Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010803

Dossier: 2001-795-IT-I

ENTRE :

DOREEN LONDON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Les appels en l'instance sont interjetés à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998. Au moyen de ces cotisations, le ministre du Revenu national a rejeté les pertes déclarées par l'appelante au motif que les pertes subies lors de la location d'une partie de sa résidence principale ne constituaient pas des pertes provenant d'une entreprise parce qu'elle n'avait pas d'attente raisonnable de profit.

[2]            L'appelante a acheté une maison située au 10, place Giffen, à Brampton, en Ontario, en 1989 pour 292 000 $. Elle a versé un acompte de 65 000 $ et consenti une hypothèque de cinq ans de 227 000 $ à un taux d'intérêt de 8,25 p. 100. En 1996, le solde d'ouverture était de 260 026 $ et, au 31 décembre 1998, il était de 242 821 $. L'augmentation du montant de l'hypothèque semble avoir découlé de l'ajout par la banque des intérêts courus et non payés au principal.

[3]            La maison était une résidence ordinaire de deux étages. Le sous-sol comportait deux chambres à coucher, un salon et une salle à manger, une cuisine et une salle de bains. Le premier étage était composé d'une cuisine, d'un salon, d'une salle familiale et d'un solarium et devait servir à des fins locatives. La salle à manger devait être utilisée à des fins personnelles, et la buanderie pouvait être utilisée par tout le monde dans la maison. Le deuxième étage était composé d'une salle de bain, d'une chambre à coucher avec une salle de bains communicante et de trois autres chambres à coucher.

[4]            L'appelante a déclaré qu'elle a acheté le bien en 1989 avec l'intention de le revendre à profit. Toutefois, en raison du déclin du marché de l'immobilier, elle n'a pu le faire et par conséquent elle l'a loué. Elle l'a considéré comme sa résidence personnelle tout au long de la période et l'a finalement vendu en 1999 à perte.

[5]            Pendant les années au cours desquelles elle possédait le bien, elle a déclaré le revenu, les dépenses et les pertes suivants :

ANNÉE LOYERS BRUTS    DÉPENSES    PERTES LOCATIVES

1989                                1 800 $                                5 207 $                                3 407 $

1990                                6 000 $                               24 095 $                               18 095 $

1991                                3 850 $                               22 258 $                               18 408 $

1992                                4 380 $                               27 492 $                               23 112 $

1993                               11 480 $                               22 802 $                               11 322 $

1994                               12 005 $                               22 737 $                               10 732 $

1995                                8 845 $                               22 518 $                               13 673 $

1996                                5 220 $                               22 458 $                               17 238 $

1997                                1 500 $                               20 101 $                               18 601 $

1998                                5 200 $                               17 255 $                               12 055 $

[6]            L'appelante a alloué 80 p. 100 de toutes les dépenses à l'activité de location. Les actes de procédure ne soulèvent pas la question du caractère raisonnable, mais, selon la preuve que j'ai entendue, j'aurais dû penser que ce pourcentage était élevé. Quoi qu'il en soit, le ministre n'a pas remis en question les déclarations avant 1996.

[7]            Une grande partie des dépenses a été consacrée aux intérêts hypothécaires. En 1996, en 1997 et en 1998, les intérêts étaient de 21 725 $, de 19 398 $ et de 12 939 $, respectivement.

[8]            L'appelante a déclaré qu'en 1998 un locataire du nom de Croasdan (ou quelque chose du genre, elle n'a pas été très claire) a occupé deux chambres à coucher et la chambre communicante du deuxième étage et qu'il est déménagé sans payer son loyer, mais elle a déclaré qu'elle a pu percevoir 8 000 $ auprès de lui en 1999 après son départ. Elle m'a montré un rajustement d'une formule T-1 pour 1998 qu'elle a préparé mais qu'elle n'a jamais présenté aux autorités fiscales et qui rajustait ses reçus de 8 000 $, de sorte que la perte pour 1998 n'aurait été que de 4 000 $.

[9]            L'avocat a suggéré que M. Croasdan était le produit de l'imagination de l'appelante, qu'il n'a jamais vraiment existé ni occupé les lieux et que le montant de 8 000 $ que l'appelante aurait perçu en 1999 ne constituait qu'une illusion pour que les résultats financiers de 1998 paraissent mieux qu'ils ne l'étaient en réalité.

[10]          Je suppose que cette hypothèse n'est pas impossible. Toutefois, je ne tire pas de conclusions défavorables relatives à la crédibilité d'un témoin sans preuve forte. Je suis prêt à accepter l'existence de ce mystérieux M. Croasdan, mais, comme il deviendra ultérieurement apparent dans les présents motifs, que je l'accepte ou non n'aura pas de différence dans le résultat final.

[11]          En septembre, en octobre et en novembre 1998, le fils de l'appelante Lucius a vécu dans une chambre du deuxième étage et a versé à l'appelante le montant de 550 $ par mois. De janvier à mai 1998, la conjointe de fait du fils de l'appelante Lucius, Lisa Bedley, a vécu dans la même chambre, mais elle est déménagée sans payer le loyer de 2 500 $ pour cinq mois. Elle y a également vécu de juin à décembre 1997, mais n'a payé que 1 500 $ de loyer sur le montant dû de 3 500 $. L'appelante a gardé les deux enfants de Lucius avec elle au sous-sol.

[12]          En 1998, elle a reçu un loyer de 3 550 $ d'un certain Delon Griffith.

[13]          L'avocat de l'intimée a appelé un certain M. Hall de l'ADRC qui a établi que les trois enfants de l'appelante, Lucius, Deborah et Carlisle, ont utilisé l'adresse du 10, place Giffen, Brampton, comme adresse postale pour leurs déclarations de revenus et que certains feuillets T-4 de leurs employeurs ont été envoyés à cette adresse. Il m'a demandé d'inférer de cela que les enfants vivaient tous au 10, place Giffen.

[14]          Une telle inférence n'est pas justifiée. De nos jours, les enfants déménagent fréquemment. La maison de leurs parents constitue la seule chose permanente. Le fait de l'utiliser comme adresse postale ne prouve pas qu'ils y vivaient.

[15]          L'avocat a également soutenu que l'appelante a donné entre 7 000 $ et 17 000 $ pendant chaque année en litige à son église et à d'autres oeuvres de bienfaisance. Il suggère qu'avec un revenu relativement faible, elle aurait dû utiliser cet argent pour rembourser son hypothèque.

[16]          Mme London m'est apparue comme une femme d'une extrême compassion et d'une grande générosité. Elle a permis à Lisa et à ses enfants de vivre chez elle gratuitement pendant de longues périodes. Elle a indiqué dans son témoignage, et je la crois, qu'elle se privait souvent de nourriture pour que d'autres puissent manger.

[17]          Ses dons à l'église constituent un aspect de cette prédisposition. Je ne vais certainement pas, dans le cadre d'un appel en matière d'impôt sur le revenu, tirer une inférence défavorable du fait que l'appelante, qui avait le choix entre Dieu, César, les prêteurs d'argent et Mammon, a suivi l'avertissement dans Matthieu 6:24 et a choisi Dieu.

[18]          Si admirable que puisse être Mme London, et elle l'est certainement, et si persuasif que puisse être M. Fitz-Andrews, et il l'était certainement, je ne crois pas qu'il puisse être raisonnable de dire que l'appelante exploitait une entreprise qui lui donnait le droit de déduire les pertes importantes qu'elle a subies pendant les années en litige.

[19]          Je déclare cela pour différentes raisons. D'abord, je ne crois pas que cela respecte le critère d'entreprise énoncé dans l'affaire Kaye c. La Reine, C.C.I., no 97-2772(IT)I, 9 avril 1998, aux pages 2 et 3 (98 DTC 1659), à la page 1660 :

                [4]            Je ne trouve pas particulièrement utile, dans les cas de ce genre, l'utilisation de l'expression rituelle, et je préfère formuler ainsi la question : " Y a-t-il une entreprise véritable? " C'est une question plus générale qui, je crois, revêt plus de sens et qui, du moins en ce qui me concerne, mène à une série de questions et de réponses plus concluantes. Il ne fait pas de doute qu'elle englobe la question du caractère raisonnable de l'attente de profit du contribuable, mais elle va aussi plus loin. Comment peut-on dire qu'un entrepreneur faisant le forage de puits d'exploration a une attente raisonnable de profit et qu'il exploite une entreprise quand on connaît le très faible taux de succès de ce genre d'entreprise? Pourtant, personne ne conteste le fait que les compagnies du genre exploitent une entreprise. C'est le caractère commercial de l'entreprise, révélé par sa structure, qui en fait une entreprise. L'intention subjective de faire de l'argent entre certes en ligne de compte, mais ce n'est pas le facteur déterminant, bien que l'absence d'une telle intention puisse nuire à l'assertion qu'une activité est une entreprise.

                [5]            On ne peut considérer le caractère raisonnable de l'attente de profit de façon isolée. Il faut se demander : " Est-ce qu'une personne raisonnable qui examine une activité en particulier et applique des normes courantes de gestion d'entreprise affirmerait qu'il s'agit bien d'une entreprise? " Pour répondre à la question, la personne raisonnable fictive examinerait entre autres choses la structure du capital, les connaissances du participant et le temps consacré à l'activité. Elle évaluerait également si la personne qui prétend exploiter une entreprise a procédé de façon ordonnée et méthodique, de la manière dont une personne en affaires procéderait normalement.

                [6]            Cela mène à une autre considération - soit la question du caractère raisonnable. L'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu traite en particulier du caractère raisonnable des dépenses, mais la notion n'est pas coulée dans le béton. L'article 67 s'applique dans le contexte d'une entreprise et suppose l'existence d'une entreprise. C'est également un des volets de la question visant à déterminer si une activité particulière est une entreprise. Par exemple, on ne peut dire, en l'absence de raisons contraignantes, qu'une personne dépenserait 1 000 000 $ si tout ce dont elle pouvait raisonnablement s'attendre de tirer est un revenu de 1 000 $.

[7]            En fin de compte, les choses se résument à évaluer, en faisant preuve de sens pratique, l'ensemble des facteurs, en accordant à chacun l'importance qui convient dans le contexte global. Bien entendu, on ne doit pas faire fi de la vision et de l'imagination de l'entrepreneur, mais ce sont là deux aspects qui sont difficiles à évaluer à prime abord. En d'autres termes, si vous voulez qu'on vous traite comme un homme d'affaires, agissez en homme d'affaires.

[20]          Ensuite, il y a un élément personnel très important en l'espèce. L'appelante a utilisé la maison comme sa résidence personnelle, et son fils ainsi que la conjointe de fait de ce dernier y ont vécu de temps à autre.

[21]          Troisièmement, la façon dont l'appelante s'occupait de l'activité de location ne ressemblait pas à une entreprise. Très peu de publicité a été effectuée, la comptabilité variait de rudimentaire à peu méthodique, des gens ont été autorisés à demeurer dans la maison sans payer de loyer, par exemple Lisa Bedley ou le mystérieux M. Croasdan, qui serait déménagé après un long séjour sans payer de loyer, mais auprès de qui l'appelante a apparemment pu percevoir le montant de 8 000 $. Si je n'avais pas accepté l'histoire, cela aurait donné un très mauvais éclairage à la cause de l'appelante. Toutefois, bien que j'aie accepté son histoire plutôt improbable, son comportement témoigne d'une nature généreuse, indulgente et confiante, mais non commerciale. L'existence d'une entreprise devrait être inférée d'éléments plus sérieux.

[22]          L'appelante n'a rien fait pour rembourser l'hypothèque. En effet, cette dernière a augmenté. Au bout du compte, quelqu'un doit tracer la ligne et dire " trop, c'est trop ". Dans l'affaire Donyina c. La Reine, dossier 2001-934(IT)I, j'ai résumé 12 principes que je considère utiles dans des affaires comme la présente espèce. Le douzième principe est le suivant :

12.            Les décisions quant à savoir quand lancer une entreprise et quand l'abandonner sont des décisions d'ordre commercial dans lesquelles ni les autorités fiscales ni le tribunal ne doivent intervenir (Nichol). Néanmoins, si des pertes continuent d'être subies année après année pendant une période excessive, il faut tôt ou tard appliquer le principe selon lequel " trop, c'est trop " et considérer que ce qui pourrait avoir été une entreprise viable s'est révélé avec le temps un cas désespéré et que la meilleure chose à faire de cette entreprise est d'y mettre fin convenablement. Il faut toutefois considérer avec beaucoup de respect la décision d'un homme d'affaires de maintenir une entreprise.

[23]          Enfin, j'en viens à l'assertion selon laquelle le bien constituait un bien de commerce acquis avec l'intention d'une revente le plus tôt possible, de sorte qu'il est devenu l'inventaire d'un projet comportant un risque de caractère commercial et selon laquelle toutes les dépenses devraient être déductibles actuellement ou en tout état de cause capitalisées et déduites au moment de la vente du bien.

[24]          J'ai examiné ce point dans l'affaire Donyina de la manière suivante :

10.            Si ce qui est manifestement un bien locatif a été acquis et détenu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial et qu'il était raisonnable de s'attendre à en tirer un profit à la revente, les pertes (soit les frais de possession engagés moins les loyers reçus) ne doivent pas être refusées selon le principe de l'attente raisonnable de profit (Roopchan). Le tribunal doit toutefois examiner avec soin une déclaration a posteriori selon laquelle un bien détenu à perte pendant un certain nombre d'années fait partie d'une opération spéculative motivée par une revente à profit. Ce n'est pas quelque chose que l'on s'attendrait qu'une personne admette facilement si le bien a été vendu à profit.

[25]          L'appelante a déclaré qu'elle a acheté le bien avec l'intention de le vendre à profit. Cela peut très bien être vrai. Je pense qu'un grand nombre de biens achetés à la fin des années 80 alors que le marché de l'immobilier de Toronto était en pleine croissance l'ont été dans l'espoir d'une revente à profit et d'une déclaration d'un gain en capital. S'il s'avérait qu'il s'agissait de la résidence principale, c'était tant mieux parce que le gain total était libre d'impôt. Lorsque le marché s'est effondré en 1989 et au début des années 90, ces mêmes biens ont fait l'objet d'une myriade d'affaires fondées sur l'attente raisonnable de profit qui ont inondé nos cours. Il faut être extrêmement sceptique devant un argument fondé sur un " projet comportant un risque de caractère commercial " qui fait surface après de nombreuses années de perte et uniquement après que les pertes du contribuable ont été rejetées.

[26]          Bref, en supposant que le bien a été acheté avec l'intention d'une revente à profit, sa qualité d'inventaire a été perdue avec le passage du temps. Cela est particulièrement vrai lorsque le bien est également la résidence principale du contribuable.

[27]          J'ai tenté de trouver des raisons qui justifieraient d'accorder à l'appelante une certaine mesure de redressement. Elle est une bonne personne et je sais que ses ressources sont limitées. Toutefois, les dépenses déclarées sont tellement disproportionnées par rapport à son revenu et se sont étalées pendant trop longtemps sans qu'on en voit la fin (à l'exception de la vente) qu'il n'existe pas de façon justifiable de formuler une conclusion en sa faveur.

[28]          Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'août 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 7e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-795(IT)I

ENTRE :

DOREEN LONDON,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 18 juillet 2001 à Toronto (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Représentant de l'appelante :                Kenneth Fitz-Andrews, C.A.

Avocat de l'intimée :                            Me Scott Simser

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998 soient rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'août 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 7e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.