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Date: 20010428

Dossiers: 2000-3677-EI,

2000-3678-CPP

ENTRE :

CKUA RADIO FOUNDATION,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifsdu jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            L'appelante, CKUA Radio Foundation (CKUA), a interjeté appel d'une décision du ministre du Revenu national (le " ministre ") datée du 5 mai 2000, dans laquelle il a déterminé, en application des dispositions de l'alinéa 5(1)a) de la Loi sur l'assurance-emploi (la " Loi "), que l'emploi que la travailleuse (Gail Burton) avait exercé à CKUA du 9 avril 1998 au 1er février 1999 constituait un emploi assurable, au motif qu'elle était employée aux termes d'un contrat de louage de services.

[2]            Par lettre datée du 5 mai 2000, le ministre a également avisé l'appelante qu'il avait déterminé que l'emploi qu'avait occupé Gail Burton pendant la période précitée ouvrait droit à pension aux termes des dispositions de l'alinéa 6(1)a) du Régime de pensions du Canada (le " Régime "). L'appelante a interjeté appel de cette décision - dossier 2000-3678(CPP) - et les avocats des parties ont convenu que l'issue de l'appel en instance s'appliquerait à cet autre appel.

[3]            Lors de son témoignage, Wanda Bornn a déclaré qu'elle demeurait à Edmonton (Alberta) et qu'elle était présidente de Bornn Marketing Ltd. (BML). Elle a déclaré que, en mai 1998, sa société avait passé avec l'appelante un contrat qui prévoyait qu'elle offrirait ses services personnels pour exercer les fonctions de directrice des ventes. Avant cela, Mme Bornn avait été directrice commerciale d'une entreprise nationale de crème glacée et avait aussi travaillé dans le domaine hôtelier, plus particulièrement en ce qui concerne le tenue de congrès. En vertu du contrat passé entre BML et CKUA, elle devait aussi gérer et former des représentants commerciaux et faire rapport au conseil d'administration. Mme Bornn a établi la carte des tarifs d'antenne - document dans lequel sont fixés les frais à facturer aux annonceurs - puis a commencé à voir à tous les détails concernant la vente de publicité, y compris les réponses aux questions posées sur le site Web de CKUA ainsi que les autres façons de promouvoir la station. Tous les représentants commerciaux relevaient directement de Mme Bornn. Elle a expliqué que, dans le domaine de la vente de publicité - en l'occurrence de la publicité diffusée à la radio -, les gens sont habituellement payés uniquement à la commission, conformément à la devise bien connue de l'industrie selon laquelle " on se nourrit de ce qu'on attrape ". Comme les représentants commerciaux - également appelés chargés de compte - n'étaient payés que pour les ventes réalisées, ils pouvaient travailler à domicile, établir leur propre horaire de travail et utiliser leurs propres méthodes pour solliciter des clients en puissance et conclure des ventes. Ainsi, ils pouvaient proposer un devis à un annonceur le samedi et prendre leur lundi pour aller skier. Selon l'expérience que Mme Bornn avait de l'industrie de la vente - et dans ce cas en particulier -, les représentants commerciaux utilisaient leurs propres ordinateurs, logiciels et équipement de bureau; un logiciel était aussi mis à leur disposition pour qu'ils puissent, au besoin, accéder à la base de données de CKUA. Tous les représentants commerciaux avaient conclu un contrat écrit avec l'appelante, mais aucun n'était tenu de consacrer ses efforts exclusivement à CKUA, si bien qu'ils pouvaient travailler pour d'autres personnes ou entités. Mme Bornn a cité l'exemple d'un certain Barry Holliday, de Calgary, qui avait travaillé comme chargé de compte pour CKUA, mais qui faisait aussi de la vente de publicité pour une maison d'édition qui ciblait un marché dont les caractéristiques démographiques étaient similaires à celles du marché de l'appelante. Mme Bornn a déclaré qu'il était même possible à M. Holliday de vendre de la publicité sur une station de radio qui était en concurrence directe avec CKUA. Mme Bornn a expliqué que, selon la procédure suivie par le service des ventes, un représentant commercial devait transmettre une commande de publicité — appelée commande de trafic radio — à l'appelante. La commission payée sur les ventes de publicité était de 20 % pour une vente normale, mais un représentant commercial pouvait, dans certaines circonstances, offrir une " semaine en prime " à un annonceur, auquel cas l'appelante ne payait aucune commission sur la valeur normalement attribuée à cette période supplémentaire. Mme Bornn a déclaré que, selon les paramètres habituellement utilisés pour offrir du temps d'antenne publicitaire supplémentaire, le commanditaire devait avoir convenu d'acheter 13 semaines de publicité. Mme Bornn a déclaré connaître dans le détail les relations de travail entre Gail Burton et l'appelante et a affirmé que, à son avis, les méthodes habituellement employées par les autres représentants commerciaux pour faire de la vente de publicité s'appliquaient aussi à Mme Burton. Des copies de divers bons de commande et de commandes de trafic radio ont été produites sous la cote A-1; l'une d'elles illustrait une situation dans laquelle l'annonceur — Calgary Co-op — avait payé d'avance 17 000 $ pour de la publicité et s'était vu offrir une semaine gratuite par trimestre payé d'avance selon le mode de radiodiffusion convenu. Dans l'enregistrement de cette transaction, la mention " N/C " était apposée pour indiquer qu'aucune commission ne serait payée au représentant commercial à l'égard de ces semaines de prime. Mme Bornn a fait remarquer que cet annonceur particulier était situé dans le territoire de vente de Gail Burton. Comme, à cette époque, elle était relativement nouvelle dans cet emploi, Mme Bornn s'est entretenue avec Mme Burton au sujet de la création d'un programme appelé " Community Calendar ", qui était conçu pour servir de support aux messages publicitaires des annonceurs. En une occasion, relativement à de la publicité achetée par Canada House, Mme Burton a usé de son pouvoir discrétionnaire pour accorder quelques messages en prime, dans le cadre d'une activité de financement. Mme Bornn a déclaré que les territoires de vente étaient répartis de manière à ce que, grâce à la définition des règles et des frontières, la concurrence soit limitée et les marchés cibles relativement homogènes. Ainsi, il n'y a eu que quatre territoires de vente — avec un mélange de milieu urbain et de milieu rural - de créés dans toute la province de l'Alberta. Mme Bornn a indiqué qu'elle exerçait davantage de contrôle sur les travailleurs faisant de la vente de publicité qu'elle n'avait été en mesure de le faire dans le domaine de la crème glacée, où elle a découvert que les entrepreneurs étaient à ce point autonomes qu'elle ne pouvait leur enseigner la manière la plus efficiente et la plus rentable de livrer le produit. En fait, il arrivait que, lorsqu'il faisait exceptionnellement chaud et que la demande aurait dû être au plus haut, certains d'entre eux choisissaient de prendre congé. Même dans ses relations avec les représentants commerciaux de CKUA, Mme Bornn a déclaré qu'elle pouvait indiquer un client potentiel à Mme Burton, mais qu'elle ne pouvait pas lui ordonner d'appeler un annonceur potentiel à une heure et une date données — ce qu'elle ne faisait d'ailleurs pas. La ville de Calgary était divisée en deux territoires de vente en fonction de facteurs géographiques, du volume des ventes et de l'emplacement des clients existants. Mme Bornn a déclaré que, pour prendre sa décision, elle s'est fondée sur les statistiques et d'autres renseignements obtenus de la chambre de commerce de Calgary. La division du territoire permettait à Mme Burton — une chef de famille monoparentale dans l'est de Calgary — de se rendre à Medicine Hat ou à Lethbridge et de pouvoir revenir chez elle le soir même. Mme Bornn a fait allusion au contrat (pièce A-2) passé entre CKUA et Mme Burton le 9 avril 1998. Les parties avaient ensuite signé un autre contrat (pièce A-3), daté du 15 juin 1998, qui devait remplacer la précédente entente et qui fut lui-même modifié (pièce A-4) en date du 1er septembre 1998. Il a été mis fin à la relation de travail entre Mme Burton et l'appelante par une lettre (pièce A-5) datée du 1er février 1999 que Mme Bornn, en sa qualité de directrice principale des comptes de CKUA, a envoyé à Mme Burton pour lui signifier que ses services n'étaient plus requis, aux motifs invoqués dans ladite lettre. Se reportant au contrat (pièce A-3), Mme Bornn a expliqué qu'on y avait apporté un changement au territoire de vente de Mme Burton et qu'il contenait une clause se rapportant à la commission gagnée dans le cas où l'annonceur avait échangé un produit contre de la publicité radiodiffusée, où le montant correspondant de la taxe sur les produits et services (TPS) avait été versé et où les recettes avait été enregistrées de la manière habituelle. Mme Bornn a mentionné plus précisément le paragraphe 4 dudit contrat, dans lequel il était clairement indiqué que CKUA n'avait aucune obligation d'offrir des avantages sociaux ou de faciliter les retenues obligatoires par ailleurs au titre, par exemple, de l'impôt sur le revenu, de l'assurance-emploi ou du Régime de pensions du Canada. Si aucun régime d'avantages sociaux n'était offert à Mme Burton ou aux autres représentants commerciaux, les employés de CKUA avaient le droit de participer à divers régimes de ce genre. Le revenu gagné par Mme Burton en vertu du contrat passé avec l'appelante se composait uniquement de commissions sur les ventes. Le contrat ne fixait pas d'horaire de travail, et aucun objectif de ventes particulier, exprimé en dollars, n'était fixé, que ce soit dans le contrat ou verbalement. Les dépenses engagées par Mme Burton ou les autres chargés de compte leur étaient remboursées par CKUA uniquement s'ils devaient se déplacer à l'extérieur de leur territoire de vente désigné; Mme Burton a aussi été défrayée du coût d'un déjeuner au niveau municipal, car le directeur général (DG) de CKUA, n'étant pas disponible, lui avait demandé d'y assister en son nom afin de représenter CKUA. Tous les autres frais engagés pour réaliser des ventes — qu'il s'agisse de frais d'automobile, de matériel de bureau ou de téléphone ou des autres dépenses habituelles — étaient à la charge de chaque représentant commercial, mais CKUA payait les droits d'adhésion de Mme Burton à la chambre de commerce de Calgary. Le représentant commercial qui voulait démarcher une entreprise située à l'extérieur de son territoire désigné devait obtenir l'autorisation préalable de Mme Bornn. Le représentant commercial avait la possibilité d'engager un adjoint à ses frais. Mme Burton pouvait offrir certains rabais à des clients, mais Mme Bornn avait un droit de veto sur toute proposition en ce sens, car tous les bons de commande et commandes de trafic audio transitaient par son bureau. La direction de CKUA n'avait aucune idée de l'identité des annonceurs tant que les commandes n'étaient pas présentées — par Mme Bornn — au service de CKUA chargé de créer le message publicitaire qui serait diffusé sur les ondes. Les représentants commerciaux devaient tenir Mme Bornn au courant de leurs activités, de préférence chaque semaine, mais au moins toutes les deux semaines. Toutes les ventes étaient rémunérées à la commission, la moitié étant versée à la signature du contrat avec l'annonceur et le reste étant payé au représentant commercial après le règlement intégral de la facture par le client. Lorsque le client ne payait pas, le versement initial - soit 50 % de la commission totale - devait être remboursé par le représentant commercial qui avait sollicité le contrat. Les paiements aux représentants commerciaux étaient faits par l'appelante avant le dix du mois suivant la période sur laquelle les commissions étaient calculées. Mme Bornn a déclaré qu'il n'y avait pas de période probatoire dans les contrats avec des représentants commerciaux, car le contrat prévoyait un préavis écrit de deux semaines pour que l'une ou l'autre des parties puisse y mettre fin. Mme Bornn a fait mention de la lettre de résiliation (pièce A-5) qu'elle avait envoyée à Gail Burton le 1er février 1999. Mme Bornn a déclaré que Mme Burton n'avait réalisé aucune vente depuis plusieurs mois et qu'elle en était venue à s'inquiéter de sa stagnation. Mme Burton était arrivée à CKUA sans expérience générale de la vente et avait eu besoin de plus de formation, puis d'aide, de façon continue, que les autres personnes effectuant de la vente de publicité pour l'appelante. Mme Bornn a déclaré qu'elle avait l'habitude de s'entretenir avec Mme Burton trois ou quatre fois par semaine, par téléphone, et de communiquer avec elle par courriel. Mme Bornn a mentionné une lettre (pièce A-6), datée du 28 septembre 1998, que Mme Burton lui avait envoyée pour l'informer que la liste d'acheteurs potentiels qu'elle avait établie sur son ordinateur à la maison ne pouvait être convertie dans le logiciel utilisé au bureau de CKUA, à Calgary. Le 23 juillet 1998, Mme Bornn a rédigé une lettre (pièce A-7) confirmant que Mme Burton travaillait à contrat à CKUA en qualité de chargée de compte, à l'appui de la demande de prêt que Mme Burton avait faite pour acheter une voiture. Mme Burton a indiqué qu'elle avait reçu un coup de téléphone de M. Williams, employé de l'Agence des douanes et du revenu du Canada (ADRC), et que celui-ci, pendant une longue conversation, lui avait posé diverses questions sur le contrat qui la liait à l'appelante et sur d'autres détails concernant sa rémunération. Mme Bornn a mentionné une lettre (pièce A-8), datée du 23 octobre 1998, qu'elle avait envoyée à Mme Burton et à deux autres représentants commerciaux pour exposer les détails de certains comptes clients se rapportant à des contrats de publicité. Les représentants commerciaux étaient parties au processus de perception, car ils ne recevaient leur commission que lorsque le client avait réglé la facture de publicité à CKUA. Mme Burton a envoyé une lettre (pièce A-9), en date du 6 novembre 1998, à Mme Bornn au sujet de ses commissions; à cette époque-là, les commissions n'étaient versées aux représentants commerciaux que lorsque le montant de la vente était comptabilisé par CKUA à titre de revenu gagné, même s'il avait été entièrement payé d'avance.

[4]            L'avocat de l'intimé a présenté un recueil de pièces (pièce R-1), dont les onglets sont numérotés de 1 à 21; lorsqu'on mentionnera un onglet particulier, il s'agira d'un onglet de ce recueil.

[5]            Contre-interrogée par l'avocat de l'intimé, Wanda Bornn a déclaré que Mme Burton avait conclu peu de ventes de novembre 1997 à janvier 1998, mais qu'il y avait déjà eu un ralentissement les mois précédents. Habituellement, les mois de novembre et de décembre sont très chargés, et décembre est le mois où l'on facture le plus de ventes de publicité dans toute l'année. À la page 4 des documents se trouvant à l'onglet 21, Mme Bornn a montré un tableau de prévision des ventes qu'elle avait produit à partir des clients existants, mais les ventes n'ont été inscrites dans la colonne mensuelle appropriée que lorsque le paiement a été comptabilisé dans les recettes de CKUA, conformément aux méthodes comptables établies. Au début de chaque année, la direction de CKUA tenait une réunion durant laquelle elle indiquait à quel niveau se situaient les recettes nécessaires au fonctionnement de la station de radio pour l'année, mais on ne fixait pas d'objectifs individuels de vente aux chargés de compte. L'avocat a prié Mme Bornn de se reporter au paragraphe 3 du contrat — onglet 1 (un double de la pièce A-2) — dans lequel il est fait mention d'une prime calculée en fonction des ventes réalisées en sus des objectifs de vente " établis par la direction des ventes de CKUA ". L'avocat a invité Mme Bornn à se reporter à la pièce A-3, un contrat passé entre Mme Burton et CKUA en date du 15 juin 1998, et à l'addenda 2, qui renfermait une clause se rapportant au paiement d'une prime calculée selon les ventes réalisées au-delà de l'objectif de ventes annuel. Mme Bornn a déclaré qu'elle n'était devenue directrice commerciale qu'en mai 1998 et que ce n'est que plus tard qu'elle avait été mise au courant de cette disposition du contrat. L'avocat a également cité la pièce A-2, datée du 9 avril 1998; il s'agit du premier contrat signé entre Mme Bornn et CKUA, dans lequel il est stipulé à l'alinéa 2(a) que CKUA lui garantissait un salaire de base de 2 000 $ par mois, avec un barème de commissions dont certaines étaient des paiements d'honoraires pour s'occuper du suivi de contrats déjà signés avec divers annonceurs, grâce aux efforts déployés par d'autres employés ou représentants commerciaux de CKUA. Mme Bornn a convenu que cette garantie était bien là, mais elle a ajouté qu'on l'avait supprimée lorsque le nouveau contrat (pièce A-3) avait été passé entre Mme Burton et CKUA, le 15 juin 1998. Mme Bornn était actionnaire unique de BML, mais lorsqu'elle a écrit la lettre (onglet 6) du 17 novembre 1998 adressée à Mme Burton, elle l'a fait en qualité de directrice principale de clientèle de CKUA. Elle a déclaré que tous les représentants commerciaux étaient bien au courant du fait qu'elle offrait ses services par l'intermédiaire de son entreprise, tout en exerçant les fonctions de directrice des ventes ou de directrice principale de clientèle de l'appelante. La lettre du 23 novembre 1998 adressée à Mme Burton (onglet 7) a été envoyée par Mme Bornn en sa qualité de directrice principale de clientèle de la chaîne radiophonique CKUA. Mme Bornn a convenu qu'elle aurait pu embaucher des gens pour l'aider à assumer les fonctions de direction des ventes, mais que, en pratique, elle ne pouvait se permettre cette dépense, de sorte que, même si le contrat qu'elle avait passé avec CKUA ne l'y obligeait pas, elle avait fini par fournir ces services elle-même. Mme Bornn a reconnu une note de service (onglet 11) envoyée par Dian Boisvert, du service de comptabilité de CKUA, et traitant de certaines questions de politique. Mme Bornn a également reconnu une note de service (onglet 16) qu'elle avait envoyée à diverses personnes, dont les représentants commerciaux, concernant le retard au niveau des textes publicitaires; elle a admis que rien n'indiquait, dans cette note, qu'elle agissait par l'intermédiaire ou au nom de BML, sa société. De la même façon, la note de service (onglet 18) qu'elle a envoyée à trois chargés de compte, dont Mme Burton, portait sur une politique modifiée de CKUA en matière de publicité et, là encore, il n'était indiqué nulle part que cette note était envoyée par Mme Bornn dans le cadre de l'exploitation d'une activité commerciale de BML. Mme Bornn a déclaré qu'elle avait l'habitude d'envoyer ce genre de notes et de les signer à titre personnel. De plus, lorsqu'elle communiquait avec les annonceurs clients, elle se présentait comme la directrice des ventes de CKUA. Lorsqu'elle a écrit les lettres adressées à Mme Burton (onglets 6 et 9), elle a utilisé le papier à en-tête de CKUA et a signé de son nom d'une manière indiquant qu'elle faisait cette communication en qualité de directrice principale de la clientèle. Mme Bornn a expliqué que tous les représentants commerciaux utilisaient le papier à en-tête de CKUA lorsqu'ils écrivaient à leurs clients, puisque ce papier était mis à leur disposition à cette fin. La pratique normale consistait, pour un représentant commercial, à signer la lettre et à indiquer — par son titre au-dessous de la signature — qu'il agissait comme chargé de compte. L'avocat a montré à Mme Bornn la carte professionnelle de Mme Burton (pièce R-2), qui présente cette dernière comme chargée de compte de la chaîne radiophonique CKUA pour la région de Calgary. L'adresse indiquée sur cette carte était celle des locaux loués par l'appelante au Centre des arts de la scène (Centre for Performing Arts), où un studio et un autre local pouvaient servir de bureau aux annonceurs et aux représentants commerciaux, ou encore de lieu de rencontre, notamment avec des annonceurs potentiels. Sur la carte figuraient aussi un numéro sans frais ainsi que le numéro de télécopieur, le site Web et l'adresse électronique de l'appelante. Mme Bornn a déclaré que cette carte avait été conçue après qu'elle eut commencé à exercer les fonctions de directrice de ventes, mais qu'elle n'avait pas été consultée lors de la création de la carte. Les locaux réservés à CKUA au Centre des arts de la scène étaient dotés de chaises, de tables, d'une photocopieuse, d'un télécopieur, de divers téléphones et d'un ordinateur contenant une base de données, le tout à la disposition des représentants commerciaux. Le logiciel installé dans l'ordinateur, même s'il demeurait la propriété de CKUA, pouvait être installé par tout chargé de compte dans son ordinateur personnel s'il le désirait. Mme Burton se servait de l'ordinateur situé dans les locaux de CKUA pour effectuer son travail de vente, mais son contrat ne l'y a jamais obligée. L'adresse électronique était celle des bureaux de CKUA à Calgary, tandis que le numéro sans frais et le numéro de télécopieur mettaient le client en communication avec le siège social de l'appelante, à Edmonton. La lettre (onglet 6) a été considérée par Mme Bornn comme étant de nature " disciplinaire " et, même si quelques changements avaient été apportés à la structure territoriale et que les commissions avaient été réduites, Mme Bornn a commencé à craindre que Mme Burton ne travaille pas dans " l'esprit d'équipe " qui contribuait à l'attitude positive caractéristique de CKUA durant toutes ses années de radiodiffusion de qualité en Alberta. Mme Bornn a déclaré que l'intention n'était pas d'intégrer Mme Burton à l'effectif de CKUA, mais de l'amener à comprendre que, pour générer les recettes dont la station avait besoin, le personnel de vente devait travailler de concert. Lorsque Mme Bornn a envoyé à Mme Burton la lettre de résiliation datée du 1er février 1999 (onglet 9), le portefeuille de ventes de Mme Burton diminuait depuis un certain temps déjà. On a montré à Mme Bornn un document (pièce R-3) intitulé " objectifs personnels de vente "; elle a convenu que ce document avait été produit lors d'une réunion de vente, mais a déclaré que ce n'était rien de plus qu'une estimation des ventes qu'il était possible de réaliser. Mme Burton avait alors déjà atteint 62 % de son objectif, bien des mois avant novembre 1998. Dans le contrat original (pièce A-2), il y avait une disposition (au paragraphe 6) qui prévoyait le remboursement des dépenses de bureau et des " frais de déplacement professionnel raisonnables et approuvés sur réception des pièces justificatives appropriées ". Mme Bornn a admis qu'il en était ainsi, mais a souligné que, dans le contrat suivant (pièce A-3), toujours au paragraphe 6, il y avait une nouvelle disposition intitulée " Dépenses professionnelles ", qui précisait les dépenses à supporter par CKUA et celles qui devaient être exclusivement à la charge de Mme Burton, dans l'exercice de ses fonctions de chargée de compte. L'obligation de faire approuver par Mme Bornn une sollicitation faite par un chargé de compte dans le territoire attribué à un autre représentant était considérée comme nécessaire pour protéger la source de revenu de ce dernier. Dans le contrat daté du 15 juin 1998 (pièce A-3), à la clause b de l'addenda 1, annexe A, il était stipulé que Mme Burton devait " soumettre les projets de contrat à la directrice des ventes de CKUA afin qu'elle les approuve à la lumière des politiques et procédures établies de CKUA ". Mme Burton a acquiescé à l'insertion de cette clause dans le contrat, mais a déclaré que, d'un point de vue pratique, il n'était pas nécessaire d'adopter un processus d'approbation si strict. L'appelante avait toutefois mis en place des politiques et procédures - approuvées par le Conseil de la radiodiffusion et des télécommunications canadiennes (CRTC) - dans le cadre de l'obtention de sa licence. Le barème des frais de publicité était préparé par Mme Bornn. Un exemple (pièce R-4), composé de trois feuilles distinctes, exposait les divers tarifs. Mme Burton et les autres chargés de compte avaient une certaine marge de manoeuvre pour conclure une vente, en particulier lorsque le client était disposé à payer d'avance ou par carte de crédit, auquel cas une semaine pouvait lui être offerte en prime, ce qui réduisait au fond le prix global de la campagne de publicité. Habituellement, la prime correspondait à environ 3 % du coût total, mais elle pouvait, à l'occasion, atteindre 10 % de la valeur du contrat. Un changement a été apporté à la méthode de facturation et de calcul de la commission des chargés de compte, changement qui a fait l'objet d'une note de service datée du 12 novembre 1998 (onglet 4) et signée par Ken Davis, alors directeur général intérimaire de CKUA. Le taux de commission, initialement fixé à 20 % de la valeur du contrat de publicité, avait déjà été ramené à 17 %, et Mme Burton avait accepté une modification (onglet 8) de son contrat qui faisait passer son taux de commission de 10 % à 7 %, pour la publicité payée sous forme de troc, c'est-à-dire lorsque l'annonceur échangeait, en tout ou en partie, un produit ou un service contre des messages publicitaires. CKUA avait établi certaines politiques concernant la publicité, qui figurent à l'onglet 17. L'énoncé de politique, accompagné d'une note de service (onglet 18), a été envoyé par Mme Bornn aux représentants commerciaux. La note de service de l'onglet 19, rédigée par Mme Bornn, donnait des instructions aux représentants commerciaux sur les méthodes qu'ils devaient suivre pour accomplir les formalités administratives liées au travail de vente, afin de se conformer aux exigences de la TPS et de respecter les règlements imposés par le CRTC. La note de service produite à l'onglet 20 définissait les divers territoires, tandis que la documentation figurant à l'onglet 21 comprenait des chiffriers servant à calculer les commissions des chargés de compte ainsi que divers graphiques et diagrammes se rapportant à la vente de publicité. L'information était fournie dans une reliure à feuilles mobiles aux représentants commerciaux, qui recevaient de temps à autre d'autres documents à insérer dans la reliure. Le personnel de vente consignait aussi ses activités de la semaine et transmettait cette information à Mme Bornn, dans le cadre des rapports hebdomadaires, afin qu'elle puisse évaluer la progression des ventes. Si, au bout de deux semaines, Mme Bornn n'avait pas reçu l'information appropriée, elle téléphonait à la personne en cause et prenait les mesures nécessaires, au besoin en imposant une réprimande, pour obtenir cette information.

[6]            En contre-interrogatoire, Mme Bornn a déclaré que BML avait été constituée en société en janvier 1996 et que tous les représentants commerciaux recevaient leurs commissions sous forme de chèques de CKUA. Mme Bornn a expliqué que, après de longues années de radiodiffusion non commerciale, CKUA avait cessé ses émissions le 20 mars 1997. Toutefois, grâce à une intense campagne de sollicitation financière de ses fidèles auditeurs, la station avait repris ses émissions, cette fois sous la houlette d'une fondation sans but lucratif nouvellement établie, qui avait également été reconnue comme organisme de bienfaisance.

[7]            Barry Holliday a témoigné qu'il habitait Calgary et que, en tant que chargé de compte, il avait commencé à vendre de la publicité pour CKUA en septembre 1999. Il se rappelait avoir signé un contrat similaire à celui qui a été produit en preuve sous le numéro de pièce A-3. Avant d'être représentant commercial pour CKUA, il vendait de la publicité pour un éditeur de Calgary, et il a informé Wanda Bornn qu'il voulait conserver ses clients et maintenir cet arrangement même s'il était maintenant sur le point de vendre de la publicité pour CKUA. M. Holliday a expliqué qu'il était assujetti à une disposition de " récupération " qui s'appliquait si le client n'avait pas payé sa facture après une période de 90 à 120 jours. Comme 50 % de la commission sur la vente avait déjà été payée par CKUA, si le compte devenait une mauvaise créance, le montant déjà payé était récupéré par déduction sur les commissions qu'on lui devait à ce moment-là. M. Holliday travaillait presque exclusivement à son domicile, où il avait un bureau, et payait lui-même toutes les dépenses liées aux activités de sollicitation et de vente, y compris les frais d'utilisation de son véhicule, les dépenses en matériel informatique, en logiciel et en documents promotionnels ainsi que les frais de représentation. Il y avait une certaine flexibilité en ce qui concerne l'établissement des tarifs de publicité. Si un client était susceptible de devenir un annonceur fidèle, une réduction de 3 % à 10 % pouvait lui être accordée en vue de conclure la vente. M. Holliday a déclaré que le temps consacré à ces activités durant une journée de travail n'était pas pertinent, car il n'était rémunéré qu'à la commission, en fonction des ventes réalisées. Il était libre d'employer la méthode de son choix, et il démarchait les annonceurs potentiels de la manière qu'il jugeait appropriée, mettant à profit ses vingt années d'expérience dans le secteur de la publicité. À l'occasion, Mme Bornn lui donnait des pistes de clients éventuels et il traitait avec elle à titre de dirigeante de la société (BML), qui, à ce qu'il savait, avait passé un contrat avec CKUA pour exercer la fonction de direction des ventes. Le seul contact qu'il avait avec les représentants de CKUA se produisait lorsque le DG participait aux réunions du personnel de vente.

[8]            En contre-interrogatoire, M. Holliday a déclaré que son territoire de vente s'étendait de Red Deer à Calgary.

[9]            Lors de son témoignage, Ken Regan a déclaré qu'il habitait Edmonton et qu'il était DG de la chaîne radiophonique CKUA depuis le 1er février 1999, date à laquelle il avait pris la relève de Ken Davis à ce poste. Avant cela, il avait été journaliste de 1982 à 1994. Comme il était journaliste de formation et de profession - ayant travaillé à la fois dans les domaines de la presse écrite et de la radio - et avait notamment assumé les fonctions de réalisateur et de correspondant en chef, spécialisé dans les affaires de la législature, il n'avait acquis aucune expérience dans le domaine de la vente. CKUA avait quelque 25 à 28 employés à temps plein, quelques travailleurs à temps partiel, 10 réalisateurs ainsi que des chargés de compte qui fonctionnaient comme des entrepreneurs indépendants, de même que des bénévoles à la station. Avant l'entrée en fonction de Ken Regan au poste de DG, presque tous les employés et entrepreneurs relevaient directement du titulaire de ce poste. Lorsque la station a repris ses émissions, ce fut grâce à l'aide de milliers de personnes qui, dans la province de l'Alberta, ont mis gratuitement leur expertise dans nombre de domaines au service de la station. CKUA a été réorganisée de manière à fonctionner dans le cadre de la fondation qui avait été établie en 1995. Le CRTC avait accordé une autorisation restreinte de vendre de la publicité - une nouvelle activité -, puisque CKUA avait toujours été une station de radio non commerciale. M. Regan a déclaré que la direction de CKUA voulait confier en sous-traitance la vente de publicité, qui relèverait d'une personne exerçant les fonctions de directeur des ventes, car la station ne possédait pas les connaissances nécessaires pour les assumer. Ainsi, CKUA a conclu avec BML un contrat prévoyant que la société appartenant à Wanda Bornn s'occuperait de la vente de publicité. Le contrat avec BML était signé lorsque M. Regan a commencé à exercer les fonctions de DG et, dans le cadre d'une restructuration, il a clairement fait comprendre à tous les employés de CKUA et aux entrepreneurs indépendants qu'ils devaient faire rapport directement à leurs gestionnaires afin d'éliminer les dissensions internes qu'avait engendrées antérieurement une structure inefficace. Il n'avait jamais rencontré Gail Burton et n'a été mis au courant de façon précise de la situation de cette dernière que lorsque Mme Bornn était sur le point de relever Mme Burton de ses fonctions de chargée de compte, par la biais de la lettre qu'elle avait rédigée et qu'elle lui a montrée en lui expliquant les circonstances de cette cessation de travail. La réponse de M. Regan à Mme Bornn a été que, en sa qualité de directrice des ventes, il lui appartenait de prendre cette décision. Après qu'on eut mis fin à sa relation de travail, Mme Burton n'a jamais intenté d'action en justice contre CKUA. M. Regan a déclaré qu'il n'avait jamais considéré Mme Burton comme une employée de CKUA et qu'il savait que tous les autres représentants commerciaux s'étaient toujours comportés comme des prestataires de services agissant à titre d'entrepreneurs indépendants et qu'ils avaient tous signé des ententes à cet effet. En outre, CKUA n'avait jamais reçu d'avis contraire au sujet de ses ententes contractuelles. M. Regan a expliqué que le financement nécessaire à l'exploitation de CKUA provenait à 70 % des dons envoyés par les auditeurs et les autres personnes qui soutenaient la station, à 25 % de la vente de publicité et à 5 %, soit pour le reste, de la vente de services techniques. Au début, ceux et celles qui avaient été, pendant plusieurs décennies, de fidèles auditeurs de CKUA ont été horrifiés à l'idée que la station de radio qu'ils chérissaient prendrait un caractère commercial, même dans une mesure limitée, et il a fallu du temps pour que l'auditoire en vienne à accepter la nouvelle formule. Encore maintenant, l'objectif est de redonner à la station un caractère non commercial. Bien que CKUA eût élaboré une politique en matière de publicité, M. Regan ne donnait aucune directive aux représentants commerciaux. L'environnement à CKUA a été qualifié d'unique par M. Regan, en ce sens que la station est un amalgame de radiodiffusion publique, de radio communautaire et, dans une mesure limitée, de radiodiffusion à caractère commercial. M. Regan savait que nombre des contrats utilisés pour vendre de la publicité et certains des guides de vente avaient été tirés de diverses sources, provenant probablement de plusieurs stations commerciales. M. Regan a dit avoir rencontré Mme Burton, à la demande de cette dernière, lors d'un bref entretien à l'aéroport de Calgary, où elle lui a exposé sa version des faits ayant entouré son congédiement du poste de chargée de compte. Il a accepté de revoir la situation et l'a assurée que, si une injustice avait été commise, cette décision serait annulée. Pendant la réunion, aucune allusion au statut d'employée ou d'entrepreneur indépendant de Mme Burton n'a été faite, mais, ultérieurement, M. Regan a appris que Mme Burton avait de la difficulté à recevoir des prestations d'assurance-emploi. CKUA avait un régime d'avantages sociaux qui comprenait un régime limité de soins dentaires et l'assurance de la Croix bleue, mais les réalisateurs et les représentants commerciaux — qui avaient signé des contrats avec la station pour offrir leurs services — ne bénéficiaient pas de ce régime et n'ont jamais été considérés comme faisant partie du personnel permanent de la station. Les employés — autres que ceux exécutant des tâches de direction — sont membres d'un syndicat qui a signé une convention collective avec CKUA. M. Regan a déclaré que les tarifs de publicité avaient été fixés par Mme Bornn, qui fournissait aussi des prévisions de ventes au conseil d'administration dans le cadre de l'estimation des recettes nécessaires, et de leur source, pour l'année d'exploitation suivante. Si les prévisions de ventes n'étaient pas atteintes, cela engendrait un manque à gagner et, comme le budget global avait subi une réduction de près de 80 % entre le moment où la station de radio avait cessé de diffuser et le moment où elle avait repris ses émissions, sous les auspices de la fondation nouvellement créée, la situation financière était précaire et faisait l'objet d'une surveillance constante. La structure du mécanisme de vente de publicité était telle que Mme Burton et les autres chargés de compte relevaient directement de Mme Bornn, et M. Regan n'était pas mêlé au processus, si ce n'est pour prendre connaissance, de temps à autre, des données de ventes ou pour examiner au besoin certains détails d'un contrat de publicité. Les locaux de CKUA à Calgary n'étaient pas régulièrement dotés en personnel, et les nombreuses lignes téléphoniques qui y étaient installées permettaient de faire suivre les appels aux bureaux d'Edmonton ou aux numéros de téléphone personnels des représentants commerciaux. M. Regan a déclaré qu'il savait que Barry Holliday vendait de la publicité pour une autre entité et, à un moment donné, il a pensé que Mme Burton faisait aussi de la vente pour une autre entité que CKUA. Il savait qu'elle aurait pu s'adjoindre les services d'un assistant et qu'elle était libre de fixer ses propres heures de travail.

[10]          L'avocat de l'intimé n'a pas contre-interrogé le témoin.

[11]          Lors de son témoignage, Sharon Lynne Cross a déclaré qu'elle était responsable de la coordination technique des émissions à CKUA depuis novembre 1994. Son travail consiste à s'occuper des contrats de publicité de la clientèle et à les consigner à l'intention des annonceurs. Les rédacteurs publicitaires produisaient le texte et les réalisateurs créaient les annonces. Elle a rencontré Gail Burton à une occasion et savait qu'un chargé de compte pouvait offrir des semaines en prime à un client.

[12]          L'avocat de l'intimé n'a pas contre-interrogé le témoin.

[13]          Gail Burton a témoigné qu'elle vivait à Calgary et qu'elle avait commencé à travailler pour CKUA le 17 mars 1998, en qualité de chargée de compte. Elle était alors sans emploi et écoutait, à la maison, la station de radio à qui elle avait offert bénévolement ses services par le passé. Elle a entendu un message invitant les personnes intéressées à présenter leur candidature pour un poste dans le domaine de la vente et elle a envoyé une demande. Elle a ensuite reçu un appel téléphonique de Ken Davis, le DG, qui s'est rendu à Calgary pour lui faire passer une entrevue. M. Davis lui a demandé d'expliquer pourquoi elle pensait être apte à occuper le poste, et il lui a également fourni quelques détails sur la nature du poste de représentant commercial. Elle a compris que cela supposait un travail de prospection pour obtenir de nouveaux clients ainsi qu'un travail de suivi auprès de la clientèle existante. M. Davis lui a ultérieurement téléphoné pour lui offrir le poste, qu'elle a accepté. Le contrat écrit (pièce A-2) a été signé le 9 avril 1998, mais elle a commencé à travailler le 17 mars 1998, et la clause 8a du contrat fixait comme date d'entrée en fonctions le 16 mars 1998, à la suite de quoi l'entente prenait effet pour une période de trois mois. Le contrat suivant (pièce A-3) a été signé par Mme Burton le 15 juin 1998, mais il ne prévoyait plus de salaire garanti de 2 000 $ par mois et, en vertu de la clause 8b, devait s'appliquer pendant une nouvelle période de trois mois. Le premier contrat, selon l'addenda 3, couvrait toute la ville de Calgary et d'autres localités du centre et du sud de l'Alberta. Le document que Mme Burton a signé par la suite était la modification datée du 1er septembre 1998 (onglet 3), document dans lequel elle acceptait que les commissions payables par CKUA soient réduites et que le contrat soit prolongé jusqu'au 31 août 1999. Toutes les autres conditions du contrat existant devaient demeurer inchangées. Mme Burton a déclaré qu'un changement avait aussi été apporté à la politique de versement des commissions (onglet 4) et qu'on avait adopté une méthode différente de comptabilisation des recettes (onglet 5) qui modifiait les dates de paiement des commissions aux représentants commerciaux. On a procédé à une nouvelle révision de la structure de rémunération à la commission en rapport avec les ventes de publicité sous forme de troc; le paiement, de 10 % qu'il était, a été ramené à 7 %, ce à quoi Mme Burton a signifié son accord en signant, le 23 novembre 1998, la modification (onglet 8) dudit contrat. Mme Burton a déclaré qu'elle avait eu alors le sentiment qu'il n'y avait pas vraiment d'autre choix que d'accepter la réduction de la commission payable, car cela avait été présenté comme une politique de la direction de CKUA. Elle a également reçu de Mme Bornn une note de service (onglet 10) l'informant, ainsi que les autres chargés de compte, de ne pas accepter de prix ou de certificats en contrepartie de publicité, sauf s'il s'agit d'un ajout à un contrat existant. Mme Burton s'est souvenue d'avoir reçu de Mme Bornn la note de service datée du 8 janvier 1999 (onglet 11), qui avait été remise aux représentants commerciaux lors d'une réunion. Elle a déclaré qu'elle avait considéré ce document comme énonçant des instructions au sujet de diverses questions liées à la vente. Elle a également reçu d'autres communications écrites (onglets 16 à 20) à propos de diverses questions se rapportant au retard relatif à la rédaction de textes publicitaires créatifs, à la question de savoir si certaines entreprises conviennent comme annonceurs, à d'autres détails touchant la politique de la station en matière de publicité et à un avis selon lequel son territoire avait été divisé en deux régions. C'est ainsi que Carrie Roslinsky a déménagé d'Edmonton à Calgary et a commencé à s'occuper d'un secteur de la ville faisant partie du nouveau territoire. Mme Burton a déclaré qu'elle n'était pas d'accord avec cette modification du territoire de vente, en particulier du fait qu'elle avait ajouté des clients à ceux qui existaient lorsqu'elle avait commencé à exercer les fonctions de chargée de compte, et qu'elle s'opposait à ce que ces nouveaux annonceurs fassent partie de la liste confiée à Mme Roslinsky. Mme Burton a déclaré que les renseignements utiles concernant ses clients existants et potentiels se trouvaient dans la base de données accessible au moyen de l'ordinateur situé dans les locaux de CKUA, au centre-ville de Calgary, et qu'elle ne s'était jamais donné la peine d'enregistrer cette information dans son ordinateur, à la maison. Mme Burton a déclaré que, pendant toute la durée de sa relation de travail avec CKUA, elle n'avait jamais eu vent d'un client qui aurait été mécontent de ses services et on ne l'avait jamais informée d'une plainte à son sujet. La feuille indiquant les objectifs personnels de vente (pièce R-3) avait été préparée à la suite d'une discussion de groupe et, si la somme de 250 000 $ — objectif qui lui était assigné — n'avait pas été expressément fixée, ce chiffre était considéré comme un objectif à atteindre pendant l'exercice; au moment de la réunion, elle avait déjà atteint 62 % de cet objectif. Sa rémunération était calculée en fonction des renseignements consignés dans les rapports qu'elle présentait régulièrement à Mme Bornn. Les cartes de tarifs étaient fournies par Mme Bornn, et les chargés de compte savaient qu'ils pouvaient offrir à un client un rabais de 3 % à 10 % à titre incitatif. Mme Burton a déclaré que, lorsqu'elle avait reçu la lettre datée du 17 novembre 1998 (onglet 6) de Mme Bornn, elle avait été outrée et qu'elle avait décidé de réagir par l'envoi d'une longue réponse (onglet 7), rédigée sur du papier à en-tête de CKUA, obtenu aux bureaux de Calgary. Elle utilisait ce même papier à en-tête pour écrire à ses clients. Lorsqu'elle a reçu la lettre de résiliation datée du 1er février 1999 (onglet 9), elle n'a pas été d'accord avec les motifs qui y étaient invoqués, mais elle a admis qu'elle n'avait pas fourni de rapports à Mme Bornn pour les mois de décembre 1998 et janvier 1999. Elle a également reconnu que son volume de ventes de publicité avait diminué pendant les trois ou quatre mois précédents, car elle n'avait pas bien prévu l'incidence du flot de commandes de publicité passées par les entreprises au mois de décembre en les ciblant au début de l'automne, alors qu'il restait encore de l'argent dans leurs budgets de publicité. Mme Burton a assisté aux réunions du personnel de vente tenues à Red Deer et à Banff et a été défrayée de tout déplacement fait à l'extérieur de son territoire de vente. Mme Bornn lui a permis de conserver un client de son ancien territoire, et Mme Burton a déclaré qu'elle savait qu'il lui fallait la permission préalable de Mme Bornn pour démarcher une entreprise située dans un autre territoire. La carte professionnelle (pièce R-2) avait été produite par CKUA; Mme Burton l'utilisait lorsqu'elle démarchait des annonceurs potentiels. Elle consacrait tout son temps de travail à CKUA et se rendait presque chaque jour dans les locaux du centre-ville pour y utiliser le matériel de bureau, les machines et l'ordinateur. Bien qu'elle n'ait pas alors prêté beaucoup d'attention à son statut, elle s'était toujours sentie comme une employée, même si elle avait signé avec CKUA divers contrats dans lesquels elle convenait de fournir ses services à titre d'entrepreneur indépendant. Les seules dépenses qu'elle engageait étaient les frais d'utilisation de sa voiture et de stationnement, et elle pouvait fixer elle-même ses heures de travail. Comme elle n'avait jamais été entrepreneur indépendant auparavant, le poste de chargée de compte à CKUA lui paraissait très semblable aux autres emplois qu'elle avait occupés à titre d'employée. Tout le temps qu'elle a travaillé pour l'appelante, elle a toujours relevé directement de Mme Bornn.

[14]          Contre-interrogée par l'avocat de l'appelante, Gail Burton a déclaré qu'elle avait travaillé comme bénévole à CKUA et qu'elle savait, en raison des reportages, que la station éprouvait des difficultés, notamment financières, de sorte qu'elle avait donné de son temps pour animer des activités ou pour prêter son aide selon les besoins. Lorsqu'elle était devenue chargée de compte, il y avait un compte de publicité de Chevron, évalué à 50 000 $ par an, qu'elle avait repris de l'ancien représentant. Avant de devenir représentante commerciale pour CKUA, elle avait été salariée à la ville de Calgary, et une partie de son travail consistait à acheter de la publicité à la radio. Avant cela, elle avait aussi acquis une certaine expérience dans le domaine de la vente au détail. Le premier contrat (pièce A-2) n'a été signé que le 9 avril 1998. Elle n'a pas cherché à obtenir de conseils juridiques concernant la signature de l'un ou l'autre des contrats ou de leurs modifications, mais elle s'est quand même renseignée auprès de son ex-beau-frère, qui était avocat, sur l'incidence des changements apportés à la structure de rémunération à la commission. Elle était consciente que le paragraphe 4 des deux contrats (pièces A-2 et A-3) prévoyait qu'elle fournirait ses services à titre d'" entrepreneur indépendant " et elle avait compris qu'elle ne bénéficierait pas du régime d'avantages sociaux de la compagnie et que les retenues habituelles ne seraient pas faites sur ses chèques de paie. À aucun moment, durant sa relation de travail avec l'appelante, a-t-elle posé des questions sur le fait qu'aucune retenue n'était faite sur les commissions versées. Après que CKUA eut mis fin à sa relation de travail, elle a trouvé un emploi le mois suivant et a occupé, jusqu'en décembre 1999, un poste dans le domaine de la réalisation de publicités. Mme Burton a déclaré que, du fait de ce nouvel emploi, elle était admissible aux prestations d'assurance-emploi et, lorsqu'elle a rempli le formulaire approprié à l'appui de sa demande de prestations, elle a décrit son travail de chargée de compte pour CKUA comme entrant dans la catégorie des emplois autonomes. Un agent de l'ADRC a ensuite communiqué avec elle et lui a posé des questions sur sa situation de travail, ce qu'elle a trouvé un peu bizarre, car elle n'avait jamais eu l'intention d'inclure son travail à CKUA dans les heures assurables ouvrant droit à des prestations d'assurance-emploi. Quant à ses conditions de travail à CKUA, Mme Burton a déclaré qu'elle essayait chaque jour d'être de retour chez elle pour 15 heures et qu'elle était consciente du fait qu'elle aurait pu travailler à domicile, mais que " cela ne [lui] faisait rien de travailler au bureau ". Un autre représentant commercial travaillait fréquemment dans les bureaux du centre-ville, et Mme Burton préférait travailler à partir de cet endroit. Si elle devait s'absenter du travail pour un jour ou deux seulement, elle n'en n'informait pas Mme Bornn. Le revenu tiré de la vente de publicité pour CKUA, soit 24 443,79 $, a été son seul revenu pendant la période pertinente. Elle payait elle-même ses dépenses de voiture et frais de téléphone. Quant à la raison pour laquelle elle n'avait pas présenté de rapport à Mme Bornn en décembre 1998, elle a expliqué qu'il n'y avait rien d'important à signaler, car elle avait réalisé très peu de ventes. Mme Burton s'est ensuite rendue compte qu'elle avait mal fait sa planification de la période des Fêtes et a déclaré qu'elle s'en serait mieux sortie l'année suivante. À une occasion, un client avait manifesté l'intention de réduire ses dépenses publicitaires; Mme Burton avait communiqué avec Ken Davis, le DG, qui s'était alors rendu à Calgary pour discuter en personne du programme de publicité avec un cadre de cette entreprise. Un autre client hésitait à renouveler un contrat publicitaire et voulait rencontrer la directrice des ventes, Wanda Bornn. Mme Burton savait que Mme Bornn fournissait ses services à CKUA par l'intermédiaire de sa société, BML. Pour ce qui était d'accorder des rabais aux clients, Mme Burton sollicitait au début l'approbation de Mme Bornn. Mme Burton a déclaré qu'un établissement appelé " Blues Bar " avait fait faillite, laissant une facture en souffrance à CKUA pour de la publicité qu'elle avait vendue. Malgré ce défaut de paiement, Mme Burton a reçu l'intégralité de sa commission sur cette vente, et CKUA n'a jamais exigé d'elle la restitution d'une partie quelconque de la commission. Lorsqu'on a mis fin à son travail de représentante commerciale, Mme Burton n'a pas engagé de poursuite contre l'appelante, car elle est une fervente admiratrice de CKUA et de la détermination de cette station de diffuser des émissions de qualité.

[15]          Lors de son témoignage, James Willows a déclaré qu'il était agent de participation au RPC/A-E à l'ADRC. Lorsqu'il s'est occupé du dossier qui est devenu l'objet de l'appel en instance, il a parlé à Gail Burton, Dian Boisvert et Wanda Bornn. Il a également examiné plusieurs documents, dont les divers contrats signés par Mme Burton. Il a eu accès aux chèques remis à Mme Burton et a pris connaissance de la lettre (onglet 9) qui mettait fin à la relation de travail de Mme Burton. C'est M. Willows qui a préparé le rapport de décision (onglet 12) et, à la page 11, il a présenté sous forme de tableau tous les chèques que Mme Burton avait reçus de CKUA pendant la période pertinente. M. Willows a déclaré qu'il avait cru comprendre, selon ce que lui avait dit Mme Bornn, que Mme Burton aurait pu vendre de la publicité pour une autre entreprise, lors des mêmes activités de démarchage, à la condition que ce ne soit pas de la publicité destinée à être diffusée par une autre station de radio.

[16]          En contre-interrogatoire, M. Willows a déclaré qu'il avait rédigé la lettre datée du 9 février 2000 (pièce A-10), par laquelle il communiquait sa décision, et qu'il y avait fait mention de l'obligation, pour Mme Burton, de fournir des rapports à Mme Bornn. Dans sa décision, il a également estimé que Mme Burton était tenue de fournir personnellement les services prévus et qu'elle n'aurait pu s'adjoindre les services d'un suppléant. M. Willows a également vérifié qu'une formation avait été dispensée à Mme Burton. Il a tenu compte du fait qu'un client avait fait faillite en laissant un compte en souffrance à CKUA et que Mme Burton avait quand même reçu le plein montant de sa commission sur la vente. Il n'avait pas été mis au courant d'une éventuelle disposition de " récupération ", mais, de toute façon, cela ne l'aurait pas fait changer d'avis quant au statut de Mme Burton. M. Willows a déclaré que, après avoir rendu la décision, il avait transmis le dossier au service de vérification des feuilles de paie, lequel avait été par la suite à l'origine de certaines évaluations établies à l'endroit de l'appelante pour d'autres travailleurs. M. Willows a déclaré que, dans ce dossier, il n'avait jamais considéré Mme Bornn - agissant comme directrice des ventes - comme une employée de CKUA.

[17]          L'avocat de l'appelante a soutenu que Mme Burton était libre de travailler pour d'autres entités tout en vendant de la publicité pour CKUA, qu'il lui était loisible de fixer son propre horaire de travail et qu'elle pouvait choisir ses propres méthodes de travail. Elle avait signé - et ce, sans y être contrainte - divers contrats qui établissaient clairement son statut. Les deux parties avaient conclu - de bonne foi - des dispositions contractuelles en étant convaincues que Mme Burton fournissait ses services à titre d'entrepreneur indépendant et elles avaient ensuite agi en conformité avec cet accord. L'avocat a fait valoir que Mme Burton payait elle-même les dépenses liées à la vente et qu'elle s'était opposée à la division de son territoire, car elle y voyait un frein à sa capacité de générer des ventes. CKUA, en tant que radiodiffuseur, était certes essentiel à tout ce processus, mais, a prétendu l'avocat, la preuve établissait que Mme Burton exerçait une activité commerciale à son compte et n'était pas une employée de l'appelante.

[18]          L'avocat de l'intimé a soutenu que le premier contrat signé par Mme Burton prévoyait un salaire garanti durant une période qu'on assimile habituellement à une période d'essai. L'avocat a cité diverses correspondances adressées à Mme Burton et indiquant qu'elle était considérée comme faisant partie intégrante de la structure de CKUA et que les communications entre Mme Bornn et Mme Burton cadraient avec une relation employeur-employé. Le paragraphe 7 de chaque contrat signé par Mme Burton et CKUA comportait une clause simple de résiliation qui n'exigeait pas de justifications détaillées, ce qui est probablement prudent en cas de renvoi motivé. Dans l'ensemble, l'avocat était d'avis, à la lumière de la preuve, que les circonstances de la relation de travail étaient telles que le ministre avait eu raison de statuer que Mme Burton exerçait un emploi assurable à CKUA pendant la période pertinente.

[19]          Dansl'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 553 ([1986]2 C.T.C. 200), la Cour d'appel fédérale a donné son aval à un examen de la preuve à la lumière des critères énoncés ci-dessous, mais a souligné que ces critères doivent être considérés comme un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. Les critères dont il s'agit sont les suivants :

                1. Le critère du contrôle

                2. La propriété des outils de travail

                3. Les chances de bénéfice ou les risques de perte

                4. Le critère d'intégration

               

Le contrôle :

[20]          Gail Burton a reçu un peu de formation initiale et, du fait qu'elle ne venait pas du domaine de la vente de publicité, elle avait davantage besoin d'être aidée de façon continue que les autres représentants commerciaux d'expérience. Mme Bornn communiquait fréquemment avec elle et Mme Burton assistait aussi aux réunions du personnel de vente ainsi qu'à des séances de planification portant notamment sur la préparation des prévisions de ventes. Au début, Mme Burton a demandé la permission à Mme Bornn d'offrir des rabais aux clients existants ou potentiels, et cette dernière, à titre de directrice des ventes, et M. Davis, le DG, se sont rendus à Calgary pour rencontrer un client existant, dans le but de le persuader de renouveler un contrat et, en une autre occasion, pour convaincre une entreprise d'annoncer sur CKUA. Ces deux annonceurs dépensaient des sommes considérables en publicité, de sorte qu'ils représentaient une bonne partie des recettes de CKUA. Lorsqu'on prend connaissance de la lettre datée du 17 novembre 1998 (onglet 6) que Mme Bornn a envoyée à Mme Burton, on se rend compte qu'il s'agit d'une sorte de lettre de censure ou de réprimande à l'endroit de Mme Burton pour s'être apparemment mêlée des " jeux politiques à la station ". La lettre fait aussi mention de " négativité ", de " rumeurs ", de " méfiance et [d']action destructrice dans un milieu de travail ", en plus d'enjoindre à Mme Burton de ne pas participer à des " commérages ". Mme Burton a répondu à cette communication en envoyant une longue lettre (onglet 7) dans laquelle elle a essayé de faire preuve d'esprit de conciliation et s'est même sentie, à un endroit, obligée de donner l'assurance à Mme Bornn qu'elle ne remettait pas en cause son autorité et n'était pas sur le point de participer de quelque façon que ce soit au dossier du poste de directeur général. La note de service datée du 1er octobre 1998 (onglet 16) que Mme Bornn a envoyée à Mme Burton et aux autres chargés de compte renferme une liste d'instructions indiquant que certaines procédures devaient être entreprises par les personnes désignées. La communication de cinq pages (onglet 19) portait sur divers sujets, dont la manière efficace de remplir les documents requis par les services de création des textes publicitaires et de la comptabilité de CKUA. Pour ce qui est du processus de vente à proprement parler, des instructions étaient données sur des aspects tels que l'attention à porter aux délais d'exécution, la nécessité d'obtenir des fiches d'information de la part du client et les méthodes de communication avec un annonceur, ainsi qu'un conseil aux représentants commerciaux selon lequel il fallait accorder " la plus haute importance " à la question des bons de commande et des commandes de radiodiffusion, car ces documents devaient être remplis de façon détaillée et contenir les bons renseignements sous une forme qui donne satisfaction à Mme Bornn. Mme Burton et les autres représentants commerciaux avaient reçu une reliure grise dans laquelle ils pouvaient insérer les nouvelles versions des documents promotionnels, les révisions de la carte des tarifs et d'autres mises à jour. La lettre de résiliation (onglet 9) faisait allusion au fait que Mme Burton n'avait pas produit les rapports demandés par Mme Bornn et qu'elle ne répondait pas à certaines normes nécessaires à la croissance d'un portefeuille de clientèle viable, présumément parce qu'elle ne possédait pas " l'ensemble de compétences requises " à cette fin. Assurément, la clause b de l'annexe A de l'addenda 1 de la pièce A-3 exigeait de Mme Burton qu'elle fournisse des rapports hebdomadaires de ventes à la directrice des ventes de CKUA et qu'elle lui soumette les projets de contrat pour obtenir son approbation, conformément aux politiques et procédures établies de l'appelante. La clause a de cet addenda prévoyait que la directrice des ventes avait le droit de redéfinir le territoire de vente en tout temps, et il y avait une disposition concernant la protection des ventes dans ce territoire désigné. Là où je veux en venir, c'est que, lorsque l'on prend du recul et que l'on observe la conduite de Mme Bornn, représentante désignée de CKUA, il est difficile de croire que l'appelante faisait affaires avec Mme Burton comme si elle était un prestataire autonome de services plutôt qu'une employée dont on attendait qu'elle se conforme aux politiques et procédures établies dans le cadre d'une structure hiérarchisée, avec une obligation claire de suivre les directives de Mme Bornn. Les heures de travail n'étaient pas établies par CKUA, mais, par la production de rapports hebdomadaires destinés à Mme Bornn, l'appelante était en mesure de suivre en permanence les efforts que Mme Burton et les autres représentants déployaient pour réaliser des ventes ainsi que d'évaluer la mesure dans laquelle on se rapprochait - ou non - du chiffre nécessaire pour maintenir le niveau d'exploitation. En ce sens, et compte tenu de la nature du métier de représentant commercial, l'application de ce critère tend à définir le statut de Mme Burton comme celui d'une employée.

La propriété des instruments de travail :

[21]          S'il est vrai que Mme Burton aurait pu travailler à domicile, de la même façon qu'un autre chargé de compte (M. Holliday), elle a choisi de ne pas le faire, et CKUA ne s'est pas opposée à ce qu'elle utilise ses locaux du centre-ville, de même que tout l'équipement qui s'y trouvait, notamment l'ordinateur et la base de données. Pour quiconque essaye de réaliser des ventes sur un vaste territoire, un véhicule et un téléphone sont des instruments de travail extrêmement importants; en l'espèce, ces instruments étaient la propriété de Mme Burton. À mon sens, l'application de ce critère donne un résultat neutre lorsqu'on l'examine dans ce contexte strict, mais elle s'inscrit toujours dans le cadre de l'analyse générale requise par un critère composé de quatre parties intégrantes.

Les chances de bénéfice ou les risques de perte :

[22]          Mme Burton était payée à la commission, à l'instar de bien des représentants de commerce, y compris ceux qui sont clairement des employés. Mme Burton était responsable des dépenses importantes liées à son travail, et elle pouvait accroître son revenu en vendant davantage de publicité, et ce, sans compromettre son taux de commission en offrant trop de semaines en prime ou en acceptant des biens ou des services en contrepartie de publicité, cette publicité donnant lieu à une commission de 10 % seulement, qui a ultérieurement été abaissée à 7 %. En outre, il était clairement entendu dans le contrat (pièce A-3), au paragraphe 2d, que Mme Burton partagerait la perte subie dans le cas où le compte d'un annonceur serait considéré - par CKUA - comme étant devenu une créance irrécouvrable, auquel cas le montant de la commission attribuable à la créance impayée devait être déduit des commissions futures. Toutefois, selon la preuve, un client de Mme Burton avait fait faillite et n'avait pas réglé son compte de publicité à CKUA, mais la rémunération de Mme Burton n'a pas été amputée pour autant d'un quelconque montant. Je considère comme significatif le fait que le contrat initial passé avec Mme Burton (pièce A-2), qui portait sur une période de trois mois, lui garantissait une rémunération de 2 000 $ par mois. Le contrat suivant ne renfermait plus cette disposition, mais on ne s'attendrait normalement pas à ce qu'un entrepreneur indépendant commence à fournir des services en vertu d'une formule comportant une garantie, plutôt qu'une provision, puisque cela influe sur la question même des chances de bénéfice ou des risques de perte. Par la suite, les taux de commission ont été révisés à la baisse par décision administrative, et je retiens le témoignage de Mme Burton selon lequel elle a estimé n'avoir pas vraiment d'autre choix que d'accepter le nouveau tarif de base pour les commissions si elle voulait continuer de travailler comme chargée de compte. Son territoire avait auparavant été divisé, et ce, malgré ses protestations; cette décision avait été prise par Mme Bornn, habilitée qu'elle était à le faire aux termes du contrat. Mme Burton n'avait pas investi d'argent, au sens où on l'entend pour une véritable entreprise, et, si les ventes étaient faibles — comme ce fut le cas vers la fin de sa relation de travail avec l'appelante —, son revenu était réduit, mais ce n'est pas la même chose que de courir réellement le risque de subir une perte parce qu'on s'est engagé à fournir un service ou un produit particulier à un certain prix. Mme Burton était payée pour assister aux réunions qui se tenaient à l'extérieur de son territoire et son adhésion à la chambre de commerce était payée par CKUA. C'est aux frais de l'appelante qu'elle a assisté à un déjeuner au cours duquel elle a remplacé le DG de CKUA. Bien que ce ne soit pas la même chose d'être rémunéré à la commission et de travailler à la pièce — en ce sens que les efforts déployés pour produire davantage d'objets permettent de gagner davantage d'argent —, il existe quand même un lien direct entre le volume des ventes — approuvées par Mme Bornn — et la rémunération versée, laquelle était calculée selon une formule bien précise qui a été modifiée deux fois. L'analyse faite sous l'angle de ce critère me porte à conclure que, tout bien considéré, nous avons plutôt affaire à une employée.

L'intégration :

[23]          Ce critère est l'un des plus difficiles à appliquer. Aux pages 563 et 564 (C.T.C. : à la page 206) de son jugement dans l'affaire Wiebe, précitée, le juge MacGuigan a dit :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l'"employé" et non de celui de l'"employeur". En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question "À qui appartient l'entreprise".

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739):

[TRADUCTION] Les remarques de lord Wright, du lord juge Denning et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci: "La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte". Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[24]          Dans l'appel en instance, il ne fait aucun doute que l'appelante — qui possède une licence pour exploiter une chaîne radiophonique ainsi que le pouvoir de radiodiffuser des publicités conformément aux règlements établis par le CRTC — était le mécanisme qui, en bout de ligne, produisait les recettes. Les annonceurs ne vont certes pas payer de la publicité à moins qu'elle ne soit diffusée par la station appartenant à l'appelante — conformément aux politiques et procédures établies —, après que l'annonce faisant l'objet du contrat a été produite par les services du trafic radio, de la création de textes publicitaires et de la production de CKUA. La preuve établit que l'appelante, lorsqu'elle a obtenu un pouvoir limité de radiodiffuser des publicités, n'avait pas de personnel possédant de l'expérience dans le domaine de la vente, puisque la station de radio avait toujours été un radiodiffuseur sans publicité. C'est ainsi que la direction de l'appelante a décidé de confier en sous-traitance, à Wanda Bornn et à sa société, toutes les fonctions de vente et de marketing et de retenir ses services à titre de directrice des ventes. En ce sens, on peut comprendre que l'intention de l'appelante était de séparer cette nouvelle fonction de vente de publicité du reste de ses opérations, d'autant plus que le contenu commercial ne produisait que 25 % des recettes nécessaires à l'exploitation de la station au cours d'une année. Cependant, BML, la société de Mme Bornn, n'a pas passé de contrats avec Mme Burton et les autres chargés de compte. C'est avec l'appelante que Mme Burton a conclu des contrats. Mme Bornn, à titre de directrice des ventes de l'appelante, organisait l'effectif de vente et supervisait les efforts des représentants commerciaux en plus d'approuver chaque contrat de publicité, afin de veiller au respect des politiques de CKUA en vigueur à cet égard. La carte professionnelle (pièce R-2) conçue par les employés de CKUA à l'intention de Mme Burton indique clairement que cette dernière est une chargée de compte, mais les coordonnées qui y sont inscrites visent presque exclusivement à diriger les parties intéressées vers l'infrastructure de CKUA, que ce soit à Edmonton ou à Calgary. Il n'était pas nécessaire que les annonceurs ou les clients potentiels connaissent la nature exacte de la relation de travail existant entre Mme Burton et l'appelante, la seule chose qui les intéressait étant de savoir que Mme Burton était autorisée à vendre de la publicité qui serait diffusée sur la chaîne radiophonique de l'appelante. Contrairement à son collègue (M. Holliday), Mme Burton ne s'occupait pas de vendre de la publicité pour une autre entité, et elle a travaillé — la plupart du temps — dans les locaux de CKUA à Calgary, d'où elle plaçait nombre de ses appels et où elle s'arrangeait aussi pour rencontrer les clients. Si Mme Burton avait agi, de bout en bout, à titre d'entité distincte — comme prétendait le faire Mme Bornn, par l'intermédiaire de sa société —, le degré de contrôle et de supervision exercé n'aurait pas été nécessaire, pas plus que l'insistance mise sur l'obligation de suivre dans le détail les procédures établies; cette entité aurait été mieux adaptée à la réalisation d'un objectif précis, sans égard aux rouages du processus. Bien entendu, tout fournisseur d'un produit utilisant tel ou tel mécanisme de vente va surveiller les progrès et prendre des mesures si les résultats escomptés risquent de ne pas être atteints, mais on s'attendrait à ce que cela ait lieu d'une entité à l'autre, sur un plan latéral ou horizontal, plutôt que de haut en bas, dans des circonstances où la relation de travail est fortement imprégnée d'un parfum de subordination. Mme Burton a repris un territoire existant dans lequel des annonceurs avaient des contrats avec CKUA. Comme la plupart des représentants commerciaux, on l'a laissée seule chercher de l'or, mais au moins l'avait-on dirigée vers le filon connu et on ne s'attendait pas à ce qu'elle accomplisse toute seule le travail de prospection. Néanmoins, les tarifs publicitaires étaient fixés par Mme Bronn et avaient fait l'objet d'une carte de tarifs publiée. Il se peut fort bien que d'autres représentants commerciaux, comme M. Holliday, aient agi de telle manière qu'ils exploitaient à leur compte une entreprise sans être assujettis au degré de contrôle qui a été appliqué à Mme Burton - cette question alimentera, semble-t-il un autre débat. Le fait que Mme Burton pouvait offrir une semaine en prime, dans certaines circonstances, ne dénote pas davantage un statut d'entrepreneur indépendant que le cas où le propriétaire d'un magasin dit à ses préposés que, pour conclure une vente, ils peuvent accorder à un client hésitant jusqu'à 15 % de rabais. Tout bien pesé, je penche, au regard de ce critère se rapportant à l'intégration, en faveur du statut d'employé.

[25]          Dans ce domaine de la jurisprudence, il est difficile d'appliquer les résultats d'autres décisions, même si les faits semblent très similaires. Il suffit de quelques différences dans certains ou dans la totalité des domaines auxquels s'appliquent les critères pertinents pour que, par effet cumulatif ou multiplicateur, on aboutisse à un résultat différent. Il est arrivé que des vendeurs de services interurbains faisant du porte à porte soient considérés comme des entrepreneurs indépendants. L'un de ces cas est la décision Ivanov c. M.R.N., A.C.I. 8646,dans laquelle j'ai cité la décision 740944 Alberta Ltd. c M.R.N., A.C.I. 652 (1999-1868(EI) et 1999-1869(CPP)). Dans cette décision, le juge suppléant Porter, de la Cour, s'était penché sur le cas d'un particulier qui avait vendu des services interurbains pour une entreprise de commercialisation dont la compagnie à dénomination numérique était la propriétaire. Dans cette affaire, le ministre avait rendu une décision selon laquelle le travailleur avait été un employé qui exerçait un emploi qui était assurable et qui ouvrait droit à une pension. Dans la décision 740944, le juge Porter a conclu que le travailleur n'avait pas fourni des services en vertu d'un contrat de louage de services et qu'il avait été plutôt un entrepreneur indépendant. Voici certains des points dont le juge Porter a tenu compte dans son analyse :

-                il ressortait du contrat conclu entre le travailleur et la compagnie que, dans l'esprit des deux parties, le travailleur serait un entrepreneur indépendant et, puisqu'il n'existait pas de preuve établissant clairement que cela se passait autrement dans le cadre de la relation de travail, il fallait respecter l'intention qu'avaient les parties lors de la signature;

-                si les représentants voulaient réussir, ils avaient intérêt à assister aux réunions des représentants où ils pouvaient être informés des nouveautés concernant tant les programmes que les services à vendre;

-                les représentants pouvaient choisir leur secteur de vente et pouvaient travailler ou ne pas travailler une journée donnée, à leur guise;

-                les représentants n'étaient pas tenus d'être présents au bureau à un moment déterminé;

-                quand ils faisaient du porte-à-porte, les représentants payaient eux-mêmes leurs frais de transport;

-                ils pouvaient réaliser des profits s'ils organisaient efficacement leurs affaires, et risquaient de subir des pertes s'ils engageaient des dépenses mais ne faisaient pas de ventes et ne touchaient donc pas de commissions;

-                les représentants ne faisaient pas partie intégrante de l'entreprise de la société appelante en ce sens qu'ils pouvaient travailler pour d'autres organismes à la condition d'offrir exclusivement les services interurbains d'AT & T aux clients éventuels;

-           chaque représentant exploitait sa propre mini-entreprise et le faisait de la façon qu'il jugeait appropriée.

[26]          Dans une décision que j'ai rendue récemment — Randy Fatt c. M.R.N. 2000-3591(EI) —, en date du 12 avril 2001, j'ai jugé que l'appelant avait été un entrepreneur indépendant alors qu'il effectuait la vente de téléphones publics pour laquelle il était rémunéré à la commission, à un taux fixe par vente d'appareil. L'appelant payait lui-même ses frais de téléphone cellulaire et de voiture. Le payeur ne fournissait aucun instrument de travail, équipement ou local et à peu près aucun document de promotion ou de vente. Les rapports qui étaient exigés avaient essentiellement pour objet de permettre le versement de la rémunération, laquelle dépendait du nombre de ventes réalisées, selon la liste établie sur la feuille appropriée. Pendant toute la période, il y a eu une absence marquée de contrôle, et le bureau principal de la compagnie était situé à Vancouver, tandis que le territoire de vente de l'appelant se trouvait en Alberta. Il s'agissait d'une nouvelle entreprise sans lignes directrices ni clientèle établies, et l'outil de commercialisation employé était une société de la Colombie-Britannique qui, par l'entremise de son directeur des ventes — un ancien collègue de l'appelant — avait retenu les services de ce dernier, en raison des compétences reconnues que lui donnait son expérience de professionnel de la vente désireux de constituer une clientèle pour une nouvelle formule de placement de téléphones payants, dans le cadre d'une industrie nouvellement déréglementée.

[27]          Dans la décision Frontier Business Centre Ltd. c. M.R.N. (97-1106(UI) et 97-124(CPP)), qui a été rendue le 20 mai 1998 par l'honorable juge Bowman, titre qu'il portait alors, de la Cour canadienne de l'impôt, deux représentants de commerce ont été considérés comme des entrepreneurs indépendants alors qu'ils vendaient du matériel agricole neuf et d'occasion. Le juge Bowman a conclu qu'ils n'avaient pas d'heures fixes, qu'ils travaillaient à domicile et qu'ils n'étaient pas tenus d'atteindre des quotas de vente, ni même de vendre quoi que ce soit. En fait, on les dissuadait de se rendre au bureau du payeur, car celui-ci voulait réaliser la vente lui-même, sans avoir à payer de commission. Les travailleurs payaient eux-mêmes leurs dépenses dans un premier temps - n'obtenant ensuite un remboursement que grâce à leur commission — 30 % du profit net —, une fois la vente réalisée. Ils étaient libres d'engager d'autres personnes, à leurs frais, et ils choisissaient les ventes qu'ils essaieraient de réaliser. Une différence importante entre ces faits et la situation en l'espèce est que ces représentants commerciaux pouvaient fixer le prix de vente du matériel et qu'ils avaient toute latitude pour établir le montant à déduire de la facture lors des ventes avec reprise, ce qui influait directement sur leur part du profit net. Le juge Bowman a estimé qu'aucun contrôle n'était exercé sur leur activité génératrice de revenu et qu'il n'y avait pas de territoire assigné. En outre, il a conclu que les travailleurs n'étaient pas intégrés à l'organisation, même si les services qu'ils fournissaient, dans l'ensemble, avaient un effet sur les bénéfices réalisés par Frontier Business Centre Ltd.

[28]          Dans l'affaire Charbonneau c. Canada (ministre du Revenu national - M.R.N.) ([1996] A.C.F. no 1337), la Cour d'appel fédérale a examiné la question de savoir si un opérateur de débusqueuse était un employé ou un entrepreneur indépendant. Le jugement de la Cour d'appel a été rendu par le juge Décary qui a dit à la page 1 :

                Contrat de travail ou contrat d'entreprise? Telle est, une fois de plus, la question qui se pose dans ce dossier où il s'agit de déterminer si l'intimé, propriétaire et opérateur d'une débusqueuse, exerçait un emploi assurable aux fins de l'application de l'alinéa 3(1)a de la Loi sur l'assurance-chômage.

                Deux observations préliminaires s'imposent.

                Les critères énoncés par cette Cour dans Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N. à savoir d'une part le degré de contrôle, la propriété des instruments de travail, les chances de bénéfice et les risques de perte et d'autre part l'intégration, ne sont pas les recettes d'une formule magique. Ce sont des points de repère qu'il sera généralement utile de considérer, mais pas au point de mettre en péril l'objectif ultime de l'exercice qui est de rechercher la relation globale que les parties entretiennent entre elles. Ce qu'il s'agit, toujours, de déterminer, une fois acquise l'existence d'un véritable contrat, c'est s'il y a, entre les parties, un lien de subordination tel qu'il s'agisse d'un contrat de travail (art. 2085 du Code civil du Québec) ou s'il n'y a pas, plutôt, un degré d'autonomie tel qu'il s'agisse d'un contrat d'entreprise ou de service (art. 2098 dudit Code) En d'autres termes, il ne faut pas [...] examiner les arbres de si près qu'on perde de vue la forêt. Les parties doivent s'effacer devant le tout.

                Par ailleurs, s'il est certain que l'appréciation de la nature juridique de relations contractuelles soit affaire d'espèce, il n'en reste pas moins qu'à espèces sensiblement semblables en fait devraient correspondre en droit des jugements sensiblement semblables. Aussi, lorsque cette Cour s'est déjà prononcée sur la nature d'un certain type de contrat, point n'est besoin par la suite de refaire l'exercice dans son entier: à moins que n'apparaissent dans les faits des différences vraiment significatives, le Ministre, puis la Cour canadienne de l'impôt ne devraient pas s'écarter de la solution retenue par cette Cour.

[29]          Revenons maintenant à l'appel en instance; le premier contrat (pièce A-2) avait une durée de trois mois. Le contrat suivant (pièce A-3) était valide pour une autre période de trois mois. Puis, par modification en date du 1er septembre 1998 (onglet 3), ledit contrat a été prolongé jusqu'au 31 août 1999. C'est dans ce document que le taux de commission a été réduit. La courte durée des deux premiers contrats et le revenu garanti prévu dans la première entente évoquent davantage la période probatoire ou d'essai habituellement applicable à un nouvel employé qu'un arrangement commercial conclu avec une autre entreprise. Si le contrat permet une résiliation sur préavis écrit de deux semaines — sans avoir à fournir de motifs —, alors à quoi servent les deux contrats consécutifs de trois mois chacun, si ce n'est à fournir une formation et un encadrement et à se ménager une période pour évaluer la capacité de la personne à vendre le produit de l'appelante. Il me semble aussi que, si une entreprise avait conclu un arrangement avec un entrepreneur indépendant pour fournir un service - rémunéré uniquement à la commission - et que d'autres personnes prenaient part au même processus, il n'y aurait pas grande utilité à fournir conseils et orientations à ce prétendu entrepreneur. L'entreprise aurait plutôt pu ajouter un autre entrepreneur indépendant au bassin des producteurs de recettes sans qu'il soit nécessaire de mettre fin aux services de l'un d'entre eux. L'appelante a créé des limites territoriales dans l'intention raisonnable de protéger le territoire de chaque représentant de commerce et de lui conserver la possibilité de gagner un revenu décent. La chose est louable, mais elle ne cadre pas avec l'esprit de concurrence féroce qui est censé caractériser le domaine de la publicité radiophonique, ainsi que l'a exprimé Mme Bornn.

[30]          L'intention des parties était manifestement que l'appelante fonctionnerait comme vendeur entrepreneur indépendant et, pour l'essentiel, elles ont respecté les modalités de cette entente. Quant à l'effet à donner aux contrats (pièces A-2 et A-3), il est clair que ce que les parties pensaient être la nature de leur relation ne changera pas la réalité. Dans Le ministre du Revenu national c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, 29 septembre 1992 (147 N.R. 238), le juge Stone a dit ce qui suit à la page 2 (N.R.: aux pages 239 et 240) :

"[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door. [...]"

[31]          Pour l'essentiel, les parties se sont comportées, pendant toute la durée de leur relation de travail, conformément aux dispositions des contrats qu'elles ont conclus entre elles de temps à autre. Mme Burton n'a jamais eu l'intention de se présenter - à l'ADRC - comme une employée de l'appelante pendant la période pertinente, et elle a bien voulu être considérée - par CKUA - comme un entrepreneur indépendant, même si elle n'avait jamais eu ce statut auparavant dans sa vie professionnelle. Pendant son passage à CKUA, Mme Burton n'a pas trouvé qu'il y avait une grande différence entre les conditions dans lesquelles elle travaillait quotidiennement à la station et celles qui régnaient dans les postes qu'elle avait occupées antérieurement comme salariée, si ce n'est qu'elle était payée à la commission et qu'elle ne participait à aucun régime de soins médicaux ou dentaires des employés. Du point de vue de Gail Burton, il n'est pas raisonnable de conclure qu'elle se considérait comme exploitant une entreprise à son compte lorsqu'elle travaillait comme représentante commerciale au sein de l'organisation et de la structure d'exploitation générales établies par l'appelante pour vendre de la publicité en vue de générer des recettes pour la station. Mme Burton n'était pas un moteur auxiliaire servant à produire des recettes pour CKUA, elle faisait partie intégrante du groupe propulseur principal de l'appelante. Il semble que le directeur général de l'appelante, Ken Regan, partageait l'idée que Mme Burton se faisait de sa relation de travail, puisqu'il s'est donné la peine de la rencontrer à Calgary pour discuter de la résiliation de son contrat et qu'il a écouté les raisons qu'elle lui a fournies dans le but de faire réviser cette décision. Il a informé Mme Burton qu'il enquêterait sur l'affaire pour vérifier qu'aucune injustice n'avait été commise et que, si la décision n'avait pas été prise à bon droit, il interviendrait pour la corriger. Ce comportement ne cadre pas avec ce que l'on s'attendrait normalement à voir lorsqu'il est mis fin à une relation d'affaire avec un entrepreneur indépendant. Manifestement, la dimension commerciale de la radiodiffusion était une chose relativement nouvelle pour CKUA, et il semble que le côté chaleureux, amical et communautaire de la station, qui était tellement apprécié de ses fidèles auditeurs et fervents défenseurs depuis des décennies, ait survécu à la transition.

[32]          Je déconseille au lecteur de considérer les présents motifs comme un modèle susceptible d'être appliqué aux autres représentants de commerce qui travaillaient à contrat pour CKUA pendant la même période, car il s'en faudrait de peu, du côté des faits, pour que l'issue soit différente. C'est regrettable dans un sens, car les distinctions sont souvent si ténues qu'elles sont occultées par les détails. On peut, à mon avis, reprocher à juste titre à la jurisprudence d'être trop dépendante des faits, de sorte qu'elle n'est pas particulièrement utile à ceux qui cherchent un scénario particulier dans l'espoir de découvrir un fondement solide pouvant servir de ligne de conduite dans la prestation de services. Malheureusement, à moins qu'on ne modifie la loi en profondeur ou que l'on assiste, au niveau des appels, à un changement d'orientation radical de la jurisprudence, il n'y a pas d'issue pour le juge des faits et, même s'il y en avait une, quelqu'un viendrait lui demander de débrouiller l'écheveau créé par des perceptions différentes de l'engagement réciproque précis qui a donné lieu à la relation de travail en cause. Il faut cependant rendre une décision à la lumière des faits, tels qu'ils ont été établis, en appliquant la jurisprudence pertinente. Souvent, on s'acquitte du fardeau de la preuve d'extrême justesse. D'autre fois, comme c'est le cas ici, même après avoir présenté une solide argumentation, l'appelant ne peut obtenir gain de cause.

[33]          Compte tenu de la preuve et de la jurisprudence appliquée de la manière prescrite, je ne peux disconvenir que, comme l'a déterminé le ministre, Gail Burton exerçait un emploi assurable chez l'appelante pendant la période pertinente. Par conséquent, l'appel est rejeté.

[34]          Tel que convenu au début, l'issue de l'appel 2000-3678(CPP) dépend de la décision précitée, de sorte que cet appel est également rejeté.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 28e jour d'avril 2001.

" D. W. Rowe "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 4e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3677(EI)

ENTRE :

CKUA RADIO FOUNDATION,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de CKUA Radio Foundation (2000-3678(CPP)) les 15 et 16 février 2001 à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me Samy F. Salloum

Avocat de l'intimé :                    Me Louis A.T. Williams

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.


Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 28e jour d'avril 2001.

" D. W. Rowe "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3678(CPP)

ENTRE :

CKUA RADIO FOUNDATION,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de CKUA Radio Foundation (2000-3677(EI)) les 15 et 16 février 2001 à Edmonton (Alberta), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me Samy F. Salloum

Avocat de l'intimé :                    Me Louis A.T. Williams

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie-Britannique), ce 28e jour d'avril 2001.

" D. W. Rowe "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 4e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur


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