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Date: 20011026

Dossiers : 98-1960-IT-G

ENTRE :

GUY WELLS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée,

ET

Dossiers : 98-1962-IT-G

NICOLE WELLS,

appelants,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            Les appelants ont convenu de procéder par preuve commune. Les appels portent sur les années d'imposition 1994 et 1995.

[2]            La seule question en litige est de déterminer la valeur réelle d'un tableau de l'artiste peintre " Suzor-Côté ", titré " Le Moine au fiasque ". Le tableau dont la valeur est litigieuse a fait l'objet d'une donation par les appelants au Musée du Saguenay Lac St-Jean en 1994.

[3]            Au soutien de leur position respective, les parties ont fait témoigner chacun deux experts.

[4]            Dans un premier temps, l'appelante Nicole Wells a témoigné sur les faits et circonstances à l'origine de leur titre de propriété; elle a fait état de la très grande valeur patrimoniale du tableau pour la famille Wells et finalement indiqué que le tableau était toujours demeuré dans la famille.

[5]            Il a été ainsi établi que la famille Wells avait acquis un tableau par donation pour des services rendus. La famille Wells a gardé très précieusement le tableau et l'a placé à un endroit stratégique démontrant l'importance qu'il occupait dans la vie familiale.

[6]            À un certain moment, la famille aurait reçu une offre alléchante qui n'a pas été considérée. La preuve de la valeur familiale et de la qualité du titre de propriété a été suivie par le témoignage des deux experts des appelants soit : Pierre Bévilacqua, courtier en oeuvre d'art et Annie Cantin, évaluatrice professionnelle en art.

[7]            Monsieur Pierre Bévilacqua, courtier en oeuvre d'art, a évalué le tableau à partir d'une photo, dont une copie a été produite. J'ai pu constater qu'il s'agissait d'une photo d'excellente qualité.

[8]            Au soutien de son évaluation, l'expert Bévilacqua a principalement tenu compte de la grandeur ou surface de la toile et de la qualité du cadre.

[9]            Son approche fut essentiellement mathématique; il l'a complétée par divers éléments telle la valeur familiale, la qualité du titre de propriété et la valeur de l'encadrement.

[10]          Monsieur Bévilacqua a bien situé la période d'exécution de l'oeuvre de Suzor-Côté; il a admis qu'il s'agissait d'une oeuvre de jeunesse du peintre, réalisée avant ses études en Europe et avant l'atteinte de sa maturité à l'origine d'un style plus personnel et caractéristique, développé et parfaitement maîtrisé suite à ses nombreux séjours en Europe.

[11]          L'évaluation a essentiellement consisté à découvrir une valeur moyenne au centimètre carré, au moyen de l'analyse de plusieurs oeuvres du même artiste; il a ensuite multiplié le prix moyen obtenu au centimètre par le nombre de centimètres du tableau qu'on lui avait demandé d'évaluer. Il a consulté et analysé plusieurs transactions dont les détails ont été obtenus par le biais du réseau Internet; il a ainsi obtenu une liste d'une trentaine de transactions. Il a exclu les dessins et deux ventes dont les prix étaient largement supérieurs aux autres, sans raison précise. Finalement, il a ainsi déterminé le coût moyen au centimètre carré.

[12]          Le prix moyen obtenu au centimètre carré est devenu le barème de son évaluation du tableau litigieux. Il a élaboré et discouru sur les talents et la réputation internationale du peintre Côté. Il a longuement fait état de la valeur ajoutée conséquente à la qualité des propriétaires et au fait de la continuité connue du titre de propriété. Il a indiqué que la qualité du cadre était exceptionnelle; il a affirmé que le cadre avait pu être sculpté par le peintre lui-même qui avait des talents artistiques multiples. Monsieur Bévilacqua a démontré par son témoignage qu'il avait des connaissances d'ordre général sur la vie et carrière de Suzor-Côté.

[13]          Il a cependant lui-même admis que son expérience tant au niveau d'évaluation des tableaux de ce grand maître qu'au niveau des achats et ventes auxquels il avait été associé, était limité.

[14]          Quant au témoignage de madame Cantin, deuxième témoin expert des appelants, je le qualifierais de plutôt sympathique. Elle a surtout mis en relief son enthousiasme pour l'art en général. Madame Cantin a effectué des démarches honnêtes, guidées par un engouement et une grande passion pour les arts en général, mais avec un penchant particulier pour toutes les oeuvres de Suzor-Côté.

[15]          Elle a reconnu n'avoir jamais évalué d'oeuvre de Suzor-Côté, se pressant d'ajouter qu'elle et son conjoint étaient propriétaires de trois tableaux de ce peintre réputé. Madame Cantin, tout comme monsieur Bévilacqua, experts des appelants, ont démontré par leur témoignage respectif qu'ils avaient plusieurs choses en commun, notamment :

-               une très grande admiration et un profond respect pour le peintre Suzor-Côté;

-                très peu d'expérience dans l'évaluation des oeuvres de Suzor-Côté;

-                l'utilisation d'une approche plutôt mathématique pour déterminer la valeur du tableau; la formule utilisée consistait à découvrir un prix moyen au centimètre carré dans un premier temps laquelle valeur était dans un second temps multipliée par la surface de l'oeuvre litigieuse.

[16]          Les deux experts des appelants étaient plutôt généralistes au niveau des arts en général. Leurs champs d'expertise englobaient les tableaux, les antiquités, les sculptures, etc. Je ne crois pas que les experts des appelants puissent être considérés comme ayant des connaissances exceptionnelles sur l'oeuvre et la carrière de Suzor-Côté. Certes, ils connaissaient très bien les aspects et volets fondamentaux de sa carrière, mais je ne crois pas qu'ils avaient une expérience d'un très haut niveau sur les transactions relatives à ses oeuvres. En d'autres termes, il ne s'agissait pas d'experts spécialisés dans les oeuvres de Suzor-Côté.

[17]          Les experts mandatés par les appelants ont tous deux privilégié l'approche comparable pour déterminer la valeur du tableau sur lequel porte le présent appel. La formule consistait à faire une comparaison de la valeur de certains tableaux avec celui qu'ils avaient mandat d'évaluer.

[18]          Monsieur Bévilacqua a fait l'analyse des prix obtenus lors de plus d'une vingtaine de transactions, alors que madame Cantin a ciblé beaucoup moins de tableaux.

[19]          Dans les deux cas, la preuve a été très peu élaborée sur la nature, la qualité, la date, le sujet et le motif des tableaux retenus pour fins de comparaisons par monsieur Bévilacqua et madame Cantin.

[20]          Monsieur Bévilacqua a lui-même développé son expertise au fil des ans, il s'est initié et a oeuvré dans le domaine des arts pour en avoir fait son gagne-pain. Propriétaire d'une galerie à Sherbrooke, il s'est documenté sur Suzor-Côté à partir de lectures, motivé par un très vif intérêt pour ce très grand peintre. Il a d'ailleurs indiqué qu'il considérait Suzor-Côté, comme un des plus grands et complets artistes au Canada.

[21]          Le témoignage de monsieur Bévilacqua a permis d'apprendre qu'il n'avait à peu près jamais évalué de tableaux signés par Suzor-Côté. Pour ce qui est de l'achat et de la vente de tableaux de ce grand peintre canadien, la preuve a révélé qu'il en avait transigé très peu voire quelques-uns tout au plus.

[22]          De son côté, l'intimée a fait témoigner deux experts bénéficiant d'une grande expérience et d'une compétence considérable voire même exceptionnelle sur la valeur des oeuvres et la carrière du peintre Marc-Aurèle Côté devenu plus tard Suzor-Côté.

Experts de l'intimée

[23]          Monsieur Alan Klinkhoff, premier expert de l'intimée a indiqué qu'il avait lui-même transigé plus d'une centaine d'oeuvres du peintre Côté. Il a organisé et participé à diverses expositions. Il a mentionné connaître plusieurs collectionneurs et avoir une très grande connaissance de la valeur des tableaux du peintre Côté dont les oeuvres enrichissent, depuis plusieurs années, la galerie que possède sa famille.

[24]          L'évaluation de monsieur Klinkhoff a résulté d'une analyse très méticuleuse et sérieuse du tableau dans un premier temps. Dans un second temps, il a apprécié le tableau sous l'angle essentiellement commercial à partir de ses connaissances très étendues du marché et des collectionneurs pouvant avoir un intérêt pour ce genre de tableau.

[25]          La qualité du témoignage de monsieur Klinkhoff a fait ressortir sa vaste expérience, mais aussi un sens critique qui a permis d'apprendre qu'il ne suffit pas d'être un peintre de réputation internationale pour que tous les tableaux soient considérés d'une valeur comparable ou exceptionnelle. Il a expliqué, avec exemples à l'appui, que deux tableaux de même dimension, du même peintre, réalisés à une époque assez rapprochée peuvent avoir une valeur diamétralement opposée.

[26]          Monsieur Klinkhoff a témoigné d'une manière objective. Son intérêt, son admiration et son respect pour Suzor-Côté n'ont pas semblé affecter son sens critique et l'objectivité de ses commentaires et observations. Son témoignage a démontré de manière non équivoque qu'il détenait les connaissances et l'expérience voulues pour évaluer, d'une manière très crédible, la valeur du tableau.

[27]          Les compétences et la longue carrière de l'expert Klinkhoff dans le monde des arts de haut niveau, font en sorte que ce Tribunal n'a aucune raison valable de mettre en doute son évaluation.

[28]          Pour disqualifier en tout ou en partie l'expertise de monsieur Klinkhoff, il eut fallu que la preuve permette et soutienne certains reproches ou griefs, ce qui n'a pas été le cas.

[29]          L'intimée a ensuite fait témoigner monsieur Laurier Lacroix. Manifestement, monsieur Lacroix avait des connaissances très poussées et une expérience exceptionnelle sur les oeuvres du peintre Suzor-Côté. L'approche de monsieur Lacroix était une approche beaucoup plus documentée, mieux située dans le temps et plus académique que celle de l'expert Klinkhoff, dont la caractéristique principale était la connaissance et la vaste expérience pratique en matière de transaction des tableaux et de la clientèle attirée par les oeuvres de Suzor-Côté.

[30]          L'évaluation d'un tableau exige de la part de l'expert des connaissances approfondies, une expérience exceptionnelle du marché et plus spécifiquement de l'intérêt et des attentes des clients éventuels. Il s'agit également d'une démarche rationnelle où il doit être fait abstraction de ses sentiments personnels et de tous autres éléments ou facteurs subjectifs.

[31]          Plusieurs détails peuvent et doivent être pris en considération tels, la période de réalisation versus l'ensemble de l'oeuvre de l'auteur, le sujet, la qualité de réalisation, l'état de conversation, etc.

[32]          Tous ces éléments discréditent l'approche essentiellement mathématique basée sur la surface de la toile où il n'y a pas de place pour les nuances, la période, le contexte, l'état d'âme du peintre, etc.

[33]          Je vois mal comment la valeur réelle d'un tableau d'un grand peintre bénéficiant d'une réputation débordant largement les frontières de son pays d'origine et dont les oeuvres sont recherchées par un grand nombre de collectionneurs, puisse être établie par un prix moyen au pouce carré ou au centimètre carré émanant presque exclusivement d'une moyenne obtenue des suites de la vente d'un certain nombre d'oeuvres.

[34]          La carrière d'un peintre est généralement marquée par des influences extérieures, par des facteurs tels, problèmes de famille, de santé, ses fréquentations et autres bonnes et mauvaises expériences qui influencent ou affectent son travail artistique.

[35]          Comme tout être humain, un artiste évolue, se développe, apprend avant d'atteindre la maturité; ses oeuvres deviennent ainsi plus caractéristiques et plus personnelles. Il peut aussi arriver que, pour de multiples raisons, un artiste adopte différents styles, subissent différentes influences avant de produire des oeuvres dont la qualité n'est aucunement comparable à ses autres tableaux. Conséquemment, les oeuvres d'un même peintre peuvent avoir des variables considérables quant à leur valeur marchande et l'intérêt des acheteurs est souvent fonction de ces réalités multiples.

[36]          Devant autant de scénarios et d'hypothèses comment imaginer et surtout accepter que la valeur d'une toile soit déterminée selon une méthode essentiellement mécanique et mathématique.

[37]          Cette approche et méthode peuvent avoir un intérêt, mais il s'agit d'une façon de faire certainement contestable, à moins que la méthode prenne en considération des transactions ayant trait à des oeuvres réalisées à la même période où les thèmes et sujets sont similaires, que la qualité et le soin de l'exécution sont comparables etc. etc. La pertinence des comparables doit être démontrée par une preuve appropriée, ce qui n'est pas un exercice très facile puisque cela sous-entend que l'expert a les compétences et l'autorité pour inventorier les toiles ainsi comparables.

[38]          En l'espèce, les experts des appelants connaissaient certes Suzor-Côté. Ils lui vouaient un respect et une admiration à un point tel que je crois que leur sens critique en a été quelque peu affecté.

[39]          Pour apprécier, analyser et évaluer un oeuvre d'art, la signature est certes une indication, mais ce n'est certainement pas le seul critère ou le critère dominant, un nombre impressionnant d'autres éléments doit être pris en compte.

[40]          En l'espèce, les experts des appelants ont accordé une importance tout à fait démesurée à la signature du tableau. En effet, leur témoignage a révélé que leur intérêt et passion pour le peintre affectaient la qualité de leur expertise au point d'en surévaluer considérablement la valeur réelle.

[41]          De leur côté, les experts de l'intimée avaient manifestement des connaissances plus élaborées et complètes des oeuvres de Suzor-Côté. Dans le cas de monsieur Alan Klinkhoff, la caractéristique principale était la connaissance et la vaste expérience en matière de transactions des tableaux et dans le cas de Monsieur Laurier Lacroix c'était sur la vie, la carrière et l'ensemble de la production de Suzor-Côté.

[42]          Dans un cas comme dans l'autre, les experts de l'intimée ont démontré par leur témoignage avoir des connaissances et une expertise remarquable, et cela, tant du côté théorique que pratique. Ils ont témoigné d'une manière rationnelle et ont expliqué objectivement la démarche et le cheminement suivis pour en arriver à leur évaluation respective.

[43]          Bien que leur évaluation soit très différente quant au montant retenu, soit de 20 000 $ (pièce I-14) dans le cas de monsieur Klinkhoff et entre 4 000 $ et 6 000 $ (pièce I-19) dans le cas de monsieur Lacroix, leur analyse se compare à beaucoup d'égards.

[44]          Tous deux ont indiqué, après avoir fait une analyse visuelle, sérieuse et professionnelle du tableau, qu'il s'agissait d'une oeuvre de jeunesse, réalisée avant son départ pour l'Europe. Tous deux ont indiqué que les séjours de Suzor-Côté en Europe avaient façonné sa carrière et contribué de façon significative à l'atteinte de sa maturité artistique.

[45]          Les deux experts ont fait état que le tableau avait sans doute été une copie ou très fortement inspiré d'un tableau peint par un inconnu. Ils ont aussi noté un manque de raffinement et une technique très imparfaite, tout particulièrement au niveau du trait des mains tenant la cruche.

[46]          Globalement, selon les experts de l'intimée, le tableau sur lequel porte l'appel n'avait de Suzor-Côté que sa signature. Selon eux, il s'agissait d'un tableau réalisé à ses débuts, au moment où le peintre n'avait aucune technique, si ce n'est le talent. Il s'agissait en quelque sorte d'un exercice pratique dont le but était de se faire la main ou de faire une expérience qui s'inscrivait au tout début d'un très long cheminement artistique.

[47]          Selon monsieur Lacroix, il y a d'ailleurs là la réponse ou le sens à donner au contenu d'une carte postale où Suzor-Côté renie la paternité du tableau. Suivant monsieur Lacroix, il est fort possible que Suzor-Côté ait lui-même réalisé le tableau, mais à une époque où il était tellement novice, apprenti et inexpérimenté qu'il n'a pas voulu associer son nom à une oeuvre dont il n'était de toute évidence pas très fier.

[48]          Ils ont aussi mentionné que le sujet était sans intérêt, peu populaire et sans valeur pour un collectionneur. Ils ont reconnu que le tableau pouvait avoir une valeur minimale et marginale du fait qu'il s'agissait du tableau d'un artiste qui est par la suite devenu un grand et prestigieux nom; le tableau ayant une valeur minimale a pour seul mérite de permettre de faire le constat de l'étonnant cheminement et développement des talents du peintre.

[49]          Il s'agissait, selon eux, d'un tableau peu intéressant susceptible d'intéresser un très petit nombre d'acheteurs; le seul attrait étant de faire la preuve de l'étonnant développement du peintre. Selon monsieur Lacroix, il s'agit là d'une motivation rarissime au point qu'il ne peut en être tenu compte. L'appréciation des deux experts de l'intimée m'apparaît être très bien résumée, par les extraits suivants de leur témoignage :

Expérience et compétence de monsieur Klinkhoff

Q.             À ce moment-là, je vais juste demander quand même à monsieur Klinkhoff, quelle est son expérience du marché en ce qui concerne Suzor-Côté?

R.             Énorme, Monsieur le Juge, je travaille avec des Suzor-Côté régulièrement. J'ai apporté avec moi une liste d'un choix de nombreux de Suzor-Côté que j'ai vendu dans les derniers sept, huit, neuf ans. J'ai amené aussi une liste de probablement une centaine de Suzor-Côté que j'ai évalué pour différents clients entre autres des musées, plusieurs compagnies même juste par pur hasard, hier après le procès, j'ai été engagé pour aller visiter un ancien client de la galerie Dominion de Montréal pour faire une évaluation pour un Suzor-Côté chez une dame à Sillery, Québec. Avant-hier, j'ai acheté un bronze par Suzor-Côté, la semaine passée on a vendu un bronze par Suzor-Côté, je suis si proche d'acheter un magnifique Suzor-Côté à Boston, on les achète et on les vend très agressivement dans le marché, je crois que je puisse vous assurer qu'il n'y a aucune galerie active dans le marché actuel qui a vendu et évalué autant de Suzor-Côté que la nôtre. Aussi, je devrais vous souligner qu'en 1978 avec mon frère, Éric, on a organisé une exposition, un hommage à Suzor-Côté à la galerie Walter Klinkhoff où il y avait absolument rien à vendre, c'était juste une étude qu'on a faite pour nous autres et pour notre clientèle et pour des amateurs, des professeurs, des directeurs des musées. En fin du compte ...

...

Me Chantal Jacquier :

Q.             Et pour ce qui est des évaluations de Suzor-Côté, avez-vous une idée de combien vous en avez faites? et pour qui?

R.             Comme avec les tableaux vendus, j'avais demandé à ma secrétaire il y a deux jours d'essayer d'accumuler un petit dossier pour me donner une idée combien on avait évalué et j'ai ici une liste, combien de pages? Un, deux, trois, quatre, cinq, six, sept, huit, je crois neuf pages avec probablement une douzaine sur chaque page, plus qu'une centaine et ça, c'est juste depuis 1993. Alors, je parle pas depuis mes expériences commençant dans plein en 1976, ça, c'est juste les derniers huit ans et pas tous, c'est pas compréhensif, Monsieur le Juge.

Écarts possible considérables dans la valeur d'un tableau d'un même peintre

R.             Oui. Oui, oui. Alors, Monsieur le Juge, pour vous donner un exemple du marché actuel, mon tableau avec ma bécasse à 5 000 $, ça traîne dans ma galerie pour trois ans. Un autre tableau dans le style impressionniste, un autre tableau mais style impressionniste, à peu près de la même grandeur que le tableau du style impressionniste que j'ai amené, je l'ai vendu pour 28 000 $ le douze (12) mars 2001, je l'avais en galerie pour à peine une semaine. Je crois que ça vous montre l'importance du marché pour certains tableaux au lieu de l'autre.

Appréciation et commentaire sur le tableau à l'origine du litige

Q.             Est-ce que le tableau de Moine, est-ce qu'il peut être représenté comme une oeuvre accomplie du maître Suzor-Côté? C'est une oeuvre de maître ou pas?

R.             Oh, pas du tout. Comme j'avais dit dans le rapport original et peut-être je l'ai mentionné dans ma confirmation, dans le deuxième rapport que j'ai fait au mois de janvier, c'est le pire tableau que j'ai jamais vu par cet artiste et j'ai aucune appréciation pour le tableau sauf que ce soit de la main de Suzor-Côté.

Q.             Est-ce qu'on décèle dans le tableau la marque de Suzor-Côté?

R.             Pas du tout, du tout, du tout.

Q.            Et vous avez parlé, donc, de tableaux de différentes périodes et quels autres critères sont pris en considération sur le marché en dehors de la période? Vous l'avez un peu dit ...

R.             La période ... qualité de l'oeuvre, maîtrise, la recherche d'un tableau et pour des tableaux par Suzor-Côté, il y a un genre de ... on peut peut-être faire un genre de graph, de ... est-ce que ça se dit barome pour baromètre?

Q.             Un barème.

R.             Barème, barème, il y a des tableaux qui sont plus recherchés que d'autres même des tableaux de la même époque, certains suggèrent, certaines finitions sont plus recherchées que d'autres, mais avec ce tableau, j'avais ... dans toutes mes connaissances de l'oeuvre de Suzor-Côté, je me suis dit qu'il y aura très peu de marché pour cet oeuvre, qu'il y aura aucun intérêt ou très peu d'intérêt sur le marché pour cet oeuvre parce que comme je vous ai dit, Monsieur le Juge, c'est le pire tableau que j'ai jamais vu par cet auteur.

Qualification de l'expert Laurier Lacroix

Q.             Monsieur Lacroix, pouvez-vous dire d'abord quelle est votre formation en histoire de l'art au point de vue diplôme?

R.             J'ai fait un baccalauréat en histoire de l'art à l'Université Sir Georges Williams maintenant devenue Concordia, une maîtrise en histoire de l'art à l'Université de Montréal et un doctorat en histoire de l'art à l'Université Laval.

...

Q.             En ce qui concerne Suzor-Côté, est-ce que vous avez été commissaire d'exposition le concernant?

R.             Oui, donc c'est moi qui ai préparé en 1987 l'exposition Suzor-Côté, Retour à Arthabaska, qui a été présentée donc au Musée Laurier à Arthabaska.

...

Q.             Et actuellement, préparez-vous une exposition?

R.             Oui, donc depuis deux ans maintenant, je travaille à la préparation d'une rétrospective des oeuvres de Suzor-Côté qui seront présentées au Musée du Québec en octobre 2002 et par la suite au Musée des beaux-arts du Canada à Ottawa à l'hiver 2003.

...

R.             C'est-à-dire que, bon ça fait une vingtaine d'années là, que je travaille sur Suzor-Côté, si je vous racontais toutes les histoires que j'ai entendues sur sa famille et sur Suzor-Côté, on en aurait pour un feuilleton, ça serait pas un documentaire, ça serait une série télévisée très explosive. ...

...

Q.             Bon. On va en venir au tableau lui-même et à la période antérieure à 1892 ... 91, pardon, antérieure donc à son départ pour Paris. ... cette période-là, pouvez-vous dire ce qu'on connaît des oeuvres de l'artiste?

R.             Alors, ce que j'ai pu vérifier aux archives de l'Académie commerciale d'Arthabaska où a étudié Suzor-Côté à partir de l'âge de cinq ans et demi, il a fait son cours primaire et secondaire, c'est qu'effectivement, il s'est beaucoup intéressé au dessin. Il y avait chez les Frères du Sacré-Coeur un professeur de dessin qui l'a encouragé et on connaît de lui des dessins et des tableaux faits lorsqu'il avait quatorze (14) et quinze (15) ans, donc relativement jeune, peut-être qu'il en a fait avant ça, mais je ne sais pas s'ils sont conservés enfin moi, je ne les ai jamais vus. Ceux que j'ai vus sont conservés dans le Fonds que son frère a légué au Séminaire de Québec, son frère qui était prêtre a fait un don important de choses qui restaient, d'archives surtout de la famille au Séminaire de Québec et c'est là où il y a ses oeuvres de jeunesse et il y en a également chez une petite-nièce de Suzor-Côté, madame Farmer St-Jean, donc tant par la famille encore une fois, on a qu'à regarder ces reliques, si on veut, de jeunesse. Ce que ...

Q.             Est-ce que ce sont des copies ... ?

R.             Ce sont toujours des copies, parfois la source est évidente, on peut dire c'est la copie de tel tableau, tel tableau, parfois c'est moins évident, en fait on peut pas dire précisément qui est l'auteur de la source, mais dans tous les cas à cause de la vérification dans les sujets et dans les façons de traiter ces copies, on sent quelqu'un qui démarque une oeuvre d'un autre plutôt qui essaie de créer une oeuvre originale, c'est quelqu'un qui est en train d'apprendre ...

...

R.             Oui, en fait, peut-être que je devrais dire que dans le cadre de ces recherches qui ont commencé sur Suzor-Côté, dans un premier temps je n'avais pas le contrat d'exposition pour le Musée du Québec, je m'intéressais à l'oeuvre de Suzor-Côté comme telle et j'ai commencé d'abord par un dépouillement systématique de tout ce qui avait été écrit sur Suzor-Côté. J'ai dépouillé tous les catalogues de vente auxquels j'ai pu avoir accès de façon à avoir une banque de données pour savoir qu'est-ce que Suzor-Côté avait peint, avait produit comme peinture, comme dessin dans sa vie. Donc, j'ai une banque d'à peu près deux milles (2000) oeuvres et donc de titres d'oeuvres que j'essaie de retrouver, mais qui sont documentés, qui ont existé de Suzor-Côté, qu'il a faites parce qu'on a besoin de ... plus pour savoir un peu qu'est-ce que c'est que sa production. Donc, dans le cadre de ces recherches, j'avais lu qu'il avait fait un St-Pierre repentant pour l'Hôtel-Dieu, donc je suis allé à l'Hôtel-Dieu également et ce que l'Hôtel-Dieu possède, c'est un petit tableau chevalet, plus petit que celui-ci, représentant St-Pierre repentant, fait donc par Suzor-Côté, donc c'est pas du tout une fresque, c'est un petit tableau. ...

Appréciation du tableau

R.             Oui parce que d'abord c'est très malhabile et ça sent l'exercice justement, on sent l'application dans la façon dans les parties les plus importantes. Il y a du remplissage. Tout le fond et toute la table, je veux dire, il y a deux parties intéressantes là-dedans, c'est le visage et la bouteille, c'est ça le tableau, le reste c'est rien, c'est ... d'ailleurs il y a presque rien sur la surface non plus.

                Donc Suzor, on le voit, c'est beaucoup appliqué dans ces deux parties-là, mais il s'est appliqué, on sent le pinceau, le trait bien contourné, bien et pas bien en même temps parce que il sait pas faire une main encore, il y a pas étudié comment dessiner une main, donc les doigts sont un peu ... ça plutôt l'air d'un gant que d'une main. Les rides du visage, on sent que c'est très ... c'est très stéréotypé, c'est très lisse, c'est trop dessiné, on sent qu'il retient son souffle et qu'il ... c'est pas le peintre qui va travailler avec bravoura comme il va le faire par la suite là, il est en train d'apprendre, il est en train de transcrire une image, je pense qu'on voit même des traces de la mise au carreau, c'est-à-dire qu'est-ce qu'il lui a servi de transposer son image sur la surface, dans la bouteille et dans la main, je pense qu'on voit encore les traces de mise au carreau qui ont servi à transposer plus mécaniquement l'oeuvre. Donc, c'est ce qu'on voit. On voit l'oeuvre de quelqu'un qui va devenir un grand artiste, on le sait pas encore à ce moment là, à ce moment-là, c'est un apprenti auprès d'un peintre décorateur d'église qui veut faire d'autres types d'apprentissage, de connaissances que ce qu'il peut faire quand il travaille sur des chantiers de décoration, donc il se fait la main sur un tableau de chevalet comme il fait pour l'Italienne, comme il fait pour le St-Pierre repentant, comme il le fait pour ce tableau là. C'est ça que ça nous apprend.

Q.             Le cadre du tableau, est-ce qu'il y a une possibilité que le cadre ait été fait par l'artiste?

R.             Non, aucune. Non, il y en a aucune. Je dois dire cependant que la personne qui l'a fait encadrer a aimé ce tableau là, hein, parce que c'est un tableau d'une ... c'est une baguette assez large avec deux ou ...

...

                ... les oeuvres d'avant 91 étaient restées dans la famille et qu'elles n'ont pas été mises sur le marché, c'est pas le Suzor-Côté que l'on recherche, c'est pas encore l'artiste qui a une valeur commerciale, mais par association, à deux ans d'avis peut-être que on pourrait penser que ça vaut une somme relativement raisonnable parce que cette oeuvre-là sur le marché, à mon avis, sans la signature de Suzor-Côté, c'est entre 600 $ et 800 $ à cause du cadre justement parce qu'on y met la signature, justement la valeur archivistique, documentaire augmente la valeur de cette oeuvre-là un peu. Et on voit que une tendance du marché, les collectionneurs sont aussi sensibles à des oeuvres du début de carrière en Europe, qui sont pas encore des oeuvres très intéressantes toutes et mais que il y a une certaine tendance du marché et donc c'est ce que je souhaitais signaler par ces chiffres.

Q.             Votre fourchette entre 4 000 $ et 6 000 $, vous m'aviez indiqué que vous aviez pas compris que c'était une évaluation au mois de décembre 94, est-ce que votre évaluation est la même en considérant ce qui doit être établi selon la valeur marchande au vingt et un (21) décembre 94?

R.             Non, je pense que je serais porté à l'abaisser un peu dans la mesure où d'une part en 94, 95, on est immédiatement après la grande crise justement des années 92 où le marché s'était effondré, on était en reprise, mais c'était pas du tout ce genre d'endroit-là qui était en train d'être de nouveau évalué ou reprendre du prix sur le marché. Mon prix se situerait plutôt entre 3 000 $ et 4 000 $ peut-être à ce moment-là pour 94.

Critique de l'approche mathématique

Q.             Monsieur Bévilacqua a indiqué hier que les cinq oeuvres qui étaient mentionnées dans votre rapport donnaient un coefficient de cinq point soixante-dix-huit (5,78) au centimètre carré et que à ce moment-là ça voudrait dire que Le moine vaudrait selon ses calculs 44 000 $ en tenant compte des dimensions, qu'est-ce que vous en pensez?

R.             Je pense que c'est un argument qui ne peut pas tenir la route, là, compte tenu des informations dont on dispose sur les autres ventes même les plus récentes pour des oeuvres plus importantes. Même en ajoutant les taxes et les commissions aux encanteurs, on arrive à des prix somme toute raisonnables qui jouent entre moins de 10 000 $ et, ou un peu moins de 20 000 $ comme prix moyen pour des oeuvres originales où déjà justement on commence à sentir poindre le talent et je dirais les grands thèmes qui vont faire l'oeuvre de Suzor-Côté.

                Donc, j'aurais beaucoup de mal à utiliser ce rapport statistique, mathématique pour dire étant donné ceci, cela vaut 44 000 $ ou autour de. Pour moi, c'est pas un argument ... c'est pas le genre de calcul qui peut nous permettre d'arriver à une évaluation de ce tableau.

[50]          En matière d'évaluation, il est fréquent d'assister à la présentation d'expertises où les conclusions sont aux antipodes. Le Tribunal doit souvent déterminer un juste milieu.

[51]          En l'espèce, la qualité des experts de l'intimée, leur vaste et exceptionnelle expérience font en sorte que je n'ai rien constaté qui soit de nature à discréditer ou même affecter la valeur de leur expertise.

[52]          Il s'agit d'évaluations réalisées conformément aux règles de l'art où il a été tenu compte des nuances et particularités pertinentes et des nombreuses spécificités caractérisant l'ensemble des oeuvres du peintre. Je suis d'avis que les expertises constituent un travail professionnel de très haut niveau que la preuve des appelants n'a pas disqualifié ou déprécié de quelque manière que ce soit.

[53]          Certes, les conclusions des deux experts font état d'un écart considérable ce qui pourrait avoir pour effet de déprécier la qualité globale du travail qu'ils ont accompli, mais la particularité de leur carrière, de leur expérience respective et de leur connaissance du peintre, fait en sorte qu'il n'y a dans le fond aucune contradiction ou divergence fondamentale si ce n'est que l'expert Klinkhoff a une expérience plus pointue du marché et des collectionneurs.

[54]          Il a axé son évaluation à partir de considérations essentiellement matérielles et commerciales, seule véritable donnée et référence pour déterminer la valeur réelle

[55]          L'expert Lacroix, dont la carrière est plus près de l'écriture et de l'enseignement que du commerce pur et simple, a fait une présentation axée sur ses connaissances très poussées du peintre, de ses oeuvres et de sa carrière en général.

[56]          Monsieur Lacroix, dont les connaissances relatives à l'ensemble de l'oeuvre de Suzor-Côté sont exceptionnelles, a apprécié le tableau à partir des barèmes théoriques qu'il a lui-même définis et abondamment documentés sans référence à l'aspect commercial. Ses nombreuses études, analyses et démarches lui ont permis de découvrir les talents ultimes de Suzor-Côté; il a donc évalué le tableau en fonction de la richesse, de la qualité et des talents que le peintre a exprimé à travers les autres tableaux qu'il a réalisés pour conclure qu'il s'agissait d'une oeuvre sans aucun intérêt ni valeur, si ce n'est pour un nombre très limité de personnes qui sont souvent très peu préoccupées par les valeurs marchandes.

[57]          Conséquemment, je fixe et détermine que la valeur du tableau dont le titre est " Le moine au fiasque ", oeuvre réalisée par le peintre Suzor-Côté en 1890, était de 20 000 $ au 21 décembre 1994, date à laquelle les appelants ont fait le don au Musée du Saguenay Lac St-Jean

[58]          Les appels sont rejetés, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada ce 26e jour d'octobre 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 98-1960(IT)G et 98-1962(IT)G

INTITULÉS DES CAUSES :                                Guy Wells c. Sa Majesté la Reine

                                                                                Nicole Wells c Sa Majesté la Reine

                                                                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Québec (Québec)

DATES DE L'AUDIENCE :                                 les 21 et 22 juin 2001

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                                      le 26 octobre 2001

COMPARUTIONS :

Avocat des appelants :                        Me Jean Dauphinais

Avocate de l'intimée :                          Me Chantal Jacquier

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                Nom :                                       Me Jean Dauphinais

                Étude :                                     Cain, Lamarre & Wells

                Ville :                                       (Chicoutimi) Québec

Pour l'intimée :                                       Morris Rosenberg

                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                Ottawa, Canada

98-1960(IT)G

ENTRE :

GUY WELLS,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Nicole Wells,

(98-1962(IT)G) les 21 et 22 juin 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Jean Dauphinais

Avocate de l'intimée :                           Me Chantal Jacquier

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1994 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


98-1962(IT)G

ENTRE :

NICOLE WELLS,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Guy Wells,

(98-1960(IT)G) les 21 et 22 juin 2001 à Québec (Québec) par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat de l'appelante :                        Me Jean Dauphinais

Avocate de l'intimée :                          Me Chantal Jacquier

JUGEMENT

          L'appel des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994 et 1995 est rejeté, avec dépens, selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour d'octobre 2001.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

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