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Date: 20010404

Dossier: 2000-1201-IT-G

ENTRE :

SILICON GRAPHICS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Teskey

[1]      L'appelante interjette appel d'une détermination de la perte faite conformément à la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) pour les années d'imposition se terminant le 31 janvier 1992 et le 31 janvier 1993.

Question en litige

[2]      La question qui oppose les parties est de savoir si, tout au long des deux années d'imposition se terminant le 31 janvier 1992 et le 31 janvier 1993, Alias Research Inc. ( « Alias » ), une corporation remplacée, était une corporation privée dont le contrôle est canadien ( « CPCC » ) au sens des paragraphes 125(7) ou 256(5.1) de la Loi.

La Loi

[3]      Voici la définition de « CPCC » à l'alinéa 125(7)b) de la Loi :

« corporation privée dont le contrôle est canadien » désigne une corporation privée qui est une corporation canadienne autre qu'une corporation contrôlée directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par une ou plusieurs personnes non résidantes, par une ou plusieurs corporations publiques (autre qu'une corporation à capital de risque prescrite) ou par une combinaison de celles-ci;

[4]      Il n'y a entre les parties aucun litige sur la question de savoir si Alias était une corporation privée canadienne. Le litige porte sur le sens à donner au passage suivant de la définition citée précédemment : « contrôlée directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, par une ou plusieurs personnes non résidantes » .

[5]      L'expression « de quelque manière que ce soit » est définie au paragraphe 256(5.1) de la Loi. On l'appelle le critère du contrôle de fait. Voici le texte de la disposition en question :

Pour l'application de la présente loi, lorsque l'expression « contrôlée, directement ou indirectement, de quelque manière que ce soit, » est utilisée, une corporation est considérée comme ainsi contrôlée par une autre corporation, une personne ou un groupe de personnes — appelé « entité dominante » au présent paragraphe — à un moment donné si, à ce moment, l'entité dominante a une influence directe ou indirecte dont l'exercice entraînerait le contrôle de fait de la corporation. Toutefois, si cette influence découle d'un contrat de concession, d'une licence, d'un bail, d'un contrat de commercialisation, d'approvisionnement ou de gestion ou d'une convention semblable — la corporation et l'entité dominante n'ayant entre elles aucun lien de dépendance — dont l'objet principal consiste à déterminer les liens qui unissent la corporation et l'entité dominante en ce qui concerne la façon de mener une entreprise exploitée par la corporation, celle-ci n'est pas considérée comme contrôlée directement ou indirectement de quelque manière que ce soit, par l'entité dominante du seul fait qu'une telle convention existe.

[6]      Il s'agit donc de déterminer s'il y a contrôle, qu'il soit de droit ou de fait.

Faits relatifs au contrôle de droit

[7]      Les faits sur le fondement desquels une décision sera prise sous la présente rubrique ne sont pas contestés. C'est l'interprétation des paragraphes qui suivent qui est en litige relativement au contrôle.

[8]      Pour ce qui est du contrôle de droit, les faits pertinents sont les suivants :

a)                  Du 13 février 1985 au 17 juillet 1990, Alias n'était pas une corporation ouverte. La majorité de ses actions en circulation au cours de cette période étaient détenues par des résidents canadiens;

b)                 le 17 juillet 1990, c'est-à-dire au cours de l'année d'imposition 1991 d'Alias, cette dernière a fait un premier appel public à l'épargne (PAPE) à l'égard d'actions ordinaires négociées par l'intermédiaire du NASDAQ aux États-Unis. Par suite de ce premier appel public à l'épargne, il y avait au total 5 049 836 actions ordinaires émises et en circulation. Aucune autre catégorie d'actions n'était en circulation;

c)                  Alias a subséquemment émis des actions ordinaires par suite de placements privés, de la levée par des employés d'options d'achat d'actions, du versement de contreparties pour l'acquisition de corporations et du paiement d'honoraires pour des services rendus par des tiers, du mois de novembre 1990 à la fin de l'année d'imposition 1993 d'Alias. Au 31 janvier 1993, il y avait approximativement 8 187 241 actions d'Alias émises et en circulation;

d)                 suivant le premier appel public à l'épargne et par la suite, y compris à la fin de l'année d'imposition 1993 d'Alias, plus de la moitié des actions ordinaires étaient détenues par des non-résidents du Canada;

e)                  la majorité des membres du conseil d'administration et tout le personnel de direction étaient des résidents canadiens;

f)                   le principal établissement d'Alias était à Toronto (Ontario);

g)                  le personnel de direction de Toronto dressait annuellement une liste de candidats à élire au conseil d'administration, laquelle liste était toujours retenue par les actionnaires.

[9]      Bien que de nombreux faits aient été présentés à la Cour, dont un exposé conjoint des faits partiel, je crois que les faits énoncés au paragraphe 8 ci-avant suffisent pour déterminer qui avait le contrôle de droit d'Alias.

Contrôle de droit

[10]     Le contrôle, en soi, est un contrôle de droit.

[11]     Dans l'arrêt Duha Printers (Western) Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S., (98 DTC 6334), le juge Iacobucci, de la Cour suprême du Canada, s'est exprimé dans les termes suivants au paragraphe 36 :

Ainsi, le contrôle de jure est devenu la norme canadienne, et le critère généralement admis à cet égard consiste à se demander si la partie qui détient le contrôle a, en vertu des actions qu'elle possède, la capacité d'élire la majorité des membres du conseil d'administration. Toutefois, il faut reconnaître, au départ, que ce critère est vraiment une tentative de vérifier qui exerce un contrôle effectif sur les affaires et les destinées de la société. Autrement dit, bien que les administrateurs aient généralement, en vertu de la loi qui régit la société, le droit explicite de gérer la société, l'actionnaire majoritaire exerce indirectement ce contrôle en raison de sa capacité d'élire le conseil d'administration. Ainsi, c'est en réalité l'actionnaire majoritaire, et non pas les administrateurs eux-mêmes, qui exerce un contrôle effectif sur la société. Le président Jackett a reconnu expressément cela en énonçant le critère de l'arrêt Buckerfield`s. En fait, la source invoquée à l'appui de ce critère est l'opinion incidente suivante que le lord chancelier, le vicomte Simon, a exprimée dans British American Tobacco Co. c. Inland Revenue Commissioners, [1943] 1 All E.R. 13, à la p. 15:

[TRADUCTION] Les détenteurs de la majorité des voix dans une société sont ceux qui exerce[nt] un contrôle effectif sur ses affaires et ses destinées.

                                                 [Je souligne.]

Au paragraphe 50, il a ajouté ceci :

[...] il est clair que le critère général du contrôle de jure reste le contrôle conféré par la majorité des voix dans la société, que traduit la capacité d'élire les administrateurs de cette dernière. [...]

Puis, au paragraphe 54, on peut lire ceci :

[...] le critère du contrôle de jure est principalement axé sur la question de savoir quel actionnaire ou quels actionnaires ont les droits de vote requis pour élire la majorité des administrateurs. Ce critère n'exige pas et ne permet pas non plus d'examiner si un administrateur donné est le candidat d'un actionnaire, ou encore s'il existe un lien ou une allégeance entre les administrateurs et les actionnaires.

[12]     Ma collègue la juge Lamarre a écrit ceci au paragraphe 15 des motifs qu'elle a rédigés dans l'affaire Bilodeau c. Canada, [1999] A.C.I. no 633 (Q.L.) paragraphe 15 :

Je ne suis pas d'accord avec l'avocat de l'appelant qui soutient que le contrôle de jure dans le cas présent exige des alliances entre les différents actionnaires. L'avocat de l'appelant confond ici le contrôle de facto et le contrôle effectif.

Elle a ajouté au paragraphe 19 :

Dans le cas présent, il n'était donc pas nécessaire que les deux sociétés publiques (B.N.C. et Perron) se regroupent, agissent ensemble ou forment des alliances pour exercer le contrôle de jure. Ce qui importe, c'est qu'à elles deux, elles détenaient la majorité des actions de Chambord leur donnant les droits de vote requis pour élire la majorité des administrateurs.

[13]     L'appelante a très habilement soutenu que, suivant la jurisprudence et diverses notes techniques du ministère des Finances, il doit y avoir « un lien suffisant pour être en état d'exercer un contrôle » .

[14]     Je rejette cette thèse. Dès que le nombre d'actionnaires non-résidents franchit la barre des 50 p. 100, le contrôle et le droit d'élire le conseil d'administration sont exercés par ces actionnaires non-résidents, et l'existence d'un lien entre eux n'est pas nécessaire. Par conséquent, une corporation dont plus de 50 p. 100 des actionnaires sont des non-résidents n'est plus une corporation dont le contrôle est canadien. Le contrôle effectif, qu'il soit exercé ou non, est détenu par les actionnaires non-résidents.

[15]     L'appelante soutient que je devrais prendre en considération les modifications apportées à la Loi en 1997 pour déterminer la façon dont il convient d'interpréter ces dispositions. Je ne suis pas d'accord, et je souscris aux motifs du juge en chef adjoint Bowman, de la Cour, dans l'affaireCanadian Occidental U.S. Petroleum Corporation c. Canada, [2001] A.C.I. no 112 (Q.L.).

[25]       En ce qui concerne la prétention selon laquelle je devrais me servir de la mesure législative ultérieure comme d'un outil d'interprétation de la loi antérieure, je réponds brièvement que l'article 45 de la Loi d'interprétation l'interdit. Il est libellé comme suit :

45(1)     L'abrogation, en tout ou en partie, d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration portant que le texte était auparavant en vigueur ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l'a édicté, le considérait comme tel.

(2)         La modification d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration portant que les règles de droit du texte étaient différentes de celles de sa version modifiée ou que le Parlement, ou toute autre autorité qui l'a édicté, les considérait comme telles.

(3)         L'abrogation ou la modification, en tout ou en partie, d'un texte ne constitue pas ni n'implique une déclaration sur l'état antérieur du droit.

(4)         La nouvelle édiction d'un texte, ou sa révision, refonte, codification ou modification, n'a pas valeur de confirmation de l'interprétation donnée, par décision judiciaire ou autrement, des termes du texte ou de termes analogues.

[26]       L'examen le plus approfondi de la règle figure dans l'affaire Mountain Park Coals Limited v. Minister of National Revenue, [1952] Ex. C.R. 560. Le droit y est bien déterminé sur ce point. En effet, le juge Iacobucci dans l'affaire Ikea Ltd. c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 196, à la page 208, a considéré qu'il était évident que la loi ultérieure ne pouvait avoir aucun poids dans l'interprétation d'une disposition antérieure.

[27]       Outre l'article 45 de la Loi d'interprétation et de la jurisprudence portant sur ce point, des raisons convaincantes empêchent d'utiliser une loi ultérieure comme outil d'interprétation. Différentes personnes examinant la même modification ultérieure pourraient en venir à une conclusion tout à fait opposée quant à son effet. Une personne pourrait tirer la conclusion selon laquelle le législateur ne faisait que rendre explicite ce qui a toujours été implicite. Une autre pourrait conclure qu'il cherchait à corriger des faiblesses présentes dans la loi antérieure. Une troisième pourrait en venir à la conclusion que le législateur avait l'intention de modifier la loi. Ces incertitudes font en sorte que la loi ultérieure constitue un guide d'interprétation très peu fiable.

[16]     Il était entendu que, si je concluais que le contrôle de droit appartenait à des actionnaires non-résidents du fait qu'ils représentaient plus de 50 p. 100 des actionnaires, je ne devais pas aborder la question du contrôle de fait.

[17]     L'appel est rejeté avec frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'avril 2001.

« Gordon Teskey »

       J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de novembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1201(IT)G

ENTRE :

SILICON GRAPHICS LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 28 mars 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge Gordon Teskey

Comparutions

Avocat de l'appelante :                         Me Roger Taylor

Avocate de l'intimée :                           Me Elizabeth Chasson

JUGEMENT

          L'appel à l'encontre d'une détermination de la perte faite en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition se terminant les 31 janvier 1992 et 1993 est rejeté avec frais, selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour d'avril 2001.

« Gordon Teskey »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 20e jour de novembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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