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Date: 20010308

Dossier: 2000-498-GST-I

ENTRE :

GESTION ALAIN ST-PIERRE INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'un avis de cotisation en date du 20 février 1998, relatif à la Taxe sur les produits et services (la « TPS » ) pour la période allant du 1er novembre 1993 au 31 octobre 1997.

[2]            L'appelante est une compagnie de gestion constituée par monsieur Alain St-Pierre qui exerce la profession de pharmacien. Assujetti à une réglementation établie par son ordre professionnel, Alain St-Pierre ne pouvait et ne peut toujours pas exercer cette profession par le biais d'un statut corporatif; il doit répondre personnellement de ses faits et gestes dans le cadre de sa pratique professionnelle.

[3]            Par contre, il en est tout autrement au niveau des activités commerciales connexes à la pratique de sa profession, tels tous les produits alimentaires, non-alimentaires, cosmétiques, parfums etc.; tous ces effets et produits pouvaient et peuvent être vendus par le biais d'une compagnie.

[4]            Dans les faits, Alain St-Pierre accréditait la pharmacie, dont une partie de la surface était l'officine (endroit où étaient vendus les médicaments délimité par une division psychologique) et l'autre partie, beaucoup plus vaste, occupée par l'inventaire de tous les autres produits alimentaires, non-alimentaires, médicaments en vente libre, cosmétiques, parfums, etc.

[5]            Toutes les opérations financières et commerciales de l'ensemble de la pharmacie transitaient par le compte de la compagnie « Gestion Alain St-Pierre Inc. » ; quant à Alain St-Pierre personnellement, il a indiqué à plusieurs reprises de ne pas avoir de compte personnel relatif aux affaires des deux volets de la pharmacie.

[6]            Le comptable, monsieur Pierre Mercier, a expliqué qu'il agissait à titre d'expert comptable pour plusieurs pharmacies et qu'il avait développé au fil des ans une expertise intéressante dans ce genre de dossier. Le Tribunal a effectivement pu constater qu'il connaissait très bien l'aspect comptable et réglementaire du domaine pharmaceutique.

[7]            Il maîtrisait le dossier comptable de l'appelante; le dossier n'avait pas de secret pour lui. Il a expliqué qu'il avait organisé la comptabilité de l'appelante en fonction des exigences légales et réglementaires de l'ordre des pharmaciens et ce, à partir d'un seul compte bancaire, soit celui de l'appelante.

[8]            Il prévoyait ainsi une colonne spécifique, définie par la mention « labo » où était indiquées toutes les dépenses reliées au laboratoire; le tout étant également chiffré en pourcentage par rapport aux mêmes postes pour la balance des opérations reliées aux activités purement commerciales de la pharmacie.

[9]            À cet égard, la preuve a établi clairement une nette distinction entre les opérations commerciales versus les activités d'officine ou de laboratoire.

[10]          À la fin de l'année financière de la compagnie, toutes les dépenses sous la responsabilité personnelle d'Alain St-Pierre étaient isolées par rapport à celles dont la responsabilité était assumée par la compagnie « Gestion Alain-St-Pierre Inc. »

[11]          La preuve a cependant démontré que le comptable de l'appelante avait tendance à minimiser la réalité des deux personnalités juridiques, soit celle de l'appelante « Gestion Alain St-Pierre Inc. » et celle d'Alain St-Pierre personnellement.

[12]          Sous prétexte qu'Alain St-Pierre détenait la totalité des actions de la compagnie, qu'il en était le seul administrateur et que leur travail et énergies respectifs concernaient la même pharmacie, le comptable tout comme son client Alain St-Pierre d'ailleurs, ont semblé considérer la compagnie comme étant essentiellement une exigence administrative et comptable.

[13]          L'ambiguïté existait également à d'autres niveaux. En effet, monsieur Alain St-Pierre était hésitant lorsqu'il devait répondre aux questions relatives aux assurances, au bail ou autres ententes avec des tiers, ne sachant pas précisément si la compagnie de gestion ou lui-même était partie, intervenant ou caution. Suivant le témoignage du comptable, il aurait été impossible, sinon très difficile et beaucoup plus onéreux de faire des remises périodiques compte tenu que la comptabilité ne prévoyait pas d'interruptions dans le cours de l'année. Il s'agit là d'un argument qui ne tient aucunement.

[14]          En effet, lorsqu'un contribuable choisit d'organiser ses affaires en y intégrant une société de gestion, il doit en assumer les conséquences et surtout respecter les exigences du véhicule choisi par le maintien et respect d'une cohérence du fait qu'il y a là deux personnalités juridiques distinctes. L'argument des coûts additionnels découlant de l'existence des deux entités n'est carrément pas pertinent et ne peut être retenu.

[15]          Profiter des avantages et ignorer les inconvénients risquent de provoquer les effets contraires à ceux recherchés en ce que les tiers seront justifiés de ne pas tenir compte du statut corporatif. Le fait de posséder la totalité des actions, d'être le seul administrateur et d'exploiter des entreprises ayant sensiblement la même vocation ne sont pas des excuses ni un échappatoire aux exigences fondamentales commandées par la réalité des deux entités distinctes complètement indépendantes l'une de l'autre.

[16]          En l'espèce, si le comptable et Alain St-Pierre avaient réellement compris cette réalité incontournable, ils auraient mis en place une structure et surtout une ou des conventions ayant pour effets et conséquences de dissocier et partager beaucoup plus clairement les champs d'activités respectifs aux deux entités. Conséquemment, il aurait été plus facile et surtout plus simple d'évaluer et d'analyser les droits et obligations de chacune des entités.

[17]          Partant de la prémisse qu'Alain St-Pierre et Gestion Alain St-Pierre Inc. étaient deux entités séparées et distinctes, les parties auraient pu et surtout dû préparer une ou des conventions pour définir et prévoir les droits et obligations de chacune des entités. Dans cette hypothèse, il aurait été rapidement possible de constater l'existence d'un mandat et surtout d'en apprécier son contenu. Une telle séparation aurait aussi fait en sorte qu'il aurait été plus approprié de prévoir l'émission de comptes périodiques pour les honoraires de gestion.

[18]          Le fait de confondre les deux entités peut faire en sorte qu'il paraisse superflu d'exécuter certaines opérations sous prétexte que ça ne donne pas grand chose et que cela entraîne des coûts additionnels. Ce sont là d'ailleurs les motifs invoqués par le comptable de l'appelante.

[19]          Pareille augmentation et un tel raisonnement ne tiennent pas et ne sont aucunement recevables pour justifier ou expliquer l'absence de paiements périodiques trimestriels au niveau des comptes à rendre quant aux taxes payables, d'où le Tribunal refuse de souscrire aux prétentions de l'appelante qui devait et devra se conformer à cet égard à la Loi sur la Taxe d'Accise qui prévoit des paiements périodiques.

[20]          D'ailleurs l'appelante a fait la même erreur en protestant qu'il était futile et superflu de considérer comme fourniture taxable le service de gestion puisqu'Alain St-Pierre pouvait dans un second temps réclamer le montant des taxes déboursées comme intrant. Encore là, pour soutenir un tel raisonnement, cela suppose qu'il soit fait complètement abstraction de la réalité des deux personnalités juridiques distinctes.

[21]          Qu'en est-il de la cotisation à l'origine du présent appel ? Il n'y a aucun doute que les honoraires facturés par l'appelante au pharmacien Alain St-Pierre étaient bel et bien des fournitures taxables. Telles fournitures taxables devaient-elles inclure pour autant toutes les composantes totalisant pour les années en cause la somme de 1 142 199 $ à l'origine de la cotisation.

[22]          La preuve a révélé que l'appelante avait pris à sa charge diverses obligations imputables à Alain St-Pierre, personnellement es-qualité de pharmacien. Cela ressort clairement de la pièce A-7. Il m'apparaît utile d'en reproduire le contenu :

Gestion Alain St-Pierre Inc.

pour Alain St-Pierre, pharmacien

Répartition de la gestion pour le pharmacien

                                $               Dépenses               Dépenses              

Année                     %             taxables non-taxables          Honoraires             Total

1994                         $               63225                      166360    69602                      299187

                                %             21.13                       55.61                       23.26                       100.00

1995                         $               64655                      214481    44175                      323311

                                %             20.00                       66.34                       13.66                       100.00

1996                         $               82692                      268190    48815                      399697

                                %             20.69                       67.10                       12.21                       100.00

1997                         $               97291                      270353    51547                      419191

                                %             23.21                       64.49                       12.30                       100.00

1998                         $               110180                     336719    62535                      299187

                                %             21.63                       66.10                       12.27                       100.00

TOTAL $               418043                     1256103 276674     1950820

                                %             21.43                       64.39                       14.18                       100.00

[23]          L'avocate de l'appelante soutient que celle-ci détenait un mandat tacite de son seul actionnaire Alain St-Pierre pour l'exécution de certaines opérations. Si un tel mandat avait été convenu d'une manière expresse, il n'y aurait sans doute pas eu de litige et la cotisation établie à partir de la seule rubrique n'aurait sans doute pas fait l'objet d'un litige.

[24]          À défaut d'un mandat écrit, l'appelante peut-elle soutenir avoir agi en vertu d'un mandat tacite ?

[25]          Il m'apparaît utile de reproduire les articles 2130 et 2132 du Code civil du Québec relatifs au mandat :

#2130 Le mandat est le contrat par lequel une personne, le mandat, donne le pouvoir de la représenter dans l'accomplissement d'un acte juridique avec un tiers à une autre personne, le mandataire qui, par le fait de son acceptation, s'oblige à l'exercer.

                Ce pouvoir et, le cas échéant, l'écrit qui le constate, s'appellent aussi procuration.

#2132 L'acceptation du mandat est expresse ou tacite; elle est tacite lorsqu'elle s'induit des actes et même du silence du mandataire.

[26]          Bien qu'il eusse été préférable d'avoir un mandat écrit définissant précisément l'étendue des droits et obligations des parties, je ne crois pas que la preuve permette de conclure pour autant à l'absence de tout mandat.

[27]          En effet, la raison d'être de l'appelante et sa vocation fondamentale consistaient à prendre la charge de certaines responsabilités incombant normalement à Alain St-Pierre personnellement, d'où il existait de cette seule réalité un mandat tacite ou tout au moins présumé.

[28]          Outre cette réalité, l'appelante devait recevoir et a effectivement reçu des honoraires pour l'exécution des opérations financières réalisées. Le paiement d'honoraires confirme la réalité du mandat. Finalement, la preuve a démontré que monsieur Alain St-Pierre s'en remettait entièrement et totalement à l'appelante pour toutes les opérations commerciales et financières ajoutant qu'il n'avait aucun compte de banque à son nom.

[29]          Ces éléments m'apparaissent suffisants pour conclure qu'il existait bel et bien un mandat entre l'appelante et son seul actionnaire Alain St-Pierre. Il s'agissait d'un mandat tacite à titre onéreux.

[30]          Qu'en était-il du contenu de ce mandat ? Encore là, un mandat écrit aurait permis clarté et transparence quant au contenu. À défaut d'un tel mandat écrit la situation était ambiguë et équivoque d'autant plus que certaines rubriques comptables prêtaient à confusion et ce, même si le comptable a expliqué qu'il était assujetti aux respects des directives de son ordre professionnel quant à l'usage du vocabulaire utilisé, je fais notamment référence à la rubrique « Honoraires de Gestion » qui, selon la preuve ne correspondait aucunement au contenu de la rubrique; en effet, la preuve a établi que cette rubrique incluait des dépenses qui n'avaient rien à voir avec le titre utilisé. Le vocabulaire utilisé a orienté l'intimée sur une mauvaise piste puisqu'il était possible et plausible que tout le contenu de la rubrique fasse partie des honoraires de gestion, les nuances et réalités ayant normalement dû faire l'objet d'une convention expresse.

[31]          Pour déterminer le contenu du mandat intervenu entre l'appelante et son actionnaire unique Alain St-Pierre, la preuve a révélé que monsieur St-Pierre avait effectué des démarches auprès des officiers de l'intimée pour connaître ses obligations. Sur la foi des renseignements obtenus, de concert avec son comptable, Alain St-Pierre personnellement avait décidé de ne pas s'inscrire, soutenant que le tout était sans effet fiscal du fait qu'il aurait obtenu de toute façon le remboursement des sommes déboursées en s'inscrivant. Outre ces considérations, l'appelant a indiqué que la majorité des ventes étaient des fournitures non taxables du fait qu'il s'agissait de médicaments.

[32]          La cotisation, dont il est fait appel, a été établie d'une manière très simple; les vérificateurs ont essentiellement additionné pour la période en litige les montants indiqués à la rubrique « Honoraires de Gestion » et cotisé le total obtenu en ajoutant intérêts et pénalités. Le comptable de l'appelante aurait voulu que les vérificateurs aillent en profondeur dans leur analyse. En d'autres termes, le comptable aurait voulu que l'intimée ne tienne pas compte de ce qu'il a lui-même qualifié, défini et identifié; l'argument du comptable est absurde et tout à fait inacceptable lorsqu'il affirme que le titre ou la rubrique choisi ne correspondait pas avec le contenu. Partant de cette prémisse, le comptable soutient que l'intimée aurait dû ne pas tenir compte du poste retenu et cotiser à partir du contenu désavoué par le titre.

[33]          L'argument ne tient pas d'autant plus que le comptable a été en quelque sorte lui-même l'artisan du véhicule choisi.

[34]          L'appelante a tenté sans succès de faire la démonstration auprès des analystes et vérificateurs de l'intimée que la rubrique « Honoraires de Gestion » regroupait des composantes qui n'avaient rien à voir avec le travail et les honoraires inhérents à la gestion. À cet égard, l'appelante a grandement contribué, encouragé et inspiré une telle approche en définissant et qualifiant elle-même les montants cotisés des honoraires de gestion.

[35]          La preuve soumise par l'appelante a donc principalement consisté à faire la démonstration que bien que clairement exprimé et libellé aux états financiers, à la rubrique « Honoraires de Gestion » , qui regroupaient des éléments qui n'avaient rien à voir avec le titre indiqué aux états financiers.

[36]          À la lumière de la preuve soumise, il appert que l'appelante a relevé en partie le fardeau de la preuve qui lui incombait en démontrant, suivant la balance des probabilités, que deux des trois composantes de la rubrique « Honoraires de Gestion » ne faisaient pas en réalité partie de ce poste et que l'appelante en avait assumé la responsabilité dans le cadre de son mandat tacite.

[37]          Par contre, il appert que les honoraires de gestion établis à un pourcentage de plus ou moins 15 pour-cent étaient bel et bien des fournitures taxables.

[38]          Quant aux intérêts, ce Tribunal n'a pas l'autorité pour intervenir lorsque la cotisation a correctement été établie. Pour ce qui est des pénalités applicables résultant de la prochaine cotisation découlant de ce jugement, il n'y a aucune raison ni preuve qui justifie sa non imposition.

[39]          Conséquemment, il y a lieu de faire droit à l'appel en ce que seul les honoraires de gestion véritables constituaient une fourniture taxable.

[40]          Pour ces motifs, l'appel est accueilli en ce que seul les honoraires de gestions véritables constituaient des fournitures taxables. Quant à la pénalité applicable sur les fournitures taxables définies par le présent jugement, elle était pleinement justifiée. Il en est de même pour les intérêts.

Signé à Ottawa, Canada ce 8e jour de mars 2001.

« Alain Tardif »

J.C.C.I.

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