes directrices permettant d'établir si un lien direct existe entre un paiement de transfert et une fourniture et si, par conséquent, le paiement de transfert constitue une contrepartie. Si l'on se reporte à ces lignes directrices, lorsqu'une fourniture est effectuée relativement à un paiement de transfert, il y a un lien direct entre la fourniture et le paiement de transfert si la fourniture effectuée au profit du donateur a un « but d'achat » , lequel « avantage le donateur ou un tiers désigné et [...] peut être de nature commerciale » et non un « but public » , lequel « avantage le grand public ou un segment précis du grand public » .

[30]          L'appelante soutient qu'il y avait une fourniture liée à la subvention et que c'est au profit de la province de la Saskatchewan que cette fourniture a été effectuée puisque celle-ci en a tiré un avantage direct — l'amélioration de ses biens. Quant au but d'achat, l'appelante souligne que le Bulletin I. T. B-067 indique qu' « [i]l peut y avoir but d'achat même si le donateur est un organisme du secteur public et même s'il y a un certain avantage public » .

[31]          Le critère du lien entre l'octroi ou la subvention et la fourniture ne se trouve pas dans la Loi elle-même. Dans un appel entendu antérieurement par la juge Lamarre Proulx, Des Chênes (Commission scolaire) c. R., 2000 CarswellNat 791, l'avocat de l'intimée a produit parmi les ouvrages cités un article publié dans le Vat Monitor[17], intitulé « When Is a Link Direct? » . La juge Lamarre Proulx écrit que, selon l'auteur de cet article, à la page 9, paragraphe 30, les subventions sont considérées comme une contrepartie quand elles sont liées directement au prix de la fourniture. Le bulletin I.T. B-067 adopte ce critère du lien direct entre la subvention et la fourniture du service[18]. Le critère du lien est simplement un moyen de déterminer si un paiement de transfert a été effectué pour financer une fourniture donnée - en d'autres termes, si une fourniture a été effectuée à titre onéreux.

[32]          Le critère du lien direct permet de déterminer si une contrepartie a été versée relativement à une fourniture. Normalement, lorsqu'un fournisseur s'engage par contrat à effectuer une fourniture, le coût ou la contrepartie de cette fourniture figure au contrat. Une subvention inconditionnelle ne précise pas l'objet ni le motif du financement. Si une personne peut raisonnablement déterminer que la subvention est assortie d'un objet spécifique, comme on l'indique normalement dans un contrat, il y a un lien entre la subvention et la fourniture, et le montant de la subvention est la contrepartie de la fourniture aux fins de la Loi. Par conséquent, le lien constitue un outil précieux pour déterminer s'il y a contrepartie. On trouve un exemple de l'existence d'un lien dans les faits qui ont mené à une décision de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), apparemment datée du 18 novembre 1999. La ville de Winnipeg avait conclu un contrat avec le gouvernement du Manitoba afin d'ajouter deux voies à une route importante, et le gouvernement du Manitoba avait convenu de payer une portion des coûts de construction. L'ADRC a convenu que le paiement effectué par la province du Manitoba en faveur de la ville de Winnipeg était la contrepartie de fournitures taxables de services de construction à la province du Manitoba. Cette décision de l'ADRC est juste puisqu'il est facile de déterminer le coût de la fourniture, dont on donnait la description dans le contrat conclu par les deux gouvernements. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

[33]          L'appelante a invoqué également les motifs du jugement rendu dans l'affaire Meadow Lake Swimming Pool Committee Inc. c. La Reine[19], où la Cour, se reportant au bulletin I.T. B-067, a conclu que les subventions constituaient une contrepartie lorsqu'une municipalité versait des fonds à un organisme sans but lucratif dans le but d'exploiter une piscine dont la municipalité était propriétaire. En concluant qu'il existait un lien direct entre la fourniture effectuée par l'organisme sans but lucratif et la subvention, le juge de première instance a examiné les plans de la municipalité et de l'organisme sans but lucratif aux premières étapes de la planification de la construction de la piscine. De la même façon, la ville a-t-elle fait valoir en l'espèce, elle a conclu avec le gouvernement de la Saskatchewan une entente aux termes de laquelle elle s'est engagée à construire des routes de jonction, bien que les subventions visant à financer la construction de ces routes fussent inconditionnelles. Il y avait, entre la ville et la province, une pratique établie ou une entente implicite selon laquelle des portions variables des subventions inconditionnelles devaient être utilisées, et ont été utilisées, pour la construction des routes de jonction, ainsi que pour d'autres fins.

[34]          Les faits de l'affaire Meadow Lake, précitée, ne sont pas du tout semblables aux faits en l'espèce. La piscine était le seul bien dont l'appelante était propriétaire dans cette affaire. Toute subvention versée par la municipalité à la société exploitant la piscine ne pouvait servir qu'une fin, l'exploitation de la piscine, que la municipalité ait ou non précisé à quel usage les fonds étaient destinés. Tel n'est pas le cas en l'espèce.

[35]          L'appelante a invoqué également l'alinéa 141.01(3)a) de la Loi :

La consommation ou l'utilisation d'un bien ou d'un service par une personne dans le cadre de son initiative est réputée, pour l'application de la présente partie, se faire :

a)       dans le cadre des activités commerciales de la personne, dans la mesure où elle a pour objet la réalisation d'une fourniture taxable dans le cadre de l'initiative;

[. . .]

[36]          Constituent les « initiatives » d'une personne, notamment, « ses entreprises, [...] » [20].

[37]          Toutes les fournitures utilisées dans le cadre de la réalisation du projet, l'appelante a-t-elle fait valoir, visaient à effectuer des fournitures taxables dans le cadre d'une initiative, à savoir la prestation d'un service ou la vente d'un bien ou d'un service au gouvernement de la Saskatchewan.

[38]          L'avocate de l'appelante a fait valoir à titre subsidiaire que, si la subvention versée par la province n'est pas une contrepartie des projets, le montant de la subvention, conformément à l'alinéa 141.01(1.2)a) de la Loi, peut être réputé être une contrepartie du projet. Aux termes de l'alinéa 141.01(1.2)a), le montant de l'aide versée par un gouvernement en vue de financer une activité comportant la réalisation de fournitures taxables est réputé être la contrepartie de ces fournitures, mais uniquement pour l'application de l'article 141.01. Cette disposition et l'alinéa 141.01(3)c) ne servent pas la cause de l'appelante. L'article 141.01 énonce en termes généraux les règles applicables dans les cas où, lorsque l'entreprise d'un inscrit comporte la réalisation de fournitures taxables et de fournitures exonérées, l'inscrit doit répartir la taxe sur les intrants lorsqu'il calcule le montant des CTI qu'il peut demander. Du fait du paragraphe 141.01(2), par exemple, des crédits de taxe sur les intrants ne pourront être demandés que si un intrant est acquis en vue d'effectuer des fournitures pour contrepartie. La disposition ne permet pas de déterminer si, compte tenu des faits en l'espèce, une fourniture a été effectuée pour contrepartie.

[39]          La juge Lamarre Proulx, faisant sien le raisonnement formulé dans le Bulletin I. T. B-067, a cherché un lien direct entre les subventions versées par le ministère québécois des Transports à des commissions scolaires de la province en vue d'effectuer à titre gratuit le transport d'élèves entre leur maison et l'école. Les commissions scolaires ont conclu à cette fin des contrats avec des transporteurs indépendants et ont payé ces derniers pour leurs services, acquittant à cette occasion la TPS. Dans le passé, les commissions scolaires avaient demandé et reçu, conformément à l'article 259 de la Loi, un remboursement partiel de la TPS sur le montant payé aux transporteurs indépendants. Par la suite, les commissions scolaires ont demandé des CTI représentant la différence entre le total de la TPS payée aux transporteurs indépendants et les sommes obtenues au titre des remboursements partiels. La subvention versée par le ministère des Transports ne tenait pas compte du nombre d'enfants qui devaient être transportés et, si une commission scolaire réussissait à organiser son transport de façon à réduire les coûts couverts par la subvention, elle pouvait conserver une partie des fournitures.

[40]          La juge Lamarre Proulx a conclu que la preuve ne permettait pas de conclure que la subvention accordée par le ministère des Transports était liée au prix du service de transport. Non seulement le ministère n'avait aucune obligation relativement au coût du service de transport des élèves, mais les commissions scolaires jouissaient de beaucoup de latitude dans l'utilisation des fonds versés pour le transport. Par conséquent, il n'y avait aucun lien entre le paiement de la subvention (ou de l'octroi) et le coût du service. La subvention n'avait pas le caractère d'un paiement du prix du service, et aucune contrepartie n'était versée pour le service.

[41]          Je ne doute pas que les responsables de la ville et ceux du gouvernement de la Saskatchewan maintenaient un contact régulier, voire constant, en vue d'améliorer le réseau routier de la province à Regina et dans les environs. J'admets que chaque palier de gouvernement a exprimé à l'autre ses intentions et que tous se sont efforcés de coordonner leurs activités de construction. Il se peut bien que, pour déterminer le montant des subventions inconditionnelles qu'il versait à la ville, le gouvernement de la Saskatchewan ait inclus des sommes destinées à la construction de routes de jonction ou à la construction d'ajouts à ces routes. Cependant, compte tenu de la preuve en l'espèce, je ne peux conclure qu'une partie ou la totalité de quelque subvention inconditionnelle que ce soit ait été liée à l'un des projets en l'espèce que la province a convenu de subventionner. Par conséquent, aucune contrepartie n'a été versée à la ville par le gouvernement de la Saskatchewan.

[42]          L'appel est rejeté avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 16e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-4570(GST)G

ENTRE :

VILLE DE REGINA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 13 et 14 décembre 2000 à Regina (Saskatchewan), par

l'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Avocate de l'appelante :                       Me Gail D. Wartman

Avocat de l'intimée :                            Me Gerald Chartier

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la partie IX de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 25 septembre 1998 et porte le numéro 732679, est rejeté avec dépens en faveur de l'intimée.


Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 16e jour de janvier 2002.

Martine Brunet, réviseure




[1]           The Land Titles Act, R.S.S. 1978, ch. L-5, art. 104, 114, dans sa version modifiée.

[2]           R.S.S., 1983-1984, ch. U-11, art. 154, dans sa version modifiée.

[3]           R.S.S., 1983-1984, ch. U-11, art. 155, dans sa version modifiée.

[4]           R.S.S., 1993, ch. 41, art. 23, dans sa version modifiée.

[5]           Pièce A-3, extrait du budget de la ville de Regina pour 1995, 1996, 1997, 1998, 1999 et 2000.

[6]           R.S.S., 1978 (suppl.), ch. M-32.1, dans sa version modifiée.

[7]           R.S.S., ch. M-32.1, art. 2, 1981, dans sa version modifiée.

[8]          Le paragraphe 123(1) de la Loi, modifié par 1997 L.C. ch. 10, paragraphe 1(2), est réputé être entré en vigueur le 24 avril 1996.

[9]           Voir les définitions de « municipalité » et de « organisme du secteur public » au paragraphe 123(1) de la Loi.

[10]         L'article 10, modifié par 1997, L.C., ch. 10, article 109, est réputé être entré en vigueur le 17 décembre 1990.

[11]          La règle générale relativement aux CTI est énoncée au paragraphe 169(1) de la Loi.

[12]         C.C.I., no 97-2618(GST)I, 1er juin 1999 à la page 2 ([2000] G.S.T.C. 20, aux pages 20-2 et 20-3).

[13]          C.C.I., no 93-2290(GST)I, 8 juillet 1994 ([1994] G.S.T.C. 46), par. 27.

[14]          [1999] 2 C.F. 563 (99 DTC 5494).

[15]         Aux termes du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu, « entreprise » inclut les professions, métiers, commerces, industries ou activités de quelque genre que ce soit et, sauf pour l'application de l'alinéa 18(2)c), de l'article 54.2, du paragraphe 95(1) et de l'alinéa 110.6(14)f), les projets comportant un risque ou les affaires de caractère commercial, à l'exclusion toutefois d'une charge ou d'un emploi. [Je souligne.]

[16]         398722 Alberta Ltd. c. R., C.A.F., no A-706-98, 11 mai 2000, à la page 8 ([2000] G.S.T.C. 32, aux pages 32-8 à 32-9).

[17]         Vol. 7, no 1, janvier-février 1996, page 2, Bureau international de documentation fiscale, cité dans Des Chênes, précitée.

[18]          Voir les paragraphes 28 et 29 des motifs.

[19]          C.C.I., no 98-2588(GST)I, 28 octobre 1999 ([1999] G.S.T.C. 96).

[20]          Paragraphe 141.01(1) de la Loi.

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