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Date: 20010601

Dossier: 2000-4203-IT-I

ENTRE :

ALAN R. COLLINS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement modifiés

Le juge Rip, C.C.I.

[1]            L'appelant, Alan R. Collins, avocat et procureur exerçant à Edmonton (Alberta), interjette appel de cotisations d'impôt dans lesquelles le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé, pour les années 1997 et 1998, la déduction de montants de pension alimentaire au sens du paragraphe 56.1(4) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ). M. Collins soutient que « les paiements de pension alimentaire pour l'enfant ont été effectués en vertu d'une ordonnance rendue par un tribunal en 1983 et sont par conséquent exonérés d'impôt pour le payeur » .

[2]            De façon générale, la question se pose dans la foulée du jugement rendu par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Thibaudeau c. La Reine[1]; le gouvernement s'est senti obligé de revoir ce qu'on appelle communément le « système d'inclusion et d'exclusion » , suivant lequel le parent qui verse la pension alimentaire pour un enfant peut en déduire le montant de son revenu, tandis que le parent qui touche la pension doit en inclure le montant dans le calcul de son revenu. Le législateur a éliminé ce système dans le cas de tous les paiements de pension alimentaire effectués en vertu d'une ordonnance ou d'un accord survenus après le 30 avril 1997 et prévoyant une date d'exécution.

[3]            En 1981, l'appelant s'est séparé de son épouse, Laura Lee Collins, qui a obtenu une ordonnance de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta obligeant l'appelant à lui verser la somme de 450 $ à titre de pension alimentaire provisoire pour leur bébé, le premier jour de chaque mois à compter du 1er septembre 1981 jusqu'à ce qu'une autre ordonnance soit rendue par la cour. Le 25 juillet 1983, la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a rendu un jugement conditionnel conformément à la Loi sur le divorce[2] en faveur de Mme Collins. Le jugement conditionnel prononçait le divorce du couple, accordait la garde exclusive de l'enfant né du mariage à Mme Collins et ordonnait que M. Collins verse à son ex-épouse, à titre de pension alimentaire pour l'enfant, la somme de 500 $ par mois à compter du 1er juillet 1983.

[4]            Tout au long de l'année 1997 et au moins jusqu'au 1er avril 1998, M. Collins a versé à son ex-épouse 500 $ par mois à titre de pension alimentaire pour leur enfant, conformément à l'ordonnance rendue le 25 juillet 1983.

[5]            Il semble que, à un moment quelconque avant le mois de mars 1998, Mme Collins ait présenté une demande visant à modifier les termes du jugement conditionnel en vue d'augmenter la pension alimentaire pour l'enfant né du mariage, au motif que, le 17 avril 1998, à la suite d'un procès de cinq jours tenu en mars 1998, le juge Marceau, de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, a rendu un jugement prévoyant en partie ce qui suit :

                                [TRADUCTION]

4.                     L'intimé paie à la requérante à titre de pension alimentaire rétroactive pour l'enfant, à l'égard de la période du 1er septembre 1994 au 1er avril 1998 inclusivement, la somme de 811 $ par mois; les paiements mensuels de 500 $ que l'intimé a effectués pendant cette période sont pris en considération, de sorte que l'intimé doit payer au total 13 684 $.

[...]

7.                     La date d'exécution de la présente ordonnance est réputée être le 1er mai 1997.

8.                     L'intimé verse à la requérante, à titre de pension alimentaire continue pour l'enfant, à compter du 1er mai 1998 et pendant 16 mois par la suite, le montant suivant :

a.                     811 $ par mois;

[...]

[6]            Dans ses motifs de jugement[3], le juge Marceau a pris en considération, entre autres choses, les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants du 1er mai 1997, la pension alimentaire rétroactive ainsi que les arguments écrits qui lui ont été présentés sur les conséquences fiscales de son jugement.

[7]            Le montant qui peut être déduit par un contribuable au titre de la pension alimentaire dans le calcul de son revenu pour une année d'imposition est déterminé suivant la formule exposée à l'alinéa 60b) de la Loi. Cependant, il faut soustraire du montant que le contribuable peut déduire les montants de pension alimentaire pour enfants payables :

[...] par le contribuable à la personne aux termes d'un accord ou d'une ordonnance à la date d'exécution ou postérieurement et avant la fin de l'année relativement à une période ayant commencé à cette date ou postérieurement.

[8]            Le paragraphe 56.1(4) énonce les définitions pertinentes, qui s'appliquent également à l'article 60 conformément au paragraphe 60.1(4). La « date d'exécution » , quant à un accord ou une ordonnance, signifie :

a) si l'accord ou l'ordonnance est établi après avril 1997, la date de son établissement;

b) si l'accord ou l'ordonnance est établi avant mai 1997, le premier en date des jours suivants, postérieur à avril 1997;

        (i) le jour précisé par le payeur et le bénéficiaire aux termes de l'accord ou de l'ordonnance dans un choix conjoint présenté au ministre sur le formulaire et selon les modalités prescrits,

        (ii) si l'accord ou l'ordonnance fait l'objet d'une modification après avril 1997 touchant le montant de la pension alimentaire pour enfants qui est payable au bénéficiaire, le jour où le montant modifié est à verser pour la première fois,

        (iii) si un accord ou une ordonnance subséquent est établi après avril 1997 et a pour effet de changer le total des montants de pensions alimentaire pour enfants qui sont payables au bénéficiaire par le payeur, la date d'exécution du premier semblable accord ou de la première semblable ordonnance,

        (iv) le jour précisé dans l'accord ou l'ordonnance, ou dans toute modification s'y rapportant, pour l'application de la présente loi.

[9]            Dans son jugement du 17 avril 1998, le juge Marceau a indiqué que la date d'exécution de son ordonnance était réputée être le 1er mai 1997, date à laquelle le nouveau régime relatif aux paiements de pension alimentaire pour enfants est entré en vigueur. Il est clair que le juge Marceau voulait que M. Collins ne puisse déduire les montants qu'il avait payés à Mme Collins à titre de pension alimentaire pour enfant après le mois d'avril 1997 et que Mme Collins ne soit pas tenue d'inclure ces montants dans le calcul de son revenu. Cependant, sous réserve de l'alinéa 60 b), M. Collins peut déduire les montants qu'il a payés à Mme Collins en janvier, février, mars et avril 1997.

[10]          Nul doute qu'au cours des dernières années, les tribunaux ont rendu, concernant les paiements de pension alimentaire pour enfants, des ordonnances rétroactives qui ont eu des répercussions sur l'assujettissement à l'impôt du payeur et du bénéficiaire. Ainsi, dans l'affaire LeGroulx c. R.[4], il avait été ordonné à l'appelante, en 1995, de payer pour ses deux enfants une pension alimentaire majorée à compter du 1er décembre 1992. Ces montants ont été payés en 1995, et le ministre en a refusé la déduction par l'appelante. Il s'agissait de déterminer si l'ordonnance de 1995 avait été rendue nunc pro tunc (à partir de maintenant). Dans cette affaire, l'article 59.01 des Règles de procédure civile de l'Ontario[5] permettait à un tribunal d'inscrire dans une ordonnance une date autre que la date à laquelle celle-ci était prononcée. Ce qui caractérise l'affaire LeGroulx, c'est que la cour a pu rendre une ordonnance rétroactive; la Cour canadienne de l'impôt a invoqué l'alinéa 17(1)a) de la Loi sur le divorce pour permettre la déduction.

[11]          Dans l'arrêt La Reine c. Larsson[6], la Cour d'appel fédérale a conclu que l'ordonnance d'un tribunal, selon laquelle les paiements hypothécaires effectués au cours des années précédentes avaient été effectués conformément aux paragraphes 56.1(2) et 60.1(2) de la Loi, avait été rendue nunc pro tunc. Le juge McDonald a dit ceci aux pages 7 et 8 (DTC : à la page 5428) :

[...] Bien que l'on doive présumer qu'une ordonnance judiciaire prend effet à la date à laquelle elle est rendue, il est également raisonnable de présumer que, lorsqu'un tribunal rend une ordonnance, il veut que celle-ci produise certaines conséquences et ait un certain effet au moment où elle la rend. En l'espèce, la quatrième ordonnance vise expressément la nature des versements hypothécaires faits depuis 1989 par le contribuable. Toutefois, au moment du prononcé de la quatrième ordonnance, en 1993, le foyer conjugal avait été vendu et le contribuable ne faisait plus de versements hypothécaires. Ces faits démontrent à l'évidence que, si la Cour suprême de la Colombie-Britannique ne voulait pas que sa quatrième ordonnance ait un effet rétroactif, celle-ci serait sans objet. Ces faits révèlent donc à tout le moins un indice de rétroactivité et réfutent peut-être même la présomption de non-rétroactivité.

À mon avis, il serait abusif d'interpréter une décision judiciaire de manière à la rendre sans objet dès son prononcé. En l'espèce, si la quatrième ordonnance n'est pas interprétée rétroactivement, elle n'a aucun effet à compter du jour où elle a été rendue. Dans ces conditions, la seule interprétation raisonnable consiste selon moi à présumer que la Cour suprême de la Colombie-Britannique voulait que la quatrième ordonnance ait été prononcée nunc pro tunc.

[12]          L'article 322 des Rules of Court de l'Alberta[7] permet à la cour d'inscrire une date rétroactive à laquelle un jugement ou une ordonnance peut prendre effet. La Cour du Banc de la Reine de l'Alberta a le pouvoir également, conformément au paragraphe 17(1) de la Loi sur le divorce, de modifier, d'annuler ou de suspendre rétroactivement ou pour l'avenir une ordonnance alimentaire. De toute évidence, le tribunal de l'Alberta a le pouvoir discrétionnaire d'agir comme il l'a fait[8].

[13]          Selon l'alinéa 56.1(4)b) de la Loi, l' « ordonnance » qui a été prononcée avant le mois de mai 1997 est le jugement conditionnel du 25 juillet 1983, que l'ordonnance du 17 avril 1998 a modifié. La date du 1er mai 1997 mentionnée comme date d'exécution au sens de l'alinéa 56.1(4)b) dans cette ordonnance modifiant le jugement conditionnel est la première de toutes les dates d'exécution possibles, prévues aux sous-alinéas 56.1(4)b)(i) à (iv), à survenir. La « date d'exécution » , selon les faits en l'espèce, est le 1er mai 1997, date mentionnée dans le jugement du 17 avril 1998 du juge Marceau.

[14]          La « date d'exécution » ne détermine pas l'entrée en vigueur d'un jugement ou d'une ordonnance. La jurisprudence mentionnée précédemment n'est guère utile en l'espèce, si ce n'est qu'elle confirme que la rétroactivité est une réalité de la vie et qu'elle est maintenant bien ancrée dans le droit fiscal, tant au regard de la loi qu'au regard de la jurisprudence. Le pouvoir d'un tribunal d'indiquer une « date d'exécution » découle de la Loi même, non des règles d'une cour. Un accord peut prévoir une « date d'exécution » différente de la date à laquelle il est conclu. La définition de « date d'exécution » envisage clairement la possibilité qu'un accord ou une ordonnance puisse préciser la date d'exécution. En toute logique, cette date ne peut être que rétroactive, compte tenu de l'expression « le premier en date des jours suivants » à l'alinéa 56.1(4)b). Sinon, le sous-alinéa 56.1(4)b)(iv) n'aurait pour ainsi dire aucune raison d'être. Le libellé de la Loi est tout à fait clair à cet égard, tant en anglais qu'en français, établissant notamment, au sous-alinéa (iv), que la « date d'exécution » ( « commencement day » ) est « the day specified in the agreement or order » .

[15]          L'argument de l'appelant selon lequel les paiements qu'il a effectués en 1997 et jusqu'au 1er avril 1998 ont été faits en vertu d'une ordonnance prononcée en 1983 ne peut être retenu. Le nouveau régime de pensions alimentaires pour enfants prévu dans la Loi énonce la formule d'inclusion et d'exclusion des montants en cause. L'argument de l'appelant ne prend qu'une portion de la formule en considération. L'alinéa 60 b) indique le montant qui peut être déduit, le cas échéant. Les parties ont convenu que, relativement à l'année 1998, aucun montant ne devrait être déductible par M. Collins, même si ce dernier obtient gain de cause dans son appel de la cotisation établie pour 1998. En ce qui concerne l'année 1997, la formule exposée à l'alinéa 60 b) permet semble-t-il à M. Collins de déduire une somme de 2 000 $, qui représente les montants payés avant la « date d'exécution » , c'est-à-dire aux mois de janvier, février, mars et avril 1997.

[16]          L'appel pour 1997 est admis uniquement pour permettre à M. Collins de déduire un montant dans le calcul de son revenu pour l'année selon la formule prévue à l'alinéa 60b). La « date d'exécution » est le 1er mai 1997. L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation pour l'année d'imposition 1998 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'août 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 25e jour de février 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4203(IT)I

ENTRE :

ALAN R. COLLINS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 7 mai 2001 à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge Gerald J. Rip

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Gwen Mah

JUGEMENT MODIFIÉ

          Le présent jugement remplace le jugement signé le 1er juin 2001.

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour l'année d'imposition 1997 est admis, sans frais, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant peut déduire au titre de la pension alimentaire dans le calcul de son revenu pour l'année les montants calculés selon la formule prévue à l'alinéa 60b) de la Loi.

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi pour l'année d'imposition 1998 est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour d'août 2001.

« Gerald J. Rip »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 25e jour de février 2002.

Mario Lagacé, réviseur




[1]               [1995] 2 R.C.S. 627 ([1995]1 C.T.C. 382).

[2]               L.R.C. (1985) (2e suppl.) ch. 3.

[3]               Collins v. Collins, (1999) 221 A.R. 111.

[4]               C.C.I. no 97-3059(IT)I, 24 décembre 1998 ([1999] 1 C.T.C. 2833).

[5]               R.R.O. 1990, règlement 194.

[6]               C.A.F., no A-623-96, 5 août 1997 (97 DTC 5425). Voir aussi Howard c. La Reine, C.F. 1ère inst., no T-3311-74, 6 novembre 1974 (74 DTC 6607).

[7]               L'article 322 du Règlement 390/68 de l'Alberta prévoit ceci :

                [TRADUCTION] Tout jugement ou ordonnance est daté du jour de son prononcé et, sauf indication contraire, prend effet à compter de cette date, ou, sur autorisation de la Cour, peut être antidaté ou postdaté.

[8]               Il y a lieu de souligner que les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants ont été promulguées le 1er mai 1997. Ces lignes directrices, ainsi que les nouvelles règles sur les pensions alimentaires pour enfants, ont été analysées dans une publication gouvernementale intitulée Nouveau système de pensions alimentaires pour enfants, datée du 6 mars 1996, dans laquelle on peut lire à la page 8 : « Les nouvelles règles fiscales n'entrent en vigueur que le 1er mai 1997 pour laisser le temps de promulguer les lignes directrices fédérales en matière de pensions alimentaires, et pour se préparer à une augmentation prévue des demandes visant à changer les ordonnances existantes afin de se conformer aux nouvelles règles en matière de pensions alimentaires. Les nouvelles règles fiscales s'appliqueront à tous les nouveaux accords conclus ou ordonnances rendues le 1er mai 1997 ou après cette date » .

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