Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010522

Dossier: 1999-790-IT-G

ENTRE :

KENNETH DAVID KLEIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]      Il s'agit d'un appel interjeté à l'encontre d'une cotisation dans laquelle, en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu, le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a refusé à l'appelant, pour l'année d'imposition 1996, la déduction d'une perte au titre d'un placement d'entreprise de 103 257 $, qu'il a traitée comme une simple perte en capital.

[2]      Les parties ont déposé un exposé conjoint des faits, que je reproduis ici :

                   [TRADUCTION]

1.                    Le 17 avril 1986, Jasag Investments Ltd. (Jasag) a été constituée en société au Manitoba. Peu de temps après, elle a acheté une moitié indivise du bien-fonds, des bâtiments et des éléments d'actif d'un motel et d'un petit lave-auto exploités à Winnipeg (Manitoba). Le propriétaire de l'autre moitié indivise était Greenwise Ltd.(Greenwise), une société non liée.

2.                    Pour Jasag et Greenwise, la meilleure façon d'exploiter le motel et le lave-auto consistait à établir une société de personnes par l'intermédiaire de laquelle, jusqu'au 28 février 1991 et sous le nom de Motel 75, elles se sont occupées de la gestion et des activités quotidiennes du motel et du lave-auto conformément à un contrat de société verbal.

3.                    L'entreprise du Motel 75 éprouvait de graves difficultés financières depuis un bon moment et, pour qu'elle survive, il fallait y investir des fonds supplémentaires et en améliorer la gestion. Le 28 février 1991, toutes les actions de Jasag ont été vendues à l'appelant 4 $. Les vendeurs et l'acheteur des actions n'étaient pas liés et n'avaient entre eux aucun lien de dépendance. L'appelant est, depuis le 28 février 1991, l'unique actionnaire et administrateur de Jasag.

4.                    En prévision de l'achat par l'appelant des actions de Jasag, le 27 février 1991, Greenwise et Jasag ont remplacé le contrat de société verbal par un contrat écrit auquel l'appelant était également partie.

5.                   Aux termes du contrat de société, les associés Greenwise et Jasag devaient prêter à la société de personnes environ 300 000 $, destinés à entretenir et à restaurer l'immeuble du motel et, plus particulièrement, à acquitter les impôts fonciers impayés — dont le montant était élevé — les factures de services publics et les réparations faites aux bâtiments, ainsi qu'à rembourser d'autres dettes. Greenwise s'engageait à prêter 200 000 $, ce qu'elle a fait. Jasag n'avait pas d'argent, aucun droit sur quelque bien que ce soit et aucun avoir net. Pour cette raison et pour d'autres raisons commerciales valides, l'appelant est devenu partie au contrat et a dû s'engager à prêter personnellement à la société de personnes la somme de 100 000 $, qui tenait lieu d'apport par Jasag. L'appelant a respecté cet engagement. Aux termes du contrat, il a prêté au total 103 257 $ à la société de personnes.

6.          Les états financiers du Motel 75 dressés par des vérificateurs indépendants à compter du 30 avril 1991 et chaque année par la suite contenaient une note des vérificateurs confirmant les détails du prêt consenti par l'appelant : « 4. Créance de K. D. Klein tenant lieu d'apport de capitaux de Jasag Investments Ltd., conformément à un contrat conclu par les associés; l'apport a été fait à la société de personnes par K. D. Klein. L'avance ne porte pas intérêt. »

7.                   Jasag et Greenwise ont retenu les services d'un gérant pour assurer la gestion du motel. Les difficultés financières se sont poursuivies. À la suite d'un défaut de paiement aux termes d'une obligation garantie le 19 septembre 1995, le créancier garanti a nommé un administrateur-séquestre intérimaire pour remplacer le gérant engagé par les associés et pour recevoir et verser tous les fonds provenant des activités du motel.

8.                   Greenwise et l'appelant ont prêté au Motel 75 plus de 300 000 $. Outre ces prêts, Greenwise et Jasag ont rassemblé des capitaux propres appréciables et, avec l'appelant, elles ont consacré beaucoup d'efforts au Motel 75; avant et après le défaut de paiement et la nomination de l'administrateur-séquestre, elles ont tenté de remédier au défaut, sinon, de trouver un acheteur pour le Motel 75 et le lave-auto, mais en vain.

9.                    Le 20 décembre 1995, dans le cadre des procédures de vente en vertu d'une hypothèque, le créancier garanti a tenu un encan public supervisé des activités et des éléments d'actif du Motel sur ordonnance de la cour.

10.               L'encan public n'ayant donné aucun résultat, la cour a délivré, le 4 janvier 1996, un avis de demande d'ordonnance finale de forclusion accordant aux propriétaires Jasag et Greenwise et à toute autre personne détenant des droits sur les éléments d'actif du motel une période d'un mois, à compter de la signification de l'avis, pour entreprendre des procédures de contestation de la forclusion, pour payer les montants dus ou pour remédier de quelque autre façon que ce soit au défaut de paiement aux termes de l'obligation.

11.                L'appelant étant à l'étranger, l'avis ne lui a pas été signifié; le 19 février 1996, la cour en a ordonné la signification indirecte par courrier recommandé, avec copie de l'avis de demande d'une ordonnance finale de forclusion daté du 4 janvier 1996, ce qui a été fait quelque temps après le 21 février 1996.

12.                Greenwise et Jasag ont continué d'être les propriétaires des éléments d'actif du motel et l'administrateur-séquestre a continué de gérer ces éléments d'actif jusqu'à un moment donné après le 21 mars 1996 conformément aux modalités énoncées dans l'avis de demande d'ordonnance finale de forclusion, c'est-à-dire un mois après la signification indirecte de l'avis à l'appelant. Les éléments d'actif du motel de Jasag ont alors été transférés en application de la loi.

13.                Après l'entrée en vigueur de l'ordonnance finale de forclusion, l'appelant a attendu en vain pendant environ un mois, soit jusqu'à la fin de l'exercice financier de Jasag le 30 avril 1996, qu'on lui remette un état de compte des fonds touchés et versés dans le cadre des activités du motel par l'administrateur-séquestre lors de la vente finale de tous les éléments d'actif du motel. Par la suite, l'appelant s'est renseigné et a pu constater que les activités du motel ou la disposition des éléments d'actif du motel ne permettraient de dégager aucun montant d'argent à imputer sur sa créance.

14.                Pendant une grande partie de l'année 1996, avant et après l'entrée en vigueur de l'avis d'ordonnance finale de forclusion, Jasag et Greenwise ont suivi toutes les étapes nécessaires à la fermeture de l'entreprise : autrement dit, ils ont effectué les déclarations de taxe de vente, ils ont préparé les feuillets de rémunération des employés et les indemnités de départ, ils se sont occupés des demandes de paiement non réglées et des comptes débiteurs et créditeurs, ils ont préparé les registres comptables nécessaires pour clore l'exercice de Jasag le 30 avril 1996, etc.

15.                Dans sa déclaration de revenu de 1996, l'appelant a déduit la somme prêtée, soit 103 257 $, à titre de perte autre qu'une perte en capital subie au cours d'autres années. En 1996, l'appelant a établi que le montant de ce prêt était irrécouvrable et qu'il s'agissait par conséquent d'une créance irrécouvrable. L'intimée a établi une nouvelle cotisation à l'égard de cette somme, déterminant qu'il s'agissait d'une créance irrécouvrable aux termes de l'alinéa 50(1)a) et donc d'une perte en capital découlant d'un prêt consenti au Motel 75.

16.                Jasag était une société privée sous contrôle canadien (SPCC) et une société exploitant une petite entreprise (SEPE) au sens du paragraphe 248(1) pendant toutes les périodes pertinentes. L'intimée soutient que Jasag a cessé d'être une SPCC et une SEPE dès le 19 septembre 1995. Greenwise était une SPCC et une SEPE aux sens du paragraphe 248(1) pendant toutes les périodes pertinentes.

Les faits

[3]      Dans son témoignage, l'appelant a déclaré qu'il avait délibérément décidé de prêter l'argent directement à la société de personnes du Motel 75 plutôt que par l'intermédiaire de Jasag, sa propre société et l'un des associés de la société de personnes. En fait, lorsque l'appelant a acheté les actions de Jasag en février 1991, celle-ci n'avait pas d'argent, pas de capitaux propres et aucun compte bancaire, et l'appelant ignorait si elle avait des dettes éventuelles. Il souhaitait que l'argent prêté soit utilisé dans le cadre des activités de la société de personnes et que personne ne puisse le réclamer. C'est la raison pour laquelle il n'a pas ouvert de compte bancaire au nom de Jasag et qu'il a plutôt déposé l'argent directement dans le compte de la société de personnes.

[4]      Le contrat de société déposé sous la cote A-4 énonce ce qui suit au paragraphe 8 :

                   [TRADUCTION]

8.                   Les associés [Greenwise et Jasag] prêtent à la société de personnes, sans intérêt, les montants suivants, dont le remboursement sera garanti par une hypothèque immobilière de deuxième rang enregistrée sur le bien-fonds et réparti proportionnellement entre les associés au moment où les biens de la société de personnes seront vendus ou au moment choisi à l'unanimité par les associés, mais d'aucune autre façon :

a)                   Greenwise ou Green prêtera à la société de personnes au plus tard le 1er mars 1991 la somme de 200 000 $;

b)                   Klein prêtera à la société de personnes au plus tard le 1er mars 1991 la somme de 100 000 $;

[5]      Les états financiers de la société de personnes font état d'une dette à long terme de 103 257 $ envers l'appelant à titre personnel. Une note jointe aux états financiers indique que « à la place d'un apport de capitaux de Jasag Investments Ltd., conformément à un contrat conclu par les associés; l'apport a été fait à la société de personnes par K. D. Klein. L'avance ne porte pas intérêt » (pièce A-7).

[6]      Bien que le contrat de société énonce qu'il devait, de façon générale, s'occuper de l'entreprise et des éléments d'actif de la société de personnes et en assurer le contrôle et la gestion (pièce A-4, paragraphe 14), l'appelant a témoigné qu'il avait quitté le Manitoba et déménagé en Ontario à l'automne 1991. Il a déclaré qu'après son départ du Manitoba sa participation aux activités de la société de personnes avait été celle d'un associé absent. En conséquence, il n'a pas beaucoup contribué à l'exploitation de l'entreprise de la société de personnes ou à la préparation des états financiers, plus particulièrement en 1995 et en 1996. D'après l'appelant, c'est Greenwise, l'autre associée, avec laquelle il a eu quelques discussions entre 1991 et 1995, qui prenait les décisions concernant la société de personnes. L'appelant a indiqué qu'il n'avait jamais été informé du fait que les activités commerciales de la société de personnes avaient cessé en septembre 1995, lorsque l'administrateur-séquestre avait été nommé. Il a par la suite reçu l'avis de nomination d'un administrateur-séquestre par le créancier garanti, lequel avis a été produit sous la cote A-9. Même après cette date, l'appelant ne savait pas vraiment si l'entreprise avait cessé ses activités. L'appelant a déclaré qu'en 1991, c'est-à-dire avant qu'il investisse 100 000 $ dans la société de personnes, l'entreprise avait éprouvé des difficultés financières semblables, le détenteur de l'obligation ayant entrepris des procédures en vertu de sa créance hypothécaire. À cette époque, l'appelant avait dû obtenir une injonction pour empêcher le détenteur de l'obligation de poursuivre les procédures.

[7]      La vente des biens utilisés dans l'entreprise de la société de personnes que le créancier garanti a tenue en vertu de l'hypothèque le 20 décembre 1995 s'est révélée infructueuse. Selon les états financiers de la société de personnes pour la période se terminant le 18 septembre 1995 (date de la nomination d'un administrateur-séquestre par le créancier), il n'y avait pas d'argent ni de compte débiteur, et les stocks figurant au bilan étaient peu importants. L'appelant soutient cependant qu'il a réalisé uniquement lorsque l'ordonnance finale de forclusion a été rendue, en février 1996, que Greenwise, l'autre associée, n'investirait pas de nouveau dans l'entreprise. Lui-même appelé à augmenter son apport de capitaux à la société de personnes à l'automne de 1995, l'appelant a refusé d'investir davantage dans cette entreprise.

Arguments des parties

[8]      L'avocat de l'intimée fait valoir que l'appelant a choisi, pour des raisons commerciales, de prêter de l'argent directement à la société de personnes plutôt que par l'intermédiaire de Jasag, sa société. L'intimée soutient qu'un prêt à une société de personnes ne peut donner lieu à une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise au sens de l'alinéa 39(1)c) de la Loi, dont voici le libellé :

ARTICLE 39 Sens de gain en capital et de perte en capital

      (1) Pour l'application de la présente loi :

[. . .]

      c) une perte au titre d'un placement d'entreprise subie par un contribuable,

           pour une année d'imposition, résultant de la disposition d'un bien quelconque s'entend de l'excédent éventuel de la perte en capital que le contribuable a subie pour l'année résultant d'une disposition, après 1977 :

            (i) soit à laquelle le paragraphe 50(1) s'applique,

            (ii) soit en faveur d'une personne avec laquelle il n'avait aucun lien de dépendance,

d'un bien qui est :

            (iii) soit une action du capital-actions d'une société exploitant une petite entreprise,

       (iv) soit une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien (sauf une créance, si le contribuable est une société, sur une société avec laquelle il a un lien de dépendance) qui est :

(A)une société exploitant une petite entreprise,

                   [. . .]

ARTICLE 50 Créances reconnues comme irrécouvrables et actions d'une société en faillite.

(1) Pour l'application de la présente sous-section, lorsque, selon le cas :

a)     un contribuable établit qu'une créance qui lui est due à la fin d'une année d'imposition (autre qu'une créance qui lui serait due du fait de la disposition d'un bien à usage personnel) s'est révélée être au cours de l'année une créance irrécouvrable; [. . .]

le contribuable est réputé avoir disposé de la créance ou de l'action à la fin de l'année pour un produit nul et l'avoir acquise de nouveau immédiatement après la fin de l'année à un coût nul, à condition qu'il fasse un choix, dans sa déclaration de revenu pour l'année, pour que le présent paragraphe s'applique à la créance ou à l'action.

[9]      Aux termes de l'alinéa 39(1)c), un contribuable peut déduire une perte au titre d'un placement d'entreprise résultant de la disposition d'un bien qui est, plus particulièrement, une créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien qui est une société exploitant une petite entreprise. D'après l'avocat de l'intimée, une créance sur une société de personnes ne constitue pas une créance sur une société privée sous contrôle canadien.

[10]     Subsidiairement, l'intimée soutient que Jasag n'était pas une société exploitant une petite entreprise au mois de septembre 1995, lorsque l'administrateur-séquestre a pris le contrôle de l'entreprise de la société de personnes pour le compte du détenteur de l'obligation. L'expression « société exploitant une petite entreprise » est définie au paragraphe 248(1) dans les termes suivants :

       « société exploitant une petite entreprise » - « société exploitant une petite entreprise » Sous réserve du paragraphe 110.6(15), société privée sous contrôle canadien et dont la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d'actif est attribuable, à un moment donné, à des éléments qui sont :

       a) soit utilisés principalement dans une entreprise que la société ou une société qui lui est liée exploite activement principalement au Canada;

       b) soit constitués d'actions du capital-actions ou de dettes d'une ou de plusieurs sociétés exploitant une petite entreprise rattachées à la société au moment donné, au sens du paragraphe 186(4) selon l'hypothèse que les sociétés exploitant une petite entreprise sont, à ce moment, des sociétés payantes au sens de ce paragraphe;

       c) soit visés aux alinéas a) et b).

       Pour l'application de l'alinéa 39(1)c), est une société exploitant une petite entreprise la société qui était une telle société à un moment de la période de douze mois précédant le moment donné; par ailleurs, pour l'application de la présente définition, la juste valeur marchande d'un compte de stabilisation du revenu net est réputée nulle. [. . .]

[11]     D'après l'intimée, les biens de Jasag ont cessé d'être utilisés dans une entreprise exploitée activement le 19 septembre 1995, Jasag cessant dès lors d'être une société exploitant une petite entreprise. Par conséquent, lorsque l'appelant a été réputé avoir disposé de sa créance en 1996 (plus précisément à la fin de 1996, année où l'avis de forclusion a pris effet), Jasag n'était plus une société exploitant une petite entreprise (et ne l'avait pas été dans les douze mois précédant la fin de 1996). Pour cette raison, l'avocat de l'intimée soutient que les conditions prévues à l'alinéa 39(1)c) ne sont pas remplies et que la perte n'est pas une perte au titre d'un placement d'entreprise.

[12]     L'appelant soutient qu'il a consenti à la société de personnes, pour le compte de Jasag, un prêt tenant lieu d'apport de capitaux de la part de Jasag, comme l'exigeait le contrat de société. L'appelant invoque la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba, L.R.M. 1987, ch. P30, telle qu'elle était libellée pendant les années en litige. Sont reproduits les articles 2, 3, 6 et 12 :

Survie des règles jurisprudentielles

2(2)       Les règles de l'Équité et de la common law concernant les sociétés en nom collectif continuent de s'appliquer, sauf si elles sont incompatibles avec les dispositions de la présente loi.

Société en nom collectif

3           La société en nom collectif désigne la relation qui existe entre les personnes qui exploitent une entreprise en commun en vue de réaliser un bénéfice; cependant, la relation qui existe entre les membres d'une compagnie ou d'une association constituée en corporation n'est pas une société en nom collectif au sens de la présent loi.

Raison sociale

6           Les personnes associées pour former la société en nom collectif sont, aux fins de la présente loi, appelées collectivement firme, et le nom sous lequel elles exploitent leur entreprise est appelé raison sociale.

Responsabilité des associés

12         Les associées d'une firme sont conjointement et individuellement responsables des dettes et engagements de la firme contractés alors qu'ils sont associés. [. . .]

[13]     D'après l'appelant, la société de personnes [désignée dans la loi manitobaine sous le nom de « société en nom collectif » ] ne peut, en droit, devoir de l'argent à l'appelant. Seuls les associés, c'est-à-dire Jasag et Greenwise, sont tenus de rembourser les dettes contractées par la société de personnes. En conséquence, on peut soutenir que le montant du prêt consenti par l'appelant à la société de personnes était, en fait et en droit, dû par Jasag et Greenwise, les associés.

[14]     Quant à la question de savoir si Jasag était une société exploitant une petite entreprise au moment où l'appelant a été réputé avoir disposé de sa créance, en 1996, ce dernier fait valoir que Jasag a continué d'être propriétaire et qu'elle est toujours propriétaire de sa part des éléments d'actif utilisés dans la société de personnes du Motel 75 — qui étaient gérés par l'administrateur-séquestre — et qu'elle a conservé tous les droits de rembourser l'arriéré hypothécaire et, en conséquence, d'employer les gérants du Motel 75, si Jasag et Greenwise le jugeaient opportun, et ce, jusqu'au mois de février 1996. D'après l'appelant, Jasag était une société exploitant une petite entreprise jusqu'au mois de février 1996, lorsqu'il y a eu forclusion à l'égard des biens utilisés dans l'entreprise de la société de personnes, qui a automatiquement cessé d'exister. La dette de Jasag envers l'appelant est devenue une créance irrécouvrable, au sens du paragraphe 50(1), en 1996, année au cours de laquelle Jasag était encore une société exploitant une petite entreprise. L'appelant soutient par conséquent qu'il a subi une perte au titre d'un placement d'entreprise au sens de l'alinéa 39(1)c) de la Loi.

Analyse

[15]     Personne ne conteste que l'appelant a subi une perte en capital en 1996. L'unique question dans l'appel en l'instance est de savoir si le prêt de 103 257 $ consenti par l'appelant à la société de personnes du Motel 75 a donné lieu à une créance de l'appelant sur une société privée sous contrôle canadien qui était une société exploitant une petite entreprise.

[16]     L'intimée soutient en premier lieu que la créance en question est une créance sur une société de personnes et non sur une société privée sous contrôle canadien.

[17]     Aux termes des dispositions législatives manitobaines applicables, l'expression « société en nom collectif » désigne la relation contractuelle qui existe entre des personnes qui exploitent une entreprise en commun (voir l'article 3 de la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba, reproduit ci-avant). Ainsi que de savants commentateurs du droit anglais l'ont dit :


                   [TRADUCTION]

L'optique juridique adoptée à l'égard de la société de personnes est très différente : en droit anglais, la société de personnes n'est généralement pas reconnue comme une entité distincte des associés qui la composent. (R.C. I'Anson Banks, Lindley & Banks on Partnership, 17e éd. (London : Sweet & Maxwell, 1995), à la p. 32.

[18]     D'après cette opinion, une société de personnes n'est pas une entité ou un organisme distinct et indépendant des associés qui la composent. De même, aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu, la société de personnes n'a aucune personnalité juridique. En effet, l'alinéa 96(1)a) de la Loi prévoit que le revenu doit être calculé « comme si la société de personnes était une personne distincte » . En outre, l'alinéa 96(1)f) prévoit que le revenu de la société de personnes est réparti entre les contribuables qui la composent en fonction de leur part dans la société. Ce sont les associés qui sont tenus de payer l'impôt sur le revenu de la société de personnes. Dans l'affaire Madsen c. La Reine, [2000] A.C.F. no 2139 (C.A.F.), le juge Linden a déclaré ceci aux paragraphes 16 et 17 :

[. . .] À mon avis, le "régime" exposé ci-dessus ne sous-entend rien de plus qu'un concept fictif pour calculer la dette fiscale d'un contribuable. Il s'agit d'un arrangement purement administratif qui est nécessaire pour appuyer la perception de la société de personnes comme instrument ou intermédiaire des contribuables selon la Loi.

[. . .]

17         En ce sens, la fiction d'une société de personnes comme entité distincte des associés est temporaire et n'a pas pour effet de modifier la nature juridique véritable des opérations au moment où elles sont conclues par ladite société. Les liens juridiques sont généralement caractérisés en fonction des principes reconnus du droit des sociétés de personnes. Tout récemment, la Cour d'appel fédérale a confirmé cette approche dans l'arrêt Adams c. Canada (appel de Robinson) [Voir Note 11 ci-dessous]. [...]

________________

Note 11: [1998] A.C.F. no 397 (C.A.F.).

[19]     Les lords Lindley et Banks expriment dans les termes suivants, aux pages 19 et 20, les conséquences qui découlent de l'optique juridique adoptée à l'égard de la société de personnes :

                   [TRADUCTION]

[...] la société de personnes n'est pas une entité distincte des particuliers qui la composent, et les associés ne peuvent, collectivement, acquérir des droits ou contracter des obligations. Les droits et les obligations d'une société de personnes sont les droits et les obligations des associés et peuvent être exercés par eux et à leur encontre individuellement. Le principe est énoncé par les avocats civilistes dans les termes suivants : Si quid societati debetur singulis debetur et quod debet societas singiuli debent. (La créance d'une société de personnes est la créance des particuliers qui la composent, et la dette d'une société de personnes est la dette des particuliers qui la composent).

[20]     Dans l'affaire Green v. Hertzog, [1954] 1 W.L.R. 1309, lord Lindley a décrit dans les termes suivants ce que signifie le fait qu'une société de personnes n'a pas de personnalité juridique distincte :

                   [TRADUCTION]

Le droit fait abstraction de la société de personnes et ne considère que les associés qui la composent; tout changement touchant ces derniers détruit l'identité de la société de personnes; ce qui constitue le bien de la société de personnes est le bien des associés, et ce qui constitue les dettes et les obligations de la société de personnes sont les dettes et les obligations des associés.

[21]     Cette même théorie peut être étayée par la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba, où il est clairement énoncé à l'article 12 que « les associés d'une firme sont conjointement et individuellement responsables des dettes et engagements de la firme contractés alors qu'ils sont associés » .

[22]     Il ressort clairement de l'optique juridique adoptée dans la loi provinciale à l'égard des sociétés de personnes que celles-ci n'ont pas le pouvoir de contracter des dettes. La dette de la société de personnes est celle des associés, soit, dans la présente affaire, Jasag et Greenwise.

[23]     La division 39(1)c)(iv)(A) de la Loi prévoit qu'une perte au titre d'un placement d'entreprise se rapporte à une « créance du contribuable sur une société privée sous contrôle canadien qui est une société exploitant une petite entreprise » .

[24]     La question est donc de savoir si Jasag, sur laquelle l'appelant détenait une créance, était une société privée sous contrôle canadien qui était une société exploitant une petite entreprise en 1996, soit l'année au cours de laquelle l'appelant a disposé de sa créance et, donc, au cours de laquelle la créance est devenue irrécouvrable.

[25]     Personne ne conteste que Jasag était une société privée sous contrôle canadien. L'intimée est cependant d'avis que Jasag a cessé d'être une société exploitant une petite entreprise le 19 septembre 1995, date où un administrateur-séquestre a été nommé par un créancier garanti. L'intimée soutient que les éléments d'actif de Jasag ont cessé à ce moment d'être utilisés dans une entreprise exploitée activement et que Jasag a par conséquent cessé d'être une société exploitant une petite entreprise.

[26]     Les parties ont convenu dans l'exposé conjoint des faits que l'administrateur-séquestre intérimaire a été nommé par le créancier garanti pour remplacer le gérant engagé par les associés et pour recevoir et verser tous les fonds se rapportant à l'exploitation du motel (paragraphe 7). Elles ont convenu également que Greenwise et Jasag (les deux associés) sont demeurées les propriétaires des éléments d'actif du motel, qui ont été gérés par l'administrateur-séquestre jusqu'à un moment donné après le 21 mars 1996 conformément à l'avis de demande d'ordonnance finale de forclusion (paragraphe 12). L'intimée ne conteste pas non plus le fait que Greenwise était une société exploitant une petite entreprise pendant toutes les périodes pertinentes.

[27]     Aux termes du paragraphe 248(1), pour qu'une société soit une société exploitant une petite entreprise, il faut, plus particulièrement, que la totalité, ou presque, de la juste valeur marchande des éléments d'actif de la société soit utilisée principalement dans une entreprise qu'elle exploite activement.

[28]     Ainsi que le paragraphe 1 de l'exposé conjoint des faits en fait foi, il semblerait que les seuls éléments d'actif de Jasag aient été un droit sur la moitié du bien-fonds, des bâtiments et des éléments d'actif d'un motel et d'un lave-auto exploités sous le nom de Motel 75.

[29]     La question de savoir si ces éléments d'actif ont été utilisés principalement dans une entreprise exploitée activement par Jasag est une question de fait qui dépend des circonstances propres à la présente affaire (voir La Reine c. Rockmore Investments Ltd., [1976] 2 C.F. 428 (76 DTC 6156) (C.A.F).

[30]     Dans l'appel en l'instance, il semble que l'administrateur-séquestre ait été nommé par un créancier garanti (voir l'avis de nomination transmis au débiteur, pièce A-9), aux termes d'une obligation à l'égard de laquelle il y avait eu défaut de paiement, pour s'acquitter des fonctions de séquestre et d'administrateur de tous les éléments d'actif, biens et engagements des associés, en vertu des pouvoirs prévus dans la lettre de nomination. Cette lettre de nomination n'ayant pas été produite en preuve, ni non plus l'obligation qui a mené à la nomination de l'administrateur-séquestre, il est difficile d'établir avec certitude la mesure dans laquelle l'administrateur-séquestre pouvait exercer les pouvoirs qui lui étaient conférés.

[31]     L'exposé conjoint des faits et les documents produits en preuve ne permettent peut-être pas de dire avec certitude si une entreprise a cessé d'être exploitée activement le 19 septembre 1995, date à laquelle l'administrateur-séquestre a été nommé, mais les parties ont admis que l'administrateur-séquestre intérimaire avait été nommé pour remplacer le gérant engagé par les associés et pour recevoir et verser tous les fonds provenant des activités du Motel 75. À mon avis, cela est certainement une indication que les activités du Motel 75 étaient encore exercées activement et que l'administrateur-séquestre avait pour fonction d'exploiter l'entreprise à la place de l'ancien gérant nommé par les associés.

[32]     En outre, les parties conviennent que les associés, Greenwise et Jasag, avaient travaillé très fort, avant et après le défaut et la nomination de l'administrateur-séquestre, en vue d'éviter le défaut, d'y remédier ou, en dernier ressort, de trouver un acheteur pour l'entreprise du Motel 75 et du lave-auto. Les parties conviennent également que les éléments d'actif du Motel 75 appartenaient encore à Greenwise et à Jasag, mais qu'ils étaient gérés par l'administrateur-séquestre jusqu'à un moment donné après le 21 mars 1996.

[33]     À mon avis, cela indique que l'administrateur-séquestre agissait, non pas uniquement comme mandataire du créancier garanti, mais aussi comme mandataire des associés débiteurs aux fins de gérer l'entreprise, comme c'est fréquemment le cas en common law lorsqu'un administrateur-séquestre est nommé de façon privée (voir F. Bennett, Receiverships (Toronto : The Carswell Company Limited, 1985), chapitre 1, « 5. Personal Liability of Receiver and Manager » , pp. 6 et 7).

                   [TRADUCTION]

[...] Aux termes d'un grand nombre de garanties, l'administrateur-séquestre est mandataire à double titre. D'une part, il est nommé par le détenteur de la garantie pour prendre possession de biens et les réaliser; d'autre part, il est réputé être le mandataire du débiteur aux fins de gérer l'entreprise et de conclure des contrats avec des tiers.17

__________________

17 Voir chapitre 5, « 2.(b) Status of Privately Appointed Receiver and Manager » .

[34]     Je réalise parfaitement que le dépôt en preuve de la garantie donnant lieu à la nomination de l'administrateur-séquestre aurait été des plus utiles, surtout pour établir l'existence d'une clause aux termes de laquelle ce dernier était réputé remplir un rôle de mandataire, mais j'estime que les faits sur lesquels les parties se sont mises d'accord sont suffisants pour me permettre de conclure qu'une entreprise était encore exploitée activement pour le compte des sociétés débitrices Jasag et Greenwise jusqu'à un moment donné après le 21 mars 1996.

[35]     Je dois ajouter ici que je suis étonné que l'intimée n'ait pas contesté le fait que l'autre associé, Greenwise, était une société exploitant une petite entreprise pendant toutes les périodes pertinentes. Bien que l'intimée ait pu en convenir relativement à d'autres faits ou à d'autres activités exercées par Greenwise, aucune preuve produite en l'espèce ne me permet de faire une distinction entre le cas de Greenwise et celui de Jasag. De plus, il y a lieu de se rappeler que, aux termes de la Loi sur les sociétés en nom collectif du Manitoba, Greenwise est conjointement et individuellement [lire « solidairement » ] responsable, avec Jasag, de la dette contractée envers l'appelant. Rien dans le contrat de société n'a pour effet d'annuler cette responsabilité solidaire. Par conséquent, on peut dire que la créance de l'appelant était également la dette de Greenwise, société privée sous contrôle canadien qui était une société exploitant une petite entreprise pendant toutes les périodes pertinentes (ainsi que l'intimée en a convenu).

[36]     Bref, je conclus que Jasag et Greenwise étaient toutes deux des sociétés exploitant une petite entreprise au sens de la Loi à un moment donné au cours des douze mois précédant la date à laquelle l'appelant a disposé de sa créance, à la fin de 1996. Je conclus que l'appelant a subi, en 1996, une perte en capital à la suite de la disposition d'un bien qui était une créance payable par Jasag et Greenwise, toutes deux des sociétés privées sous contrôle canadien qui étaient des sociétés exploitant une petite entreprise à un moment donné en 1996.

[37]     En conséquence, l'appelant a le droit de déduire une perte au titre d'un placement d'entreprise de 103 257 $ pour l'année d'imposition 1996 conformément à l'alinéa 39(1)c) de la Loi.


[38]     L'appel est admis avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mai 2001.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de février 2002.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-790(IT)G

ENTRE :

KENNETH DAVID KLEIN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 24 mai 2000 à Ottawa (Ontario), par

l'honorable juge Lucie Lamarre

Comparutions

Pour l'appelant :                         l'appelant lui-même

Avocat de l'intimée :                   Me Donald Gibson

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1996 est admis, avec dépens, et la cotisation est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation au motif que l'appelant a le droit de déduire, dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1996, une perte déductible au titre d'un placement d'entreprise d'un montant de 103 257 $, conformément à l'alinéa 39(1)c) de la Loi.

Signé à Ottawa, Canada, ce 22e jour de mai 2001.

« Lucie Lamarre »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 1er jour de février 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.