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Date: 20010510

Dossier: 2000-1341-IT-I

ENTRE :

MICHELINE SIGOUIN,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Prononcés oralement sur le banc le 9 mars 2001 à Montréal (Québec) et édités à Ottawa (Ontario) le 10 mai 2001)

La juge Lamarre Proulx, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'un appel selon la procédure informelle concernant les années d'imposition 1996 et 1997.

[2]            La question en litige est de savoir si, durant ces années, l'appelante vivait en union de fait avec monsieur Alain Déragon, le père de son fils Elliot.

[3]            Pour les années en litige, l'appelante a déclaré son état civil comme étant celui d'une personne vivant séparée. Pour les années 1996 et 1997, elle a réclamé le crédit d'impôt de l'équivalent de la personne mariée au montant de 914,60 $ (5 380 $ x 17%) à l'égard de son fils Elliot, et le crédit pour la taxe sur les produits et services (CTPS). Par avis de prestation fiscale, le ministre du Revenu national (le “ Ministre ”) détermina qu'il y avait eu des paiements en trop pour l'année de base 1996 et a établi un avis de nouvelle détermination pour l'année de base 1997.

[4]            Les faits dont le Ministre a tenu compte pour les nouvelles cotisations et avis ci-dessus mentionnés sont décrits au paragraphe 13 de la Réponse à l'avis d'appel comme suit :

a)              l'appelante et monsieur Alain Dégaron sont les parents d'un enfant, Elliot, né le 19 mars 1994;

b)             l'appelante et monsieur Alain Déragon ont indiqué, au titre d'état civil dans leurs déclarations de revenus respectives pour les années d'imposition 1996 et 1997, être des personnes séparées;

c)              suite à une vérification du Ministre, il a été établi que l'appelante et monsieur Alain Déragon ont habité à la même adresse jusqu'au 30 juin 1998;

d)             le Ministre considéra que l'appelante et monsieur Alain Déragon ont vécu en union de fait pendant les années d'imposition 1996 et 1997, ce qui entraîna les changements suivants :

i)               refus d'accorder à l'appelante le crédit d'impôt de l'équivalent de personne mariée, à l'égard de son fils Elliot, pour les années d'imposition 1996 et 1997,

ii)              pour l'année d'imposition 1997, la prise en compte du revenu net familial a fait en sorte que l'appelante n'est pas admissible aux versements du crédit pour la TPS :

                                                                                                                1997

                appelante                                                                                 33 661

                Alain Déragon                                                                        52 485

                                                                                                                86 146;

iii)             dans le calcul des prestations fiscales pour enfants, pour l'année de base 1996, la prise en compte du revenu net familial a fait passer la somme annuelle de la prestation fiscale pour enfants de 734,43 $ à 409,58 $ :

                                                                                                                    1996

                appelante                                                                                 39 824

                Alain Déragon                                                                        12 994

                                                                                                                 52 818

[5]            L'appelante et monsieur Déragon ont témoigné pour la partie appelante. Monsieur Déragon n'était pas présent à l'audience lors du témoignage de l'appelante. Leurs témoignages n'ont pas été différents.

[6]            L'appelante a produit une déclaration assermentée qu'elle avait signée le 8 juin 1999. En voici le texte :

PROVINCE DE QUÉBEC

Canada

AFFIDAVIT

Je, soussignée, Micheline Sigouin, adjointe-administrative, demeurant au numéro 37, du Blainvillier, Blainville, Québec, J7C 5B1, déclare que :

1.              J'ai vécu en union de faits avec Jacques-Alain Déragon à l'adresse ci-haut relatée, et ce, jusqu'au 1er juin 1996; date à laquelle ce dernier a encaissé son premier chèque de salaire de PageNet Canada Inc.

2.              L'union de faits battait de l'aile depuis mars 1995, il a été convenu d'un commun accord que la vie maritale prendrait fin dès que Jacques-Alain Déragon aurait un emploi rémunérateur.

3.              Jacques-Alain Déragon a connu de sérieux problèmes financiers à compter de mars 1995. Étant sans emploi jusqu'au 13 mai 1996, il a fait faillite en octobre 1996.

4.              Ayant fait faillite Jacques-Alain Déragon ne pouvait alors ni louer, ni emprunter quelque argent que ce soit pour se reloger.

5.              Suivant les conseils du syndic de la faillite, j'ai rédigé un bail de location afin que Jacques-Alain Déragon ne soit pas à la rue, sans meubles.

6.              Notre statut civil a changé à compter du 1er juin 1996, même si nous habitions à la même adresse, nous faisions chacun notre vie, nous étions deux célibataires communément appelés colocataires.

7.              Tous les faits mentionnés sont vrais et véridiques au meilleur de ma connaissance.

...

[7]            Les témoignages ont concordé avec cette description des faits. À la fin de l'année 1995, l'appelante et monsieur Déragon ont cessé de faire la vie commune de conjoints de fait. Monsieur Déragon étant sans grandes ressources financières, l'appelante a accepté qu'il demeure chez elle à titre de colocataire. Il payait à l'appelante un montant mensuel pour sa part des dépenses de la maison. Il a aménagé la salle familiale comme sa chambre à coucher et son bureau. Chacun se faisait sa propre cuisine. Chacun avait sa voiture. Chacun avait sa vie sociale et familiale ainsi que ses propres loisirs.

Conclusion

[8]            Il s'agit d'un appel où les dispositions législatives en cause, le crédit équivalent pour personne entièrement à charge, les crédits pour la taxe sur les produits et services et la prestation fiscale pour enfant, exigent, pour leur application, de tenir compte du revenu du conjoint.

[9]            L'alinéa 252(4)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la “ Loi ”) stipule que le terme conjoint comprend également le conjoint de fait :

a)              les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne du sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois ...

[10]          Le sens de conjoint inclut donc la personne du sexe opposé qui vit avec le contribuable en union conjugale durant une période de 12 mois. L’expression “ union conjugale ” n’est pas définie dans la Loi. J’ai déjà étudié cette notion dans l’affaire Milot c. Canada, [1995] A.C.I. no 412 :

11             ... Quand deux personnes peuvent-elles être considérées comme vivant en union conjugale? Cette notion a été souvent étudiée pour les fins de différentes lois statutaires. Au Québec, par exemple, cette notion a été étudiée pour l'application, notamment, de la Loi sur l'assurance automobile, L.R.Q.C. a-25, art. 2, al. 2, et de la Loi sur le régime de rentes du Québec, L.R.Q., c. R-9, art. 91. Voir Les personnes et les familles, Knoppers, Bernard et Shelton, Tome 2, Les éditions Adage, dont le premier chapitre est intitulé “ Les familles de fait ”. On y lit que la cohabitation est fondamentale à l'union de fait ainsi que le comportement conjugal. Ce comportement se constate par les relations sexuelles, l'échange affectif et intellectuel, le soutien financier et la notoriété.

[11]          Les critères de l'union conjugale sont normalement la cohabitation et le comportement conjugal. Ce comportement se constate par les relations sexuelles, l'échange affectif et intellectuel, le soutien financier et la notoriété.

[12]          À mon avis, il faut aussi prendre en compte dans les appels de cette nature que les dispositions, dont il est question dans ces appels, sont des dispositions d'assistance financière pour les personnes économiquement faibles ou de revenus modestes. La décision de cette Cour peut avoir des répercussions sur toute l'aide monétaire qu'une personne peut avoir reçue et, d'assistance, ces dispositions peuvent devenir extrêmement onéreuses pour cette personne à qui l'on exige le remboursement sur quelques années de cette aide. Pour rejeter l'appel, il me faut être bien convaincue que l'appelante vivait en union conjugale.

[13]          Dans le présent appel, il est à noter que l’appelante a demandé à son présumé conjoint de venir témoigner sur le mode de vie qu'il partageait avec elle au cours des années 1996 et 1997. Bien qu'il n'ait pas assisté au témoignage de l'appelante, son témoignage a confirmé celui de celle-ci.

[14]          Comme on l'a vu précédemment la cohabitation est un élément important dans la démonstration de l’union conjugale. Il n'est pas toutefois le seul élément. La notoriété est un autre élément important. Il s'agit du comportement public. Les personnes que l'on prétend être des conjoints de fait se présentaient-ils ainsi à leur famille et à leurs amis ou avaient-ils chacun leurs propres relations sociales et familiales.

[15]          Dans la présente affaire, en ce qui a trait à la cohabitation, la preuve a révélé une certaine forme d'habitation partagée, une cohabitation afférente à celle de deux personnes vivant des vies séparées sous un même toit. La preuve n'a pas révélé une cohabitation de conjoints. Les témoins ont affirmé qu'il n'y avait pas de relations sexuelles ni aucune autre forme d'échange affectif. Les seules conversations étaient les discussions d'usage concernant l'habitation et l'enfant. Le soutien financier : il y en avait un d'une certaine manière, mais comme l'aide que l'on peut apporter à une personne avec qui on a eu une relation importante d'affection et qui est le père de son enfant. Il ne s'agissait pas du même partage qu'entre époux. La notoriété ou le comportement public: chacune des deux personnes avait sa propre vie familiale et sociale. Chacun avait coupé les ponts avec les amis et la famille de l'autre. Je suis d'avis que les indicateurs pointent beaucoup plus vers des vies séparées que vers des vies en union conjugale.

[16]          Je conclus donc que l'appelante et monsieur Alain Déragon ont cessé de vivre en union conjugale à partir du 1er juin 1996, tel que déclaré par l'appelante.

[17]          En conséquence, l'appel est admis sans frais.

Signé à Ottawa, Canada, ce 10e jour de mai 2001.

“ Louise Lamarre Proulx ”

J.C.C.I.

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