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Date: 20001024

Dossier: 1999-3662-EI

ENTRE :

SONIA DUCHESNE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge Dussault, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel d'une décision du ministre du Revenu national (le " ministre ") selon laquelle l'appelante n'a pas exercé un emploi assurable auprès du payeur, la société Omer Bouchard et Fils (Le Spécialiste des Petits Moteurs) Inc., (la " société " ou le " payeur ") au cours des périodes du 19 septembre 1997 au 18 décembre 1997 et du 10 juin 1998 au 9 octobre 1998.

[2]            La décision du ministre est fondée sur l'application de l'alinéa 5(2)i) et du paragraphe 5(3) de la Loi sur l'assurance-emploi (la " Loi "). Au paragraphe 8 de la Réponse à l'avis d'appel, le ministre soutient qu'il y avait lien de dépendance entre l'appelante et le payeur et a conclu que les conditions de travail n'auraient pas été semblables en l'absence d'un tel lien.

[3]            En rendant sa décision, le ministre s'est fondé sur les présomptions de faits que l'on retrouve aux alinéas a) à o) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel. Ces alinéas se lisent :

a)              Le payeur a été constitué en corporation le 21 décembre 1995.

b)             Martin Bouchard était l'unique actionnaire du payeur.

c)              L'appelante est la conjointe de fait de Martin Bouchard.

d)             Le payeur exploitait une entreprise de vente de pièces et réparation de petits moteurs tel que tondeuse, souffleuse, tracteur de jardin, chaloupe et bateau.

e)              Le commerce était situé à l'arrière de la résidence du couple.

f)              Les tâches de l'appelante était de servir les clients et faire la tenu des livres du payeur.

g)             L'horaire de l'entreprise était :

de 08h00 à 17h 30 du lundi au vendredi et

de 08h00 à 12h00 le samedi.

h)             L'appelante a rendu des services, sans rémunération, au payeur d'avril 1996 à juin 1996.

i)               Le chiffre d'affaire de l'entreprise, pour 1997, par trimestre était :

de janvier à mars 1997                                                          35 563,32 $

d'avril à juin 1997                                                   51 698,04 $

de juillet à septembre 1997                                   32 219,81 $

d'octobre à décembre 1997                                  25 999,86 $

j)               En 1997, l'appelante a rendu des services au payeur du 19 septembre 1997 au 18 décembre 1997, soit la période la moins occupée de l'année.

k)              Le chiffre d'affaire de l'entreprise, pour 1998, par trimestre était :

de janvier à mars 1998                                                          32 918,79 $

d'avril à juin 1998                                                   34 110,78 $

de juillet à septembre 1998                                   29 159,91 $

d'octobre 1998 à décembre 1998                         6 807,71 $

l)               En 1998, l'appelante a rendu des services au payeur du 10 juin 1998 au 9 octobre 1998, soit durant une partie de la période la moins occupée de l'année.

m)             L'appelante était rémunérée, par le payeur, 297,50 $ par chèque par semaine.

n)             Les inscriptions au journal des ventes du payeur étaient faites par l'appelante à l'année.

o)             L'appelante rendait des services au payeur, sans rémunération, en dehors des périodes en litiges.

[4]            Les alinéas b), j), k), et l) sont niés. Les alinéas f), h), n) et o) sont admis sous réserve de précisions à être apportées et les autres alinéas sont tout simplement admis.

[5]            J'ignore pourquoi l'alinéa b) a été nié par la représentante de l'appelante puisque tous les documents soumis en preuve indiquent bien qu'au cours des périodes en litige, monsieur Martin Bouchard, conjoint de fait de l'appelante, était le seul actionnaire, le seul administrateur et le seul dirigeant du payeur. C'est probablement qu'aucune action du capital-actions de la société n'a été émise au moment de la constitution en décembre 1995, la seule émission d'actions du capital-actions de la société à monsieur Martin Bouchard ayant eu lieu le 31 mai 1996.

[6]            En réalité, l'entreprise du payeur appartenait initialement à madame Aline Lavoie Bouchard, la mère de l'unique actionnaire du payeur, Martin Bouchard, jusqu'à la fin de 1996. C'est le conjoint de madame Aline Lavoie Bouchard, monsieur Omer Bouchard, qui administrait alors l'entreprise. Monsieur Martin Bouchard qui voulait acquérir l'entreprise mais qui n'avait pas les fonds nécessaires, décida d'utiliser le payeur, la société constituée sous le nom d'Omer Bouchard et Fils (Le Spécialiste des Petits Moteurs) Inc., pour louer l'entreprise de sa mère à compter du 16 juillet 1996.

[7]            Le 21 juillet 1996, monsieur Omer Bouchard décédait et vers la fin de la même année, le payeur acquérait de madame Aline Lavoie Bouchard, le commerce déjà exploité en location.

[8]            C'est monsieur Omer Bouchard qui aurait d'abord engagé l'appelante en avril 1996 pour le remplacer comme commis au comptoir afin de répondre aux clients, sur place et au téléphone, vendre des pièces et dresser les factures. Monsieur Bouchard était alors très malade. En avril et mai 1996, monsieur Omer Bouchard et son fils Martin auraient, en quelque sorte, donné une formation de base à l'appelante notamment quant à l'identification des pièces mécaniques, à l'établissement des factures et à la tenue partielle des livres. Par la suite, l'appelante aurait été engagée et payée à compter du 6 juin 1996 jusqu'au 13 décembre 1996.

[9]            Lors de leur témoignage, tant l'appelante que monsieur Martin Bouchard ont affirmé que celle-ci était engagée au cours de la période la plus achalandée de l'année, soit généralement de juin à octobre de chaque année.

[10]          En réalité, en 1996, l'appelante a été engagée officiellement de juin à décembre. En 1997, c'est du 19 septembre au 18 décembre qu'elle l'a été. En 1998, l'appelante a travaillé du 10 juin au 9 octobre. Elle a également travaillé quatre semaines additionnelles en décembre 1998. Ces quatre semaines ne sont toutefois pas actuellement en litige.

[11]          Lors de son témoignage, monsieur Martin Bouchard a expliqué qu'en 1996, l'emploi de l'appelante ne s'est terminé qu'en décembre, à cause du décès de son père en juillet de la même année et de ses absences fréquentes pour régler la succession et voir au transfert de l'entreprise appartenant à sa mère et exploitée depuis juillet en location par la société qu'il avait lui-même constituée un an plus tôt.

[12]          En 1997, c'est l'arrivée de deux nouveaux concurrents qui l'aurait incité à ne pas engager l'appelante en juin comme il l'avait fait l'année précédente. Monsieur Bouchard affirme qu'au cours de l'été, il s'est occupé lui-même de la vente des pièces et de la tenue de livres en plus de faire la mécanique. Même s'il affirme n'avoir pas eu moins de clients au cours de l'été 1997, monsieur Bouchard affirme qu'il y a eu diminution des profits, vu la nécessité de s'ajuster face à la concurrence. Ainsi, selon son témoignage, il a lui-même travaillé beaucoup plus au cours de l'été 1997, puisqu'il cumulait en quelque sorte ses tâches comme mécanicien et celles de commis aux pièces, bien qu'un autre mécanicien présent au cours de cette période pouvait l'aider en ce qui concerne la vente des pièces. L'appelante aurait toutefois été engagée de septembre à décembre principalement dans le but de faire de la sollicitation par téléphone en offrant un service de mise au point des souffleuses à neige en prévision de l'hiver. Selon monsieur Bouchard, l'hiver précédent avait été exceptionnel et il s'agissait de contacter les clients facturés au cours des années antérieures pour leur offrir ce service.

[13]          En 1998, l'appelante a travaillé durant la saison estivale normale, plus quatre semaines en décembre. Comme je l'ai signalé plus tôt, ces quatre semaines ne sont pas en litige.

[14]          Monsieur Martin Bouchard a expliqué que l'achalandage était plus important l'été bien que les travaux de mécanique effectués étaient moins importants au cours de la période estivale puisqu'il s'agissait de réparations mineures à des petits moteurs. Selon lui, l'hiver, les travaux de réparations et d'entretien des souffleuses à neige sont plus importants.

[15]          Tant l'appelante que monsieur Bouchard ont affirmé que lorsque celle-ci n'était pas employée par le payeur, elle se contentait de compléter ce qui est désigné comme étant le " livre des ventes ", c'est-à-dire la transcription des ventes aux fins du calcul des taxes, TPS et TVQ, à partir des livrets de factures. Cette activité n'aurait requis que de quatre à cinq heures par mois environ. Pour le reste, durant ses périodes de chômage, l'appelante n'aurait été présente dans les locaux du commerce qu'occasionnellement sans rendre de services au payeur. Elle se contentait alors de faire la conversation avec les clients.

[16]          Dans son témoignage, monsieur Bouchard a également mentionné qu'à chaque année il avait bénéficié d'un stagiaire de la fin de septembre ou du début d'octobre et ce, jusqu'à la fin de l'année scolaire, à raison de 30 à 40 heures par semaine. Il s'agissait de stages, en milieu de travail, non rémunérés pour des jeunes ne manifestant pas beaucoup d'intérêt pour les études. Selon monsieur Bouchard, la présence d'un stagiaire, qui pouvait effectuer certaines réparations sous son contrôle et selon ses instructions, lui laissait plus de temps pour répondre à la clientèle, de sorte qu'il pouvait lui-même accomplir les tâches de l'appelante durant la période qu'il qualifie de " moins achalandée " et qui s'étend principalement de janvier à mai de chaque année.

[17]          Monsieur Bouchard affirme qu'au cours des dernières années alors que son père administrait le commerce, celui-ci était habituellement fermé de la fin de janvier au début de juin. Il dit avoir ainsi reçu des prestations d'assurance-chômage durant plusieurs années.

[18]          Pour l'année 1996, le livre des salaires (pièce A-2) débute en juin. On y remarque qu'un mécanicien, Réjean Gagnon, est engagé pour tout le reste de l'année alors qu'un apprenti mécanicien, Stéphane Thibault, est engagé de juin à la fin d'octobre seulement.

[19]          En 1997, le mécanicien Réjean Gagnon est engagé toute l'année alors qu'un aide mécanicien, Michäel St-Pierre, n'est engagé qu'en juin, juillet et août.

[20]          En 1998, le mécanicien Réjean Gagnon est engagé à compter de la fin du mois de mai jusqu'à la fin de l'année. Michäel St-Pierre, l'aide mécanicien, n'est engagé que pour une semaine en novembre et trois semaines en décembre.

[21]          Enfin, en 1999, Réjean Gagnon n'est engagé que pour cinq semaines en janvier et février alors que Michäel St-Pierre est engagé pour quatre semaines en janvier, puis du mois de mai à la fin de décembre. Il poursuivra son travail en janvier jusqu'au début de mars 2000 pour le reprendre ensuite au début de mai et le poursuivre à tout le moins jusqu'à la date d'audition de la présente cause.

[22]          En contre-interrogatoire, monsieur Bouchard a admis avoir eu une conversation avec madame Dyane Fortin, agent des appels, pour l'application de la Loi sur l'assurance-emploi, et avoir répondu à ses questions. Toutefois, il dit n'avoir pas mentionné la question du temps requis pour régler la succession de son père comme motif l'ayant incité à engager l'appelante jusqu'en décembre 1996. Il n'a pas non plus abordé la question de l'aide apportée par des stagiaires pendant les années en litige pour expliquer que la présence de l'appelante n'était pas nécessaire au cours de certaines périodes.

[23]          Madame Fortin a témoigné sur la vérification effectuée en rapport avec le travail de l'appelante. Son rapport CPT-110 ainsi que l'ensemble des documents consultés ont été soumis en preuve (pièce I-1). Aux fins de sa vérification, madame Fortin a communiqué par téléphone avec l'appelante et monsieur Martin Bouchard, ceux-ci en présence de madame Lyne Poirier, la représentante de l'appelante. Elle a également communiqué avec un autre employé du payeur, monsieur Michäel St-Pierre.

[24]          Dans son rapport, madame Fortin a noté que selon les renseignements obtenus de la Direction des ressources humaines, l'appelante avait travaillé 556 et 722 heures en 1997 et 1998 respectivement, alors que 420 heures étaient requises pour être admissibles aux prestations d'assurance-emploi à l'égard de ces années.

[25]          Examinant ensuite les circonstances entourant l'emploi de l'appelante, madame Fortin a conclu que le travail de l'appelante avait été effectué en vertu d'un véritable contrat de louage de services. Toutefois, le payeur et l'appelante, étant des personnes liées, elle a conclu à la lumière des critères énumérés à l'alinéa 5(2)i) de la Loi, que les conditions d'emploi de l'appelante n'auraient pas été " pareilles ", n'eût été le lien de dépendance entre les parties.

[26]          Même si madame Fortin a considéré que le salaire de l'appelante à 7,00 $ l'heure était raisonnable, compte tenu des tâches accomplies et que les autres conditions, dont son horaire de travail semblaient normales et semblables à celles des autres employés, elle a noté certains éléments discordants aux fins de rendre sa décision que l'emploi était exclu des emplois assurables.

[27]          Ainsi, concernant la rétribution de l'appelante et la durée de l'emploi, elle a noté le fait que l'appelante avait, en dehors des périodes de travail, contribué à rendre des services au payeur à raison de quatre à cinq heures par mois sans être rémunérée. Ce fait est d'ailleurs admis par l'appelante.

[28]          De plus, l'appelante ayant été payée en argent pour les quatre premières semaines de travail en 1998, madame Fortin a évoqué la possibilité du non paiement d'un salaire pour ces semaines de travail. Par ailleurs, le paiement par chèque pour les autres semaines, ainsi que l'endossement du chèque par l'appelante et le dépôt dans le compte de son conjoint, qui lui remettait l'argent nécessaire à ses dépenses alors que le solde était conservé pour les besoins de la famille, a été jugé de façon très négative. En effet, dans son rapport à la page 6, madame Fortin a noté ce qui suit à cet égard :

" Son salaire était encaissé et partagé avec l'actionnaire du payeur et qui permet à ce dernier de se payer une rémunération moindre et profite directement au payeur ".

[29]          L'appelante est conjointe de fait de monsieur Bouchard et elle a deux enfants. Lors de son témoignage, monsieur Bouchard a expliqué qu'elle payait sa part des dépenses de la famille et que l'endossement des chèques par l'appelante et l'utilisation de son compte de banque était leur façon de procéder. Pour sa part, l'appelante a dit qu'elle ne conduisait pas une automobile et a affirmé ne pas avoir eu le temps de passer elle-même à la banque pour changer ses chèques.

[30]          Un autre aspect sur lequel madame Fortin a insisté dans son rapport est celui concernant les périodes d'emploi de l'appelante. À cet égard, malgré les explications fournies par monsieur Bouchard concernant le niveau des activités de l'entreprise au cours des années en litige, madame Fortin a conclu que " les périodes de rémunération de l'appelante ne sont pas représentatives en rapport des activités du payeur ". À cet effet, elle a examiné le nombre de transactions, ventes et réparations pour chaque mois des années 1997 et 1998 et a constaté qu'il y avait eu autant, sinon plus, de transactions au cours de certains mois pendant lesquels l'appelante n'était pas rémunérée.

[31]          De plus à l'alinéa h) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, il est mentionné que l'appelante a rendu des services sans rémunération au payeur d'avril 1996 à juin 1996.

[32]          Dans son témoignage, madame Fortin a affirmé n'avoir pas tenu compte de cet élément pour prendre sa décision vu qu'il ne s'agissait pas d'une période en litige. Elle dit avoir simplement pris connaissance d'un rapport antérieur dans lequel cette période de " bénévolat " avant la période de travail n'avait pas été jugée de façon défavorable puisque l'appelante était à ce moment-là sans expérience (pièce I-1, onglet L).

[33]          Lors de son témoignage, madame Fortin a aussi noté que lors de sa vérification, monsieur Martin Bouchard ne lui avait pas mentionné la présence de stagiaires durant certaines périodes à chaque année ni le fait qu'en 1997 l'appelante avait été engagée à compter de septembre pour faire de la sollicitation de clients par téléphone.

[34]          Par ailleurs, il y a lieu de noter que madame Fortin a aussi contacté un autre employé, monsieur Michaël St-Pierre, en date du 7 juillet 1999. Celui-ci lui aurait confirmé que l'appelante travaillait au cours des périodes achalandées et qu'elle ne travaillait pas à l'atelier durant ses périodes de chômage.

[35]          Commentant la nature et l'importance du travail de l'appelante, madame Fortin note ce qui suit à la page 6 de son rapport :

" Après ses périodes de rémunération, l'appelante est remplacée dans ses tâches et fonctions, par l'actionnaire, sans qu'il en coûte pour le payeur, de dépense supplémentaire. (l'actionnaire reçoit toujours le même salaire) ".

                Elle note ce qui suit au paragraphe suivant :

                " Bien     que les parties prétendent que l'appelante, ne rende des services au payeur que 4 ou 5 heures par mois, en dehors des périodes de rémunération, ce qu'il est invraisemblable de croire considérant les donnés (faits # J) à l'effet, qu'il a autant si non plus de transactions en dehors des périodes en litige et comme l'actionnaire mentionnait plus de travail pour lui en tant que mécanicien aux réparations de tondeuses alors que l'appelante commence à travailler seulement à la mi-septembre 1997.

Les périodes de rémunération de l'appelante ne sont pas représentatives en rapport des activités du payeur ".

                Madame Fortin conclu son analyse de la façon suivante :

                " Bien que nous reconnaissons qu'il y a eu des services rendus par l'appelante, nous sommes d'avis qu'il s'agissait davantage d'un partage de tâches et compétences de la part des conjoints afin d'assurer la rentabilité et bonne marche de l'entreprise.

À la lumière des faits recueillis et compte tenu des critères de l'alinéa 5(2)i) " de la Loi sur l'assurance-emploi, de pareilles conditions d'emploi n'auraient pas existées n'eût été le lien de dépendance qui unissent les parties. L'emploi est donc exclu des emplois assurables ".

[36]          La représentante de l'appelante estime que le ministre a conclu faussement et rapidement que l'emploi de l'appelante était exclu des emplois assurables sans faire d'analyse approfondie des éléments entourant le type d'entreprise exploitée et la clientèle qu'elle dessert. Elle affirme que les conditions d'emploi de l'appelante étaient les mêmes que celles des autres employés et que les quelques heures de travail par mois en dehors des périodes en litige pour compléter le livre des ventes n'est pas un élément suffisamment important pour exclure l'emploi des emplois assurables. Selon elle, la décision du ministre aurait été différente à la lumière des témoignages entendus.

[37]          Pour sa part, l'avocat de l'intimé estime que la décision rendue est raisonnable dans les circonstances malgré les faits nouveaux apportés par l'appelante et monsieur Martin Bouchard dans leur témoignage respectif. Selon lui, l'enquête menée par madame Fortin a été exhaustive. L'avocat de l'intimé note particulièrement le fait que l'appelante n'était pas rémunérée au cours de certaines périodes où le volume d'activité est tout aussi important qu'au cours de ses périodes de travail rémunéré.

[38]          Au départ, il importe de rappeler les limites d'un appel devant la Cour canadienne de l'impôt lorsqu'il y a exercice par le ministre d'un pouvoir discrétionnaire en matière d'assurance-emploi. Dans l'arrêt Ferme Émile Richard et Fils Inc. c. Ministre du Revenu national et al. [1995] 178 N.R. 361, la Cour d'appel fédérale exposait ces limites au regard de l'application du sous-alinéa 3(2)c)(ii) de la Loi sur l'assurance-chômage, la disposition équivalente à l'actuel alinéa 5(3)b) de la Loi sur l'assurance-emploi, dans les termes suivants au paragraphe 4 :

Ainsi que cette Cour l'a rappelé récemment dans Tignish Auto Parts Inc. c. Ministre du Revenu national, ((25 juillet 1994), A-555-93, C.A.F. inédit), l'appel devant la Cour canadienne de l'impôt, lorsqu'il s'agit de l'application du sous-alinéa 3(2)c)ii), n'est pas un appel au sens strict de ce mot et s'apparente plutôt à une demande de contrôle judiciaire. La cour, en d'autres termes, n'a pas à se demander si la décision du Ministre est la bonne; elle doit plutôt se demander si la décision du Ministre résulte d'un exercice approprié de son pouvoir discrétionnaire. Ce n'est que si la cour en arrive à la conclusion que le Ministre a fait un usage inapproprié de sa discrétion, que le débat devant elle se transforme en un appel "de novo" et que la cour est habilitée à décider si, compte tenu de toutes les circonstances, un contrat de travail à peu près semblable aurait été conclu entre l'employeur et l'employé s'ils n'avaient pas eu un lien de dépendance.

[39]          Dans l'affaire Canada (Procureur général) c. Jencan Ltd. [1998] 1 C.F. 187, la Cour d'appel fédérale, sous la plume du juge en chef Isaac, tel qu'il était alors, reprenait ces principes dans les termes suivants aux paragraphes 36 et 37 :

Ainsi, en limitant la première étape de l'analyse de la Cour de l'impôt à un contrôle de la légalité des décisions rendues par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii), notre Cour a simplement appliqué des principes judiciaires acceptés dans le but de trouver le juste milieu entre le droit que possède le prestataire en vertu de la loi de faire contrôler la décision du ministre et la nécessité de faire preuve de retenue judiciaire à l'égard de celle-ci, compte tenu du fait que le législateur fédéral a conféré un pouvoir discrétionnaire au ministre en vertu de cette disposition.

Compte tenu de ce qui précède, le juge suppléant de la Cour de l'impôt n'était justifié d'intervenir dans la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c(ii) que s'il était établi que le ministre avait exercé son pouvoir discrétionnaire d'une manière qui était contraire à la loi. Et, comme je l'ai déjà dit, l'obligation d'exercer un pouvoir discrétionnaire de façon judiciaire implique l'existence de motifs d'intervention spécifiques. La Cour de l'impôt est justifiée de modifier la décision rendue par le ministre en vertu du sous-alinéa 3(2)c)(ii) - en examinant le bien-fondé de cette dernière - lorsqu'il est établi, selon le cas, que le ministre : (i) a agi de mauvaise foi ou dans un but ou un mobile illicites; (ii) n'a pas tenu compte de toutes les circonstances pertinentes, comme l'exige expressément le sous-alinéa 3(2)c)(ii); (iii) a tenu compte d'un facteur non pertinent.

[40]          Est-il besoin de rappeler que c'est à un appelant ou à une appelante qu'incombe le fardeau de démontrer, selon la prépondérance des probabilités, que la décision prise par le ministre l'a été de façon contraire à la Loi.

[41]          Dans le cas présent, malgré le fait que l'appelante ait bénéficié de conditions de travail ne s'écartant généralement pas de celles consenties aux autres employés, deux éléments particuliers semblent avoir eu une influence considérable sur la décision de madame Fortin d'exclure l'emploi de l'appelante des emplois assurables. Il s'agit du partage de la rémunération de l'appelante avec son conjoint de fait, monsieur Martin Bouchard, et du travail de l'appelante pour le payeur en dehors de ses périodes de rémunération.

[42]          Sur le premier élément, il importe de rappeler que l'appelante est la conjointe de fait de monsieur Bouchard et qu'elle a deux enfants âgés aujourd'hui de 15 et 16 ans. Lors de son témoignage, monsieur Bouchard a expliqué que l'appelante payait sa part des dépenses de la famille et que l'endossement par l'appelante des chèques reçus du payeur et l'utilisation de son compte de banque à lui, constituaient une façon pratique de procéder. De plus, l'appelante a affirmé qu'elle ne conduisait pas une automobile et qu'elle n'avait pas le temps de passer à la banque après le travail pour changer ses chèques. Pour ma part, je ne vois aucun aspect négatif à cette pratique. L'important, il me semble, est qu'une personne soit réellement rémunérée pour son travail et non comment elle utilise sa rémunération. J'ajouterai qu'il n'est pas anormal non plus, au contraire, que deux personnes qui font vie commune partagent les responsabilités financières de la famille chacune à la mesure de ses moyens. Cela apparaît d'autant plus normal dans le cas présent lorsque l'on tient compte du fait que les deux enfants de l'appelante ne sont pas les enfants de monsieur Bouchard. Ainsi, à mon avis, attribuer une portée négative à cet aspect lors de la décision concernant l'assurabilité de l'emploi de l'appelante, c'est tenir compte d'un facteur non pertinent.

[43]          Le deuxième élément appelle plusieurs commentaires. D'abord à l'alinéa h) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel, on dit avoir tenu compte du fait que l'appelante avait rendu des services au payeur sans rémunération, d'avril à juin 1996. Premièrement, ce fait a été l'objet d'une analyse lors d'une décision antérieure et n'avait pas été retenu contre l'appelante puisqu'elle était alors en formation n'ayant aucune expérience dans le domaine. Après cette période initiale, elle avait d'ailleurs été payée normalement. Deuxièmement, si cette situation temporaire concernait une année antérieure et que madame Fortin a affirmé ne pas en avoir tenu compte, il n'en reste pas moins que dans la Réponse à l'avis d'appel, ce fait est mentionné comme ayant servi à fonder la décision.

[44]          Par ailleurs, les commentaires de madame Fortin concernant la nature et l'importance du travail de l'appelante reproduits au paragraphe [35], laissent perplexe puisqu'elle affirme " [qu'] après ses périodes de rémunération, l'appelante est remplacée dans ses tâches et fonctions par l'actionnaire sans qu'il en coûte pour le payeur de dépense supplémentaire ". Et, au paragraphe suivant, elle affirme qu'il est " invraisemblable " de croire que l'appelante ne rende des services au payeur que quatre ou cinq heures par mois en dehors des périodes de rémunération compte tenu du nombre de transactions au cours de ces périodes. Ou bien l'appelante était remplacée dans ses tâches et fonctions par monsieur Bouchard lorsqu'elle n'était pas rémunérée ou bien elle n'était pas ainsi remplacée et elle travaillait au cours de ces périodes. Bien que les deux propositions soient à tout le moins partiellement contradictoires, à l'alinéa o) du paragraphe 5 de la Réponse à l'avis d'appel on mentionne que " l'appelante rendait des services au payeur, sans rémunération en dehors des périodes en litige ". Cet alinéa a été admis pour ce qui concerne les quatre à cinq heures par mois que l'appelante consacrait à compléter le livre des ventes, rien de plus.

[46]          Ceci m'amène à traiter de la conclusion énoncée par madame Fortin dans son rapport et que je reproduis à nouveau pour fins de commodité :

                " Bien que nous reconnaissons qu'il y a eu des services rendus par l'appelante, nous sommes d'avis qu'il s'agissait davantage d'un partage de tâches et compétences de la part des conjoints afin d'assurer la rentabilité et bonne marche de l'entreprise.

À la lumière des faits recueillis et compte tenu des critères de l'alinéa 5(2)i) " de la Loi sur l'assurance-emploi, de pareilles conditions d'emploi n'auraient pas existées n'eût été le lien de dépendance qui unissent les parties. L'emploi est donc exclu des emplois assurables ".

[47]          Premièrement, conclure " qu'il s'agit davantage d'un partage de tâches et compétence de la part des conjoints afin d'assurer la rentabilité et bonne marche de l'entreprise " met en lumière la contradiction notée plus haut.

[48]          Deuxièmement, ce constat par lui-même n'est aucunement pertinent aux fins du sous-alinéa 5(3)b) de la Loi.

[49]          Troisièmement, la question à déterminer à l'examen de toutes les circonstances n'est pas celle de savoir si les conditions d'emploi auraient été " pareilles " mais bien s'il est raisonnable de conclure que les parties auraient conclu " un contrat de travail à peu près semblable " s'il n'y avait pas eu de lien de dépendance entre elles. On pourrait sans doute croire qu'il s'agit là d'une simple nuance. Soit. Il n'en demeure pas moins qu'elle existe et qu'on doit en tenir compte. En ce sens, j'estime que l'analyse n'a pas été faite en utilisant le critère tel qu'il est énoncé dans la Loi, ce qui équivaut, à mon avis, à tenir compte d'un élément non pertinent.

[50]          Sur les deux éléments retenus, j'estime que la Cour a la droit d'intervenir puisque la décision du ministre a été rendue d'une façon contraire à la Loi.

[51]          Quant au mérite de la question, le seul élément qui pourrait possiblement faire en sorte que les parties n'auraient pas conclu un contrat de travail à peu près semblable si elles n'avaient pas eu un lien de dépendance, concerne le travail non rémunéré en dehors des périodes en litige. Or, malgré le témoignage de madame Fortin et son analyse du nombre de transactions réalisées par le payeur au cours des différents mois de 1997 et 1998, je suis loin d'être convaincu que l'appelante a effectivement travaillé en dehors de ses périodes de rémunération plus que les quatre à cinq heures par mois qu'elle affirme avoir consacré pour compléter le livre des ventes. Son témoignage et celui de monsieur Martin Bouchard sont dans ce sens et les explications fournies à l'audition me paraissent crédibles. Il importe de souligner ici qu'un autre employé, n'ayant aucun lien avec le payeur, a également confirmé à madame Fortin, lors d'une conversation téléphonique le 7 juillet 1999, que l'appelante ne travaillait pas à l'atelier au cours de ses périodes de chômage. Or, aucun motif n'a été invoqué par madame Fortin dans son rapport pour ne pas retenir ce témoignage.

[52]          Compte tenu de la présence de stagiaires et des autres employés dont certains ne travaillaient pas non plus toute l'année en 1997 et 1998, j'estime qu'il est extrêmement difficile d'établir à partir du nombre de transactions du payeur, les périodes au cours desquelles les services de l'appelante auraient dû être requis. Dans les circonstances, un tel exercice de spéculation ne conduit qu'à des inférences assez vagues.

[53]          Quant aux quatre à cinq heures par mois consacrées par l'appelante à compléter le livre des ventes, et ce, sans être rémunérée, j'estime que ce seul élément n'est pas suffisant. Il faut tenir compte de l'ensemble des autres éléments dont la rémunération, les conditions de travail de l'appelante ainsi que la durée, la nature et l'importance du travail accompli, pour établir que l'appelante et le payeur n'auraient pas conclu entre eux un contrat de travail à peu près semblable s'ils n'avaient pas eu de lien de dépendance. Il est vrai qu'un étranger n'aurait peut-être pas consacré ces quelques heures au payeur sans être rémunéré. Toutefois, j'estime qu'il s'agit là d'un élément tout à fait mineur compte tenu de l'ensemble des circonstances et qui peut être toléré à la lumière de l'expression " un contrat de travail à peu près semblable ".

[54]          En conséquence de ce qui précède, l'appel est admis et la décision du ministre est modifiée en tenant pour acquis que l'appelante a exercé un emploi assurable au cours des périodes du 19 septembre 1997 au 18 décembre 1997 et du 10 juin 1998 au 9 octobre 1998.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'octobre 2000.

" P. R. Dussault "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :                        1999-3662(EI)

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                 SONIA DUCHESNE

                                                                                et le ministre du Revenu national

LIEU DE L'AUDIENCE :                                      Chicoutimi (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    le 16 août 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :                         l'honorable juge P.R. Dussault

DATE DU JUGEMENT :                                      24 octobre 2000

COMPARUTIONS :

Pour l'appelante :                                                  Lyne Poirier (représentante)

Pour l'intimée :                                                       Me Yanick Houle

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant :

                                Nom :                       --

                                Étude :                     --

Pour l'intimée :                                                       Morris Rosenberg

                                                                                Sous-procureur général du Canada

                                                                                Ottawa, Canada

1999-3662(EI)

ENTRE :

SONIA DUCHESNE,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 16 août 2000 à Chicoutimi (Québec) par

l'honorable juge P.R. Dussault

Comparutions

Représentante de l'appelante :              Lyne Poirier

Avocat de l'intimée :                            Me Yanick Houle

JUGEMENT

L'appel est admis selon les motifs du jugement ci-joints et la décision du ministre est modifiée en tenant pour acquis que l'appelante a exercé un emploi assurable au cours des périodes du 19 septembre 1997 au 18 décembre 1997 et du 10 juin 1998 au 9 octobre 1998.

Signé à Ottawa, Canada, ce 24e jour d'octobre 2000.

" P.R. Dussault "

J.C.C.I.


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