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Date: 20010516

Dossier: 2000-3269-IT-I

ENTRE :

ATEF CHOUMANN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur

[1]      Il s'agit d'appels interjetés à l'encontre des cotisations établies par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition 1993, 1994, 1995 et 1996 de l'appelant. Les questions litigieuses sont les suivantes :

a)        L'appelant a-t-il omis de déclarer des revenus de 5 400 $, de 6 765 $ et de 6 750 $ provenant de services de tenue de livres qu'il a offert pendant les années d'imposition 1993, 1994 et 1995, respectivement?

b)       A-t-il omis de déclarer des intérêts hypothécaires de 13 410 $, de 13 188 $ et de 11 257 $ pendant les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, respectivement?

c)        A-t-il détourné 1 000 $ en 1994 et 21 215 $ en 1995 et a-t-il omis de déclarer ces montants?

d)       Le ministre du Revenu national a-t-il le droit d'imposer des intérêts et des pénalités?

[2]      L'appelant est originaire d'Égypte et il a pris sa retraite en 1989, après avoir enseigné le français pendant plus de 20 ans dans une école de Peterborough. Il a investi de l'argent dans une entreprise du domaine de l'automobile, 1097549 Ontario Ltd., faisant affaire sous le nom de Class « A » Automotive ( « Automotive » )[1] de 1990 à 1995[2]. Afin de protéger ses intérêts financiers, il a pris le contrôle des activités financières et de la tenue des livres de Automotive, une entreprise de réparation d'automobiles dont le propriétaire­exploitant était Mike Johnston.

[3]      Le 2 février 1992, Mike Johnston a personnellement consenti à l'appelant une hypothèque de 225 000 $ à un taux annuel de 13 p. 100. Le montant qui a été avancé à Mike Johnston provenait des comptes bancaires de l'appelant et de son épouse. M. Johnston a versé à l'appelant et à son épouse des intérêts de 23 280 $, de 26 484 $ et de 24 699 $ au cours des années d'imposition 1994, 1995 et 1996, respectivement. L'épouse de l'appelant a déclaré des intérêts de 9 869 $, de 13 295 $ et de 13 442 $ pendant les années respectives, alors que l'appelant n'en a pas déclaré. Le ministre affirme que l'appelant a omis de déclarer sa part des intérêts de 13 410 $, de 13 188 $ et de 11 257 $ au cours des années d'imposition en litige, respectivement. L'appelant et son épouse ont tous deux déclaré que 100 000 $ de l'hypothèque de 225 000 $ était assumée par la belle-mère de l'appelant, qui vit en Égypte, et non par ce dernier.

Revenu non déclaré découlant d'un détournement

[4]      En 1993, l'appelant contrôlait les finances de Automotive. M. Johnston, un mécanicien diplômé, s'occupait du travail de réparation des automobiles ainsi que de l'aspect réparation et ventes de l'entreprise. L'appelant s'occupait plutôt des livres et de l'argent. Il enregistrait les ventes au comptant de Automotive dans un livre distinct des autres ventes. Le ministre a établi une cotisation à l'égard de l'appelant basée sur le fait qu'il avait détourné 1 000 $ en 1994 et 21 215 $ en 1995 des ventes au comptant et qu'il n'avait pas déclaré ces montants dans son revenu. Après une vérification de Automotive effectuée par Revenu Canada, des accusations criminelles ont été déposées contre l'appelant. Le 6 mars 1998, ce dernier a plaidé coupable à l'accusation de s'être soustrait à la taxe sur les produits et services et s'est vu imposer une amende de 19 478 $. L'enquête de Revenu Canada a confirmé que l'appelant, le directeur des opérations de son ancien employeur, Class « A » Automotive, avait le contrôle total de la plupart des aspects financiers de l'entreprise. Il a été montré que l'appelant avait sous-estimé le montant des ventes imposables et celui de la TPS nette payable indiqués sur les 11 déclarations de TPS qui avaient été produites relativement à cette entreprise de 1992 à 1995. La taxe nette détournée pendant cette période s'élevait à 27 832 $, montant qui se rapporte à une somme de 397 600 $, représentant le chiffre d'affaires net.

Honoraires non déclarés de tenue de livres

[5]      Cette question a été réglée par les parties, à l'exception des pénalités et des intérêts imposés par le ministre. L'appelant a reçu un revenu d'emploi, pour ses services de tenue des livres, qu'il n'a pas déclaré. Les parties conviennent que l'appel soit admis pour l'année d'imposition 1993 à l'égard des honoraires de tenue de livres. L'appel est rejeté en ce qui concerne le revenu découlant de la tenue des livres pour les années 1994 et 1995, et je conclus que les intérêts et les pénalités s'appliquent sur ce revenu non déclaré. L'appelant a clairement reçu un montant hebdomadaire de 150 $ pendant ces années. Il l'a inscrit dans son livre spécial. Il a modifié son propre contrat d'emploi manuscrit. Il a intentionnellement et sciemment sous-évalué son revenu, pour 1994 et 1995, de 6 765 $ et de 6 750 $.

Intérêts non déclarés

[6]      La question à trancher est celle de savoir si une somme de 100 000 $ sur l'hypothèque de 225 000 $ appartenait à l'appelant ou à sa belle-mère. J'admets le témoignage de Elizabeth Catherine Brown, la vérificatrice de Revenu Canada. Elle a indiqué dans son témoignage qu'au début de la vérification, l'appelant avait déclaré qu'il y avait eu un seul dépôt de 100 000 $ dans son compte bancaire, montant que lui avait avancé sa belle-mère de l'Égypte quant à l'investissement dans l'entreprise de Automotive de Peterborough en juillet 1993.

[7]      L'appelant a appuyé ce fait au moyen d'un relevé bancaire du compte no 1802677[3], sur lequel l'appelant avait écrit [TRADUCTION] « Le montant de 100 000 $ déposé dans le compte le 20 juillet 1993 » . Une déclaration de la belle-mère de l'appelant[4], selon laquelle elle avait prêté à sa fille, Sohair, 100 000 $ en juillet 1993, a été déposée en preuve. Ce document paraît avoir été signé par la belle-mère de l'appelant, Mahfouza Mohamed, au Caire, en Égypte et avoir été certifié par un avocat au moyen de son timbre imprimé. Aucune des parties ayant signé le document n'a présenté de preuve afin d'authentifier la déclaration. L'appelant et son épouse possédaient plusieurs comptes, dans lesquels de l'argent était déposé et retiré, de sorte qu'il est très difficile d'en faire le suivi. En tentant de mettre fin à la confusion, l'avocat de l'appelant a déclaré qu'il n'y avait pas eu de dépôt de 100 000 $ en juillet 1993 et a entrepris de faire remarquer qu'il y avait eu un retrait de 100 000 $, le 12 octobre 1993[5], je crois, et que ce montant de 100 000 $ avait été déposé dans le compte de fonds du Trésor principal de l'appelant. Par conséquent, au départ, l'appelant indiquait avoir reçu un montant de 100 000 $ en juillet 1993 en provenance de l'Égypte. Puis, lorsque les vérificateurs ont fait des vérifications plus poussées et qu'ils n'ont pas pu constater que ce montant avait été déposé dans l'un des comptes de l'appelant ou de son épouse en juillet 1993, l'appelant a fait marche arrière et a soutenu que l'argent était arrivé d'Égypte en plus de dix opérations, pour des montants variant de 10 000 $ à 20 000 $. Il a déclaré que cet argent avait été transporté de l'Égypte au Canada par des amis, des services de messagerie et son épouse et qu'il était en différentes devises. Selon ses relevés de dépôt bancaire, 65 p. 100 de l'argent est arrivé avant 1993. L'appelant a ajouté qu'un premier paiement d'intérêts de 25 000 $[6] a été versé à sa belle-mère en décembre 1996. À cette époque, des intérêts de 35 000 $ auraient été dus à la belle-mère[7].

[8]      En juin 1997, l'appelant a appris que Revenu Canada allait procéder à une vérification et, en juillet 1997, il a effectué une remise au receveur général d'une retenue d'impôt des non-résidents. Je n'accepte pas l'explication de l'appelant selon laquelle il n'a pas été en mesure d'obtenir des conseils, relativement à cette retenue d'impôt, avant juillet 1997. Trois années se sont écoulées avant qu'il ne déclare d'intérêt hypothécaire sur le montant de 100 000 $. L'appelant avait le fardeau de prouver que les sommes ne lui appartenaient pas. Il existe trop d'incohérences pour que j'accepte ses explications. Je suis d'avis, suivant la prépondérance des probabilités, qu'il s'agissait de son argent et qu'il a omis de déclarer l'intérêt. À mon avis, il s'agit d'une faute lourde selon le paragraphe 163(2) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Je conclus que le ministre a correctement inclus les montants de 13 410 $, de 13 188 $ et de 11 257 $ dans le revenu de l'appelant pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, conformément à l'article 3 et à l'alinéa 12(1)c) de la Loi. De plus, le ministre a correctement imposé les pénalités prévues au paragraphe 163(2) de la Loi.

Détournement du revenu

[9]      Il s'agit de la question la plus difficile. L'appelant a plaidé coupable, par l'entremise de son avocat, à des accusations de déclarations fausses ou trompeuses dans les déclarations de TPS. Dans ses motifs de jugement, le juge de la Cour provinciale a déclaré en partie ce qui suit :

          [TRADUCTION]

            J'ai devant moi un défendeur qui est âgé de 66 ans, qui est retraité, qui n'a pas de casier judiciaire et qui s'est trouvé mêlé à cette situation en raison de son investissement dans cette société par cette compagnie, et on a laissé entendre qu'il pouvait avoir demandé et obtenu le contrôle des affaires financières afin de protéger son propre intérêt dans l'affaire, et ainsi son propre gain personnel, ou d'éviter une perte. Le propriétaire de la compagnie a manifestement fait un profit également, et l'avocat indique maintenant qu'il y a des éléments discutables - c'est ce que la transcription révèle - quant à savoir s'il y a eu un gain personnel à long terme, mais il est raisonnable de supposer qu'il y en a eu un à court terme.

[10]     En faisant les fausses déclarations et en détournant la TPS payable par Automotive, l'appelant s'assurait que l'hypothèque qui lui avait été consentie ainsi qu'à son épouse était remboursée. Il s'agissait d'un prêt risqué et fort probablement sous-garanti parce que des prêteurs ordinaires ne l'auraient pas consenti. La seule pertinence de la condamnation relative à la TPS est de démontrer le caractère de l'appelant, sa façon de penser et son approche afin d'assurer le remboursement de l'hypothèque et des intérêts pendant ce qui constituait selon moi une période difficile pour lui. Selon le témoignage de l'appelant, il n'y a pas eu de détournement de revenu provenant de Automotive. Mme Brown en est venue à la conclusion contraire grâce à l'ajout des rentrées de fonds de Automotive enregistrées par l'appelant, qui ont été déposées dans le compte bancaire personnel de ce dernier, et à la déduction des montants qu'il avait remboursés à Automotive et en ajoutant la différence à son revenu.

[11]     L'appelant soutient que Mme Brown n'a pas tenu compte des transferts d'autres sommes qu'il avait effectués pour payer pour Automotive une dépanneuse, un treuil, un appareil de parallélisme et des camions Canpar. Un relevé bancaire qui étaye la prétention de l'appelant selon laquelle il a prélevé un montant de 18 000 $ de sa marge de crédit personnelle coïncide avec l'achat de la dépanneuse. Il existe une preuve semblable d'un autre montant de 7 500 $ au moment de l'achat de l'appareil de parallélisme et du treuil. M. Johnston a effectué des paiements conformément aux ententes, sur la marge de crédit de l'appelant, de 624 $ par mois, qui ont augmenté pour atteindre 989 $ par mois en septembre et en octobre 1995. Quand l'appelant et M. Johnston ont mis fin à leur relation d'affaires, l'appelant a remboursé le solde impayé de la marge de crédit de 15 000 $, ce qui est attesté par deux chèques. M. Johnston a remis à l'appelant un chèque de 1 441 $, ce qui laissait un montant de 13 648 $ dû à l'appelant. Les calculs mathématiques relatifs aux camions Canpar, au treuil et à l'appareil de parallélisme ne sont pas clairs et ne peuvent pas être retracés aussi facilement.

[12]     En 1998, l'appelant a intenté une action contre M. Johnston et 1067549 Ontario Ltd. pour non-paiement de salaire en 1993. M. Johnston a déposé une demande reconventionnelle pour 200 000 $, alléguant un détournement de fonds. Au moment du règlement de l'action, M. Johnston a versé à l'appelant 12 500 $, a abandonné sa demande reconventionnelle et a fait la déclaration suivante :

          [TRADUCTION]

1.          Je suis un défendeur dans la cause et le propriétaire de 1067549 Ontario Limited, faisant affaires sous le nom de Class « A » Automotive, l'autre défenderesse en l'espèce, et, à ce titre, je suis au courant des questions ci-après déclarées par moi.

2.          Le demandeur, Atef Choumann, n'a pas reçu de salaire pour les services qu'il a fournis à la défenderesse 1067549 Ontario Limited et à moi-même au cours des années 1992 et 1993.

3.          Le demandeur, Atef Choumann, ne me doit aucun montant et n'en doit pas non plus à la défenderesse 1067549 Ontario Limited à l'égard de recettes en espèces provenant des activités Class « A » Automotive en 1994 et en 1995 et reçues par le demandeur en sa qualité de conseiller financier et de directeur de l'entreprise.

Cette déclaration sous serment ne peut pas être mise de côté. Je n'admets pas le témoignage de M. Johnston selon lequel sa déclaration sous serment n'est pas exacte. Il était représenté par un avocat à ce moment-là et il a été soumis à de longs interrogatoires préalables. Je ne crois pas que son avocat lui aurait permis de signer un faux affidavit.

[13]     Bien que je ne croie pas qu'il soit possible de dire que l'appelant ait démoli les hypothèses du ministre en ce qui concerne le détournement, je conclus qu'il a fait pencher la balance au point où le ministre avait le fardeau de prouver le détournement. La preuve du ministre, telle qu'elle a été présentée à partir de la vérification, est très loin de ce résultat, et la partie de l'appel portant sur le détournement est admise.

[14]     Mes conclusions sont par conséquent les suivantes :

Honoraires non déclarés de tenue de livres

a)        l'appel est admis pour l'année d'imposition 1993;

b)       les appels sont rejetés pour les années d'imposition 1994 et 1995, et le ministre a correctement imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2);

Intérêts non déclarés

Les appels, pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, sont rejetés, et le ministre a correctement imposé des pénalités;

Détournement de fonds

Les appels, pour les années d'imposition 1994 et 1995, sont admis.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de janvier 2002.

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3269-IT-I

ENTRE :

ATEF CHOUMANN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus les 4 et 6 avril 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions

Avocats de l'appelant :      Me Colin J. Campbell et Me J. Tennant

Avocat de l'intimée :         Me Scott Simser

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'égard des cotisations établies en application de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993, 1994 et 1995 sont admis, sans frais, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations en tenant compte du fait que l'appelant n'a pas reçu d'honoraires de tenue de livres de 5 400 $ en 1993. De plus, les montants de 1 000 $ et de 21 215 $ ne doivent pas être inclus dans le calcul du revenu de l'appelant pour les années d'imposition 1994 et 1995, respectivement.

          L'appel interjeté à l'encontre de la cotisation établie en vertu de la Loi pour l'année d'imposition 1996 est rejeté.

          L'appelant n'a droit à aucune autre mesure de redressement.

Signé à Ottawa, Canada, ce 16e jour de mai 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 28e jour de janvier 2002.

Martine Brunet, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           Mike Johnston contrôlait Class « A » Automotive.

[2]           En 1993, il est devenu l'unique propriétaire de 1097549 Ontario Ltd. faisant affaire sous le nom de Class « A » Auto Sales.

[3]           Il appert qu'il s'agit d'un compte conjoint de l'appelant et de son épouse. Le relevé est reproduit sous la cote R-1, onglet 45. Il paraîtrait qu'il s'agit des extraits de compte qui sont reproduits sous la cote A-2, onglet 10.

[4]           Pièce R-1, onglet 41.

[5]           Dernière page de la pièce A-1, onglet 10.

[6]           Cela a été attesté par un retrait de 25 000 $ tiré du compte bancaire de l'appelant.

[7]           L'hypothèque (pièce R-1, onglet 37) prévoyait des intérêts annuels de 13 p. 100 à partir du 1er février 1994.

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