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Date: 20010515

Dossier: 2000-4852-IT-I

ENTRE :

DON COBER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge en chef adjoint Bowman

[1]            Les appels en l'instance sont interjetés à l'encontre des cotisations établies pour les années d'imposition 1990 à 1998.

[2]            Seuls les appels pour les années 1991, 1992, 1993 et 1996 ont correctement été interjetés devant la Cour. Ceux des années 1990, 1997 et 1998 sont annulés parce qu'aucun avis d'opposition n'a été produit. Les appels pour les années 1994 et 1995 sont également annulés parce que l'avis d'opposition a été produit en dehors de la période de 90 jours, et qu'il est maintenant trop tard pour demander une prorogation de délai.

[3]            J'ai, dans d'autre affaires, critiqué l'usage excessif de l'expression " absence d'attente raisonnable de profit ". Il s'agit d'une expression souvent invoquée au détriment d'une analyse. Il ne faut toutefois pas conclure que la notion peut être écartée quand une affaire en commande l'emploi. Lorsqu'une activité donne régulièrement lieu à des pertes pendant 10 ou 20 ans sans espoir de profit dans un proche avenir, il est possible que la notion d'absence d'attente raisonnable de profit soit d'une utilité limitée quand il est allégué que cette activité est en réalité un passe-temps plutôt qu'une entreprise.

[4]            L'appelant était directeur d'une école publique pendant les années en litige et il a eu une brillante carrière en éducation. Il a pris sa retraite en 1995.

[5]            Il a acheté son premier cheval en 1964. En 1972, il a acheté des terrains dans le canton de King. Depuis cette époque, il a acheté, élevé, vendu, fait courir et exposé des chevaux. Il possède une connaissance extraordinaire des chevaux et il en a acheté et vendu un grand nombre au cours des années, dont certains ont gagné des courses. Il n'a jamais réalisé de profits depuis qu'il a commencé à s'occuper de chevaux.

[6]            Le tableau suivant indique les pertes qu'il a subies de 1987 à 1998.

ANNÉE          REVENU BRUT    PERTES AGRICOLES NETTES

1987                             15 000 $                                              (12 995 $)

1988                             36 120 $                                              (10 063 $)

1989                              6 310 $                                              (25 727 $)

1990                               NÉANT                                          (33 876 $)

1991                              4 464 $                                              (36 470 $)

1992                              4 169 $                                              (35 045 $)

1993                                NÉANT                                          (24 868 $)

1994                               NÉANT                                          (18 539 $)

1995                              8 925 $                                              (12 260 $)

1996                              1 700 $[1]                                             (16 729 $)

1997                                NÉANT                                          (12 978 $)

1998                              4 050 $                                              (16 230 $)

[7]            Même avant 1987, il perdait de l'argent relativement aux activités liées aux chevaux.

[8]            À son crédit, l'appelant a indiqué des dépenses très raisonnables et il n'a demandé la déduction que de pertes agricoles restreintes en vertu de l'article 31 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[9]            Néanmoins, j'ai conclu que, lorsque des pertes s'étendent sur une période dont on ne peut vraisemblablement pas voir la fin dans un avenir prévisible, les activités ne peuvent pas réellement être considérées comme une entreprise. Aucun homme d'affaires raisonnable visant seulement la possibilité de réaliser un profit ne continuerait d'investir de l'argent dans cette activité. Tôt ou tard, il faut décider de mettre un terme à ces pertes et de laisser tomber un projet qui s'avère manifestement non rentable. Je ne crois pas qu'il soit réaliste ni raisonnable de continuer à subir des pertes de cette ampleur indéfiniment. Le fait d'espérer déduire ces pertes d'un autre revenu est également irréaliste. Cette activité est à mon avis un passe-temps, et non une entreprise.

[10]          Ma seule réserve au sujet de cette conclusion provient de l'affaire Kuhlmann et al. c. Sa Majesté La Reine, C.A.F., no A-981-96, 30 octobre 1998 (98 DTC 6652), dans laquelle la Cour d'appel fédérale, lors d'un jugement oral, a infirmé une conclusion de fait de notre cour et a conclu que deux médecins praticiens fortunés, mari et femme, avaient le droit de déduire du revenu provenant de leur pratique de la médecine des pertes énormes subies alors qu'ils élevaient et faisaient courir des chevaux.

[11]          Ce que j'ai dit de l'arrêt Kuhlmann dans l'affaire Rai c. La Reine, C.C.I., no 98-925(IT)I, 8 février 1999 (99 DTC 562) s'applique également en l'espèce :

                [15]          Je n'aurais eu aucune difficulté à rejeter l'appel en fonction de la preuve, des décisions que j'ai citées et des nombreuses autres décisions portant sur ce domaine du droit. Quoi qu'il en soit, on pourrait tenter de faire valoir que la récente décision de la Cour d'appel fédérale dans Kuhlmann et al. v. The Queen, 98 DTC 6652 (les juges Décary, Létourneau et Chevalier) renverse toutes les décisions antérieures de toutes les cours sur la question de l'attente raisonnable de profit. La Cour d'appel fédérale a statué ce qui suit à la page 6656 :

                Les deux avocats conviennent qu'une attente " raisonnable " ne doit pas être " irrationnelle, absurde et ridicule ". En l'espèce, le ministre devait établir que, d'après la prépondérance des probabilités, l'attente de profit était irrationnelle, absurde, ou ridicule. Manifestement, à notre avis, le ministre n'a pas réussi à faire cette preuve et le juge de la Cour de l'impôt n'aurait pas dû conclure autrement, s'il avait appliqué les principes juridiques appropriés.

                [16]          Dans cette affaire, deux médecins qui jouissaient de revenus extrêmement élevés, avaient déduit les pertes considérables découlant de leurs activités hippiques. Le juge Mogan avait statué que l'intimée (qui avait le fardeau de la preuve en raison d'une nouvelle approche adoptée lors du procès) s'était déchargée du fardeau de la preuve et fourni la preuve prima facie que l'activité ne présentait aucune attente raisonnable de profit et qu'elle était exploitée plutôt par satisfaction personnelle que pour réaliser un bénéfice.

                [17]          La Cour d'appel fédérale a accueilli l'appel dans un jugement prononcé à l'audience.

                [18]          Essentiellement, la décision a renversé une conclusion de fait du juge de première instance basée sur son examen de la preuve1.

                [19]          S'il existe maintenant un principe de droit, à la suite de la décision Kuhlmann, selon lequel un contribuable peut établir qu'il avait une " attente raisonnable de profit " et qu'il exploitait une entreprise dans le cours de l'exercice de ce qui, selon lui, constituait une activité commerciale, en démontrant simplement que son attente n'était pas " irrationnelle, absurde et ridicule ", je devrais admettre le présent appel parce que l'attente de profit de M. Rai n'était ni irrationnelle, ni absurde, ni ridicule. Ce ne serait pas la première fois que des personnes font de l'argent avec l'élevage et les courses de chevaux. Selon les circonstances, les chances de réaliser un profit peuvent être, à mon avis, tout aussi bonnes que dans le cas de nombre d'autres entreprises risquées, comme le forage de puits d'exploration et la prospection de l'or. Néanmoins, pour qu'il y ait, selon moi, une entreprise, il faut qu'il y ait plus qu'une absence d'attentes irrationnelles, absurdes ou ridicules. À mon avis, la décision Kuhlmann ne propose pas d'adopter un autre raisonnement.

                [20]          Je préfère voir dans la citation de la décision de la Cour d'appel fédérale une illustration de l'adoption, peut-être hâtive, d'une proposition à laquelle ont souscrit les avocats, plutôt que l'énonciation d'un nouveau principe qui, à toutes fins pratiques, renverse la jurisprudence établie pendant plus de vingt ans.

                [21]          Les appels sont rejetés.

__________________

                1 Il est bien établi qu'une cour d'appel doit traiter les conclusions de fait du juge de première instance avec beaucoup de respect et n'intervenir à leur égard que si elles sont manifestement erronées ou injustes ou ne sont pas étayées par la preuve. Voir Schwartz c. La Reine, [1996] 1 R.C.S. 254 aux pages 278 à 283; Beaudoin-Daigneault c. Richard, [1984] 1 R.C.S. 2 aux pages 8 et 9; Janiak c. Ippolito, [1985] 1 R.C.S. 146 à la page 151; MDS Health Group Ltd. v. R., [1997] 1 C.T.C. 111 à la page 115; Flexi-Coil Ltd. v. R., [1996] 3 C.T.C. 57 à la page 60; voir Cana Construction Co. v. The Queen, [1996] 3 C.T.C. 11 à la page 13, motifs du juge Décary, dissident.

[12]          Je conclus que M. Cober n'exploitait pas une entreprise. Son activité consistant à élever, à faire courir et à exposer des chevaux était plutôt un passe-temps.

[13]          Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies pour les années 1991, 1992, 1993 et 1996 sont rejetés. Les autres appels sont annulés.

Signé à Toronto, Canada, ce 15e jour de mai 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4852(IT)I

ENTRE :

DON COBER,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 3 mai 2001, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge en chef adjoint D. G. H. Bowman

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Kelly Smith Wayland

JUGEMENT

          Il est ordonné que les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1990, 1994, 1995, 1997 et 1998 soient annulés.

          Il est en outre ordonné que les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1991, 1992, 1993 et 1996 soient rejetés.


Signé à Toronto, Canada, ce 15e jour de mai 2001.

" D. G. H. Bowman "

J.C.A.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de janvier 2002.

Martine Brunet, réviseure




[1]               Ce montant a été modifié au procès. (Auparavant, il était de 56 145 $.)

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