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Date: 20010522

Dossier: 2000-3574-IT-I

ENTRE :

ROBERT Z. S. URPESZ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]      Les appels en l'instance sont interjetés à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1994 et 1995. Le représentant de l'appelant, M. Follwell, et l'avocat du ministre m'ont informé que le montant d'impôt des cotisations était de zéro en raison de l'application de pertes subies au cours d'années antérieures en vertu de l'article 111 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]      Les cotisations n'ont pas été déposées en preuve, bien qu'elles soient annexées aux avis d'appel. Elles n'établissent aucun impôt pour chaque année, même si le revenu imposable pour 1994 était de 13 226 $.

[3]      L'unique question concerne par conséquent l'imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi. J'ai demandé à l'avocat sur quel fondement législatif l'imposition d'une pénalité s'appuyait lorsque aucun impôt n'était fixé compte tenu du fait que la pénalité constitue le pourcentage de l'impôt supplémentaire établi sur le revenu non déclaré.

[4]      L'avocat m'a renvoyé à l'alinéa 163(2.1)c), qui a selon lui pour effet d'empêcher la réduction de la déclaration en moins du revenu par des pertes subies au cours d'années antérieures en vertu de l'article 111. La question de savoir si la disposition accomplit ce que l'avocat prétend qu'elle accomplit est un élément que je n'ai pas à examiner, puisque j'ai conclu que l'intimée ne s'était pas déchargée du fardeau que lui impose le paragraphe 163(3) de justifier les pénalités.

[5]      L'avocat a également reconnu que le ministre n'avait pas établi de nouvelle cotisation, après la production de l'opposition pour 1994, afin de réduire les pénalités de 8 149 $, comme cela était déclaré dans le formulaire T7W-C accompagnant l'avis de cotisation.

[6]      Les avis de cotisation n'indiquent pas le montant des pénalités ou si ces dernières ont vraiment été imposées. Le sous-paragraphe 9j) de la réponse précise notamment que des pénalités de 1 655,25 $ et de 258,30 $ pour 1994 et 1995 ont été imposées. Comment le ministre peut-il déclarer, dans le formulaire T7W-C de 1994, que

                   [TRADUCTION]

les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) doivent être réduites de 8 149 $

alors que la réponse précise que tout ce qu'il a imposé, c'est un montant de 1 655,25 $? Cela demeure un mystère. Le ministre promet-il un crédit de 8 149 $ - 1 655,25 $ ou de 6 493,75 $ pouvant être reporté pour des omissions futures?

[7]      La réduction promise devrait au moins complètement éliminer la pénalité imposée pour 1994, ne laissant en litige qu'une pénalité de 258,30 $ pour 1995. Je pense que, ce que l'on voulait faire, c'était réduire la pénalité à la suite de la réduction du revenu de 8 149 $.

[8]      L'appelant a exploité une entreprise de vente de voitures d'occasion en 1994 et en 1995. Jusqu'au 26 juillet 1995, une entreprise était exploitée sous le nom de North East Car Sales à Lindsay, en Ontario. Le 20 novembre 1995, l'appelant a démarré une autre entreprise de voitures d'occasion à un endroit différent sous le nom de Country Auto Sales.

[9]      Au départ, la vérification a dévoilé des ventes supérieures de 45 889,17 $ pour 1994 provenant de factures de vente, de dépôts de montants dans le cadre de ventes d'automobiles, des ventes de produits de vinyle et des locations. Pour l'année 1995, la vérificatrice a découvert des ventes non déclarées de 24 354,77 $.

[10]     Après d'autres observations, la vérificatrice a réduit les ventes non déclarées pour 1994 à 22 486,81 $ et pour 1995 à 6 317,12 $. Après la production d'une opposition, les ventes non déclarées pour 1994 ont été réduites de 8 149 $ pour s'élever à 14 337,81 $.

[11]     La vérificatrice a également rejeté un certain nombre de dépenses, mais ce rejet ne forme pas le fondement d'une pénalité et n'a pas été contesté.

[12]     La vérificatrice, Mme L. Borland, a été appelée comme témoin. Je l'ai trouvée crédible, consciencieuse et minutieuse et je ne peux critiquer la manière dont elle a procédé à la vérification. Elle a travaillé dans des conditions très difficiles. Les livres de l'appelant n'étaient pas en bon ordre, et l'appelant ne collaborait pas. En effet, si le comportement de ce dernier en cour peut indiquer le traitement qu'il a offert à la vérificatrice, il était insultant.

[13]     Mme Borland a comparé les ventes déclarées aux autres éléments de preuve de ventes et de location et a fondé sa conclusion sur la divergence existant entre les ventes déclarées et les ventes totales qu'elle avait déterminées.

[14]     Je ne peux critiquer cette méthode de procéder pour établir une cotisation fiscale. Un répartiteur peut se fonder sur ce genre de preuve - le ouï-dire ou autre chose - s'il y en a, et si le contribuable n'est pas d'accord, il peut interjeter appel et il doit accepter de démontrer que la cotisation fiscale est erronée.

[15]     Différentes règles régissent l'établissement du bien-fondé de l'imposition de pénalités en vertu du paragraphe 163(2). En vertu du paragraphe 163(3), l'intimée a le fardeau de prouver tous les éléments constitutifs nécessaires du paragraphe 163(2). Cela comprend le fait de prouver le montant de revenu qui a été déclaré en moins, le bien-fondé du montant de la pénalité et le fait que la déclaration en moins a été effectuée sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde.

[16]     J'ai demandé à l'avocat sur quel élément de preuve il se fondait pour justifier la pénalité. Il a répondu que les registres de l'appelant n'étaient pas adéquats. Il ne s'agit pas là d'une preuve de faute lourde. Il n'a pas suggéré que les déclarations en moins du revenu aient été sciemment produites. L'appelant s'est retrouvé à la barre des témoins et il aurait pu le contre-interroger sur ce point. Son contre-interrogatoire aurait dû être minutieux et approfondi, mais il a plutôt été sommaire et superficiel : il n'a porté ni sur les prétendues déclarations en moins révélées par Mme Borland ni sur les circonstances dans lesquelles elles avaient été effectuées. Mme Borland a effectué le travail préliminaire, sur lequel l'intimée aurait pu bâtir une cause lui permettant d'appuyer l'imposition des pénalités, mais cela n'a pas été fait.

[17]     La règle a été énoncée par lord Hershell dans l'affaire Browne v. Dunn, (1893) 6 R 67, aux pages 70 et 71 :

                   [TRADUCTION]

Maintenant, vos Seigneuries, je ne peux m'empêcher d'affirmer qu'il me semble absolument essentiel à la conduite appropriée d'une affaire, lorsque l'on veut insinuer qu'un témoin ne dit pas la vérité sur un point en particulier, de diriger son attention sur le fait en cause par certaines questions posées en contre-interrogatoire indiquant que cette imputation sera établie et de ne pas prendre son témoignage pour le laisser passer comme une question qui n'est pas du tout contestée, puis de soutenir qu'il est un témoin qui n'est pas digne de confiance lorsqu'il lui est impossible d'expliquer, ce qu'il aurait peut-être pu faire si ces questions lui avaient été posées, les circonstances qui laissent entendre que l'histoire qu'il raconte ne doit pas être crue. Vos Seigneuries, j'ai toujours compris que, si vous souhaitez mettre en doute le témoignage d'une personne, vous devez, lorsqu'elle se trouve à la barre des témoins, lui donner l'occasion d'offrir une explication. Selon moi, il ne s'agit pas seulement d'une règle de pratique professionnelle dans la conduite d'une affaire, mais cela est également essentiel afin d'être franc-jeu avec les témoins et de les traiter équitablement. Des réflexions ont parfois été apportées quant au contre-interrogatoire excessif des témoins, qui était considéré comme exagéré. Toutefois, il me semble que le contre-interrogatoire excessif d'un témoin peut être beaucoup plus équitable pour lui que le fait de ne pas être contre-interrogé et d'être considéré comme un témoin qui ne dit pas la vérité, c'est-à-dire sur un point pour lequel il n'a pas autrement été clairement informé à l'avance de l'intention de mettre en doute la crédibilité de l'histoire qu'il raconte.

[18]     Il était essentiel pour la cause de la Couronne de remettre en question, lors du contre-interrogatoire, ce qu'avait à dire l'appelant relativement aux prétendues ventes non déclarées et à la raison de la prétendue déclaration en moins. L'omission de le faire a été fatale.

[19]     Le seul précédent que l'avocat m'a soumis était une décision de 1979, rendue par la Commission de révision de l'impôt (Lahaie v. M.N.R., 79 DTC 743).

[20]     Il se trouve que la jurisprudence portant sur cette branche du droit est abondante. On peut débuter avec les nombreuses pages suivant le paragraphe 163(2) de la Loi dans le Canadian Tax Reporter de CCH ou le Canada Tax Service de DeBoo. Une affaire récente est celle intitulée Farm Business Consultants Inc. c. La Reine, C.A.F., no A-542-94, 18 janvier 1996 (96 DTC 6085), dans laquelle la Cour d'appel fédérale a confirmé une décision de cette cour (C.C.I., no 92-2597(IT)G, 16 septembre 1994 (95 DTC 200)). Aux pages 11, 12 et 13 (DTC: aux pages 205 et 206), cette cour a déclaré ceci :

Je suis conscient que le sous-alinéa 152(4)a)(i) a pour objet d'ouvrir les déclarations qui s'appliquent à des années frappées de prescription quand, pour toutes sortes de raisons, les éléments de revenu sont omis ou présentés de façon erronée, alors que le paragraphe 163(2) est une disposition pénale et que, si, au moment de l'appliquer, le type de conduite à laquelle est attribuable la présentation erronée des faits soulève un doute, il faudrait accorder le bénéfice du doute au contribuable. Dans l'affaire Udell v. M.N.R., 70 D.T.C. 6019, le juge Cattanach déclare ce qui suit, à la page 6025 du recueil :

            [TRADUCTION]

            Il ne fait aucun doute que le paragraphe 56(2) est une disposition de nature pénale. Lorsque l'on interprète une telle disposition, il convient de tenir compte des propos inattaquables de lord Esher dans l'affaire Tuck & Sons v. Priester, (1887) 19 Q.B.D. 629 : lorsque le libellé d'une disposition de nature pénale est susceptible à la fois d'une interprétation qui mènerait à l'imposition de la pénalité prévue, et d'une autre qui n'y mènerait pas, c'est cette dernière qui prévaut. Voici ce qu'il dit à la page 638 :

Il faut interpréter cette disposition avec grand soin car elle mène à l'imposition d'une pénalité. S'il existe une interprétation raisonnable qui permettra d'éviter la pénalité dans une cause particulière, c'est celle-là qu'il faut retenir.

et, ajoute-t-il, à la page 6026 du recueil :

Il est clair selon moi que lorsqu'il est question d'imposer un impôt ou un droit, et plus encore une pénalité, s'il existe un doute raisonnable il faut interpréter la loi de manière à accorder le bénéfice du doute à la partie à qui l'on cherche à imputer le montant en question.

            Voir aussi Holley v. M.N.R., 89 DTC 366, à la p. 369; De Graaf v. The Queen, 85 DTC 5280.

                        Une cour doit faire preuve d'une prudence extrême lorsqu'elle sanctionne l'imposition de pénalités prévues au paragraphe 163(2). Une conduite qui légitime l'établissement d'une nouvelle cotisation à l'égard d'une année frappée de prescription ne justifie pas d'office l'imposition d'une pénalité, et l'imposition systématique de pénalités, par le ministre, est une pratique qui est à déconseiller. Une conduite du genre de celle qui est envisagée au sous-alinéa 152(4)a)(i) peut, dans certaines circonstances, servir aussi de fondement à l'imposition d'une pénalité prévue au paragraphe 163(2), qui implique la pénalisation d'une conduite plus répréhensible. Dans un tel cas, une cour doit, même en appliquant une norme de preuve civile, étudier soigneusement la preuve et chercher un degré de probabilité supérieur à celui auquel on s'attendrait dans les situations où l'on cherche à établir le bien-fondé d'allégations moins sérieuses3. Par ailleurs, quand une pénalité est imposée en vertu du paragraphe 163(2) même si une norme de preuve civile est exigée, lorsque la conduite d'un contribuable cadre avec deux hypothèses viables et raisonnables, l'une qui justifie la pénalité et l'autre pas, il convient d'accorder le bénéfice du doute au contribuable, et de supprimer la pénalité4. Je crois qu'en l'espèce, l'intimée a fait la preuve du degré de probabilité requis, et qu'au vu de la preuve produite, aucune hypothèse incompatible avec celle que l'intimée a avancée ne peut être défendue.

_________________

            3 Voir Continental Insurance Co. v. Dalton Cartage Co., [1982] 1 R.C.S. 164; 131 D.L.R. (3rd) 559; 25 C.P.C. 72, le juge en chef Laskin, p. 168-171; D.L.R. 562-564; C.P.C. 75-77). Bater v. Bater, [1950] 2 All E.R. 458, p. 459; Pallan et al v. M.N.R. 90 D.T.C. 1102, p. 1106; W. Tatarchuk Estate v. M.N.R., [1993] 1 C.T.C. 2440, p. 2443.

            4 Il ne s'agit pas simplement d'une extrapolation de la règle énoncée dans l'affaire Hodge's Case (1838) 2 Lewin 227; 168 E.R. 1136, qui se rapporte à des questions de nature criminelle comme celle que vise, par exemple, l'article 239 de la Loi de l'impôt sur le revenu, qui requiert une preuve au-delà du doute raisonnable. Il s'agit simplement d'une application du principe selon lequel une pénalité ne peut être imposée que dans les cas où la preuve le justifie clairement. Si cette dernière est compatible avec, à la fois, l'état d'esprit qui justifie une pénalité en vertu du paragraphe 163(2) et l'absence de cet état d'esprit - j'hésite à employer les mots innocence ou culpabilité dans ces circonstances - cela voudrait dire que la Couronne ne s'est pas acquittée du fardeau qui pesait sur ses épaules.

[21]     Deux décisions rendues par le juge Strayer dans les affaires Venne c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-815-82, 9 avril 1984 (84 DTC 6247) et De Graaf c. La Reine, C.F. 1re inst., no T-5291-80, 3 mai 1985 (85 DTC 5280) m'ont été très utiles sur cette question. Aucune de ces affaires n'a été mentionnée par l'avocat.

[22]     À la page 19 (DTC: à la page 6256) de l'affaire Venne, le juge Strayer déclare ce qui suit :

            Quant à la possibilité d'une faute lourde, j'ai conclu, après hésitation, qu'elle n'a pas non plus été établie ici. La « faute lourde » doit être interprétée comme un cas de négligence plus grave qu'un simple défaut de prudence raisonnable. Il doit y avoir un degré important de négligence qui corresponde à une action délibérée, une indifférence au respect de la loi. Je ne conclus pas à l'existence d'un tel degré de négligence en rapport avec les faux énoncés de revenus commerciaux. Certes, le contribuable n'a pas fait preuve de la prudence d'un homme raisonnable et, comme je l'ai déjà fait remarquer, il aurait au moins dû réviser ses déclarations de revenus avant de les signer. Ce faisant, un homme raisonnable, eu égard aux autres renseignements dont il disposait, aurait été amené à croire que quelque chose n'allait pas et aurait cherché à en savoir plus long auprès de son teneur de livres.

[23]     Il ressort notamment de ces décisions qu'en vue de prouver le bien-fondé d'une pénalité imposée en vertu du paragraphe 163(2), il est tout à fait incorrect pour l'avocat de la Couronne de tenter de prouver en se fondant sur du ouï-dire certaines déclarations en moins du revenu, de ne pas contre-interroger la personne à qui l'on veut attribuer la faute lourde et de ne présenter aucune preuve de faute lourde.

[24]     La Couronne n'avait tout simplement pas d'arguments justifiant l'imposition de pénalités.

[25]     Les appels sont admis et les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) pour les années d'imposition 1994 et 1995 sont annulées. L'appelant a droit à ses frais, s'il en est, conformément au tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mai 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3574(IT)I

ENTRE :

ROBERT Z. S. URPESZ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 14 mai 2001 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  William Follwell

Avocat de l'intimée :                            Me Brent Cuddy

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995 soient admis et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour qu'il établisse de nouvelles cotisations en tenant compte du fait que les pénalités imposées en vertu du paragraphe 163(2) sont annulées.

          L'appelant a droit à ses frais, s'il en est, conformément au tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mai 2001.

« D. G. H. Bowman »

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 29e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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