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Date: 20001201

Dossier: 1999-3278-IT-I

ENTRE :

ROSAIRE RAINVILLE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel, par voie de la procédure informelle, concernant l'année d'imposition 1993. Au début de l'audience, les parties ont informé la Cour qu'elles en étaient arrivées à une entente concernant deux points en litige. La partie intimée consentait à ce que l'appelant puisse réclamer 34 158 $ de pertes locatives. La partie appelante abandonnait sa réclamation d'un report de perte autre qu'en capital au montant de 30 000 $.

[2]            Une question en litige demeure et elle concerne l'application du paragraphe 169(2.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). Il s'agit de savoir si l'appelant peut en appeler d'une question qui semble avoir été l'objet d'une renonciation au droit d'opposition ou d'appel signée par l'appelant le 5 mai 1998.

[3]            L'appelant est substantiellement d'accord avec la cotisation qui a suivi la renonciation en ce sens qu'il est d'accord avec le montant de 218 541 $ qui a été ajouté à son revenu pour l'année 1993 à titre d'avantages à un actionnaire conformément au paragraphe 15(2) de la Loi. Ce montant est constitué d'avances au montant de 209 606 $ et d'intérêts sur les avances au montant de 8 935 $. Il est aussi d'accord avec le montant de 92 527 $ qui est un prêt fait par un actionnaire et qui peut être déduit du montant de l'avance en vertu de l'alinéa 20(1)j) de la Loi. Ce montant a été calculé pour l'année 1996. Ce remboursement d'avance a créé une perte qui était reportable en l'année 1993. L'appelant dit ne pas s'être rendu compte qu'il devrait payer de l'intérêt d'un montant d'environ 18 000 $ sur le montant cotisé à titre d'impôt payable pour l'année 1993 jusqu'à l'année 1997, date où le report devient effectif. Il soutient que cette déduction aurait tout aussi bien été faite en 1993 qu'en 1996 car le prêt ou remboursement a été fait en 1993 et les conditions dans lesquelles il avait été fait n'ont pas varié.

[4]            Monsieur Beaudoin, le vérificateur s'était fondé sur les états financiers de Édifice Rainville Inc. préparés par le comptable de cette dernière pour l'année 1993 (pièce A-2). Le montant paraissait dans les dettes à long terme et se lisait comme suit :

Notes complémentaires

au 31 mai 1993

                ...

                Dû à un administrateur d'une valeur nominale de 100 000 $, 6.75%, remboursable par mensualités de 754,84 $, capital et intérêts.

                ...

[5]            L'agent du Ministre explique que selon un bulletin d'interprétation, dont la référence lui échappait au moment de son témoignage, c'est la politique du ministère de considérer un tel prêt comme distinct du compte des avances et ne compensant pas ces dernières. Dans les états financiers de 1995, la description avait été modifiée pour se lire : « emprunt 100 000 $ R. Rainville » . C'est la raison pour laquelle il en a tenu compte pour réduire le compte des avantages à un actionnaire en 1996. Il n'a pas expliqué pourquoi il n'en avait pas plutôt tenu compte en 1995.

[6]            Selon l'appelant, en 1993, il ne s'agissait que d'écriture de comptables. La nature de l'entente de prêt est demeurée la même au cours de ces années. Il soutient que ce à quoi il s'est entendu avec l'agent du Ministre c'est d'être cotisé pour l'année 1993 sur le montant du revenu étant le résultat des avances à un actionnaire moins le prêt de l'actionnaire à la corporation. S'il avait su qu'il devait payer les intérêts de l'année 1993 à l'année 1996 sur le montant total des avances, il n'aurait pas accepté ou du moins il aurait fait valoir fortement ses arguments que la nature du prêt n'avait pas changé de 1993 à 1996 et que l'on devait tenir compte du prêt en 1993 et non en 1996.

[7]            Voici en partie le texte de la renonciation (pièce I-1) :

                ...

                Je renonce à tout droit d'opposition ou d'appel en ce qui trait à (aux) ..

                L'IMPOSITION TELLE QUE RÉVISÉE DU COMPTE AVANCES 15(2) AINSI AU MONTANT ACCORDÉ COMME REMBOURSEMENT 20(1)J

                LE MONTANT IMPOSÉ CONFORME À L'ARTICLE 15(9) INTÉRÊT SUR LES AVANCES DEMEURE SANS CHANGEMENT.

                ...

À cette première feuille était brochée l'ajustement proposé. Il s'agit d'un tableau des montants en cause pour les années 1996 à 1993. Le calcul de l'impôt ne s'y trouvait pas.

Arguments et conclusion

[8]            L'avocat de l'intimée s'est référé à la décision de la Cour suprême du Canada dans Smerchanski c. M.R.N., [1977], 2 R.C.S. 23, page 31 :

Comme il n'est pas contesté qu'un contribuable peut validement renoncer à son droit d'appel contre une cotisation d'impôt et que l'intérêt public ne s'oppose pas à pareille renonciation, la seule question importante en litige dans le présent appel est de savoir si le fisc, lorsqu'il envisage sérieusement des poursuites, par voie d'acte d'accusation comme c'est le cas en l'espèce, peut, sur l'offre faite par le contribuable, imposer comme condition préalable au règlement d'une dette fiscale indubitable la renonciation au droit d'appel et, par voie de conséquence, renoncer lui-même à toute poursuite.

[9]            L'avocat de l'intimée fait valoir que c'est librement que l'appelant a signé la renonciation et que la renonciation est valide. L'effet de cette renonciation serait que cette Cour n'a pas juridiction pour statuer sur le litige dont il est question dans la renonciation.

[10]          Le représentant de l'appelant fait valoir que le vérificateur n'a pas expliqué au contribuable les conséquences au niveau des intérêts de prendre compte du prêt en 1996 plutôt qu'en 1993. Ce n'est pas la question, telle qu'interprétée plus tard par les agents qui ont établi la cotisation, à laquelle l'appelant a renoncé par écrit. L'appelant a accepté d'être cotisé pour l'année 1993 sur un montant d'avances qui excluait son prêt à la corporation.

[11]          Le paragraphe 169(2.2) de la Loi se lit ainsi :

(2.2) Questions faisant l'objet d'une renonciation — Malgré les paragraphes (1) et (2), il est entendu qu'un contribuable ne peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt pour faire annuler ou modifier une cotisation établie en vertu de la présente partie relativement à une question à l'égard de laquelle le contribuable a renoncé par écrit à son droit d'opposition ou d'appel.

[12]          La décision de la Cour Suprême du Canada dans l'affaire Smerchanski (supra), acceptant la validité d'une renonciation au droit d'appel, date de l'année 1977. Le paragraphe 169(2.2) de la Loi est relativement récent. Selon la disposition d'application, ce paragraphe est applicable après la date de la sanction royale (22 juin 1995) aux renonciations signées à tout moment. Le texte du paragraphe 169(2.2) de la Loi ainsi que celui de la disposition d'application donnent à penser qu'il ne s'agit pas d'un droit nouveau mais d'une disposition d'éclaircissement. La note explicative confirme également cette interprétation :

Le nouveau paragraphe 169(2.2) précise qu'un contribuable ne peut interjeter appel auprès de la Cour canadienne de l'impôt relativement à une question pour laquelle il a renoncé par écrit à son droit d'opposition ou d'appel. Cette règle s'applique après la date de sanction de la disposition, aux renonciations signées à tout moment.

[13]          Dans l'affaire Smerchanski, l'appelant contestait la validité de la renonciation qu'il avait signée parce qu'il l'aurait signée pour éviter la menace de poursuites au criminel. Ici, il ne s'agit pas de la contestation de la validité de la renonciation, mais de la vérification de la question au sujet de laquelle l'appelant a renoncé par écrit à son droit d'appel. Il s'agit de l'interprétation de l'entente qui est intervenue entre les parties.

[14]          Dans le contexte d'une renonciation à un droit d'appel, il ne semble pas y avoir de jurisprudence sur l'aspect du contenu même de l'entente. Il y a quelques décisions sur l'effet juridique d'une telle renonciation et je me réfère notamment aux décisions suivantes : Yott et al. c. M.R.N., 91 DTC 608, Lagacé c. M.R.N., 93 DTC 1138 et Proulx c. La Reine, 96 DTC 2028. Dans ces décisions, l'intimée avait proposé que les règlements en cause étaient des transactions au sens des articles 2631 et suivants du Code Civil du Québec et qu'elles avaient l'autorité de la chose jugée. C'était sur cette notion d'autorité de la chose jugée que la proposition de l'intimée avait achoppé sans qu'il soit nié que ces règlements puissent être exécutoires.

[15]          À mon avis, les décisions qui peuvent aider à résoudre le présent débat sont celles qui concernent l'interprétation de l'alinéa 152(4.01)a) de la Loi, disposition dont le texte rappelle beaucoup celui du paragraphe 169(2.2) de la Loi. Cet alinéa se lit comme suit :

Malgré les paragraphes (4) et (5), la cotisation, la nouvelle cotisation ou la cotisation supplémentaire à laquelle s'appliquent les alinéas (4)a) ou b) relativement à un contribuable pour une année d'imposition ne peut être établie après l'expiration de la période normale de nouvelle cotisation applicable au contribuable pour l'année que dans la mesure où il est raisonnable de considérer qu'elle se rapporte à l'un des éléments suivants :

a)             en cas d'application de l'alinéa (4)a) :

(i)             une présentation erronée des faits par le contribuable ou par la personne ayant produit la déclaration de revenu de celui-ci pour l'année, effectuée par négligence, inattention ou omission volontaire ou attribuable à quelque fraude commise par le contribuable ou cette personne lors de la production de la déclaration ou de la communication de quelque renseignement sous le régime de présente loi,

(ii)            une question précisée dans une renonciation présentée au ministre pour l'année;

                                                                                                                (Le souligné est de moi.)

[16]          Par cette disposition, dans le but de prolonger la période normale de cotisation, un contribuable peut renoncer à la limitation de cette période à l'égard d'une question précisée dans la renonciation. Le contenu et l'étendue de cette question ont été à quelques reprises, étudiés par la jurisprudence et notamment dans Bailey c. M.R.N., 89 DTC 416, Cal Investments Ltd. c. La Reine, 90 DTC 6556, Canadian Marconi Co. c. Canada, [1992] 1 C.F. 655, Solberg c. La Reine, 92 DTC 6448, Placements T.S. c. La Reine, [1993] A.C.I. 869 et Charron c. La Reine, [1997] A.C.I. 303. Dans Solberg (supra), la juge Reed s'exprime ainsi à la page 6452 :

[TRADUCTION]

... Pour interpréter la renonciation, il convient de vérifier l'intention que les parties y ont exprimée en tenant compte de toutes les circonstances pertinentes au sujet desquelles il existe une preuve. C'est la méthode qui a été adoptée pour l'interprétation des lois fiscales elles-mêmes, voir, par exemple, l'arrêt Stubart Investments Ltd. v. The Queen, 84 DTC 6305 à la page 6323 (C.S.C.).

[17]          Pareillement aux décisions précitées qui ont interprété le sens de la question, objet de la renonciation signée sous l'alinéa 152(4.01)a) de la Loi, le sens de la question, objet de la renonciation signée sous le paragraphe 169(2.2) de la Loi est sujet à interprétation par cette Cour quand les parties ne s'entendent pas à son égard. Dans le cas du paragraphe 169(2.2) de la Loi, cette interprétation devra à mon sens être quelque peu plus stricte que pour le cas de l'alinéa 152(4.01)a) de la Loi, puisque dans le premier cas, c'est le droit d'ester en justice qui est en cause. Si l'objet de la renonciation est celui qui est proposé par le Ministre, l'appelant n'aura pas de cause d'action à l'égard de cet objet. Autrement, l'appelant aura droit d'en appeler et de faire trancher l'affaire par cette Cour.

[18]          Toutefois, ainsi que le disait l'agent du Ministre dans de tels règlements, il y a des concessions de part et d'autre. Si la preuve révélait qu'une telle entente ne serait pas intervenue s'il n'y avait eu tel engagement, ce pourrait être là un motif possible d'écarter la renonciation ou d'avoir recours à une autre mesure de redressement appropriée. Plus l'entente sera précise et incorporera les montants de cotisation, plus facile sera la vérification du contenu de l'entente pour les fins de l'application du paragraphe 169(2.2) de la Loi.

[19]          Dans la présente affaire, selon le témoignage des parties, j'en suis venue à la conclusion que l'entente véritable des parties était qu'en 1993, le revenu de l'appelant était le montant des avances moins le remboursement. Je n'en viendrais pas à cette conclusion si les débours avaient été effectivement faits en 1996. Mais il est accepté de part et d'autre que la rentrée de fonds s'est faite en 1993. Les écritures comptables ont leur importance, mais elles n'empêchent pas de prendre en compte d'autres éléments pertinents comme les dates réelles des débours et leurs modalités. Il était donc possible d'arguer que le remboursement avait été fait en 1993. De plus, et cet aspect est tout aussi important que le premier, la preuve n'a pas révélé que le vérificateur du Ministre s'était penché sur la question des intérêts qui couraient sur le montant des avantages jusqu'à l'année où le montant des pertes reportables était établi. Je crois que si cet aspect lui était venu à l'esprit il en aurait informé l'appelant. Le contribuable a cru que le montant du revenu pour l'année 1993 serait le montant des avantages moins les pertes reportables et j'ai toute raison de croire que le vérificateur était aussi sous cette impression. Il s'agit là du dénominateur commun aux deux parties.

[20]          Comme je suis d'avis que dans la présente affaire, l'entente commune des parties est celle qui est proposée par l'appelant, la cotisation sur ce point n'est pas conforme à l'entente et l'appelant a droit d'en appeler pour cette partie

[21]          L'appel est accordé en ce qui concerne les pertes locatives mentionnées au paragraphe [1] de ces motifs.Il est aussi accordé en ce qui concerne le montant des avances à être pris en compte dans la cotisation de l'année 1993, il s'agit du montant des avantages sur lesquels les parties sont d'accord soit 218 541 $ moins le montant d'argent avancé par l'appelant à sa corporation, soit 92 527 $. Autrement, la cotisation est correcte.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er décembre 2000.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-3278(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 Rosaire Rainville et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 28 août 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                      le 1er décembre 2000

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant :                                    Gérald Tessier (représentant)

Pour l'intimée :                                       Me Simon-Nicolas Crépin

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

1999-3278(IT)I

ENTRE :

ROSAIRE RAINVILLE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 28 août 2000 à Sherbrooke (Québec) par

l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

Comparutions

Représentant de l'appelant :                           Gérald Tessier

Avocat de l'intimée :                                     Me Simon-Nicolas Crépin

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1993 est accordé, sans frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle examen, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de décembre, 2000.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


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