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Date: 20010508

Dossiers: 2000-4546-EI,

2000-4547-CPP

ENTRE :

VRATISLAV KUSKA,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

SOUTHAM INC.

s/n THE KINGSTON-WHIG STANDARD,

intervenante.

Motifsdu jugement

Le juge Hamlyn, C.C.I.

[1]            L'appelant en a appelé d'une décision à l'intimé afin que ce dernier détermine s'il occupait ou non un emploi assurable au sens de la Loi sur l'assurance-chômage (la " Loi ") lorsqu'il était employé par The Kingston-Whig Standard, Division de Hollinger Newspapers Limited Partnership (le " payeur ") pendant la période allant du 1er janvier au 19 novembre 1999.

[2]            Dans une lettre datée du 29 juin 2000, l'intimé a avisé l'appelant et le payeur qu'il avait été déterminé que l'appelant n'exerçait pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services, et en conséquence, n'était pas un employé du payeur selon l'alinéa 5(1)a) de la Loi pour la période en cause.

[3]            L'appelant en a appelé également d'une décision à l'intimé afin que ce dernier détermine s'il occupait ou non un emploi ouvrant droit à pension au sens du Régime de pensions du Canada (le " Régime ") lorsqu'il était employé par The Kingston-Whig Standard pendant la période allant du 1er janvier 1999 au 19 novembre 1999.

[4]            Dans une lettre datée du 29 juin 2000, l'intimé a avisé l'appelant et le payeur qu'il avait été déterminé que l'appelant n'exerçait pas un emploi en vertu d'un contrat de louage de services et, en conséquence, n'était pas un employé du payeur selon l'alinéa 6(1)a) du Régime pour la période en cause.

AVIS D'APPEL DE L'APPELANT

[5]            L'avis d'appel de l'appelant est ainsi libellé :

[TRADUCTION]

Je ne suis pas d'accord avec la décision de Revenu Canada. Les particularités de mon cas, que je décrivais dans mon appel au ministre, n'ont pas été bien évaluées, et la décision que la division des appels de l'Agence des douanes et du revenu du Canada a rendue sur mon appel au ministre se fondait sur des faits qui peuvent ne pas s'appliquer à mon cas précis.

On ne m'a pas donné l'occasion d'expliquer, d'étayer et de justifier mes affirmations.

En tenant compte de ma situation particulière, j'ai répondu aux questions énoncées dans la brochure RC4110(e) 1219 de l'Agence des douanes et du revenu du Canada pour déterminer si j'étais un employé ou un travailleur indépendant, et il était clair que j'étais un employé du journal The Kingston-Whig Standard et non un fournisseur ou un entrepreneur indépendant.

J'avais répondu à une offre d'emploi du journal The Kingston-Whig Standard parue dans la section " emploi " de ce journal. J'ai été embauché comme employé; le statut de fournisseur ou d'entrepreneur indépendant n'a jamais été mentionné au cours du processus d'embauchage. J'ai été traité comme un employé pendant la durée de mon emploi; c'est seulement environ un an après que j'ai commencé à travailler pour The Kingston-Whig Standard que l'on m'a graduellement informé, à certaines occasions, que je n'étais pas un employé, alors que j'ai toujours été traité comme un employé par les clients et les employés de ce journal.

À mon avis, le statut de fournisseur ou d'entrepreneur indépendant sur lequel se fondait la décision de la division des appels de l'Agence des douanes et du revenu du Canada ne s'appliquait pas à mon cas, comme cela a à plusieurs occasions été indirectement admis même par des représentants du journal The Kingston-Whig Standard.

THÈSE DU MINISTRE

[6]            Pour arriver à sa décision, l'intimé s'est fondé sur les hypothèses de fait suivantes :

[TRADUCTION]

a)              le payeur exploite comme entreprise un journal quotidien local;

b)             l'appelant a été embauché pour livrer des journaux dans un territoire déterminé;

c)              plus précisément, les fonctions de l'appelant consistaient à acheter et à revendre des journaux et à en faire la livraison six matins par semaine;

d)             l'appelant a été embauché en vertu d'un contrat écrit;

e)              les fonctions de l'appelant prenaient en moyenne deux heures par jour;

f)              l'appelant pouvait choisir ses heures de travail, la seule restriction étant que les journaux devaient avoir été livrés à 6 h 30 du lundi au vendredi et à 7 h 30 le samedi;

g)             l'appelant ne se présentait pas à l'établissement du payeur, car les journaux étaient laissés à un point de livraison;

h)             l'appelant était payé au taux de 0,1325 $ par journal vendu et livré;

i)               l'appelant recevait en outre de l'argent supplémentaire (4 à 10 cents) lorsqu'il devait livrer des prospectus publicitaires ou des catalogues sur son parcours;

j)               l'appelant recevait une prime de 10 $ pour chaque nouvel abonné;

k)              l'appelant ne recevait aucune rémunération lorsque, pour diverses raisons, aucun journal ne devait être livré, par exemple le dimanche;

l)               l'appelant tenait un registre des paiements des clients, car certains des clients payaient directement l'appelant, tandis que d'autres payaient le payeur. Lorsque les paiements étaient reçus par le payeur, ce dernier, une fois par mois, versait simplement le profit de l'appelant par voie de dépôt direct;

m)             l'appelant n'avait pas à fournir personnellement ses services;

n)             l'appelant était responsable de la rémunération des aides;

o)             l'appelant devait utiliser son propre véhicule et était responsable de ses frais d'automobile;

p)             l'appelant était couvert par l'" assurance contre les accidents de distributeur indépendant " et en payait totalement les primes;

q)             l'appelant n'était pas supervisé par le payeur;

r)              l'appelant ne recevait pas de formation du payeur;

s)              l'appelant était responsable du règlement de plaintes d'abonnés;

t)              il n'y avait pas de contrat de louage de services entre l'appelant et le payeur.

THÈSE DE L'INTERVENANTE

[7]            L'intervenante a déposé un avis d'intervention concernant les deux appels pour faire valoir que les services étaient fournis par l'appelant en tant qu'entrepreneur indépendant et non en tant qu'employé.

SOMMAIRE DES FAITS EXPOSÉS

DANS L'AVIS D'INTERVENTION

[8]            Le 13 février 1998 ou vers cette date, l'appelant et l'intervenante ont conclu un contrat de vente indépendante entre adultes.

[9]            Le contrat de vente indépendante entre adultes entre l'intervenante et l'appelant spécifie que ce dernier est un entrepreneur indépendant.

[10]          Le contrat entre l'appelant et l'intervenante stipule entre autres ce qui suit :

a)              l'entrepreneur peut embaucher d'autres personnes pour s'acquitter de ses responsabilités;

b)             l'entrepreneur est libre de livrer d'autres publications et produits pour d'autres organisations;

c)              l'entrepreneur s'occupera à ses frais et à ses risques de fournir, d'entretenir et d'utiliser tous les véhicules et le matériel nécessaires pour s'acquitter de ses responsabilités;

d)             tous les paiements qui seront faits à l'entrepreneur par le journal seront effectués sans aucune retenue légale concernant l'impôt sur le revenu, le régime de pensions, l'assurance-emploi, l'indemnisation des accidents du travail et l'impôt-santé des employeurs de l'Ontario.

[11]          L'appelant a fourni des services de livraison à l'intervenante en vertu du contrat de vente indépendante entre adultes du 28 février 1998 au 19 novembre 1999.

[12]          L'intervenante vend en gros des journaux aux livreurs, y compris l'appelant, qui les vendent au détail aux abonnés.

[13]          L'intervenante n'accorde aux livreurs aucun avantage comme un régime de retraite ou une assurance médicale ou autre.

[14]          Aucun contrôle n'est exercé quant à la manière dont les journaux doivent être livrés. La seule ligne directrice est que les journaux doivent être livrés avant 6 h 30 les jours de semaine et avant 7 h 30 le samedi.

[15]          Si les livreurs omettent de percevoir de l'argent des abonnés, ils subissent une perte.

ÉLÉMENTS IMPORTANTS

[16]          L'appelant avait répondu à une annonce que le journal The Kingston-Whig Standard avait fait paraître dans sa section " emploi " pour dire qu'il était à la recherche d'adultes intéressés à gagner un revenu supplémentaire en livrant des journaux tôt le matin.

[17]          L'appelant a été embauché par The Kingston-Whig Standard pour livrer des journaux et s'est vu assigner un parcours.

[18]          L'appelant, un homme intelligent qui se décrivait comme étant un écrivain, maintenait qu'il n'avait pas été embauché en vertu d'un contrat écrit et disait qu'il n'admettait pas les modalités d'un prétendu contrat.

[19]          Quand on lui a présenté la pièce I-1, soit le contrat de vente indépendante entre adultes du journal The Kingston-Whig Standard en date du 13 février 1998, l'appelant a reconnu sa signature. Cet élément de preuve présenté lors du contre-interrogatoire soulève de sérieuses questions de crédibilité quant à la preuve principale de l'appelant.

[20]          L'appelant a dit qu'il était étroitement surveillé par le payeur et que, au cours de son emploi, il y avait eu entre lui et le journal The Kingston-Whig Standard un échange constant de messages écrits, de télécopies et d'appels téléphoniques.

[21]          Le directeur des services aux lecteurs et du service des ventes du journal The Kingston-Whig Standard a témoigné que les livreurs, y compris l'appelant, exerçaient leur activité selon des horaires et des modes de perception fixés par le journal. Il a dit que l'appelant, de la manière dont il s'acquittait de ses fonctions, générait fréquemment des messages, des télécopies et des appels téléphoniques.

ANALYSE

[22]          D'une manière générale, la preuve indique que l'appelant effectuait généralement son parcours conformément au contrat de vente indépendante entre adultes. Toutefois, les méthodes de l'appelant dans l'exécution du contrat et l'approche de l'appelant à l'égard du journal The Kingston-Whig Standard créaient une relation très étroite entre les parties. Un arrangement entre le payeur et l'appelant concernant un livreur suppléant a conduit à une rupture de contrat; le payeur a retiré à l'appelant le contrat qu'il lui avait accordé.

ANALYSE POUR DÉTERMINER S'IL S'AGIT D'UN CONTRAT DE LOUAGE DE SERVICES OU D'UN CONTRAT D'ENTREPRISE

[23]          Contrôle et supervision exercés, la question-clé : qui avait le droit d'exercer un contrôle sur le travailleur et de l'encadrer?

[24]          L'appelant exerçait un contrôle quant à savoir quand et comment il accomplissait le travail, sous réserve des exigences et lignes directrices du payeur concernant la livraison et la perception et concernant les livreurs suppléants. L'appelant n'était pas tenu d'accomplir personnellement le travail. Il pouvait faire appel à un remplaçant à ses frais. Dans le cas d'un remplaçant fourni par le payeur, le coût était élevé pour l'appelant. J'estime que la relation entre l'appelant et le payeur exigeait beaucoup d'interventions. Ce facteur ainsi qu'un problème en matière de suppléance ont créé une tension dans l'interaction entre l'appelant et le payeur, et cela a fini par entraîner la rupture de la relation contractuelle.

[25]          Propriété des instruments de travail : en général, si l'employeur fournit les instruments de travail, cela indique l'exercice d'un contrôle sur le travailleur. Le payeur fournissait à l'appelant un sac de livraison, des fiches relatives à la perception des sommes dues par les clients ainsi qu'un carnet. L'appelant fournissait tout le reste du matériel, y compris un chariot de livraison. Il tenait ses registres dans son propre ordinateur et utilisait ses propres services de télécopie pour communiquer avec le payeur. Si l'appelant avait décidé d'utiliser un véhicule automobile pour ramasser et livrer les journaux, cela aurait été son choix et cela aurait été à ses propres frais. L'appelant avait choisi de faire le ramassage et les livraisons à pied.

[26]          Chances de bénéfice et risques de perte : ce critère se fonde sur le principe que, dans une relation employeur-employé, l'employé n'engage généralement pas de frais, ne court aucun risque financier et n'a aucune chance de réaliser un bénéfice. L'appelant recevait un montant prédéterminé par journal vendu et livré. Il recevait en outre 10 $ pour chaque nouvel abonné recruté par lui.

[27]          Si l'appelant omettait de percevoir de l'argent des abonnés, il subissait des pertes. Le processus de perception relevait de l'appelant, qui en profitait directement s'il le gérait bien. Le payeur imposait bel et bien certaines exigences quant à savoir quand la perception pouvait se faire.

[28]          Critère d'organisation ou d'intégration : il s'agit de l'analyse visant à déterminer à qui appartient l'entreprise, soit la question ultime. Il faut aller au-delà des apparences dans l'examen de la relation.

[29]          L'appelant était à son compte dans l'exploitation de son parcours de distribution. Il pouvait déterminer quand et comment livrer les journaux, pourvu que soient respectées les lignes directrices du payeur en matière de livraison. Le contrat établissait d'entrée de jeu qu'il s'agissait d'une relation entre des parties à un contrat d'entreprise, et l'appelant, bien qu'il ait d'abord nié au procès avoir passé ce contrat, avait conclu et signé le contrat figurant sous la cote I-1 et comprenait qu'il s'agissait d'un contrat d'entreprise. La proposition avancée par l'appelant après que la pièce I-1 eut été consignée en preuve, à savoir que l'application effective du contrat ne correspondait pas au contrat qui avait été passé, n'a pas été prouvée. Je conclus qu'un contrat d'entreprise était le fondement de la relation contractuelle intrinsèque du point de vue de l'intention, de la forme et de l'application. Le niveau élevé d'interactions ne changeait pas la nature de la relation.

[30]          Malgré le fait que l'appelant devait se conformer aux instructions et lignes directrices du payeur, The Kingston-Whig Standard n'avait aucun contrôle sur les heures de l'appelant ou quant à savoir qui l'appelant pouvait embaucher pour se faire aider. Tout en respectant les directives du journal The Kingston-Whig Standard, l'appelant avait un choix quant à la façon d'exécuter le contrat. L'ensemble des éléments indique que l'appelant était à son compte relativement au contrat qu'il avait pour vendre et livrer des journaux du payeur.

DÉCISION

[31]          L'appelant a été engagé par le payeur en vertu d'un contrat d'entreprise. Les appels sont rejetés.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de mai 2001.

" D. Hamlyn "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 9e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4546(EI)

ENTRE :

VRATISLAV KUSKA,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

SOUTHAM INC.

s/n THE KINGSTON-WHIG STANDARD,

intervenante.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Vratislav Kuska (2000-4547(CPP)) le 1er mai 2001 à Kingston (Ontario), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Avocat de l'intimé :                              Me Jade Boucher

Avocat de l'intervenante :            Me J. Michael Hickey

JUGEMENT

          Les appels sont rejetés et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de mai 2001.

" D. Hamlyn "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2002.

Martine Brunet, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4547(CPP)

ENTRE :

VRATISLAV KUSKA,

appelant,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé,

et

SOUTHAM INC.

s/n THE KINGSTON-WHIG STANDARD,

intervenante.

Appel entendu sur preuve commune avec l'appel de Vratislav Kuska (2000-4546(EI)) le 1er mai 2001 à Kingston (Ontario), par

l'honorable juge D. Hamlyn

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Avocat de l'intimé :                              Me Jade Boucher

Avocat de l'intervenante :            Me J. Michael Hickey

JUGEMENT

          Les appels sont rejetés et la décision du ministre est confirmée.

Signé à Ottawa, Canada, ce 8e jour de mai 2001.

" D. Hamlyn "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 9e jour de janvier 2002.

Martine Brunet, réviseure


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