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Date: 20000919

Dossiers : 98-9299-IT-I,

98-9303-IT-I

ENTRE :

DONALD DUMAS

RICHARD GENDRON,

appelants

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]      Ces appels ont été entendus sur preuve commune, selon la procédure informelle. Ils concernent l'année d'imposition 1994.

[2]      La question en litige est de savoir si les appelants avaient un espoir raisonnable de tirer un profit de location d'un immeuble acquis en 1989.

[3]      Les faits sur lesquels le ministre du Revenu national (le « Ministre » ) s'est appuyé pour établir ses nouvelles cotisations sont décrits aux paragraphes 3 des Réponses à l'avis d'appel. Les Réponses étant semblables, je reproduis celle du dossier de l'appelant Gendron.

a)          en 1989, l'appelant a acquis en copropriété avec Monsieur Donald Dumas l'immeuble sis au 16, rue Des Morillon, à Orford, Québec (ci-après, l' « immeuble » );

b)          l'immeuble est situé dans une région touristique (MAGOG-ORFORD);

c)          l'appelant et Monsieur Donald Dumas, ont donné 24 075 $ comptant et ont hypothéqué l'immeuble d'une somme de 82 925 $;

d)          au cours des années d'imposition 1989 à 1994, l'appelant a présenté les pertes de location suivantes relativement à l'immeuble :

                                                                                                            Par de

                             Profit                                    Pertes                      l'appelant

            Année      Brut Dépenses          nettes                      aux pertes

            1989          128 $                3 524 $          (3 396 $)                (1 698 $)

            1990        8 066 $              15 146 $         (7 080 $)                (3 540 $)

            1991        7 134 $              14 813 $         (7 679 $)                (3 840 $)

            1992        5 400 $              12 624 $         (7 224 $)                (3 612 $)

            1993        5 700 $              11 516 $         (5 816 $)                (2 908 $)

            1994        5 800 $              11 374 $         (5 574 $)                (2 787 $)

e)          tel que détaillé ci-dessous, les frais fixes, dépassaient les revenus de location pour la période de 1991 à 1994, relativement à l'immeuble :

                                                                                                     dépenses

            Année     Revenu brut                Frais fixes                           d'intérêts

            1991                 7 134 $                12 925 $                        10 444 $

            1992                 5 400 $                10 296 $                         7 450 $

            1993                 5 700 $                 9 323 $                          6 197 $

            1994                 5 800 $                 8 177 $                          5 094 $

f)           l'appelant n'avait aucun plan d'action pour développer une exploitation rentable;

g)          depuis 1989, l'immeuble était loué à la semaine ou au mois;

h)          les périodes de location étaient de quatre mois en 1992, quatre mois en 1993 et huit mois en 1994;

i)           après 1994, l'immeuble n'a pas été loué;

j)           au cours de la période en litige, l'offre de location excédait la demande dans la région;

k)          au cours de la période sous vérification, l'immeuble était à vendre à 95 000 $, mais il n'y avait aucun acheteur potentiel;

l)           l'appelant n'a pas démontré que le montant de 2 787 $ réclamé, relativement à l'immeuble pour l'année d'imposition en litige, a été engagé par ce dernier en vue d'un profit ou dans une expectative raisonnable de profit;

m)         conséquemment, le ministre a refusé la perte de location de 2 787 $, réclamée par l'appelant relativement à l'immeuble.

[4]      Les appelants ont témoigné. Je rapporterai leur témoignage de façon conjointe.

[5]      Monsieur Gendron est présentement retraité. Il a été pendant quinze ans propriétaire d'un journal de la région. Lui et l'autre appelant, monsieur Dumas sont des amis de longue date. C'est monsieur Dumas qui lui a parlé du projet de l'acquisition de la villa. Cette villa faisait partie d'un complexe hôtelier de la chaîne Sheraton desservant le centre de ski du Mont Orford. Le promoteur du complexe était le beau-frère de Monsieur Dumas.

[6]      Monsieur Dumas à l'époque était propriétaire d'un dépanneur situé près du complexe hôtelier. Il agissait aussi comme agent immobilier.

[7]      Chacun des appelants a investi 15 000 $. Du montant de 30 000 $, 24 075 $ a été payé comptant pour l'acquisition de la villa. Le reste a été payé en frais relatifs à une transaction immobilière, dont les frais de mutation et honoraires de notaires.

[8]      À cette époque, le Mont Orford paraissait être une station de ski en pleine expansion et était très populaire. Des sommes importantes, on a parlé de 10 millions, venaient d'être investies dans ce centre de ski. À l'été, il y avait la proximité d'un terrain de golf.

[9]      L'hôtel Sheraton voyait à la location et l'entretien de la villa, qui était disponible pour la location à l'année. Les locataires de la villa avaient accès à la piscine de l'hôtel. Les appelants prévoyaient un revenu annuel locatif de 10 000 $ par année en se fondant sur le prix de location d'une chambre d'hôtel.

[10]     Vers 1992, le complexe hôtelier a fait faillite. Il a été repris par le groupe Malenfant qui à son tour a fait faillite en 1993.

[11]     C'est à partir de ce moment que les appelants ont commencé à s'occuper de la location eux-mêmes.

[12]     Monsieur Gendron a fait publier dans son journal de 70 à 100 annonces concernant la villa. Un exemplaire de cette publicité a été déposé comme pièce A-1. Il y a deux types d'annonces. Une annonce concerne la location de la villa. Selon monsieur Gendron, il y aurait eu plus de 40 annonces de ce genre. Il y a aussi une annonce concernant la mise en vente de la villa. Il y aurait eu plus de 30 annonces de ce genre dans les années 1995 à 1997. Chaque annonce réfère le client potentiel à l'autre appelant, monsieur Donald Dumas, à titre d'agent immobilier chez Re-Max Magog.

[13]     En tant qu'agent immobilier monsieur Dumas pouvait faire de la publicité à travers l'agence immobilière. Il en faisait aussi à son dépanneur.

[14]     Chacun des appelants réside à Orford et n'a jamais utilisé personnellement la villa. Ils n'avaient aucune intention de l'habiter. Ils voyaient l'investissement comme une source facile de revenu locatif qui s'ajouterait à leur revenu de pension.

[15]     Les appelants voulaient participer à l'essor économique qui avait alors lieu à Orford. Ils étaient convaincus que la villa serait louée et serait rentable de la même façon que l'hôtel. Toutefois, il y a eu surabondance de propriétés à louer. Les prix de location ont baissé.

[16]     Les appelants ont tenté de vendre la villa dès 1995. Ce fut extrêmement difficile de trouver un acquéreur. Ce n'est qu'en 1998, que la villa a été vendue et encore à prix réduit.

Position des parties

[17]     Le représentant des appelants a fait valoir que pour les appelants il s'agissait uniquement d'une décision d'affaires qui avait été prise dans un contexte d'essor financier du centre de ski du Mont Orford et de la région. Il y avait aussi le lien familial qui existait entre monsieur Dumas et le propriétaire du complexe hôtelier. Les deux appelants étaient des hommes d'affaires sérieux, l'un était propriétaire d'un journal, l'autre d'un dépanneur et travaillait également comme agent immobilier. L'acquisition avait été faite dans un but de revenu locatif. Les appelants n'avaient pas acquis par intérêt personnel mais uniquement par intérêt d'affaires. Ils ont payé comptant une part importante de leur acquisition.

[18]     Toujours selon le représentant des appelants, beaucoup de développements immobiliers ont connu un sort funeste dans la région, soit Cheribourg, Estrimont et le centre de ski du Mont Orford lui-même. Les appellants ont été victimes d'une conjoncture de mauvais marché.

[19]     L'avocat de l'intimée a fait valoir que les appelants n'ont pas procédé à des mesures d'ajustements dans des circonstances de revenu locatif moindre que prévu. Il aurait fallu s'ajuster au marché : diminuer les frais d'intérêt en accroissant les paiements de capital. Il fait aussi valoir que le Ministre a permis aux appelants de procéder à ces ajustements en leur accordant un délai de près de cinq ans.

Conclusion

[20]     Dans cette affaire, il faut premièrement noter qu'il ne s'agit pas d'une propriété locative dont le coût d'achat est financé à 100 pour-cent. Les appelants ont versé 30 000 $. Il ne s'agit pas non plus d'un cas où les paiements hypothécaires sont faits à partir d'une marge de crédit dont les intérêts s'ajouteraient à ceux de l'emprunt hypothécaire. Il est vrai que les appelants n'ont pas réduit le montant du capital emprunté. Il n'y a pas eu de preuve à savoir s'ils en avaient les moyens ou pas.

[21]     La preuve a toutefois révélé clairement que l'acquisition a été faite dans le cadre d'un essor financier important apporté au centre de ski du Mont Orford à un moment où ce centre était très populaire. La villa faisait partie d'un complexe hôtelier de la chaîne Sheraton desservant ce centre de ski. Le propriétaire du complexe immobilier était le beau-frère d'un des appelants. Il est donc fort plausible d'avoir été convaincu de la rentabilité locative de la propriété acquise. Les appelants en étaient si convaincus qu'ils ont investi 15 000 $ chacun. D'autres ont aussi crû à la rentabilité du complexe hôtelier. Ainsi le groupe Malenfant l'a repris en 1992. À partir de 1993, les appelants ont fait de nombreuses démarches pour louer la villa. Puis en 1995, constatant le peu de rentabilité locative de la propriété; ils l'ont mise en vente. Mais, même le marché immobilier était difficile. Finalement, ils l'ont vendue en 1998.

[22]     On peut penser que les appelants n'ont pas mis la propriété en vente dès la troisième année parce qu'ils ont cru à l'instar des autres intervenants économiques de la région que la conjoncture économique se redresserait. C'est peut-être dans cette même perspective qu'ils n'ont pas réduit l'emprunt hypothécaire s'ils en avaient la capacité ce qui n'est pas certain. Ils ont toutefois dès 1995, pris la seule mesure de redressement qui leur était possible, soit la mise en vente de la propriété.

[23]     Je suis d'avis que selon la preuve, la décision d'acquérir a été prise pour des motifs d'affaires et non pas pour des motifs personnels. Dans ces circonstances la Cour doit prendre garde de ne pas substituer son jugement d'affaires à celui des acquéreurs. Cette décision d'acquérir pouvait comprendre l'accroissement de la valeur immobilière de la propriété, mais elle incluait aussi la rentabilité locative laquelle, dans les circonstances de l'acquisition, paraissait raisonnablement plausible. De plus, les appelants ont fait ce qu'ils ont pu pour minimiser leur perte dans un marché qui était difficile. Il me faut donc conclure, selon la prépondérance de la preuve, que l'activité de location était une entreprise de nature commerciale. Les appels sont en conséquence admis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada ce 19e jour de septembre 2000.

« Louise Lamarre Proulx »

J.C.C.I.


Nos DES DOSSIERS DE LA COUR : 98-9299(IT)I et 98-9303(IT)I

INTITULÉ DE CAUSE :           Donald Dumas et Richard Gendron

                                                          et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                    Sherbrooke (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                  le 28 août 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :        l'honorable juge Louise Lamarre Proulx

DATE DU JUGEMENT :                    le 19 septembre 2000

COMPARUTIONS :

Représentant des appelants :       Alain Francoeur

Avocat de l'intimée :                  Me Simon-Nicolas Crépin

AVOCAT(e) INSCRIT AU DOSSIER :

Pour les appelants :

                   Nom :          

                   Étude :                  

Pour l'intimée :                          Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

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