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Date: 20010219

Dossier: 2000-2975-EI

ENTRE :

KELLY WHIFFIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

A & P DELIVERY, A DIVISION OF

MITLIN ENTERPRISES LTD.,

intervenante.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]      L'appelant porte en appel une décision rendue par le ministre du Revenu national (le « ministre » ) le 5 juin 2000, selon laquelle l'emploi de l'appelant chez l'intervenante, une division de Mitlin Enterprises Ltd. (Mitlin) exploitée sous l'appellation A & P Delivery (APD), du 2 août 1998 au 3 août 1999 ne constituait pas un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-emploi (la « Loi » ) parce qu'il n'existait pas de relation employeur-employé aux termes d'un contrat de louage de services.

[2]      Lors de son témoignage, Kelly Whiffin a déclaré qu'il résidait à Abbotsford (Colombie-Britannique) et que, avant d'établir une relation de travail avec APD, il avait travaillé comme magasinier, expéditeur et réceptionnaire, en plus de conduire un camion de livraison, mais ce, toujours en qualité d'employé. Le 7 décembre 1997, il a répondu à une annonce publiée par Rick Clark, de Rick Clark Trucking. M. Clark était propriétaire de deux camions servant à effectuer des livraisons pour APD, mais il avait décidé de travailler à temps plein au bureau des expéditions d'APD, de sorte qu'il avait besoin d'un chauffeur pour conduire l'un des camions. Le 5 janvier 1998, M. Whiffin a commencé à conduire le camion de M. Clark conformément à une entente aux termes de laquelle il recevait 75 p. 100 de la somme versée à M. Clark par APD, cette somme représentant elle-même 75 p. 100 des recettes brutes perçues par APD, d'après les lettres de transport se rapportant aux livraisons effectuées. M. Clark agissait comme répartiteur d'APD et assignait les livraisons aux différents camions. M. Whiffin effectuait entre cinq et dix livraisons par jour; il livrait des marchandises diverses transportées au moyen d'un camion à plateau d'une capacité d'une tonne ou d'un camion de plus grande taille, d'une capacité de cinq tonnes. Il s'agissait de livraisons port dû ou port payé, APD calculant le coût de la livraison. M. Whiffin a déclaré que, lorsqu'il travaillait pour M. Clark, il devait se rendre au bureau d'APD à 7 h 30 et communiquer avec le répartiteur pour savoir s'il y avait des marchandises à ramasser le long de son trajet vers les locaux d'APD à New Westminster. Il attendait ensuite dans son camion — dans le secteur où les services étaient généralement fournis — que le répartiteur lui assigne une livraison. Le 1er mars 1998, son entente avec M. Clark a pris fin. M. Whiffin a dit qu'il n'avait gagné que 900 $ depuis le 5 janvier 1998 et que Peter Vandenbroek — qu'il considérait comme le propriétaire réel d'APD — lui avait versé à deux reprises la somme de 300 $ afin de lui venir en aide parce que sa relation de travail avec M. Clark ne lui rapportait pas assez. M. Clark a quitté son poste de répartiteur chez APD et a en outre repris ses deux camions. M. Whiffin a dit que Peter Vandenbroek avait communiqué avec lui car il voulait qu'il continue de travailler comme chauffeur chez APD. M. Vandenbroek lui a dit qu'un ancien chauffeur d'APD — Santokh (Sam) Sian — avait un camion à vendre; ils sont allés inspecter le véhicule au cours de la dernière semaine de février 1998 à une station-service Husky située sur la promenade Marine. M. Whiffin a déclaré que les discussions avec M. Sian à ce moment-là ont porté uniquement sur les réparations effectuées et sur d'autres questions touchant le camion. Aux dires du témoin, M. Vandenbroek lui avait déclaré que M. Sian n'accepterait pas de vendre son camion à un prix inférieur à 10 000 $ et que M. Whiffin pouvait l'acquérir en effectuant 20 paiements mensuels de 500 $. M. Whiffin a dit n'avoir pris aucune part à la transaction subséquente, soit l'acquisition du camion de M. Sian aux termes d'un contrat écrit (pièce A-1) portant la date du 2 mars 1998. D'après ce dont il se souvient, le témoin a signé un document quelconque, qui ne portait pour toute autre signature que celle de Peter Vandenbroek; on n'y nommait pas Santokh Sian, et sa signature n'y figurait pas. Concernant le contrat (pièce A-1), M. Whiffin a remarqué que son nom avait été mal orthographié — Whiffen — et que le numéro de modèle indiqué ne correspondait pas au camion Ford acheté à M. Sian. Selon les souvenirs de M. Whiffin, le document qu'il avait signé stipulait qu'il devait effectuer 20 paiements de 500 $ à APD, étant donné que c'était l'entreprise qui avait fait ensuite immatriculer le camion au bureau des véhicules automobiles. M. Whiffin a dit que ses rapports avec M. Sian s'étaient limités à cela. APD a fait assurer le véhicule et a informé l'appelant du montant de la prime, qui serait déduit de ses gains de la même manière que la somme de 500 $ payable chaque mois pour l'achat du camion. M. Whiffin devait payer les frais de carburant et d'entretien du camion. Il devait également acquitter des frais pour le poste émetteur-récepteur appartenant à APD — ainsi que des frais de durée d'appel —, la somme payable étant soustraite de ses gains, qui correspondaient à 75 p. 100 des recettes brutes provenant des livraisons; ces recettes étaient calculées d'après les frais de livraison — appliqués par APD — indiqués sur les lettres de transport. M. Whiffin a dit que, dans le cadre des discussions concernant les modalités de travail avec APD, Peter Vandenbroek avait indiqué qu'il serait possible d'obtenir des gains de l'ordre de 1 500 $ à 2 000 $ par quinzaine à l'aide du camion, et il avait fait quelques calculs sur un bout de papier. Le 3 mars 1998, le camion Ford 1989 a été immatriculé (pièce A-2) et assuré au nom de Mitlin Enterprises Ltd. L'appelant se trouvait alors dans le bureau du courtier d'assurances, et il a été désigné chauffeur principal du camion. Selon M. Whiffin, ses activités se déroulaient de la même manière que lorsqu'il conduisait l'un des camions appartenant à Rick Clark. Il retournait chez lui avec le camion chaque soir; il a indiqué que, selon ce qu'il avait cru comprendre, le camion devait être utilisé uniquement pour effectuer les livraisons assignées par APD. Il devait prendre le volant du véhicule entre 7 h et 7 h 30, et se présenter à une adresse située à Annacis Island ou à tout autre endroit indiqué par le répartiteur. À la fin de la journée de travail, soit généralement entre 14 h et 16 h, le répartiteur faisait savoir qu'il n'y avait plus de livraison à effectuer, et M. Whiffin retournait chez lui. Il y avait entre 10 et 12 autres chauffeurs au service d'APD et M. Whiffin a dit savoir que deux d'entre eux travaillaient selon les mêmes modalités que celles qui avaient été convenues entre APD et lui. Il estimait qu'il n'avait pas la possibilité de refuser d'effectuer une livraison, quoique cela lui soit arrivé une fois, quelques semaines avant qu'il cesse de travailler chez APD, parce qu'il était en route vers chez lui lorsque le répartiteur l'avait appelé. Il se plaignait déjà environ deux fois par semaine au répartiteur d'avoir à accepter certaines des livraisons qui lui étaient confiées. Il a dit s'être fait répondre : [TRADUCTION] « Tu as le choix entre faire cette livraison ou rendre le camion. » Lorsqu'il s'est finalement résolu à refuser de faire une livraison, le répartiteur a pesté contre lui. Au cours de la période où il a travaillé chez APD, M. Whiffin n'a pas pris de vacances, en plus de travailler les jours fériés, mais il a manqué sept jours de travail au total pour cause de maladie. Son entente avec APD ne l'autorisait pas, selon lui, à travailler pour d'autres compagnies la fin de semaine. M. Vandenbroek lui avait dit que personne n'effectuait la répartition chez APD la fin de semaine. Les livraisons qui lui étaient confiées par APD se traduisaient par des gains variant entre 700 $ et 850 $ par quinzaine, une fois soustraites toutes les dépenses — y compris les paiements de 500 $ pour le camion; M. Whiffin n'a jamais demandé qu'on lui confie du travail en sus des livraisons assignées du lundi au vendredi. Pour prendre un jour de congé, il devait informer le répartiteur, qui inscrivait alors une note sur un calendrier au bureau; toutefois, on ne lui a jamais refusé la permission de prendre un jour de congé. Les jours creux, il allait s'asseoir et attendait, avec trois ou quatre autres chauffeurs, qu'on lui confie du travail; il ne lui est jamais arrivé d'évoquer avec quelqu'un la possibilité d'utiliser le camion à d'autres fins que les livraisons pour APD. Il avait appris de Peter Vandenbroek que, une fois que tous les paiements seraient effectués pour le camion, la propriété de ce dernier lui serait transférée et il serait dès lors libre d'en faire ce que bon lui semblerait. À l'époque où il conduisait le camion pour APD, il y avait sur chaque porte un panneau de 16 pouces sur six sur lequel était écrit : « A & P Delivery, a Division of Mitlin Enterprises Ltd. » Le port de l'uniforme n'était pas obligatoire lors des livraisons, mais il était possible d'acheter un uniforme au bureau d'APD. Au sujet de la réponse à l'avis d'appel, plus précisément les hypothèses énoncées au paragraphe 6, M. Whiffin a déclaré savoir que deux autres personnes avaient conclu avec APD une entente similaire à la sienne, selon laquelle la société était propriétaire des camions tandis que le travailleur était simplement chauffeur. Les recettes brutes tirées des livraisons étaient au départ divisées en deux parts, de 75 p. 100 et de 25 p. 100, le pourcentage le plus élevé lui revenant, mais M. Whiffin a indiqué que cette répartition avait été ramenée à 70 p. 100-30 p. 100 en mai 1999, qu'il n'avait pas été avisé de cette modification, qu'il n'y avait pas eu de discussions avec les chauffeurs à ce propos et qu'il ne s'en était rendu compte qu'au moment où il avait reçu un relevé de ses revenus et dépenses. Il n'est pas d'accord avec l'hypothèse formulée à l'alinéa 6 e), selon laquelle APD avait simplement organisé l'achat du camion; il considérait en effet avoir acheté le camion directement à APD. Les clients passaient tous par l'intermédiaire d'APD, et il était en désaccord avec l'hypothèse, à l'alinéa 6 f), voulant qu'il ait eu normalement le droit de refuser d'effectuer des livraisons. Il convenait qu'APD percevait toutes les sommes payables par les clients, conservait 25 p. 100 (plus tard, 30 p. 100) des sommes brutes et lui versait le solde, après avoir fait des retenues au titre, notamment, de l'assurance, des cotisations à la commission d'indemnisation des accidents du travail, des paiements mensuels de 500 $ à M. Sian pour le camion et de certains autres frais rattachés à l'utilisation du camion dans le cadre du système commercial d'APD. M. Whiffin, à ce qu'il savait, devait conduire lui-même le camion, sauf les jours de congé, et, dans ce dernier cas, uniquement si le remplacement avait été organisé au préalable avec APD. Il a refusé d'admettre que l'hypothèse formulée à l'alinéa 6 p) était correcte; selon cette hypothèse, il n'avait pas à donner la priorité à APD et pouvait à sa guise fournir des services pour le compte d'autres sociétés durant la même période. M. Whiffin estimait également qu'il était placé sous le contrôle d'APD et qu'il ne lui était pas possible d'accroître son bénéfice. Selon lui, APD demandait que les véhicules servent à effectuer les livraisons requises; le camion à plateau d'une tonne qu'il conduisait pouvait servir à transporter des caisses à claire-voie, des tuyaux et des marchandises courantes; il y avait quatre autres camions pouvant servir à transporter le même genre de chargement. M. Whiffin a fait mention de photocopies de chèques (pièce A-3) reçus d'APD, déclarant qu'on ne lui avait pas fourni d'information sur le calcul des fonds avant mai 1999 et qu'il avait toujours supposé que le montant de chaque chèque reçu correspondait à la somme exacte qui lui était due. En juillet 1999, Peter Vandenbroek lui a dit que les paiements à M. Sian pour le camion étaient en retard [TRADUCTION] « de deux mois environ » , ce qui l'avait surpris, étant donné que des retenues correspondant à ces paiements de 500 $ avaient été effectuées sur ses gains. M. Whiffin a dit avoir rendu visite à M. Sian le 2 août 1999 pour en savoir davantage et avoir appris alors que les paiements d'APD pour le camion accusaient un retard de quatre mois, aucune somme n'ayant été reçue à ce titre depuis mai. Le 3 août 1999, M. Whiffin, souffrant d'une bronchite, a pris un congé de maladie. En fin de journée, vers 18 h 30, Angela Vandenbroek, la femme de Peter, lui a téléphoné à la maison pour lui dire que la relation de travail ne donnait pas les résultats voulus et qu'APD voulait récupérer son camion. M. Whiffin a dit lui avoir demandé alors : [TRADUCTION] « Est-ce que je suis renvoyé? » , ce à quoi on lui a répondu « Oui » . M. Whiffin a demandé à parler à Peter, ce à quoi Angela a répondu que Peter était [TRADUCTION] « trop en colère pour [lui] parler maintenant » parce que M. Whiffin, [TRADUCTION] « agissant à son insu » , avait discuté avec M. Sian du problème concernant les paiements du camion. L'appelant a indiqué que le 4 août 1999, il a demandé à Angela Vandenbroek qu'elle lui donne son relevé d'emploi, mais celle-ci lui a dit ne rien savoir à propos de ce document. M. Whiffin dit qu'il a également discuté à ce moment avec Angela d'une retenue de rémunération qui lui était due, et qu'il s'est fait dire que la somme en question lui serait versée une fois qu'il aurait rendu le camion. Le 6 août 1999, il a rapporté le camion à la résidence des Vandenbroek et a reçu son dernier chèque, établi au montant de 2 148,61 $, ainsi qu'un état de compte (pièce A-4). Il s'est ensuite présenté à la direction des normes d'emploi (Employment Standards Branch ou ESB), où il a déposé une réclamation à l'encontre d'APD afin d'obtenir une rémunération de vacances, un dédommagement pour tous les paiements qu'il avait effectués à l'égard du camion, sans oublier les frais rattachés à l'essence, aux réparations et à l'entretien, de même qu'un montant à titre d'indemnité de cessation d'emploi. Il a également présenté une demande de prestations d'assurance-emploi, qui a été rejetée. Par suite du dépôt de sa plainte à l'ESB, un fonctionnaire de cet organisme lui a fait parvenir un document, décrit comme étant un formulaire de transfert utilisé également à des fins fiscales (pièce A-5), qui avait servi au transfert de propriété du camion Ford du propriétaire immatriculé, Mitlin Enterprises Ltd., à l'acheteur, Peter John, contre la somme de 2 500 $. M. Whiffin avait calculé que, durant la période où il avait conduit le camion chez APD, il avait effectué des paiements s'élevant au total à 6 800 $ sous forme de retenues sur ses gains. Il a répété qu'il n'avait jamais considéré disposer de la moindre marge de manoeuvre par rapport au véhicule, car la direction ou les répartiteurs d'APD lui avaient toujours dit où aller et quoi faire, Angela Vandenbroek lui donnant comme ultime instruction l'ordre de rendre le camion.

[3]      En contre-interrogatoire, Kelly Whiffin a convenu que Rick Clark était propriétaire-exploitant lorsque ses camions étaient utilisés dans le cadre des activités d'APD et que lui-même avait qualité d'employé lorsqu'il conduisait l'un des camions de M. Clark. Il a expliqué que le répartiteur choisissait les véhicules en fonction des livraisons à effectuer. Il arrivait que des clients demandent que les livraisons soient effectuées par un chauffeur particulier et qu'une relation puisse s'établir après plusieurs livraisons. Habituellement, il attendait dans son camion près de l'endroit où il avait effectué sa dernière livraison, ce qui pouvait être n'importe où dans le Lower Mainland. Le répartiteur communiquait tôt ou tard avec lui, et il effectuait alors la livraison qui lui était assignée. Les lettres de transport étaient remises au bureau d'APD tous les deux jours, mais il examinait au préalable le poids de charge inscrit sur les feuillets. Les frais minimums exigés pour une livraison étaient de 37,50 $, APD fixant toutefois les frais de livraison après avoir pris en compte le poids et la taille de l'article à livrer ainsi que la distance parcourue. M. Whiffin a mentionné qu'il devait souvent faire des livraisons dont le prix correspondait aux frais minimums et qu'il a toujours cru qu'il ne pouvait refuser de les effectuer. Concernant les uniformes d'APD, il en a acheté trois, deux pour lui-même et un pour son épouse; leur coût a été déduit de sa rémunération brute. Peter Vandenbroek a fourni les panneaux autocollants qui ont été apposés sur le camion. À la connaissance de M. Whiffin, deux autres chauffeurs, Brian Kufler et Neil Morgan, avaient convenu de modalités de travail similaires aux siennes avec APD. Il a reconnu qu'il avait éprouvé des difficultés financières au cours de la période où il conduisait un camion pour Rick Clark et que Peter Vandenbroek lui avait versé 600 $ à titre de supplément de revenu. À l'époque, sa cote de crédit ne lui aurait pas permis de contracter un emprunt auprès d'une banque ou d'une autre institution financière afin d'acquérir le camion Ford de M. Sian. Mitlin, la société mère d'APD, a remis à M. Sian des chèques postdatés établis chacun au montant de 500 $, et M. Whiffin a convenu qu'il était désigné comme acheteur du camion Ford sur le contrat de vente (pièce A-1). Il a cependant ajouté que, bien que sa signature y apparaisse, il n'avait pas signé ce document dactylographié et considérait qu'il s'agissait d'un faux, car il est formel au sujet de l'orthographe de son nom de famille et n'aurait jamais signé un contrat où son nom aurait été écrit Whiffen. L'avocate de l'intimé a remis à M. Whiffin un document (pièce R-1) et ce dernier a reconnu qu'il s'agissait de l'original de la pièce A-1 et que sa signature y figurait, mais il a soutenu que le document qu'il avait signé concernant le camion Ford ne contenait aucun texte dactylographié. En décembre 1998, il a eu un accident de la route au volant du camion Ford alors qu'il retournait chez lui après le travail. Il a présenté une réclamation à l'Insurance Corporation of British Columbia (ICBC) afin d'obtenir une indemnité au titre des réparations effectuées sur le véhicule ainsi que pour la douleur et la souffrance endurées. Il a déclaré avoir présenté cette réclamation à l'ICBC parce qu'il exploitait le camion à l'époque où a eu lieu la collision; il a demandé à Peter Vandenbroek d'envoyer à l'ICBC une lettre précisant la somme qu'il avait gagnée comme chauffeur de camion au service d'APD, de manière à confirmer qu'il avait subi une perte de revenu par suite de l'accident. Le témoin a reconnu que lorsqu'il avait reçu 5 000 $ de l'ICBC pour le règlement de sa réclamation, il n'avait pas utilisé ce montant pour rembourser ne serait-ce qu'une partie du solde impayé à l'égard du camion. Tout au long de sa relation de travail avec APD, M. Whiffin a payé le coût de toutes les réparations apportées au camion et en a assuré lui-même l'entretien, lorsque la chose était possible, en plus de devoir acquitter tous les frais d'assurance et de carburant. Il a reconnu qu'il était le seul à posséder les clefs du véhicule. Il demeurait à une heure du centre d'exploitation d'APD et parcourait cette distance à l'aller et au retour chaque jour ouvrable. Le véhicule était mû au propane, ce qui en rendait l'utilisation relativement économique. Selon M. Whiffin, à un certain moment, un autre chauffeur lui avait confié que, aux dires de Peter Vandenbroek, M. Whiffin ne pouvait partir avec le camion et aller travailler ailleurs tant qu'il subsistait un solde impayé sur celui-ci. Il a ajouté que Peter Vandenbroek avait formulé des commentaires similaires en d'autres occasions, lorsqu'il y avait un creux et que les chauffeurs se mettaient à [TRADUCTION] « pleurnicher » . M. Whiffin n'a jamais fait appel à un chauffeur remplaçant pour prendre le volant du camion Ford, mais il lui aurait fallu le faire s'il avait pris un jour de congé. Le 9 mai 1999, les chauffeurs ont pris part à une réunion dans une brasserie de Surrey; Peter Vandenbroek y a déclaré que la période de retenue devait être prolongée de deux semaines, mais il n'a pas été question à ce moment-là de modifier la répartition des recettes entre les chauffeurs et APD, la part de cette dernière passant de 25 à 30 p. 100 tandis que celle des chauffeurs était ramenée de 75 à 70 p. 100. À ce que comprenait l'appelant, APD éprouvait certains problèmes financiers et avait besoin de plus de temps pour effectuer le versement de la rémunération, d'où la prolongation de la période de retenue. Durant les trois jours où le camion a été hors d'usage, aucun revenu n'a été produit. M. Whiffin a convenu que, de temps à autre, les 500 $ représentant le paiement à M. Sian pour le camion n'étaient pas retenus sur ses gains bruts, parce qu'il demandait à M. Vandenbroek de suspendre les versements ou [TRADUCTION] d' « y aller doucement » les mois où le revenu produit par le camion était inférieur à ce dont il avait besoin pour s'acquitter de ses engagements personnels, entre autres le loyer — qui était en retard. Les données comptables, sous forme de ruban de machine à additionner (joint à la pièce A-4), avaient été affichées sur le mur du bureau de la résidence de M. Vandenbroek ainsi que dans l'aire de travail d'APD à Annacis Island. M. Whiffin a indiqué qu'il était allé discuter avec M. Sian des paiements en retard à l'égard du camion dans le seul but de savoir pourquoi les paiements n'avaient pas été effectués. Concernant la manière dont il déclarait le revenu tiré de l'utilisation du camion dans le cadre de sa relation de travail avec APD, M. Whiffin a expliqué qu'il n'avait pas produit de déclaration de revenu pour les années d'imposition 1997, 1998 et 1999. Il a admis que, durant cette période, aucune somme n'avait été retenue sur ses gains chez APD au titre de l'impôt sur le revenu et qu'il n'avait jamais payé de cotisations d'assurance-emploi.

[4]      Lors du contre-interrogatoire mené par Peter Vandenbroek, représentant de l'intervenante, l'appelant, lorsqu'il lui a été indiqué que le contrat de vente (pièce A-1) avait été signé dans un bureau utilisé dans le cadre des activités d'APD, a déclaré ne pouvoir se souvenir de la chose. Il a reconnu que sa femme et lui avaient tissé des liens d'amitié avec les Vandenbroek, dans le contexte de la relation de travail, et qu'ils avaient été souper à la résidence de ces derniers. Bien que les dispositions relatives au camion et aux paiements à effectuer aient fait l'objet d'une entente écrite, toute l'opération constituait une entente à l'amiable aux yeux de M. Whiffin, puisque le revenu du chauffeur pouvait varier. Il s'est rappelé qu'un problème était survenu dans les locaux commerciaux d'un important client d'APD et que, par suite de ce problème, on avait demandé à APD de ne plus lui confier de livraisons pour ce client, ce qui ne l'avait toutefois pas empêché d'y faire quelques autres livraisons en déposant les paquets à l'arrière du bâtiment au lieu de les apporter à la réception conformément à la procédure habituelle. Même si M. Whiffin et sa famille ont utilisé le camion Ford pour se rendre chez le père de ce dernier, il a toujours jugé qu'il s'agissait [TRADUCTION] « d'un camion d'A & P » , de sorte qu'il ne pensait pas être autorisé à l'utiliser à des fins personnelles de façon générale, et ce, même s'il avait apposé sur le camion ses propres vignettes.

[5]      Lors du réinterrogatoire mené par son avocat, M. Whiffin n'a pu se rappeler si la somme de 600 $ qu'il avait reçue de Peter Vandenbroek avait été soustraite ultérieurement de ses gains, mais il pensait que la chose était possible. La personne qui a signé le contrat (pièce A-1) à titre de témoin était travailleur à Westlund Industries, soit l'endroit où Peter Vandenbroek exerçait son emploi, et M. Whiffin a nié avoir jamais apporté ce document à M. Sian pour que ce dernier y appose sa signature. Concernant la somme de 5 000 $ reçue de l'ICBC, M. Whiffin a indiqué qu'elle avait été accordée en partie au titre d'une perte de revenu, étant donné que, par suite de l'accident, il ne pouvait soulever d'objets lourds ni conduire un aussi grand nombre d'heures; il estimait avoir perdu de ce fait environ 500 $ par quinzaine. En ce qui a trait aux fonctions du répartiteur, M. Whiffin a convenu que, si un client demandait expressément ses services, on s'efforçait de satisfaire à cette demande dans la mesure du possible, mais c'est le répartiteur, selon lui, qui décidait en dernier ressort du chauffeur auquel était assignée une livraison donnée.

[6]      Lors de son témoignage, Angela Whiffin a déclaré qu'elle était mariée à l'appelant depuis 12 ans et qu'ils avaient un enfant. Après avoir été séparés sept ans, ils se sont réconciliés en mars 1999 et ont repris la vie commune. C'est à peu près à la même période qu'elle a répondu à un appel téléphonique d'une femme demandant à parler à Kelly Whiffin; cette femme, après avoir dit s'appeler Angela Vandenbroek, a déclaré être [TRADUCTION] « sa patronne » . Mme Whiffin a dit qu'elle allait prendre le chèque de paie de l'appelant toutes les deux semaines et qu'il lui est arrivé une fois de se rendre à une brasserie du coin avec Angela Vandenbroek; celle-ci, dans le courant de la conversation, avait demandé s'il serait possible aux Whiffin de contracter un emprunt afin de rembourser le solde payable à l'égard du camion. Selon Angela Whiffin, les yeux d'Angela Vandenbroek se sont alors embués de larmes, parce qu'elle trouvait que les gains de l'appelant étaient très peu élevés, et elle a déclaré à Mme Whiffin qu'elle ressentait de la culpabilité lorsqu'elle établissait des chèques d'un si faible montant pour un [TRADUCTION] « employé » . Le 3 août 1999, Kelly Whiffin, qui était demeuré à la maison parce qu'il était malade, a reçu un appel téléphonique d'Angela Vandenbroek. Mme Whiffin a entendu Kelly dire [TRADUCTION] : « Comme ça, Peter est en colère? » , puis demander : [TRADUCTION] « Alors, vous me congédiez? » D'après Angela Whiffin, Kelly a raccroché le téléphone et a dit [TRADUCTION] : « Ils me mettent à la porte parce que j'ai agi en cachette de Peter » , ce qu'elle a associé à la conversation que Kelly avait eue avec M. Sian au sujet des paiements en retard à l'égard du camion.

[7]      Lors du contre-interrogatoire mené par l'avocate de l'intimé, Angela Whiffin a expliqué que, durant leur séparation de sept ans, Kelly et elle vivaient en fait sous le même toit, mais que son fils et elle résidaient à l'étage tandis que Kelly et sa mère occupaient le rez-de-chaussée de la maison. Ayant reçu des prêts étudiants, elle avait fréquenté l'école mais une blessure survenue en 1997, suivie d'une intervention chirurgicale en 1998, l'avait forcée à abandonner ses études, de sorte que, en 1999, les gains de l'appelant constituaient la seule source de revenu de la famille. En août 1999, leur famille éprouvait des difficultés financières et le loyer était en retard d'un mois. Mme Whiffin croyait savoir qu'Angela Vandenbroek avait dit à Kelly qu'il recevrait sa dernière [TRADUCTION] « paye » lorsque le camion serait rendu. Mme Whiffin a dit avoir été invitée à la résidence des Vandenbroek une seule fois, mais qu'il leur était arrivé de se parler au téléphone à l'occasion.

[8]      Lors du contre-interrogatoire mené par Peter Vandenbroek, représentant de l'intervenante, Angela Whiffin a mentionné qu'elle ne se souvenait pas d'avoir apporté une bouteille de vin à Angela Vandenbroek ou lui avoir demandé des précisions sur les allées et venues de Kelly durant la journée. Mme Whiffin a expliqué qu'une femme travaillant pour une entreprise qui était un client important d'APD avait téléphoné à Kelly chez lui et lui avait envoyé des fleurs. Mme Whiffin a dit s'être rendue aux locaux de cette entreprise et avoir eu une conversation avec le patron de la femme en question afin qu'il dise à cette dernière de cesser de faire des avances à Kelly. À la suite de sa visite, la personne à qui elle avait parlé de ce problème a téléphoné à Peter Vandenbroek pour lui demander qu'APD ne confie plus à Kelly Whiffin les livraisons destinées à ces locaux commerciaux. Angela Whiffin a déclaré s'être ensuite rendue à l'un des deux lieux d'exploitation utilisés par APD, où elle a mis Kelly en présence des faits, ce qui a donné lieu à une dispute. Angela Vandenbroek est intervenue pour essayer de la convaincre que Kelly n'avait probablement rien à se reprocher par rapport à la femme en question. Angela Whiffin ne pensait pas que le fait que Kelly ne puisse plus se rendre aux locaux commerciaux d'un client important d'APD à la suite de cette histoire ait eu une incidence sur son revenu.

[9]      Peter Vandenbroek a témoigné qu'il était travailleur autonome et qu'il résidait à Surrey (Colombie-Britannique). En 1986, il a commencé à travailler comme chauffeur chez Westlund Industrial Supplies Ltd. (Westlund), à New Westminster. Il a acheté plus tard son propre camion et a obtenu un permis de transporteur routier, qu'il utilisait dans le cadre d'une entreprise constituée en société de personnes. Lorsque son associé a racheté sa participation dans la société de personnes, M. Vandenbroek a conservé le permis. Mitlin Enterprises Ltd. (Mitlin) a été constituée en personne morale en 1993, et ses actions étaient détenues à parts égales par son épouse, Angela Vandenbroek, et lui-même. Son épouse tenait les livres et effectuait les tâches administratives, mais elle ne s'occupait généralement pas de l'assignation des livraisons aux camions. Peter Vandenbroek a déclaré avoir continué de travailler comme expéditeur chez Westlund, en qualité d'employé, son employeur s'accommodant de cet arrangement. Les chauffeurs d'APD se rendaient dans la cour de Westlund ou à un café-restaurant situé au milieu de la zone industrielle. Certains des chauffeurs y laissaient leur camion durant la nuit et utilisaient un autre véhicule pour venir travailler puis retourner chez eux. Environ 40 p. 100 du total des livraisons effectuées par APD émanaient de Westlund. Rick Clark était propriétaire-exploitant; il avait la propriété de deux camions et avait placé une annonce dans un journal afin d'embaucher un chauffeur pour l'un des véhicules. Lorsque M. Clark a rencontré Kelly Whiffin puis l'a embauché, APD a demandé à consulter son dossier de chauffeur à des fins d'assurance. À l'époque, c'est-à-dire en janvier 1998, APD disposait de neuf camions pour effectuer les livraisons, et il est devenu manifeste qu'un répartiteur était nécessaire. Rick Clark, agissant pour le compte d'APD, a loué un local et y a aménagé un bureau. Par la suite, il devait reprendre ses deux camions et partir. M. Vandenbroek a déclaré que Kelly et lui étaient devenus amis durant la période où ce dernier travaillait comme chauffeur pour M. Clark; il avait appris que M. Sian, ancien propriétaire-exploitant chez APD, avait acheté une station-service et qu'il avait un camion à vendre, au prix de 10 000 $. Selon M. Vandenbroek, ce montant était trop élevé; cependant, M. Sian n'acceptait de vendre le camion à l'appelant que si Peter Vandenbroek ou Mitlin garantissait les paiements, qui étaient fixés à 500 $ par mois. Mitlin a payé 750 $ pour l'immatriculation du camion et 400 $ pour l'équiper de pneus convenables. M. Vandenbroek a expliqué que, dans le domaine des livraisons, il n'existe pas de garantie de revenu et que les chauffeurs doivent [TRADUCTION] « se remuer » pour gagner leur revenu. La feuille de tarifs devait être fournie à la Motor Carrier Commission. Les chauffeurs pouvaient consigner le temps d'attente au lieu de livraison; ce temps était facturé à 32 $ l'heure, et le montant applicable était incorporé à la facture du client. La plupart des propriétaires-exploitants savaient bien qu'il était nécessaire de mettre de l'argent de côté en prévision des périodes creuses, mais l'appelant éprouvait des difficultés financières. Au départ, M. Sian a reçu dix chèques postdatés d'APD, chacun de ces chèques étant établi au montant de 500 $. La prime d'assurance du camion Ford — au titre des livraisons effectuées pour APD — s'élevait à 168,01 $ par mois. C'est en avril 1998 que l'appelant a commencé à demander que les retenues sur ses gains bruts soient réduites; au fil du temps, le retard dans ses paiements s'est creusé, notamment par suite de l'achat de trois vestes arborant le logo d'APD. La période de retenue de deux semaines était attribuable en partie à la nécessité pour APD de conserver une certaine somme à titre de garantie au cas où un chauffeur serait parti en emportant des biens appartenant à un client, mais également au fait que les clients ne réglaient pas leurs factures à APD avant 30 jours. Une réunion a été tenue en mai 1999, à la suite de laquelle cette période a été portée à quatre semaines. Les chauffeurs présents n'étaient pas heureux de ce changement mais en comprenaient la nécessité, tout comme celle de majorer la part conservée par APD des recettes brutes de livraison, cette part étant portée de 25 à 30 p. 100. Aux yeux de M. Vandenbroek, cette modification de la formule de répartition du revenu constituait une mesure provisoire, liée selon lui à l'embauche d'un répartiteur. Il avait parlé à chaque chauffeur, seul à seul ou par groupes de trois; également, une lettre explicative avait été insérée dans l'enveloppe contenant les chèques pour la période de paye en question. En 2000, la répartition 75 p. 100-25 p. 100 du revenu a été rétablie pour la plupart des propriétaires-exploitants, certains recevant cependant un pourcentage différent. M. Vandenbroek a déclaré que, à la suite du problème lié au passage d'Angela Whiffin aux locaux d'un client important, il a voulu faire effectuer les livraisons par Kelly à l'arrière des locaux du client; la ruse a toutefois été éventée et M. Vandenbroek a reçu un autre appel de l'un des membres de la direction de l'entreprise en question l'avisant qu'APD ne devait confier à Kelly Whiffin aucune livraison destinée aux locaux de l'entreprise. La clientèle habituelle d'APD était située dans la région de New Westminster, mais l'appelant avait dit qu'il croyait pouvoir trouver du travail dans la région d'Abbotsford, car tous deux savaient qu'il était onéreux d'effectuer chaque jour ouvrable l'aller-retour entre la maison et le travail au volant du camion Ford. Après que les chèques postdatés remis au départ à M. Sian eurent été encaissés, les paiements à ce dernier accusaient environ un mois de retard, mais M. Vandenbroek a déclaré qu'il avait parlé à M. Sian et lui avait fait savoir que les arriérés lui seraient versés. M. Vandenbroek a demandé à l'appelant s'il lui était possible de contracter un prêt afin de réduire le montant des paiements mensuels à l'égard du camion, mais M. Whiffin a répondu qu'il allait utiliser l'argent versé par l'ICBC en règlement de sa réclamation d'assurance pour payer le solde. De ce fait, pendant deux ou trois mois, M. Vandenbroek a cessé de retenir le plein montant de 500 $ sur le revenu brut de M. Whiffin. De l'avis de M. Vandenbroek, le camion Ford valait entre 7 500 $ et 8 000 $ au moment de l'achat. L'original du contrat de vente (pièce R-1) avait été rédigé au départ par M. Sian, qui le lui avait présenté par la suite. Le 2 mars 1998, le document a été signé par Kelly Whiffin dans les locaux de Westlund, Brian Cuthbert signant à titre de témoin. M. Vandenbroek a signé le contrat à titre de [TRADUCTION] « cosignataire » . L'appelant a ensuite apporté le document à M. Sian afin que ce dernier y appose sa signature; plus tard, M. Vandenbroek devait trouver une photocopie de ce contrat. Le 4 août 1999, l'appelant s'est présenté au bureau d'APD et a demandé que ses gains et les retenues connexes fassent l'objet d'une meilleure comptabilisation et qu'un relevé lui soit transmis. Le même jour, M. Sian a téléphoné à M. Vandenbroek et lui a dit : [TRADUCTION] « Pete, le gars à qui tu as rendu service est avec moi et il me dit que tu es en train de le rouler. » M. Vandenbroek a admis que cela l'avait mis en colère et qu'il était encore irrité lorsqu'il était retourné chez lui. Il a essayé plus tard de parler à Kelly; toutefois, lorsqu'il a téléphoné à la résidence des Whiffin, ni la femme ni la mère de l'appelant n'ont voulu lui transmettre de message. M. Vandenbroek a dit qu'il devait se défaire du camion Ford — stationné dans sa voie d'accès; aussi a-t-il placé une annonce dans une publication sur les ventes de marchandises d'occasion, le prix demandé étant de 5 000 $. Il n'a reçu aucune offre se rapprochant de ce montant et la réaction de ses voisins à la présence d'un camion d'une tonne - équipé d'un plateau de 14 pieds sur huit - stationné dans une zone résidentielle a commencé à lui causer un certain malaise. À peu près une semaine plus tard, il a accepté de vendre le camion pour 2 500 $ et a signé le formulaire de transfert du camion à l'acquéreur. Le produit de la vente a été versé à M. Sian. M. Vandenbroek a déclaré qu'APD avait de 8 à 12 camions pour effectuer les livraisons et que Mitlin était propriétaire d'un camion de 1996 d'une capacité de cinq tonnes, équipé d'un plateau de 20 pieds et d'une grue, qui servait au transport de matériaux de construction. Brian Cuthbert possédait sa propre camionnette et l'utilisait pour faire des livraisons, mais il conduisait également le camion de Mitlin, sa rémunération correspondant à 45 p. 100 du revenu produit. Ce camion de grande taille était le seul véhicule qui n'appartenait pas à un chauffeur. Aucun contrat écrit n'avait été conclu; les propriétaires-exploitants formaient un groupe très lié et s'efforçaient de faire croître l'entreprise de concert avec les Vandenbroek. Aucune mesure disciplinaire n'était prévue; personne n'avait jamais été renvoyé; les chauffeurs pouvaient partir quand bon leur semblait. M. Whiffin était la seule personne disposant des clefs du camion Ford, et M. Vandenbroek a déclaré qu'il n'avait jamais considéré, ni déclaré, qu'il s'agissait d'un camion d'APD ou de Mitlin. À son avis, le contrat de vente avait été conclu entre l'appelant et M. Sian, lui-même faisant toutefois fonction de garant, en quelque sorte, de façon que les paiements convenus soient bel et bien retenus sur les gains de M. Whiffin et versés à M. Sian. Il n'a jamais été question que M. Sian reprenne possession du camion, puisque le solde impayé n'était que de 2 500 $. M. Vandenbroek a cessé de travailler chez Westlund en août 1999; cependant, durant la période où il y a travaillé et où il a géré les activités d'APD, il considérait que cette dernière était un intermédiaire dont l'activité consistait à trouver du travail pour les chauffeurs, eux-mêmes étant des exploitants indépendants. À son avis, sa femme et lui n'exerçaient aucun contrôle sur ces personnes et n'étaient pas habilités à prendre des mesures disciplinaires. S'il arrivait que les chauffeurs n'effectuent pas le travail, on téléphonait à une autre société de messagerie ou de livraison pour qu'elle effectue les livraisons pour le compte des clients d'APD.

[10]     Lors du contre-interrogatoire mené par l'avocat de l'appelant, Peter Vandenbroek a convenu qu'un autre répartiteur avait été embauché en remplacement de Rick Clark lorsque ce dernier avait quitté APD, en mars 1998, et qu'un ou plusieurs des chauffeurs, ou encore Angela Vandenbroek, avaient probablement exercé cette fonction dans l'intervalle. La réunion au sujet de la réduction de la part des revenus attribuée aux chauffeurs n'a eu lieu qu'en mai 1999, et M. Vandenbroek a admis que ce changement visait à permettre à APD d'accroître son revenu et n'avait rien à voir avec l'embauche d'un répartiteur comme il l'avait déclaré précédemment. Il a dit que la Motor Carrier Commission exigeait le dossier de tous les chauffeurs prenant le volant d'un véhicule dont Mitlin avait la responsabilité, et que cette exigence s'appliquait également aux éventuels chauffeurs remplaçants. Il a convenu que Mitlin était le propriétaire immatriculé du camion Ford et son propriétaire en common law, mais il a toujours considéré que l'appelant pouvait l'utiliser à sa guise. M. Vandenbroek a déclaré que, bien que Santokh Sian, l'ancien propriétaire du véhicule, ait été un bon ami, les discussions entre M. Sian et l'appelant se sont déroulées dans les locaux de Westlund, et il a nié s'être rendu à la station-service appartenant à M. Sian à ce propos. Il a répété que M. Sian n'était pas présent lors de la signature du contrat (pièce R-1). Il a fallu par la suite payer la taxe de vente provinciale (TVP) pour le transfert du véhicule, qui devait en outre être immatriculé et assuré afin que l'appelant puisse commencer à l'utiliser pour effectuer des livraisons dans le cadre de l'entreprise. Le chauffeur devait normalement inscrire sur la lettre de transport le poids des articles, la distance parcourue et le temps d'attente — le cas échéant —, après quoi M. Vandenbroek calculait le montant à facturer au client. Tous les chauffeurs avaient des feuilles de tarifs qu'ils remettaient aux clients. Angela Vandenbroek participait aux activités de l'entreprise à l'occasion, mais elle n'a jamais donné d'instructions aux chauffeurs, s'occupant principalement de la tenue des livres de l'entreprise à partir d'un bureau situé dans leur résidence. Revenant aux circonstances précises de la conclusion du contrat de vente (pièce R-1), M. Vandenbroek a déclaré que le document avait été signé dans un atelier de fabrication situé à l'arrière des locaux de Westlund. M. Whiffin avait pris le document, qui était nécessaire pour effectuer le transfert de propriété du véhicule; ce document avait été rempli et signé par M. Sian avant que M. Vandenbroek le signe à son tour dans les locaux de Westlund. M. Whiffin et lui ont ensuite rencontré l'agent de l'ICBC pour faire immatriculer et assurer le camion Ford ainsi que pour obtenir les permis requis. Le prix d'achat du camion (10 000 $) ne concernait en rien M. Vandenbroek, étant donné que M. Whiffin avait conclu la transaction avec M. Sian et qu'il lui appartenait d'acheter ou non le camion, selon son jugement. Il n'a jamais été question de ce qui arriverait si l'appelant ne pouvait effectuer les paiements; toutefois, tant que le solde dû à M. Sian n'avait pas été entièrement payé, M. Vandenbroek estimait qu'il était judicieux, commercialement parlant, que le camion demeure immatriculé au nom de Mitlin. Lorsque l'appelant a eu un accident au volant du véhicule, l'ICBC a exigé la confirmation de sa perte de revenu avant de statuer sur sa réclamation. Après s'être entretenu au téléphone avec un expert en assurance, M. Vandenbroek a envoyé une lettre (pièce A-6) exposant dans le détail les gains de l'appelant au cours des mois précédents comparativement à ceux produits par trois autres camions d'une tonne, qu'il a désignés dans la lettre comme étant [TRADUCTION] « nos trois camions d'une tonne » . Il a indiqué qu'il ne voulait pas donner à entendre que Mitlin était propriétaire des véhicules, mais simplement que ces derniers étaient similaires à celui utilisé par l'appelant et qu'ils généraient des gains supérieurs à celui de M. Whiffin durant la période en question. M. Vandenbroek a dit n'avoir jamais eu vent de quelque conflit ou problème que ce soit entre le répartiteur d'APD et l'appelant, et que le répartiteur n'avait pas compétence pour formuler des commentaires concernant la reprise du camion Ford. Il a admis avoir été contrarié lorsque l'appelant a dit à M. Sian qu'il [TRADUCTION] « se faisait rouler » ; il a demandé à Angela Vandenbroek de téléphoner à M. Whiffin chez lui parce qu'il était trop en colère à ce moment pour discuter de la situation avec ce dernier. Il pensait que M. Whiffin viendrait chez lui pour discuter de l'incident, mais quand l'appelant est venu à sa résidence le 6 août 1999, c'était dans le but d'y laisser le camion Ford. À partir de l'information dont elle disposait dans son bureau aménagé dans leur résidence, Angela Vandenbroek a déterminé la somme payable à l'appelant puis a établi un chèque à ce montant, qu'elle a remis aussitôt à l'appelant. Peter Vandenbroek a dit qu'il avait cherché à communiquer avec l'appelant par la suite parce que ce dernier avait versé 6 800 $ au total pour acquérir le véhicule, mais qu'il n'avait pas pu lui parler. Il y avait encore un solde à acquitter sur le camion et, étant donné l'impossibilité de communiquer avec l'appelant, il fallait prendre des mesures pour vendre le véhicule et rembourser le solde à M. Sian, de manière à éteindre la dette.

[11]     L'avocate de l'intimé a décidé de ne pas procéder à un contre-interrogatoire.

[12]     Lors de son témoignage, Angela Vandenbroek a indiqué qu'elle vivait à Surrey (Colombie-Britannique), qu'elle était l'épouse de Peter Vandenbroek et qu'elle détenait la moitié des actions de Mitlin. Durant la période en cause, elle travaillait trois jours par semaine chez Crane Supplies et deux jours au bureau d'APD. L'appelant est venu un jour au bureau et a demandé des renseignements au sujet des paiements se rapportant au camion. Elle a par la suite recueilli les données pertinentes après avoir consulté les dossiers au bureau situé à leur résidence. Elle a effectué certains calculs qu'elle a exposés sur deux feuilles, déposées ensemble comme pièce Int.-1. Elle a évoqué le jour où Peter, très en colère, était revenu à la maison et lui avait raconté en hochant la tête que Kelly Whiffin avait médit de lui en déclarant à M. Sian que Peter l'avait [TRADUCTION] « roulé » . Comme Peter ne voulait pas parler à l'appelant sur le moment, elle a accepté de téléphoner à ce dernier, à qui elle a demandé, lorsqu'il a décroché : [TRADUCTION] « Que diable s'est-il passé aujourd'hui? » Kelly a répondu que son travail chez APD était un [traduction] « boulot sans avenir » , qu'il se faisait avoir et qu'il voulait qu'on lui verse l'argent qui lui était dû. Il a déclaré qu'il passerait à la résidence des Vandenbroek pour [TRADUCTION] « mettre de l'ordre dans tout ce fouillis » . Le lendemain, au milieu de l'après-midi, elle a vu l'appelant au volant du camion Ford dans la voie d'accès de sa résidence, et la femme de l'appelant, Angela Whiffin, derrière dans une automobile. L'appelant lui a dit qu'il était venu chercher son argent, qu'il avait un arriéré de loyer à payer et qu'il avait besoin des fonds tout de suite. Angela Vandenbroek a déclaré s'être rendue dans le bureau d'APD à l'intérieur de sa maison, avoir calculé les sommes figurant sur les rubans de machine à additionner et avoir fait un chèque à l'ordre de l'appelant. Elle a essayé de communiquer avec Peter au bureau de Westlund, mais ce dernier ne pouvait prendre l'appel. Une fois le calcul effectué, elle a remis la feuille et le chèque à l'appelant, qui lui a donné les clefs du camion Ford puis est parti. Angela Vandenbroek a évoqué une rencontre avec Angela Whiffin et a mentionné qu'il avait été question des problèmes financiers des Whiffin; elle se souvient également avoir dit que cela la peinait lorsqu'un chauffeur recevait un chèque d'un faible montant.

[13]     Lors du contre-interrogatoire mené par l'avocat de l'appelant, Angela Vandenbroek a dit que, à son avis, elle avait probablement préparé le document déposé comme pièce A-4 deux semaines environ avant les feuilles de calcul constituant la pièce Int.-1. Elle a admis avoir remis à l'appelant une chemise grise contenant plusieurs documents dont on retrouve la copie à la pièce A-4. Elle est présidente de Mitlin et il lui arrivait à l'occasion de tirer des chèques sur le compte de la société, étant donné que Peter avait un emploi à temps plein et qu'il était parfois pris de crises d'arthrite, ce qui lui causait des difficultés. Elle utilisait un logiciel de comptabilité et faisait la saisie des sommes inscrites sur les lettres de transport; Peter travaillait également un peu à la tenue des livres. L'appelant lui avait demandé de lui fournir un relevé quatre jours environ avant la [TRADUCTION] « crise » à la suite de laquelle la relation de travail avait pris fin. Elle était présente à la réunion tenue dans la brasserie de Surrey, lorsque les chauffeurs et Peter avaient discuté de la prolongation de la période de retenue de la rémunération ainsi que de la réduction de 5 p. 100 de la part des revenus versée aux chauffeurs en raison de la nécessité de structurer davantage les activités et de consacrer plus de temps et d'efforts à l'accroissement du volume des livraisons. Elle ne se rappelait pas si l'appelant était présent à la réunion. Elle a nié avoir dit qu'elle était la [TRADUCTION] « patronne » de l'appelant, que ce soit lors d'une conversation téléphonique avec Angela Whiffin ou en quelque autre occasion que ce soit; également, s'il est possible qu'elle ait parlé de faire un chèque à l'ordre d'un [TRADUCTION] « employé » , elle ne se souvenait pas d'avoir utilisé ce terme lors de sa conversation avec l'épouse de l'appelant. Il a également été question, lors de la rencontre avec Angela Whiffin, de la possibilité pour les Whiffin de contracter un emprunt afin de rembourser une partie de leurs dettes. Lorsqu'elle a téléphoné à la résidence de l'appelant le 5 août 1999, elle a été surprise que ce dernier réponde; elle savait qu'il était en colère mais lui a assuré qu'il n'était pas renvoyé. APD tenait à jour une feuille de contrôle du revenu gagné et, lorsque l'appelant lui a dit qu'il souhaitait recevoir le solde qui lui était dû, elle lui a répondu que l'argent serait à sa disposition lorsqu'il se présenterait au bureau situé à la résidence des Vandenbroek. Le 6 août 1999, l'appelant s'est présenté à sa résidence et elle a été surprise de le voir lui remettre les clefs du camion Ford, qu'il a laissé dans la voie d'accès de la résidence. L'appelant a déclaré qu'il voulait aller à sa banque; lorsque le témoin a dit à Angela Whiffin qu'elle pouvait venir la voir à tout moment qui lui convenait, cette dernière a répondu : [TRADUCTION] « Vous nous avez déjà fait perdre suffisamment de temps comme ça. » Une semaine plus tard, le camion était vendu.

[14]     Lors du contre-interrogatoire mené par l'avocate de l'intimé, Angela Vandenbroek a déclaré qu'elle n'avait pas soustrait du chèque faisant l'objet d'une retenue les sommes dues par l'appelant à APD, qu'elle n'avait jamais licencié l'appelant ni même envisagé de le faire, car elle n'avait jamais été habilitée à s'occuper de l'établissement ou de l'interruption des relations entre APD et les chauffeurs.

[15]     Chris Leigh a témoigné qu'il résidait à Surrey (Colombie-Britannique) et que, depuis huit ans, il était propriétaire-exploitant d'un camion utilisé dans le cadre de l'entreprise de livraison d'APD, qui appartient à Mitlin. Il conduit un camion porte-grue de 5 tonnes; bien qu'il incite les clients à faire appel à ses services, il compte sur APD pour fournir les services de répartition ainsi que les services administratifs et de tenue de livres connexes. Il s'est souvenu d'avoir parlé à de nombreuses reprises à Kelly Whiffin des modalités précises des activités d'un propriétaire-exploitant de véhicule dans le cadre du service de livraison géré par APD, notamment en matière de répartition. M. Leigh a déclaré qu'il ne s'était jamais considéré comme un employé de Mitlin. Selon lui, le secteur de la livraison est différent des autres, et APD est à ses yeux une entité qui travaille pour lui, en ce sens qu'elle lui fournit un service dont il a besoin et que, en contrepartie, il lui verse un certain pourcentage du revenu brut produit par son camion et lui-même. Les fluctuations de revenu sont un phénomène connu dans ce secteur d'activités; bien que les tarifs soient relativement uniformes d'une société à l'autre, il s'agit d'un secteur concurrentiel.

[16]     Lors du contre-interrogatoire mené par l'avocat de l'appelant, Chris Leigh a dit qu'il avait acheté son camion à Mitlin cinq ans auparavant et qu'il versait 25 p. 100 de ses gains bruts à APD, bien qu'un pourcentage de 30 p. 100 soit monnaie courante dans le secteur. M. Leigh a dit que, lorsque la formule de répartition du revenu avait été modifiée en mai 1999, tous les chauffeurs avaient été informés de la situation et savaient que l'entreprise était en phase de croissance. Au départ, M. Leigh effectuait la répartition à partir de son propre camion, et il ne croyait pas qu'il y ait eu des chauffeurs opposés au fait de payer un pourcentage plus élevé à APD. Chaque chauffeur pouvait partir s'il le désirait; plus tard, la répartition du revenu a été ramenée à 75 p. 100-25 p. 100. Lors de plusieurs discussions avec M. Leigh, l'appelant, Kelly Whiffin, lui avait demandé des renseignements sur les coûts rattachés à l'utilisation d'un camion, sur la façon dont s'appliquait la TPS et sur d'autres questions connexes. M. Leigh l'avait incité à devenir propriétaire-exploitant; il était au courant des problèmes financiers de M. Whiffin et savait que Peter Vandenbroek l'avait aidé en lui versant de l'argent durant la période où il travaillait comme chauffeur pour Rick Clark.

[17]     Lors du contre-interrogatoire mené par l'avocate de l'intimé, Chris Leigh a déclaré qu'il devait communiquer avec le répartiteur d'APD s'il voulait gagner de l'argent. Il refusait d'effectuer des livraisons si elles n'étaient pas rentables ou si son camion n'y convenait pas. Il lui est arrivé d'essuyer une perte par suite de la livraison de certains chargements, et il s'efforçait d'accroître son revenu en discutant avec des clients en puissance et en leur remettant une feuille de tarifs et une carte d'affaires. Il lui est déjà arrivé de dépenser jusqu'à 7 000 $ en réparations sur son camion; il utilisait le grand camion - capable de transporter jusqu'à 14 000 livres de marchandises - la fin de semaine pour transporter des cuves thermales. Son camion est en outre équipé d'une grue capable de soulever des charges de 5 000 livres; les services fournis à la plupart de ses clients comprennent le transport de tuyaux, de caisses à claire-voie, de paquets et de différents autres articles de grande taille. Mitlin, ou APD, n'a jamais eu de préoccupations au sujet de ses autres activités productrices de revenu, celles-ci ne faisant de toute façon l'objet d'aucune entente de partage du revenu.

[18]     L'avocat de l'appelant a souligné que, bien que la preuve ait montré que la relation de travail entre l'appelant et APD avait été nouée au début de mars 1998 et avait pris fin le 3 août 1999, la période visée par la décision du ministre s'étend du 2 août 1998 au 3 août 1999. L'avocat a fait valoir qu'il existait différentes versions des événements, ce qui soulève des interrogations au sujet de la crédibilité des témoins, mais il a indiqué que, si la preuve produite par l'appelant était retenue, il fallait conclure que Kelly Whiffin était l'employé de l'intervenante, c'est-à-dire Mitlin, aux termes d'un contrat de louage de services, conformément aux critères énoncés dans la jurisprudence pertinente.

[19]     L'avocate de l'intimé a soutenu que l'appelant avait fait des choix tout au long de la période où la relation de travail avait été en vigueur, qu'il ressortait que M. Whiffin avait été le propriétaire de fait du camion Ford et qu'il l'utilisait dans le cadre de l'entreprise de livraison pour produire un revenu. L'avocate a conclu de la preuve que, tout bien considéré, les différentes versions des événements présentées par l'appelant ne devaient pas être retenues, étant donné que l'appelant cherchait à élaborer un scénario dans lequel on pourrait le considérer comme un employé durant la période en cause, de sorte qu'il ait droit à des prestations d'assurance-emploi, sans compter les autres droits dont il voulait se prévaloir par l'entremise du mécanisme mis en place par l'administration publique provinciale en matière de normes de travail. L'avocate a prétendu que, une fois que la Cour aurait établi les faits, la décision du ministre, selon laquelle l'appelant n'était pas l'employé de l'intervenante aux termes d'un contrat de louage de services, serait jugée correcte.

[20]     Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. ([1986] 2 C.T.C. 200), la Cour d'appel fédérale a approuvé l'assujettissement de la preuve aux critères suivants, en précisant bien qu'il s'agit en fait d'un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut l'appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. Les critères sont les suivants :

          1. le contrôle;

          2. la propriété des instruments de travail;

          3. les chances de bénéfice ou les risques de perte;

          4. l'intégration.

[21]     Avant d'entamer l'analyse, je tiens à préciser qu'il sera nécessaire de commenter les différentes versions des événements qui ont été présentées par les divers témoins, étant donné la nécessité d'accorder plus de poids au témoignage d'un ou de plusieurs témoins qu'à celui des autres. Ce n'est qu'après avoir retenu une version probablement plus exacte que les autres, pour les raisons indiquées, que je pourrai examiner les faits, tels qu'ils auront été établis, à la lumière des quatre critères mentionnés précédemment.

Le contrôle

[22]     Considérée sous l'angle du contrôle, la situation telle que la décrit l'appelant diffère nettement de celle qui se dégage des témoignages de Peter Vandenbroek, d'Angela Vandenbroek et de Chris Leigh. L'appelant, qui admet lui-même se plaindre souvent, a essayé, non d'évoquer, mais plutôt de créer un climat de travail dans lequel on lui disait constamment quoi faire et où aller. Il y a eu au moins deux répartiteurs différents durant la période en cause; l'allégation selon laquelle l'un d'eux aurait été suffisamment au fait des détails de l'achat et du financement du camion Ford pour décider de sa propre initiative de lancer un prétendu ultimatum, soit que M. Whiffin devait effectuer les livraisons prévues l'après-midi en question ou rendre le camion, n'est pas digne de foi. Il ressort du témoignage de Chris Leigh que ce dernier avait conversé à de nombreuses reprises avec l'appelant au sujet des activités d'un propriétaire-exploitant de camion dans le système mis en place par APD, de concert avec les huit ou neuf autres chauffeurs. Lorsque, par suite d'un problème qui a donné lieu à des difficultés conjugales entre son épouse et lui, l'appelant n'a pu se rendre aux locaux d'un important client d'APD, Peter Vandenbroek a tenté de contourner le problème en proposant à M. Whiffin d'effectuer les livraisons à l'arrière des locaux. Si M. Whiffin a été déclaré persona non grata, ce ne fut pas du fait de M. Vandenbroek, mais plutôt de l'administrateur de l'important client d'APD qui, prenant le parti d'Angela Whiffin, a pris cette mesure de façon à réduire les possibilités d'interaction entre Kelly Whiffin et une employée de bureau de ce client, qui semblait incapable de bien saisir ce qu'Angela Whiffin voulait dire lorsqu'elle lui enjoignait de cesser de poursuivre son conjoint de ses assiduités. L'appelant a admis avoir utilisé le camion Ford pour rendre visite à son père, et je ne suis pas disposé à conclure qu'il lui était par ailleurs interdit d'utiliser le véhicule la fin de semaine pour produire un revenu. L'appelant n'était pas tenu de se rendre à un endroit particulier à un moment donné, mais il devait être disponible en vue d'effectuer des livraisons s'il voulait gagner un revenu. Il a décidé d'utiliser le camion comme véhicule personnel et le prenait pour se rendre au travail et retourner chez lui chaque jour ouvrable. Aucune preuve digne de foi ne permet de conclure qu'il ait jamais fait l'objet de mesures disciplinaires ou qu'il ait couru le risque d'être [TRADUCTION] « mis à la porte » . S'il décidait de quitter le travail plus tôt, d'autres chauffeurs pouvaient effectuer les livraisons assignées par le répartiteur, sans compter qu'il y avait deux autres camions pouvant transporter le même genre de chargement que son camion Ford. Lorsqu'il prévoyait de ne pas travailler une journée, il lui suffisait d'en informer le répartiteur, qui inscrivait une note sur un calendrier au bureau d'APD. L'appelant a convenu que les jours en question n'étaient jamais qualifiés de [TRADUCTION] « jours de congé » . Les jours où les activités étaient au ralenti, il attendait de recevoir un appel dans son camion, tout comme trois ou quatre autres chauffeurs, et rien ne les empêchait de prendre congé le reste de la journée, si ce n'est qu'ils voulaient probablement demeurer dans le secteur afin de pouvoir effectuer les livraisons susceptibles d'être assignées par le répartiteur dans le courant de l'après-midi. Les méthodes employées et les itinéraires empruntés aux fins des livraisons ne faisaient pas l'objet d'instructions, de supervision ni de surveillance. À la lumière de ce premier critère, la preuve nous incite à juger que l'appelant fournissait des services à titre d'entrepreneur indépendant.

Les instruments de travail

[23]     Le principal instrument de travail requis était le camion Ford, que l'appelant a acheté et qu'il a commencé à payer au moyen de versements mensuels de 500 $, sauf durant les mois où il a demandé que cette somme ne soit pas soustraite de son revenu brut parce qu'il manquait d'argent pour faire face à ses propres besoins et à ceux de sa famille. Le camion était immatriculé et assuré au nom de Mitlin, mais cette dernière ne remplissait qu'un rôle de simple fiduciaire au regard de l'appelant, qui était de toute évidence le propriétaire de fait. L'appelant a conclu un contrat avec le vendeur, Santokh Sian, et le fait que Peter Vandenbroek ait accepté d'être cosignataire, afin d'assurer que les paiements soient versés à M. Sian, ne signifie pas que Mitlin était propriétaire. M. Whiffin a également loué un poste émetteur-récepteur à APD et devait verser des frais de durée d'appel. Les autres outils, de même que l'équipement et les matériaux pouvant être requis pour effectuer des livraisons avec ce genre de camion, appartenaient à M. Whiffin, et ce dernier était à même de prendre les décisions qui s'imposaient en matière de réparations, d'entretien et d'achat d'accessoires. Une vignette décollable, apposée sur le camion Ford, précisait que ce dernier était utilisé en vertu de l'autorisation accordée à Mitlin par la Motor Carrier Commission, mais rien n'empêchait l'appelant d'apposer lui-même un panneau indiquant qu'il était le propriétaire réel du véhicule. Au départ, M. Vandenbroek a pris des dispositions pour que le véhicule soit immatriculé et assuré comme il se doit, en plus de verser 400 $ pour l'équiper de pneus convenables; les sommes en question ont été remboursées par la suite, pour l'essentiel, au moyen de retenues sur les gains bruts de M. Whiffin provenant des livraisons. L'affaire Singh c. McRae (1971), 21 D.L.R. (3d) 634 établit le principe selon lequel le propriétaire est la personne — qui n'est pas forcément le propriétaire immatriculé — exerçant l'autorité et le contrôle à l'égard du véhicule automobile au sens du paragraphe 70(1) de la Motor Vehicle Act de la Colombie-Britannique, qui impose une responsabilité du fait d'autrui. Voici une définition pertinente des termes « owner » ou « proprietor » ( « propriétaire » ) tirée du Stroud's Judicial Dictionary, 2e édition, volume 2, p. 1387 :

[TRADUCTION]

Le propriétaire d'un bien est la personne à qui ce bien est dévolu dans les faits (avec son consentement) à un moment donné et qui en a la jouissance et le contrôle ou l'usufruit.

[24]     La seule manière pour l'appelant de réécrire le passé afin de le faire concorder avec sa vision révisionniste des événements consistait à faire de l'achat du camion une transaction dont il n'avait pas pris l'initiative et qui était entachée de déclarations inexactes, de tromperie, de falsification de documents et de fraude. Au départ, Kelly Whiffin a déclaré lors de son témoignage que la copie du contrat de vente (pièce A-1) ne correspondait pas au document qu'il avait signé, étant donné qu'il était dactylographié plutôt que manuscrit et que son nom était mal orthographié, alors qu'il insistait toujours, ce qui est compréhensible, pour que son nom soit correctement orthographié. Il était également en désaccord avec la description du modèle (Ford 450) du véhicule en question. Puis, lors du contre-interrogatoire, l'avocate de l'intimé a produit un document (pièce R-1) qui constituait l'original de la pièce A-1, qualifiée précédemment de faux par M. Whiffin. Il a convenu que la signature sur l'original du contrat de vente (pièce R-1) était bien la sienne mais a maintenu malgré cela que ce n'était pas lui qui l'y avait apposée car, selon ses souvenirs, le document qu'il avait signé afin d'acquérir le camion ne contenait pas de texte dactylographié. Il a également nié avoir apporté le contrat de vente au vendeur, M. Sian, pour que ce dernier le signe, de sorte qu'il soit ensuite possible de faire immatriculer et assurer le camion ainsi que d'obtenir les permis requis en vue de l'utiliser pour effectuer des livraisons. Lorsque le témoignage de l'appelant contredit celui de Peter Vandenbroek concernant la première rencontre avec M. Sian, les négociations qui ont suivi, la façon dont le contrat a été conclu et les événements connexes, je retiens le témoignage de M. Vandenbroek et rejette celui de l'appelant, du fait que ce dernier semble hautement improbable, intéressé, changeant et sans doute entièrement faux. Étant donné ces conclusions de fait, l'application de ce critère va dans le sens de la thèse de l'entrepreneur indépendant.

Les chances de bénéfice ou les risques de perte

[25]     Il appert qu'il était possible de gagner un revenu plus élevé en effectuant les livraisons confiées par le répartiteur et en cherchant d'autres clients dans le secteur où APD fournissait des services, ainsi que dans la région d'Abbotsford, où résidait l'appelant. Ce n'est probablement pas en faisant preuve de nonchalance, en ne respectant pas une éthique de travail raisonnable ou en se plaignant au répartiteur qu'on peut accroître son revenu. Que la chose ait été méritée ou non, l'interdiction de se présenter aux locaux d'un client important d'APD - où il avait auparavant effectué suffisamment de livraisons pour faire l'objet de l'attention d'une femme qui y travaillait - n'a pas concouru à la production de revenu provenant de cette source, si l'on considère qu'il avait droit à 75 p. 100 — pourcentage qui a ensuite été ramené à 70 p. 100 — du revenu brut généré par chaque livraison. L'appelant utilisait le camion comme véhicule personnel pour se rendre au travail et revenir chez lui, à Abbotsford, et il n'a pas tenté de l'utiliser pour produire d'autres revenus. À la suite de l'accident de la route où il a subi des blessures, une somme de 5 000 $ lui a été versée directement à titre de dédommagement pour la réparation de son véhicule, la perte de revenu, plus une somme indéterminée pour de la douleur et de la souffrance; cette somme lui a été versée en raison de la perte de revenu qu'il avait subie comme propriétaire-exploitant du camion, comparativement à d'autres personnes travaillant chez APD durant la même période. L'appelant n'a pas contesté qu'il était responsable de toutes les dépenses rattachées à l'utilisation du camion. L'examen de la pièce A-4 (feuilles de calcul) montre qu'une somme de 500 $ avait été retenue sur les gains de l'appelant en juin 1999, et que des sommes de 500 $ et de 250 $ avaient été retenues le 1er et le 30 juillet 1999, respectivement, au titre des paiements effectués à M. Sian à l'égard du camion. D'après les comptes, les paiements de l'appelant à APD avaient déjà accusé un retard dans l'ensemble après que cette dernière eut payé les primes d'assurance sur le camion ainsi que d'autres frais divers qui incombaient à l'appelant. M. Sian n'avait reçu aucun paiement pour le camion en juin et en juillet 1999, mais il avait par le passé reçu des paiements de 1 000 $ lorsqu'il fallait combler un retard — ce dernier découlant probablement des mois où l'appelant avait demandé à Peter Vandenbroek [TRADUCTION] d' « y aller doucement » et de ne pas soustraire de ses gains le montant total des paiements relatifs au camion, à la prime d'assurance ou à d'autres dépenses, parce qu'il avait besoin de l'argent pour payer les factures de son ménage. Pour la période allant du 1er mars au 1er décembre 1998, M. Vandenbroek, agissant au nom de Mitlin, a remis à M. Sian dix chèques postdatés d'un montant unitaire de 500 $, ce qui donnait 5 000 $ au total. Durant la même période, une somme de 3 800 $ a été retenue sur la part de l'appelant du revenu brut produit dans le cadre de ses activités de livraison; les montants retenus allaient de 250 $ à 300 $ ou à 500 $, comme cela est indiqué sur la feuille de calcul (pièce A-4). Une somme de 168 $ était retenue chaque mois au titre de la prime d'assurance à l'égard du camion, mais la prime totale versée par APD semble s'être élevée à 3 326,48 $, alors que l'appelant a payé seulement 1 512 $ par voie de retenues sur son revenu, ce qui a donné lieu à une insuffisance de paiements à cet égard. Le versement à M. Sian des 2 500 $ constituant le produit de la vente du camion abandonné a permis d'éteindre la dette correspondant au solde du prix d'achat, dont l'appelant était directement responsable à titre d'acheteur désigné dans le contrat. Une fois pris en compte les facteurs pertinents, la preuve étaie la conclusion selon laquelle l'appelant fournissait des services en qualité d'entrepreneur indépendant.

L'intégration

[26]     Aux pages 563 et 564 ([1986] 2 C.T.C. 200 : à la page 206) de son jugement dans l'affaire Wiebe, précitée, le juge MacGuigan de la Cour d'appel fédérale déclarait :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question « À qui appartient l'entreprise » .

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[27]     Il ne fait aucun doute que le processus de réception des appels, l'administration et la structure commerciale relevaient d'APD, en tant que division de Mitlin, et que les rapports des clients avec cette dernière s'inscrivaient dans cette perspective. Toutefois, la preuve permet de penser que, dans le secteur des livraisons et de la messagerie, l'usage consiste à prévoir une répartition des recettes totales générées par la livraison des colis aux destinataires. De plus, on y reconnaît que certaines composantes du service — lorsque l'on considère l'opération dans son ensemble — sont effectuées par des entités ou des personnes différentes, qui ont de ce fait droit à une part du revenu mais qui doivent également supporter certains coûts rattachés à la production de ce revenu. Dans le présent appel, l'appelant a fourni le véhicule et le matériel de communication requis pour produire un revenu, ou a pris des dispositions pour se les procurer. Il s'exposait à un certain risque financier, et il avait la responsabilité de gérer ses dépenses en fonction du revenu produit. Il avait très certainement des chances de bénéfice en gérant son entreprise de façon prudente et judicieuse, à la manière des autres chauffeurs, et plus particulièrement de Chris Leigh qui, lors de son témoignage, a donné un aperçu des activités professionnelles d'un propriétaire-exploitant dans le secteur de la messagerie et de la livraison. L'appelant a une fois de plus cherché à se dépeindre sous des traits innocents, disant avoir toujours été un employé lors de ses emplois précédents à titre d'expéditeur, de réceptionnaire, de magasinier et de chauffeur; toutefois, le témoignage de Chris Leigh nous a appris que ce dernier avait discuté à plusieurs reprises avec M. Whiffin et que, lors de leurs conversations, ils avaient examiné de nombreux points ayant trait à la propriété d'un camion et à son exploitation dans le cadre du système mis en place par APD. Il faut se rappeler une chose : nous ne sommes pas ici en présence d'une situation où l'appelant, entré un jour dans les locaux d'APD afin d'obtenir des indications, a été pris virtuellement en otage et forcé de conduire un camion durant les 18 mois suivants. En 1998, il avait conduit un camion pour Rick Clark, propriétaire-exploitant chez APD, pendant plus de deux mois; lorsque M. Clark a repris ses camions et a cessé de travailler pour l'entreprise, M. Whiffin a étudié à fond l'occasion que lui présentait Peter Vandenbroek, ce qui lui a permis du coup de prendre conscience des chances de gagner un revenu plus élevé ainsi que des risques inhérents au fait de devenir propriétaire-exploitant dans le cadre d'une entente commerciale avec APD. Il était insatisfait de la faiblesse des sommes qu'il était parvenu à gagner dans le cadre de son travail pour M. Clark. J'ai rendu récemment une décision dans l'affaire Flash Courier Services Inc. c. Canada (M.R.N.), [2000] A.C.I. no 235, qui avait trait au propriétaire-exploitant d'un camion, qu'il utilisait dans le cadre d'une entreprise de messagerie. Dans cette affaire, j'ai examiné d'autres jugements portant sur des situations de fait similaires, notamment la décision rendue par le juge suppléant Porter dans l'affaire Mayne Nickless Transport Inc. c. Canada (M.R.N.), [1999] A.C.I. no 132, publiée le 26 février 1999, dans laquelle on a jugé que les chauffeurs étaient des entrepreneurs indépendants. À la page 21 de l'affaire Flash Courier, précitée, je faisais le commentaire suivant au sujet du critère de l'intégration :

Dans les appels en l'espèce, les faits entourant la relation de travail de l'intervenant appuient l'opinion selon laquelle il était dans l'entreprise du transport et travaillait en tant que messager en conduisant son propre véhicule qui possédait certaines spécifications et certains attributs permettant à son propriétaire d'augmenter son revenu. Flash était l'entité la plus importante qui traitait directement avec le client dans le but de recevoir des appels, d'envoyer la facturation ultérieure et de remplir toutes les autres exigences administratives. L'intervenant et Flash ainsi que les autres 50 à 70 chauffeurs et/ou les 10 à 15 messagers à bicyclette exerçaient les tâches qu'ils étaient tenus de faire dans le but de générer un revenu qui était ensuite divisé conformément à une formule convenue telle qu'elle avait été déclarée dans leur contrat individuel. Rien n'empêche un élément d'un ensemble plus important de devenir une entité autonome légitime même si, afin de faire des bénéfices, il doit entraîner l'ensemble plus important. Ce sera la norme dans toute économie sophistiquée. La dépendance presque totale à l'égard d'un client peut être, par moments, téméraire, mais, en elle-même, elle ne transformera pas une personne en l'employé de celui qui remplit les chèques pour services rendus.

[28]     Il y a lieu de répéter ici que l'évaluation de la crédibilité occupe une place importante dans le présent appel, ce qui n'est pas le cas habituellement dans ce genre d'affaires. Lorsque le témoignage de l'appelant ou celui de son épouse, Angela Whiffin, contient des divergences au sujet des détails entourant la conversation téléphonique qui s'est déroulée en fin de journée le 5 août 1999 ainsi que les discussions subséquentes au sujet des questions d'ordre comptable et de la remise des clefs du camion stationné dans la voie d'accès de la résidence des Vandenbroek, je préfère la version des événements présentée par Angela Vandenbroek. L'unique objectif de l'appelant était de se dépeindre sous les traits d'un employé, de sorte qu'il puisse avoir droit à des prestations d'assurance-emploi ainsi qu'à tout autre avantage dont il pourrait se prévaloir s'il parvenait à convaincre les tribunaux compétents de rendre des décisions en application de la législation provinciale du travail. Dans le présent appel, aucun contrat écrit n'avait été conclu entre APD et l'appelant ni entre APD et les autres propriétaires-exploitants, mais tous se considéraient comme des entrepreneurs indépendants. La déclaration de l'appelant selon laquelle il était l'une des trois personnes conduisant des camions qui appartenaient prétendument à Mitlin n'est pas étayée par le reste de la preuve. La partie de son témoignage où il dit avoir demandé à Angela Vandenbroek de lui fournir un relevé d'emploi n'est pas crédible, car c'est seulement plus tard qu'il a compris que certaines preuves devaient être produites pour qu'il parvienne à établir — aux fins d'abord de sa réclamation devant le tribunal du travail — qu'il avait été l'employé d'APD. La plus grande partie de son témoignage concernant les facteurs importants que sont le contrôle, la propriété des instruments de travail, les questions ayant une incidence sur sa rémunération et le rôle qu'il remplissait dans le cadre du système et des activités de l'entreprise de livraison d'APD n'était pas crédible.

[29]     Il est bien établi que les parties ne peuvent simplement accoler une étiquette à leurs relations de travail et s'attendre à ce qu'elle prévale lorsqu'elle ne concorde pas avec les rouages de leurs activités quotidiennes dans le cadre de ladite relation de travail. Dans l'affaire Razzouk c. Canada (M.R.N.), [1996] A.C.I. no 160, le juge Archambault, de la Cour canadienne de l'impôt, devait examiner l'appel interjeté par le propriétaire d'un atelier de réparation d'automobiles qui avait embauché un apprenti, lequel avait accepté de travailler à titre d'entrepreneur indépendant et d'effectuer lui-même tous ses versements d'impôt. Le juge Archambault déclarait à la page 2 de sa décision :

Il est bien clair, en droit, que l'on ne peut déterminer la nature d'un contrat en se reportant uniquement à l'appellation utilisée par les parties. La nature d'un contrat doit être déterminée en fonction du fond véritable de la relation existant entre les parties. En d'autres termes, c'est la nature véritable de la relation, et non sa forme, qui est déterminante.

[30]     Après avoir pris en compte l'ensemble de la preuve dans l'optique de l'organisation générale des activités, et après avoir appliqué la jurisprudence pertinente aux conclusions de fait dans la présente affaire, je conclus que la décision du ministre était fondée et que l'appelant n'est pas parvenu à démontrer qu'il exerçait un emploi assurable chez l'intervenante durant la période en cause.

[31]     L'appel est rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 19e jour de février 2001.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour d'août 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-2975(EI)

ENTRE :

KELLY WHIFFIN,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

A & P DELIVERY, A DIVISION OF

MITLIN ENTERPRISES LTD.,

intervenante.

Appel entendu le 5 décembre 2000, à Vancouver (Colombie-Britannique), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelant :                          Me Christopher D.R. Maddock

Avocate de l'intimé :                            Me Kristy Foreman Gear

Représentant de l'intervenante :            M. Peter Vandenbroek

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 19e jour de février 2001.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 31e jour d'août 2001.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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