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Date: 20010412

Dossiers: 2000-3591-EI,

2000-3592-CPP

ENTRE :

RANDY FATT,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I

[1]      L'appelant interjette appel à l'encontre d'une décision, datée du 16 mai 2000, par laquelle le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a décidé que l'appelant n'occupait pas un emploi assurable et ouvrant droit à pension chez Sea to Sky Payphones Ltd., la payeuse, parce qu'il n'était pas employé en vertu d'un contrat de louage de services pendant la période allant du 1er avril au 15 août 1999 au sens de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi et de l'alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada. L'appelant a également formé un autre appel, 2000-3592(CPP), et il a été entendu que l'issue de l'appel en l'instance s'applique à cet appel.

[2]      L'appelant a indiqué dans son témoignage qu'il réside à Edmonton et que, durant la période pertinente, il fournissait des services à Sea to Sky Payphones Ltd. ( « SSP » ), une compagnie établie à l'extérieur de Vancouver. Il a déclaré que Ted Kelly, le directeur des ventes de SSP, avec qui il avait déjà travaillé dans une autre entreprise, avait pris contact avec lui. Après avoir d'abord hésité, l'appelant a décidé de participer à l'entreprise de SSP et s'est vu attribuer un territoire compris entre la partie sud d'Edmonton et Red Deer, en Alberta, mais plus tard, d'autres représentants de commerce ont outrepassé les limites territoriales. L'appelant devait, en raison de la nature de l'entreprise, visiter des stations-service ou d'autres établissements qui seraient des lieux propices à l'installation de téléphones publics. La compagnie de téléphone, AT & T, était le fournisseur de services et si le propriétaire ou le gérant d'une entreprise acceptait de contribuer à la location d'un téléphone public dans les lieux, un contrat était alors conclu entre cette entreprise et Canada Payphone Corporation ( « CPC » ). SSP était le représentant de commerce pour CPC, mais les obligations contractuelles permanentes liaient le client et CPC en ce qui concerne la répartition des recettes générées par les téléphones publics. L'appelant a déclaré qu'il a conclu un contrat écrit (pièce A-1) avec SSP qui prévoyait qu'il recevrait la somme de 90 $ pour chaque emplacement trouvé et une autre somme de 90 $ lorsque le téléphone public serait installé. M. Fatt n'avait rien à voir avec l'installation puisque des équipes étaient embauchées par SSP ou CPC pour remplir cette fonction. Bien que la copie du contrat produite en preuve ne soit pas signée, presque toutes les pages sont paraphées par l'appelant qui a déclaré se sentir lié par les modalités de ce contrat. Selon lui, les clauses de confidentialité éliminaient pratiquement la possibilité de travailler pour d'autres compagnies semblables ou d'embaucher des travailleurs pour aider à remplir les fonctions liées à la vente. Tous les prix et les modalités, y compris l'installation réelle d'un téléphone public dans une entreprise participante, étaient déterminés par SSP ou CPC. Un exemple du type de contrat conclu entre un client et CPC a été produit sous la cote A-2.

[3]      L'appelant était payé pour ses services au moyen d'un dépôt direct versé dans son compte bancaire et il était prévu qu'il recevrait un paiement toutes les deux semaines en fonction des rapports qu'il présentait chaque semaine en plus d'un rapport mensuel. L'appelant devait fournir lui-même son véhicule et son téléphone cellulaire et les dépenses qu'il engageait lorsqu'il tentait de faire des ventes ne lui étaient pas remboursées. Son salaire dépendait totalement des ventes. Il n'avait pas d'heures de travail fixes, mais l'appelant a fait remarquer que c'était normal dans l'industrie des ventes. Avant de commencer ses visites de représentant, il a suivi une formation de trois ou quatre heures à Edmonton et a plus tard rencontré un représentant de SSP avec d'autres représentants de commerce quatre ou cinq fois au cours de sa relation de travail. Il a participé à une réunion avec Don Perks, le directeur de SSP, à laquelle ont également pris part le directeur des ventes ainsi que quatre autres vendeurs. L'appelant a déclaré que pendant sa carrière de vendeur il avait travaillé tant comme employé que comme entrepreneur indépendant. L'une des difficultés qu'il a éprouvées en ce qui concerne ses chèques de paye était qu'il n'a jamais reçu de copie papier des détails se rapportant au paiement pour une période particulière puisque l'argent était électroniquement déposé dans son compte bancaire. Il envoyait à SSP les contrats signés par chacune des personnes qui fournissaient un emplacement pour l'installation d'un téléphone et il s'attendait à recevoir un paiement en fonction d'un contrat deux semaines plus tard. Un autre paiement lui était dû une fois que le téléphone public était installé dans un emplacement particulier, mais il ne pouvait pas savoir si l'installation avait été faite et il s'en remettait à SSP et/ou à CPC qui lui versaient un paiement à leur discrétion. Il n'y a jamais eu de discussion entre lui et l'un des gérants ou administrateurs de l'une ou l'autre des sociétés en ce qui concerne l'applicabilité de cotisations d'assurance-emploi ou de contributions au Régime de pensions du Canada. La relation de travail avait pris naissance en raison d'une amitié passée avec Ted Kelly, le directeur des ventes de SSP. Quand il a quitté l'entreprise SSP le 15 août 1999, M. Fatt croyait qu'il avait été totalement rémunéré pour ses services. Il n'avait pas été tenu de fournir des détails relativement à ses activités de vente, mais lorsqu'il participait à un congrès, il s'y trouvait une cabine téléphonique de CPC et il travaillait à cet endroit qui était de toute évidence conçu pour promouvoir l'entreprise de CPC. Bien qu'il ait signé l'entente (pièce A-1), l'appelant a déclaré qu'il n'avait pas l'intention de travailler en tant qu'entrepreneur indépendant. Il a reconnu qu'il avait le droit de recevoir un montant supplémentaire de 25 $ par téléphone public s'il en obtenait au moins 50, tous les trois mois, un minimum de 50 téléphones publics produisant au moins 9,51 $ par jour. Même s'il devait recevoir 90 $ par emplacement trouvé pour l'installation d'un téléphone public, les dépôts versés dans son compte bancaire étaient souvent de montants différents. Il s'attendait à ce que le paiement de ses commissions de vente soit basé sur son principal document de déclaration (pièce A-3). Il pensait que ses services personnels étaient nécessaires, mais il a reconnu qu'il pouvait embaucher des assistants. Il payait tous ses frais directs de vente, cependant, à d'autres occasions, ses frais étaient payés par CPC et/ou SSP, comme lorsqu'il participait à des réunions convoquées par le directeur des ventes. L'appelant a reconnu que la payeuse était intéressée par le résultat obtenu, mais qu'elle lui a également fourni des rapports, des ébauches, du matériel publicitaire. De plus, CPC devait approuver l'endroit où chaque téléphone public demandé par lui serait installé, de sorte que l'appelant ne risquait pas vraiment de subir une perte en payant les accessoires de vente dont ses cartes d'affaires (pièce A-4), qui le décrivent comme un représentant autorisé de CPC.

[4]      En contre-interrogatoire, l'appelant a reconnu avoir apporté des changements, de sa main, au contrat (pièce A-1). Il a déclaré qu'il s'est inquiété du fait que d'autres vendeurs commençaient à outrepasser les limites territoriales. Il devait présenter un rapport hebdomadaire et quand il ne le faisait pas, le directeur des ventes l'appelait. CPC, qui était en phase de démarrage, plaçait certaines attentes sur le personnel de vente. Pour ce qui est du revenu, l'appelant a déclaré qu'il a toujours eu de la difficulté à déterminer sur quoi les paiements qui lui étaient versés étaient fondés, alors qu'il a dit, pour ce qui est des dépenses, qu'il ne pouvait pas subir de perte à moins de dépenser de manière très imprudente pendant ses visites à titre de représentant. Son propre numéro de téléphone figurait sur la carte d'affaires (pièce A-4) avec celui de CPC ainsi que d'autres renseignements concernant le télécopieur, le courriel, le site Web et l'adresse du bureau de CPC à Burnaby (Colombie-Britannique). Lorsqu'il a effectué un voyage d'affaires à Grande Prairie (Alberta), l'appelant a reconnu qu'il avait payé ses propres dépenses. Auparavant, il avait travaillé pour une entreprise, Paytel Canada Inc., dans le même domaine, et il avait alors demandé qu'une décision soit prise quant à son statut et le ministre avait décidé (pièce R-1) qu'il n'avait pas exercé un emploi assurable. L'appelant a affirmé qu'il avait choisi à l'époque de ne pas aller plus loin parce que Paytel s'était retiré des affaires.

[5]      Selon l'appelant, il était un employé de SSP et/ou de CPC en vertu d'un contrat de louage de services. Il avait auparavant reçu une décision à cet effet, datée du 21 octobre 1999, qu'il croyait correcte et qui n'aurait pas dû être annulée par la décision du ministre datée du 16 mai 2000.

[6]      L'avocate de l'intimée a soutenu que la décision du ministre était correcte et conforme à la jurisprudence établie.

[7]      Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 ([1986] 2 C.T.C. 200), la Cour d'appel fédérale a donné son aval à un examen de la preuve à la lumière des critères énoncés ci-dessous, mais a souligné que ces critères doivent être considérés comme un seul critère composé de quatre parties intégrantes qu'il faut appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. Les critères sont les suivants :

          1. Le critère du contrôle

          2. La propriété des instruments de travail


          3. Les chances de bénéfice ou les risques de perte

          4. Le critère de l'intégration

Le contrôle :

[8]      Très peu de contrôle était exercé sur l'appelant qui était libre de travailler le nombre d'heures qu'il jugeait approprié et ce, de la manière qui convenait le mieux à l'atteinte d'un résultat satisfaisant. Les rapports étaient nécessaires tant en raison des propres besoins de l'appelant de fournir des détails quant à l'installation réussie de téléphones publics, ce sur quoi reposait sa rémunération, que sur toute autre raison. Il parcourait littéralement le territoire en vue de conclure des ventes qui lui procureraient un revenu à la signature du contrat par le client, ainsi qu'un autre montant après l'installation. Il avait également le droit de participer au revenu des activités d'aval à certaines conditions. Il était libre d'établir ses propres heures de travail et de vendre à quiconque constituait selon lui un client potentiel, à l'origine à l'intérieur d'un territoire défini et plus tard là où il le jugeait à propos.

La propriété des instruments de travail :

[9]      Les principaux instruments de vente de l'appelant étaient son véhicule et son téléphone cellulaire. Le matériel de promotion fourni par SSP et/ou CPC aurait probablement été fourni à toute personne ou entité vendant ce produit comme moyen d'informer les clients éventuels de la nature de l'entreprise et du service offert.

Les chances de bénéfice ou les risques de perte :

[10]     La rémunération était fondée sur des commissions de vente ainsi que d'une forme de paiement supplémentaire si un certain nombre de téléphones publics étaient installés, ce qui produisait un revenu. Dans ce sens, il pouvait recourir à sa propre expérience de vente pour évaluer quels emplacements seraient plus productifs de sorte qu'il puisse un jour participer au revenu des activités d'aval. Son risque de perte était négligeable parce qu'en tant que vendeur d'expérience, il ne ferait jamais en sorte que ses dépenses excèdent son revenu sauf pendant une très courte période. Encore une fois, en raison de son expérience dans la vente, il organisait ses visites d'une manière efficace et rentable.

L'intégration :

[11]     Ce critère est l'un des plus difficiles à appliquer. Aux pages 563 et 564 (C.T.C., à la page 206) de son jugement dans l'affaire Wiebe, précitée, le juge MacGuigan, a déclaré ce qui suit :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question « À qui appartient l'entreprise » .

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[12]     Bien que la preuve ne soit pas très claire sur ce point, il appert que SSP était l'organe corporatif gérant les ventes de CPC. Cela étant, le ministre a de toute évidence considéré que l'appelant représentait une autre partie de cette structure qui était fondée sur une relation contractuelle entre des entités et/ou des personnes indépendantes. CPC exigeait certainement de SSP qu'elle conclue des contrats de travail avec les représentants de commerce qui pouvaient trouver des emplacements pour l'installation de téléphones publics de sorte que CPC pouvait tirer un revenu de leur utilisation. L'appelant contribuait à offrir ce service nécessaire à l'intérieur de son territoire ou secteur d'exploitation, mais il pouvait également participer au revenu futur grâce aux installations qu'il avait effectuées. L'entreprise était relativement nouvelle, et le bureau de CPC était situé en Colombie-Britannique. La plupart du temps, l'appelant était laissé à lui-même avec ses compétences et ses contacts pour conclure des ventes qui produiraient un revenu. Une fois que le contrat était signé, il avait le droit de recevoir un montant particulier suivi d'un autre montant égal à la suite de l'installation du téléphone public. Si le téléphone ne produisait pas de revenu, alors seul le revenu futur de l'appelant était touché dans le cadre de la formule d'ensemble qui déterminait le salaire supplémentaire fondé sur le volume et le revenu provenant de tous les téléphones installés dans les différents emplacements qu'il avait trouvés. Si l'on considère que toute l'entreprise était de conception verticale, alors l'appelant correspondrait probablement plus à la catégorie employé. Toutefois, si la structure pouvait raisonnablement être envisagée comme une entreprise où les parties ont conclu une entente commerciale mutuellement satisfaisante afin de promouvoir conjointement un produit à partir duquel elles pouvaient tirer un revenu, alors la relation de travail prenait l'aspect d'une relation contractuelle entre des entités indépendantes. Si la payeuse avait été CPC, il aurait été plus facile de conclure que l'appelant faisait partie intégrante de son entreprise, mais CPC avait choisi de donner en sous-traitance, à SSP, la fonction commerciale de trouver des emplacements pour l'installation de téléphones publics. SSP à son tour a demandé à son directeur des ventes, un vieil ami et ancien collègue de travail de l'appelant, de communiquer avec M. Fatt et de le convaincre de se joindre à la nouvelle entreprise. Dans le marché moderne, on se fie moins aux structures hiérarchiques pour livrer des biens et/ou offrir des services qui proviennent du producteur ou de l'expéditeur au client, et une variété de méthodes peuvent être employées pour y parvenir, sans que le producteur de ces produits ou services n'ait à posséder et/ou à contrôler chaque composante ou séquence du système dans son ensemble.

[13]     Dans l'affaire Clientel Canada Corp. c. Canada (ministre du Revenu national) [1999] A.C.I. no 678, le juge suppléant Porter a entendu l'appel d'une société qui avait employé des représentants de commerce afin de commercialiser les services de téléphoniques d'AT & T Canada. Aux pages 9, 10 et 11 de son jugement, le juge Porter a déclaré ce qui suit :

Quand j'examine la partie « contrôle » des critères énoncés précédemment, je ne trouve pas qu'un degré élevé de contrôle était exercé par l'appelante sur les travailleurs. En fait, il me semble que les travailleurs avaient beaucoup d'indépendance pour déterminer s'ils travailleraient, quand ils travailleraient et comment ils effectueraient leur travail. Bien entendu, certaines normes devaient être observées, à défaut de quoi la réputation du produit risquait d'être ternie. Il me semble que la situation se compare tout au plus à celle d'un sous-traitant indépendant qui se présenterait sur un chantier de construction, où il devrait entretenir des rapports et collaborer avec les autres intervenants sur le chantier. Ce sous-traitant n'en demeurerait pas moins un entrepreneur indépendant. En l'espèce, les agents pouvaient travailler quand ils le désiraient; ils pouvaient prendre des vacances non payées quand ils le voulaient; ils pouvaient effectuer leur travail comme bon leur semblait, en déterminant leur propre itinéraire et en choisissant leur propre mode de transport. J'y vois beaucoup d'indépendance et très peu de supervision. La seule exigence semblait que, si un agent voulait travailler, il devait porter sur lui un insigne d'identité et ne devait pas se présenter trop tôt ni trop tard dans la journée chez les clients éventuels, car sa visite aurait pu être perçue comme importune et menacer le succès de la vente du produit. De même, s'ils voulaient s'absenter durant la journée ou pour une journée ou plus, ils n'étaient pas tenus d'en aviser la compagnie et ils n'avaient pas besoin de sa permission. Cette partie du critère tend à établir l'existence d'un statut d'entrepreneur indépendant.

En ce qui concerne la question des instruments ou du matériel, l'avocat du ministre a déclaré que cela comprenait la tenue vestimentaire, les insignes d'identité, les formulaires, la formation et les manuels de politiques, les prospectus et une formule de présentation verbale du produit. Je ne suis pas sûr que l'on puisse nécessairement accoler l'étiquette d' « instruments » à ces articles, mais ils n'en étaient pas moins fournis par l'appelante; en fait, certains de ces articles provenaient directement d'AT & T et se rapportaient davantage au produit lui-même. De plus, certains de ces articles étaient achetés ou payés par les agents. Il n'en demeure pas moins que des instruments étaient manifestement fournis par les agents eux-mêmes, comme les véhicules et les téléphones cellulaires. Les agents devaient fournir leur propre véhicule s'ils en avaient besoin, ou encore assumer tous les frais de déplacement. Ainsi, ils prenaient en charge tous leurs frais de d'utilisation d'un véhicule ou de déplacement, sans recevoir aucun remboursement de l'appelante. Cet aspect me semble tout à fait significatif. Selon la prépondérance des probabilités, je conclus que cet aspect du critère tend à établir l'existence d'un statut d'entrepreneur indépendant.

Il me semble, lorsque vient le temps de se pencher sur les chances de profit ou les risques de perte, que les agents étaient exposés, dans une certaine mesure, à un risque de perte. Ils pouvaient fort bien engager des dépenses sans être capables d'obtenir de nouvelles demandes signées. Aucun élément de preuve n'indique que cette situation se soit déjà produite, mais le risque était assurément là. Les agents avaient peu de possibilités de tirer des profits additionnels de cette activité, au sens d'un profit que pourrait réaliser une entreprise, mais rien ne les empêchait de vendre d'autres produits les jours où ils commercialisaient les services d'AT & T, et apparemment certains l'ont fait. Le fait que Lance King ait signé son contrat au nom d'une entreprise tend à étayer, dans une certaine mesure, la position de l'appelante à cet égard.

La façon dont les agents géraient leurs journées et s'acquittaient de leurs tâches influait beaucoup sur le revenu qu'ils pouvaient tirer de leur travail, et, à mon sens, cela correspond beaucoup plus à une situation d'entrepreneur qu'à une situation d'employé.

Le quatrième aspect des critères énoncés par la Cour d'appel fédérale concerne l'intégration du travail dans l'entreprise de l'appelante. Il faut considérer cela du point de vue de l'agent plutôt que de la compagnie. La question fréquemment posée dans ces situations est de savoir « à qui appartient l'entreprise » . En l'espèce, l'appelante était manifestement propriétaire de son entreprise. Il s'agit donc de savoir si les agents faisaient partie de cette entreprise, comme l'a prétendu l'avocat du ministre, ou si chaque agent faisait affaires en son propre nom, comme le soutient l'appelante. Il est vrai que l'entreprise de l'appelante ne pouvait être exploitée sans agents sur le terrain, mais une grande entreprise de construction ne pouvait pas être davantage exploitée sans entrepreneurs, de sorte que cette proposition ne tient pas dans les faits. Par contre, l'appelante pouvait fonctionner sans recourir à un agent particulier, si bien qu'il serait difficile de conclure que le travail des agents faisait partie intégrante de son entreprise. L'application de ce critère est toujours difficile, mais je suis conscient du fait que Lance King a signé un contrat au nom d'une entreprise. Je suis également conscient du fait que chaque agent était libre de vendre d'autres produits, pourvu que ces produits ne fassent pas concurrence à ceux d'AT & T et qu'ils ne soient pas vendus en même temps que ces derniers. Tout cela s'apparente bien plus à la situation d'une personne en affaires pour son compte qu'à la situation d'un employé.

Quand je tiens compte du mode de rétribution des agents, du fait qu'ils prenaient en charge tous leurs frais, du fait qu'ils fournissaient leurs propres véhicules et téléphones pour accomplir leur travail, du fait qu'ils n'avaient pas les avantages dont bénéficient les employés à temps plein, de la possibilité qu'ils avaient de déterminer quand et comment ils allaient travailler, de leur possibilité de travailler pour d'autres compagnies et du fait qu'ils faisaient la commercialisation des produits auprès des clients à leurs propres frais, j'en arrive à la conclusion inévitable que ces agents étaient engagés en vertu d'un contrat d'entreprise et non d'un contrat de louage de services. À mon sens, il n'y a véritablement rien qui puisse réfuter l'intention clairement exprimée par les parties au contrat, à savoir que celui-ci doit être considéré comme un contrat d'entreprise et non comme un contrat de louage de services.

[14]     Dans l'affaire Ivanov c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [2000] A.C.I. no 236 (1999-4124(EI)), j'ai conclu qu'un représentant de commerce qui vendait des services interurbains devant être fournis par AT & T Canada était un entrepreneur indépendant. Dans cette affaire, j'ai cité l'affaire 740944 Alberta Ltd. c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1999] A.C.I. no 652 (1999-1868(EI) et 1999-1869(CPP)) où le juge suppléant Porter, C.C.I., s'est penché sur le cas d'un particulier qui avait vendu des services interurbains pour une entreprise de commercialisation dont la compagnie à dénomination numérique était la propriétaire. Dans cette affaire, le ministre avait rendu une décision selon laquelle le travailleur avait été un employé qui exerçait un emploi assurable et ouvrant droit à pension. Dans la décision 740944, le juge Porter a conclu que le travailleur n'avait pas fourni des services en vertu d'un contrat de louage de services et qu'il avait été plutôt un entrepreneur indépendant. Voici certains des points dont le juge Porter a tenu compte dans son analyse :

-         il ressortait du contrat conclu entre le travailleur et la compagnie que, dans l'esprit des deux parties, le travailleur serait un entrepreneur indépendant et, puisqu'il n'existait pas de preuve établissant clairement que cela se passait autrement dans le cadre de la relation de travail, il fallait respecter l'intention qu'avaient les parties lors de la signature;

-         si les représentants voulaient réussir, ils avaient intérêt à assister aux réunions des représentants où ils pouvaient être informés des nouveautés concernant tant les programmes que les services à vendre;

-         les représentants pouvaient choisir leur secteur de vente et pouvaient travailler ou ne pas travailler une journée donnée, à leur guise;

-         les représentants n'étaient pas tenus d'être présents au bureau à un moment déterminé;

-         quand ils faisaient du porte-à-porte, les représentants payaient eux-mêmes leurs frais de transport;

-         ils pouvaient réaliser des profits s'ils organisaient efficacement leurs affaires, et risquaient de subir des pertes s'ils engageaient des dépenses mais ne faisaient pas de ventes et ne touchaient donc pas de commissions;

-         les représentants ne faisaient pas partie intégrante de l'entreprise de la société appelante en ce sens qu'ils pouvaient travailler pour d'autres organismes à la condition d'offrir exclusivement les services interurbains d'AT & T aux clients éventuels;

-         chaque représentant exploitait sa propre mini-entreprise et le faisait de la façon qu'il jugeait appropriée.

[15]     Dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.), [1996] A.C.F. no 1337, la Cour d'appel fédérale a examiné la question de savoir si un opérateur de débusqueuse était un employé ou un entrepreneur indépendant. La décision de la Cour d'appel a été rendue par le juge Décary qui a dit ce qui suit à la page 1 :

            Contrat de travail ou contrat d'entreprise? Telle est, une fois de plus, la question qui se pose dans ce dossier où il s'agit de déterminer si l'intimé, propriétaire et opérateur d'une débusqueuse, exerçait un emploi assurable aux fins de l'application de l'alinéa 3(1)a) de la Loi sur l'assurance-chômage.

            Deux observations préliminaires s'imposent.

            Les critères énoncés par cette Cour dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., à savoir d'une part le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte et d'autre part l'intégration, ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail (art. 2085 du Code civil du Québec) ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service (art. 2098 dudit Code). En d'autres termes, il ne faut pas, et l'image est particulièrement appropriée en l'espèce, examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

            Par ailleurs, s'il est certain que l'appréciation de la nature juridique de relations contractuelles soit affaire d'espèce, il n'en reste pas moins qu'à espèces sensiblement semblables en fait devraient correspondre en droit des jugements sensiblement semblables. Aussi, lorsque cette Cour s'est déjà prononcée sur la nature d'un certain type de contrat, point n'est besoin par la suite de refaire l'exercice dans son entier : à moins que n'apparaissent dans les faits des différences vraiment significatives, le Ministre, puis la Cour canadienne de l'impôt ne devraient pas s'écarter de la solution retenue par cette Cour.

[16]     Il est évident que les parties souhaitaient que l'appelant soit un vendeur entrepreneur de vente indépendant et elles exécutaient en fait les modalités dudit contrat. Quant à l'effet à donner au contrat (pièce A-1), il est clair que ce que les parties pensaient être la nature de leur relation ne changera pas la réalité. Dans l'affaire Le ministre du Revenu national c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, 29 septembre 1992, (147 N.R. 238), le juge Stone a dit ce qui suit à la page 2 (N.R., aux pages 239 et 240) :

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. [...]

[17]     Toutefois, rien dans la preuve n'indique que les parties se sont comportées d'une manière qui soit contraire aux modalités de leur contrat. L'appelant est un vendeur d'expérience et le fait qu'il ait voulu par la suite revoir son statut par rapport à son emploi doit s'appuyer sur plus qu'un simple souhait que la Cour le considère maintenant comme un employé qui avait été engagé en vertu d'un contrat de louage de services. Comme tout appelant, il était tenu de se décharger du fardeau de la preuve et, après avoir examiné l'ensemble de la preuve et la jurisprudence pertinente, je conclus qu'il n'y est pas parvenu.

[18]     L'appel est rejeté. Comme les parties l'ont accepté au début, l'appel 2000-3592(CPP) est également rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 12e jour d'avril 2001.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2001.

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3591(EI)

ENTRE :

RANDY FATT,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Randy Fatt (2000-3592(CPP)) le 13 février 2001 à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Représentante de l'intimé :                    Denese Espeut (stagiaire)

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 12e jour d'avril 2001.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2001.

Martine Brunet, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3592(CPP)

ENTRE :

RANDY FATT,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Randy Fatt (2000-3591(EI))

le 13 février 2001 à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Représentante de l'intimé :                    Denese Espeut (stagiaire)

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 12e jour d'avril 2001.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 26e jour de novembre 2001.

Martine Brunet, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]


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