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Date: 20001005

Dossier: 1999-4153-IT-I

ENTRE :

WENDY BARBARA SOL,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Sarchuk, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel interjeté par Wendy Barbara Sol à l'encontre d'une cotisation d'impôt portant sur son année d'imposition 1997. Dans le calcul de son revenu pour cette année, l'appelante a réclamé d'autres déductions, notamment :

                Retrait de sommes excédentaires du Régime

                enregistré d'épargne-retraite (" REER ")                           2 010,29 $

                Frais juridiques                                                                                      2 165,54 $

                Total                                                                                                                        4 175,83 $

En établissant une cotisation à l'égard de l'appelante pour cette année d'imposition, le ministre du Revenu national (le " ministre ") a refusé ces autres déductions. Au début de l'audience, l'avocat de l'intimée a informé la Cour que le ministre concédait maintenant que l'appelante avait le droit de déduire, relativement à un remboursement de cotisations excédentaires versées à son régime enregistré d'épargne-retraite (REER) mais non déduites, un montant de 2 010,29 $ en vertu du paragraphe 146(8.2) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi ").

Faits

[2]            Le 18 janvier 1994, un jugement du Cour du Banc de la Reine du Manitoba (Division de la famille) a ordonné à l'ancien conjoint de l'appelante, Douglas Robert Budyk (" M. Budyk ") de verser à cette dernière une pension alimentaire pour enfants relativement aux deux enfants issus du mariage. Par la suite, les dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu portant sur le traitement fiscal de la pension alimentaire pour enfants ont été modifiées, les paiements de cette pension n'étant plus inclus dans le revenu du bénéficiaire ni déductibles pour le payeur. En ce qui concerne en particulier les ordonnances rendues ou ententes conclues avant le mois de mai 1997, la disposition antérieure portant sur l'inclusion et la déduction du paiement s'applique généralement, mais le système tel qu'il est modifié s'applique notamment lorsque l'entente ou l'ordonnance a été modifiée après le 30 avril 1997 ou qu'une autre ordonnance a été rendue ou une autre entente, conclue, après cette date, laquelle changeait le montant de la pension alimentaire pour enfants prévue dans l'ordonnance ou l'entente originale[1]. En 1997, M. Budyk ainsi que l'appelante ont présenté des requêtes afin de modifier l'ordonnance de pension alimentaire qui avait été rendue par le juge Carr.

[3]            Selon l'appelante, il lui est devenu nécessaire de s'adresser à la Cour parce que son ancien conjoint, entre autres choses, refusait de fournir volontairement les renseignements financiers requis afin de s'assurer que les paiements de la pension alimentaire pour enfants étaient conformes aux Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants. La demande de l'appelante a été accueillie, et, en conséquence de la modification de l'ordonnance, la pension payée par M. Budyk pour subvenir aux besoins des enfants a été augmentée, passant de 800 $ à 978 $ par mois[2]. La modification a eu l'effet supplémentaire d'assujettir l'appelante à la version modifiée de l'alinéa 56(1)b).

[4]            Selon l'appelante, les frais juridiques étaient déductibles puisqu'ils ont été engagés dans le cadre d'une procédure judiciaire entreprise afin de procéder à l'exécution forcée d'une ordonnance existante de pension alimentaire pour enfants en harmonisant celle-ci avec les Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants qui ont récemment été adoptées.

[5]            Selon le ministre, les frais juridiques ont été engagés dans le but d'obtenir une ordonnance de modification d'un jugement antérieur daté du 18 janvier 1994, aux termes duquel l'ancien conjoint de l'appelante, M. Budyk, s'est vu ordonner de payer une pension alimentaire pour enfants relativement aux deux enfants issus du mariage. L'intimée prétend de plus que la demande de modification présentée par l'appelante visait à soustraire celle-ci au paiement de l'impôt sur le revenu relatif à la pension alimentaire pour enfants. Ainsi, selon l'intimée, aucune partie des frais juridiques n'a été engagée dans le but de contraindre son ancien conjoint à payer la pension alimentaire pour enfants ou de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien : ils l'ont été à titre de capital.

Conclusion

[6]            La question est celle de savoir si les frais juridiques réclamés ont été engagés dans le but de tirer un revenu d'un bien aux termes de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. Il n'est pas contesté qu'un droit à la pension alimentaire constitue un bien au sens du paragraphe 248(1) de la Loi[3]. Je me penche donc sur la question de savoir si des frais juridiques engagés en vue d'obtenir ou d'accroître le montant de la pension alimentaire pour enfants payable par l'autre conjoint sont déductibles. Dans l'affaire Wakeman c. Canada[4], le juge O'Connor a fait remarquer que la Loi sur le droit de la famille (Ontario) et la Loi sur le divorce indiquent clairement que chaque parent a l'obligation de subvenir aux besoins de ses enfants et qu'une ordonnance rendue en vertu de l'article 15 de la Loi sur le divorce doit prévoir la répartition de cette obligation entre les conjoints en fonction de leur capacité relative de payer. Le juge a ensuite formulé les commentaires suivants :

                L'obligation qui incombe aux parents de subvenir aux besoins de leurs enfants a été décrite par la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Richardson c. Richardson, [1987] 1 R.C.S. 857, à la page 869 :

Le fondement juridique de la pension alimentaire de l'enfant est l'obligation mutuelle qu'ont les parents de subvenir aux besoins de leurs enfants. Cette obligation devrait être assumée par les parents proportionnellement à leurs revenus et moyens financiers respectifs : [...] La durée de l'obligation alimentaire varie selon la législation provinciale. [...] La pension alimentaire de l'enfant, comme les droits de visite, est un droit subjectif de l'enfant : [...]

Par conséquent, il est clair qu'en droit, du moins en Ontario, le père et la mère ont tous les deux l'obligation de subvenir aux besoins de leurs enfants et que cette obligation n'est pas éteinte par le divorce. Les poursuites que la mère qui a la garde engage contre son ex-conjoint en vue d'obtenir une pension alimentaire pour enfants ne créent donc pas le droit à cette pension, mais établissent plutôt simplement le montant, compte tenu des conditions énoncées dans les lois. Comme la Cour l'a dit dans le jugement Burgess, précité, à la page 5194 :

Il s'agit ensuite de déterminer les faits générateurs du droit de la défenderesse à une pension alimentaire. S'agit-il (1) d'un droit né lors du mariage de la défenderesse, comme le prétend son avocat? Ou (2) d'un droit né du jugement irrévocable de divorce qu'a prononcé la Haute Cour de l'Ontario, comme le soutiennent les avocats de la demanderesse?

En d'autres termes, il échet d'examiner si le jugement de la Haute Cour de l'Ontario a créé le droit à la pension alimentaire ou s'il n'a fait que confirmer et quantifier le droit acquis de la défenderesse aux aliments.

                L'avocat du ministre a cité certains arrêts dans lesquels il avait été statué que les frais judiciaires qu'une partie avait engagés en vue de faire augmenter le montant de la pension alimentaire n'étaient pas déductibles parce qu'ils créaient un nouveau droit relatif au capital. En l'espèce, le montant de l'allocation indemnitaire a de fait été légèrement majoré par l'ordonnance finale du 24 août 1993, par rapport au montant fixé dans une ordonnance provisoire antérieure. Toutefois, à mon avis, les arrêts cités ne s'appliquent pas. Ils ne faisaient pas de distinction entre la pension alimentaire accordée à la femme et l'allocation indemnitaire accordée à l'enfant. Comme il en a été fait mention, le droit des enfants à l'allocation indemnitaire est créé par la loi.

                Il est vrai que le droit créé par la loi est un droit propre à l'enfant. Toutefois, c'est la mère qui a la garde qui reçoit l'allocation indemnitaire pour l'enfant ou les enfants et qui doit inclure le montant y afférent dans son revenu. Par conséquent, elle peut déduire les frais judiciaires qu'elle a engagés en vue de faire quantifier l'allocation.

[8]            Je remarque que le paragraphe 36(1) de la Loi sur l'obligation alimentaire, L.R.M. 1977, c. 56, art. 4, prévoit que, " [s]ous réserve de la Loi sur les services à l'enfant et à la famille, tout parent doit, de façon raisonnable, fournir des aliments à son enfant et pourvoir à son éducation, que l'enfant soit ou non confié à sa garde ". Comme c'était le cas dans l'affaire McColl c. Canada[5], le droit des enfants à une pension alimentaire existait avant le divorce et continue d'exister par la suite. Bien que l'appelante reçoive les montants payables par son ancien conjoint pour les enfants, ces montants sont réservés à l'entretien et à l'éducation des enfants, et non au bénéfice de l'appelante. En conséquence, toute dépense engagée par elle aux fins de la détermination de ce montant peut être déduite par l'appelante.

[9]            De même, je ne peux accepter la position de l'intimée selon laquelle les frais juridiques n'ont pas été engagés par l'appelante en vue de tirer un revenu d'un bien, mais résultaient plutôt de son souhait d'augmenter son revenu disponible grâce au fait qu'elle n'aurait pas eu à payer d'impôt sur les montants reçus au titre de la pension alimentaire pour enfants. La réduction du montant d'impôt sur le revenu que l'appelante pouvait devoir payer peut très bien avoir constitué une partie de la raison pour laquelle l'appelante a présenté sa requête. Néanmoins, les montants accordés par la Cour dans l'ordonnance modificative représentent précisément la pension alimentaire destinée à subvenir aux besoins des enfants.

[10]          Je ne peux trouver aucun principe permettant de distinguer le présent appel de l'affaire Wakeman, précitée[6]. Par conséquent, l'appel est admis et l'appelante a le droit de déduire la somme de 4 175,83 $ dans le calcul de son revenu pour l'année d'imposition 1997.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour d'octobre 2000.

" A. A. Sarchuk "

J.C.C.I.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Traduction certifiée conforme ce 30e jour de mars 2001.

Philippe Ducharme, réviseur



[1]               L.C. 1997, ch. 25, art. 8 et 10.

[2]               Pièce A-1 - Les dispositions pertinentes de l'ordonnance modificative datée du 10 décembre 1997 étaient ainsi rédigées :

[TRADUCTION]

2. CETTE COUR ORDONNE, conformément à la Loi de 1985 sur le divorce :

a)          que le sous-paragraphe 1(iii) de ce jugement prononcé le 18e jour de janvier 1994 soit annulé et que le sous-paragraphe qui suit lui soit substitué :

1(iii) :

a)          le requérant, DOUGLAS ROBERT BUDYK, paie à l'intimée, WENDY BARBARA SOL, pour subvenir aux besoins des enfants Chad Matthew Budyk, né le 21 mars 1978, et Melissa Kathleen Budyk, née le 28 décembre 1979 :

(i)          conformément aux alinéas 3(1)a) et 2a) des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants et conformément à la table du Manitoba, la somme de 978 $ par mois, payable en versements égaux de 489 $ chacun versés le 1er et le 15e jours de chaque mois à compter du 1er septembre 1997, un crédit étant consenti au requérant, DOUGLAS ROBERT BUDYK, pour tout paiement de la pension alimentaire pour enfants effectué depuis le 1er septembre 1997;

(ii)         conformément à l'article 7 des Lignes directrices fédérales sur les pensions alimentaires pour enfants, la moitié (50 p. 100) des dépenses spéciales relatives aux enfants, soit les frais de scolarité universitaires ainsi que les dépenses relatives aux livres et aux fournitures, de la manière suivante :

                                                                                                (A)           les frais de scolarité universitaires nets pour l'année scolaire 1997-1998 et les dépenses relatives aux livres et aux fournitures déjà payées par l'intimée, WENDY BARBARA SOL, sont de 5 973,28 $. Le requérant, DOUGLAS ROBERT BUDYK, doit payer à l'intimée, WENDY BARBARA SOL, la moitié de sa contribution, soit 2 986,64 $, au plus tard le 15 janvier 1998; [...]

[3]               La Reine c. Burgess,[1982] 1 C.F. 849 (81 DTC 5192) (C.F. 1re inst.).

[4]               [1996] A.C.I. no 477 ([1996] 3 C.T.C. 2165) (C.C.I.).

[5]               [2000] A.C.I. no 335 ([2000] T.C.J. No. 335).

[6]               Voir également les décisions des affaires McColl c. Canada, [2000] A.C.I. no 335 ([2000] T.C.J. No. 335) et St. Laurent c. Canada, [1998] A.C.I. no 501 ([1999] 1 C.T.C. 2478). (Bien que ces deux affaires n'aient pas de rapport direct, l'approche adoptée pour les deux décisions est conforme à la substance de la décision rendue dans l'affaire Wakeman).

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