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Date: 20010803

Dossier: 2000-3791-IT-I

ENTRE :

FRANK DELUCA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Les appels en l'instance sont interjetés à l'encontre de cotisations établies pour les années d'imposition 1993 et 1994. Ils concernent la déduction de pertes subies par l'appelant pendant ces années à l'égard d'un investissement que l'appelant a fait dans trois unités condominiales à London, en Ontario.

[2]            L'appelant est, et était pendant la période, un professeur de mathématique au secondaire[1]. En 1988, lui-même et son épouse ont acheté trois unités condominiales en rangée situées au 470, deuxième rue, à London, en Ontario. Les unités faisaient partie d'un complexe de 45 unités dont un certain M. Wells faisait la promotion parmi les professeurs de l'école secondaire qui étaient des collègues de l'appelant. Les unités coûtaient 72 300 $ chacune, pour un total de 216 900 $. L'appelant a investi 2 000 $ de sa poche dans le prix d'achat de chaque unité. Le solde du prix d'achat provenait d'une hypothèque de 75 p. 100 d'environ 54 000 $ et le reste provenait d'une marge de crédit obtenue auprès d'une compagnie de fiducie par l'entremise du promoteur, M. Wells.

[3]            L'appelant croyait qu'il s'agissait d'un bon investissement. Il a été influencé à un certain degré par le fait que ses collègues investissaient dans le projet. Certains d'entre eux enseignaient les affaires et d'autres avaient eu une expérience positive en investissant dans l'immobilier. M. Wells lui a remis une projection des rentrées de fonds qui indiquait des rentrées de fonds positives prévues pour la sixième année et un profit pour la quatrième année. Avec du recul, les projections ne semblent pas réalistes. Rien ne me permet de croire qu'elles n'étaient pas réalistes en 1988.

[4]            L'appelant a également été influencé par le fait que les prix de l'immobilier étaient à la hausse à la fin des années 80. Le représentant de M. Deluca a soutenu que l'appelant avait l'intention de réaliser un gain en capital. On pourrait raisonnablement penser que le fait d'acheter avec l'intention de revendre et de réaliser un gain en capital est contradictoire, puisqu'un tel objet, s'il s'agit d'un véritable facteur de motivation, transformerait le projet en un projet comportant un risque de caractère commercial. Toutefois, j'ai tendance à être plutôt sceptique en ce qui concerne les affirmations tardives selon lesquelles l'objet consistait à vendre le bien rapidement à profit. Comme on l'a déclaré dans l'affaire Donyina c. La Reine, dossier 2001-934(IT)I à la page 12 :

10.            Si ce qui est manifestement un bien locatif a été acquis et détenu dans le cadre d'un projet comportant un risque de caractère commercial et qu'il était raisonnable de s'attendre à en tirer un profit à la revente, les pertes (soit les frais de possession engagés moins les loyers reçus) ne doivent pas être refusées selon le principe de l'attente raisonnable de profit (Roopchan). Le tribunal doit toutefois examiner avec soin une déclaration a posteriori selon laquelle un bien détenu à perte pendant un certain nombre d'années fait partie d'une opération spéculative motivée par une revente à profit. Ce n'est pas quelque chose que l'on s'attendrait qu'une personne admette facilement si le bien a été vendu à profit.

[5]            Il ne s'agissait pas, en tout état de cause, du fondement en vertu duquel la cause a été plaidée.

[6]            À la fin des années 80 ou au début des années 90, le constructeur a fait faillite et les participants au projet se sont inopinément retrouvés avec d'importantes obligations avant que le projet ne puisse être enregistré. Le constructeur devait d'importants montants d'argent au propriétaire original, et ils devaient les rembourser. Ils ont dû construire une berme (une forme de remblai) et une haute clôture le long de la ligne de chemin de fer qui passe derrière les biens. Les redevances d'égout et les taxes n'ont pas été payées par le constructeur et ont dû être payées. Il s'en est suivi que l'appelant ainsi que les autres participants ont dû obtenir un financement supplémentaire au moyen de leur marge de crédit. L'appelant a dû consentir une autre hypothèque sur sa maison. Les unités ont été louées dès 1988, mais le loyer a été saisi par les créanciers du constructeur. Les unités n'ont pas été enregistrées au nom de l'appelant avant 1991.

[7]            Les projections plutôt prometteuses de rentrées de fonds effectuées par M. Wells ne se sont pas réalisées. La réalité est quelque peu plus sombre :

                                                Revenu Perte

                                                de location             locative

Année                                     brut                         nette

1988                                                                 16 335 $

1989                                                                 14 070 $

1990                                                                 32 677 $

1991                                 16 368 $                   21 261 $

1992                                 19 113 $                   37 188 $

1993                                 28 125 $                   23 931 $

1994                                 23 812 $                   30 258 $

1995                                 20 012 $                   11 929 $

1996                                 12 973 $                   16 273 $

1997                                  9 612 $                    5 011 $

1998                                  9 612 $                    3 022 $

1999                                  9 612 $                    2 279 $

[8]            En août 1993, l'appelant a pris le contrôle de la gestion des trois unités afin de tenter d'en améliorer le rendement. Cela a entraîné essentiellement deux changements. Avant cela, les loyers provenant de toutes les unités étaient mis en commun, et les participants recevaient une part en fonction du nombre d'unités qu'ils possédaient, sans égard à la question de savoir si leur unité était louée. Après le mois d'août, l'appelant a assumé la responsabilité de trouver des locataires et de négocier avec eux ainsi que de faire l'entretien et les réparations lui-même. Auparavant, le coût des réparations avait été mis en commun. De plus, l'appelant a dû évincer certains locataires à qui l'on avait permis de rester sans payer le loyer. En 1994, il a également dû effectuer d'importantes réparations à l'unité où les locataires évincés vivaient.

[9]            En 1994, il a vendu une unité et en a vendu une autre plus tard. En ce moment, il possède une unité et a augmenté le loyer de 800 $ à 900 $ par mois. De toute évidence, cette unité est rentable même si l'appelant est toujours aux prises avec l'endettement provenant du premier financement.

[10]          Le calcul détaillé pour les années 1993 et 1994 est le suivant :

                                                                                   1993        1994

Revenu brut                                                                     28 125,00 $       23 812,00 $

Dépenses

Publicité                                                                                      15,00 $                 52,95 $

Assurance                                                                                  69,00 $               326,90 $

Intérêts                                                                                33 078,00 $          28 573,80 $

Entretien et réparations                                                       1 546,00 $            7 316,80 $

Frais de gestion et d'administration                                                             3 135,00 $

Frais de véhicule à moteur                                                                                 312,34 $

Bureau                                                                                      198,00 $               182,90 $

Frais juridiques, comptables

        et professionnels                                                            455,00 $            4 810,52 $

Impôts fonciers                                                                    7 210,00 $            5 913,69 $

Salaires et avantages                                                                                       1 200,00 $

Déplacement                                                                                                     1 084,74 $

Services publics                                                                      315,00 $               878,42 $

Téléphone                                                                                                            222,47 $

Frais bancaires                                                                                                      59,55 $

Autres dépenses*                                 9 170 00 $____________

Dépenses totales                                                             52 056,00 $       54 070,08 $

Perte nette**                                                                    23 931,00 $       30 258,08 $

*       les détails des autres dépenses n'ont pas été fournis

**    100 p. 100 des pertes déclarées par l'appelant

[11]          Le ministre a rejeté les pertes et invoque maintenant la doctrine rituelle de " l'absence d'attente raisonnable de profit ".

[12]          Selon l'une des hypothèses les plus importantes qui ont été plaidées, les dépenses locatives rejetées constituaient des

" frais personnels ou de subsistance de l'appelant ".

Cette expression est définie à l'article 248 de la Loi de l'impôt sur le revenu en partie de la manière suivante :

" frais personnels ou de subsistance " Sont compris parmi les frais personnels ou de subsistance :

a)             les dépenses inhérentes aux biens entretenus par toute personne pour l'usage ou l'avantage du contribuable ou de toute personne unie à ce dernier par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption, et non entretenus dans le but ou avec l'espoir raisonnable de tirer un profit de l'exploitation d'une entreprise;

[13]          On n'a pas poursuivi ce point dans l'argumentation et on n'en a pas fait mention dans la partie C de la réponse comme motif d'appel et, en tout état de cause, la notion selon laquelle les dépenses constituaient des frais personnels ou de subsistance a été complètement démolie. Ni l'appelant ni une personne liée n'a vécu dans les unités.

[14]          Pour déterminer la question de savoir si les pertes sont déductibles, il faut faire davantage que de simplement examiner les pertes, de décider que les intérêts et les autres dépenses excédaient le revenu et d'invoquer l'inévitable attente raisonnable de profit. La présente affaire constitue un très bon exemple de l'utilisation de l'attente raisonnable de profit comme substitut à l'analyse, une pratique qui a été critiquée dans l'affaire Costello c. La Reine, C.C.I., no 97-407(IT)I, 8 janvier 1998 (98 DTC 1362). Bien que l'analyse du répartiteur n'ait pas été déposée en preuve, il semble qu'un examen ait été effectué, mais il n'a de toute évidence pas été utilisé comme fondement de la cotisation. Nous n'avons qu'à examiner les dépenses déduites pour constater que certaines d'entre elles doivent être remises en question. Par exemple, le montant de 7 316,80 $ pour l'entretien et les réparations semble élevé et, même si en contre-interrogeant l'appelant, l'avocate a laissé entendre qu'environ la moitié seulement des montants étaient justifiés par des reçus, aucune preuve de cela n'a été déposée et la question du montant des dépenses ou de leur authenticité n'a pas été soulevée dans les actes de procédure. De même, le montant de 1 084 $ pour les déplacements m'a paru étrange, compte tenu la nature de l'investissement. Le salaire de 1 200 $ a prétendument été payé au fils de l'appelant pour son aide lors du nettoyage des unités desquelles des locataires avaient été évincés. Ce montant, un chiffre rond, aurait dû être remis en question.

[15]          Le seul montant qui est si manifestement erroné qu'il constitue une erreur de l'accorder est celui de 4 810 $ que l'appelant a déclaré à titre de frais juridiques, comptables et professionnels. Il a admis que ce montant se rapportait presque en totalité à des frais juridiques engagés lors de la vente de l'une des unités en 1994. De toute évidence, une telle dépense ne peut être déduite à titre de dépense actuelle découlant d'une activité de location. Le représentant de l'appelant a suggéré qu'une partie de ce montant pourrait être déductible dans le calcul d'une perte finale subie au moment de la vente de l'unité. Ce pourrait être le cas, mais aucune perte finale n'a été plaidée, déclarée ni prouvée.

[16]          Je reviens à la question : l'appelant avait-il une entreprise? À mon avis, il en avait une et il est raisonnable qu'il se voit accorder les pertes, à l'exception du montant de 4 810,52 $ engagé lors de la vente de l'une des unités condominiales. Si une attente raisonnable de profit est pertinente, et elle l'est de toute évidence, il est clair que cette attente était raisonnable. En 2000, il semble qu'il réalisait un profit sur l'autre unité. S'il avait gardé les deux autres unités, il semble probable qu'" en temps et lieu ", pour reprendre l'expression utilisée dans l'affaire Allen et Milewski c. La Reine, C.C.I., nos 97-3096(IT)G, 97-3106(IT)G, 12 août 1999 (99 DTC 968), conf. par C.A.F., no A-596-99, 26 septembre 2000 (2000 DTC 6559), il aurait également réalisé un profit.

[17]          Je crois qu'il y a eu une tendance à recourir au principe de l'attente raisonnable de profit de manière excessive. Les autorités fiscales ne semblent avoir rien appris des affaires auxquelles j'ai fait référence aux paragraphes 8 et 9 de l'affaire Donyina et elles semblent appliquer ce principe sans distinction à un grand nombre d'entreprises et d'investissements simplement parce que les attentes d'un contribuable n'ont pas été remplies. La présente affaire constitue un bon exemple. Le contribuable s'est lancé dans cette entreprise qui, pour des raisons échappant à son contrôle, n'a pas produit de profits de la manière qu'il aurait raisonnablement espérée. Inopinément, des événements sur lesquels M. Deluca n'avait pas de contrôle exigeaient qu'un capital plus important soit investi dans le projet et c'est ce qu'il a fait en consentant une hypothèque sur sa maison. Il a fait tout ce qu'il pouvait pour améliorer la situation en se retirant du pool locatif et en s'occupant de l'administration. Enfin, il a décidé de réduire ses pertes en vendant deux de ses trois unités. L'ADRC a brandi l'étendard de l'attente raisonnable de profit et, sans égard à la preuve et au bon sens, a rejeté les pertes selon la théorie voulant que les dépenses étaient des frais personnels ou de subsistance.

[18]          Les appels sont admis, et les cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations afin de permettre la déduction des pertes de 23 931 $ et de 25 447,56 $ en 1993 et 1994 respectivement.

[19]          L'appelant a droit aux dépens, s'il en est, conformément au tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'août 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-3791(IT)I

ENTRE :

FRANK DELUCA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 25 juillet 2001 à London (Ontario) par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Représentant de l'appelant :                  Bernard Linseman, C.A.

Avocate de l'intimée :                           Me J. Michelle Farrell

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1993 et 1994 soient admis et que les cotisations soient déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations afin de permettre la déduction des pertes de 23 931 $ et de 25 447,56 $, respectivement.

          L'appelant a droit aux dépens, s'il en est, conformément au tarif.


Signé à Ottawa, Canada, ce 3e jour d'août 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur



[1]               La conjointe de l'appelant était propriétaire des unités dans une proportion de 50 p. 100, mais l'appelant a déclaré 100 p. 100 des pertes. Cette position n'a pas été contestée par l'intimée ni n'a constitué la question en litige plaidée par l'intimée. Alors, l'appelant n'avait pas à établir qu'il avait le droit de déclarer 100 p. 100 des pertes.

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