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Date: 20001107

Dossier : 1999-4682-IT-I

ENTRE :

ADEL KORKEMAZ,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs de Jugement

(Prononcés oralement sur le banc le 29 septembre 2000 à Montréal (Québec) et modifiés à Ottawa (Ontario) le 7 novembre 2000.)

La juge Lamarre, C.C.I.

[1]            Il s'agit d'appels de cotisations établies par le ministre du Revenu national (" Ministre ") en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu (" Loi ") par lesquelles le Ministre a refusé à l'appelant des crédits pour dons de bienfaisance pour des montants de 2 000 $, 2 000 $, 3 500 $, 5 000 $ et 4 000 $ pour les années d'imposition 1989, 1990, 1991, 1992 et 1993 respectivement.

[2]            Toutes ces cotisations ont été établies en dehors des périodes normales de nouvelle cotisation. Il revient donc au Ministre d'établir selon la prépondérance des probabilités que l'appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire ou a commis quelque fraude eu égard à ces dons de bienfaisance, tel que requis par le paragraphe 152(4) de la Loi. Le Ministre a également imposé des pénalités en vertu du paragraphe 163(2) de la Loi.

[3]            L'appelant qui est libanais d'origine, a dit dans son témoignage qu'il avait fait des dons en argent comptant au cours de toutes ces années à l'Ordre Antonien libanais des Maronites (" Ordre "). Il dit qu'il a été mis au courant de l'existence de l'Ordre par le biais de sa mère qui vivait au Liban au cours de ces années. Celle-ci habitait dans la maison familiale au Liban qui voisinait l'orphelinat pris en charge par l'Ordre. Elle aurait demandé à l'appelant de faire des dons, par l'intermédiaire de l'Ordre, au profit de cet orphelinat, lequel s'occupait des orphelins de la guerre. C'est ainsi que l'appelant aurait pris contact avec l'Ordre ici à Montréal en rencontrant quelques prêtres, soit au bureau de la congrégation sur la rue Ducharme à Outremont, soit au marché Adonis sur le boulevard l'Acadie à Montréal. En 1989, l'appelant aurait remis une somme totale de 2 000 $ en sept versements comptants au courant de l'année. En 1990, il aurait remis la même somme en neuf versements comptants tout au long de l'année. En 1991, il aurait donné 3 500 $ en un seul paiement le 5 juillet 1991 et un autre montant de 5 000 $ versé comptant le 4 septembre 1991. En 1993, il aurait donné la somme de 4 000 $ en un seul versement comptant le 6 août 1993.

[4]            A l'appui de ses prétentions, l'appelant a produit ses relevés bancaires pour toutes ces années dans lesquels on constate des retraits bancaires pour ces mêmes montants.

[5]            L'appelant explique qu'il rencontrait le père Jean ou le père Joseph par hasard au marché Adonis et leur remettait les sommes d'argent en question. Il pouvait aussi les contacter à l'avance afin de leur donner rendez-vous.

[6]            Selon son témoignage, lorsqu'il donnait de plus grosses sommes, le prêtre lui remettait un reçu pour le même montant postdaté au 31 décembre de la même année, à l'exception du paiement de 5 000 $ effectué au mois de septembre 1991, où le reçu aurait été postdaté au 31 décembre 1992. Lorsqu'il donnait des plus petits montants, comme en 1989 et 1990, il recevait un reçu en fin d'année daté du 31 décembre de l'année pour la somme globale qu'il aurait versée au cours de l'année.

[7]            L'appelant est ingénieur et travaillait au cours de ces années pour la Société immobilière du Québec. Son salaire brut serait passé de 48 000 $ environ en 1989 à 58 523 $ en 1993. Ses revenus nets étaient de l'ordre de 20 000 $ en 1989 et sont passés à 41 680 $ en 1993.

[8]            Il ressort de toute la preuve présentée par l'intimée que l'Ordre s'est engagé dans un stratagème fiscal permettant aux donateurs d'éluder le paiement d'impôt. L'Ordre a reconnu que des faux reçus avaient été émis à l'attention de donateurs. Il ressort de la preuve de l'intimée que les donateurs faisaient en moyenne des dons d'une valeur de 20 pour cent de la valeur indiquée sur les reçus qui leur étaient remis. Soit, les donateurs faisaient des chèques pour la valeur des reçus et se faisaient remettre dans les jours qui suivaient 80 pour cent de la valeur inscrite sur le chèque. Soit, ils faisaient tout simplement un chèque pour un montant équivalant à 20 pour cent de la valeur indiquée sur le reçu qu'on leur remettait. Certains obtenaient un reçu sans débourser un sou de leur poche. Nombreux donateurs ont reconnu cette fraude et en sont arrivés à une entente avec le Ministre pour rembourser l'impôt dû. Dans certains cas, la pénalité a été annulée par le Ministre. Nombreux témoins sont venus dire qu'ils ont été impliqués dans ce stratagème par ignorance de la loi et suivant le conseil de leurs comptables ou amis.

[9]            L'appelant de son côté prétend qu'il était ignorant de toute cette fraude. Il habite Ste-Scholastique et dit ne pas fréquenter la communauté Maronite de Montréal. Quelques faits toutefois me font douter de l'ignorance de l'appelant au sujet de l'existence de ce stratagème fiscal. Il dit qu'il faisait affaire avec le père Jean ou le père Joseph. Dans une des lettres remises à monsieur Ouellette, inspecteur fiscal, par l'une des donatrices, madame Carole Martin, laquelle reconnaissait avoir participé à ce stratagème fiscal, (pièce I-6, onglet 11, à la page 17), elle mentionne qu'elle faisait affaire avec le père Joseph. Ceci laisse présager que si le père Joseph était dans le coup, il y a fort à parier qu'il avait mis l'appelant au courant de ce processus de reçus fabriqués.

[10]          Deuxièmement, la vérification fiscale des reçus établis par l'Ordre a commencé en 1994 suite à la dénonciation de madame Isabelle Mercier, laquelle avait elle-même été entraînée dans ce stratagème fiscal par son ex-conjoint. Or, en 1994, l'appelant a cessé de faire des donations à l'Ordre. Il dit qu'il a préféré envoyer directement l'argent au Liban en passant par sa mère. Il est fort plausible que l'appelant ayant été mis au courant de la vérification par Revenu Canada à l'époque, ait décidé de ne plus faire affaire avec l'Ordre.

[11]          Troisièmement, l'appelant a dit qu'il connaissait le Docteur Fadi Basil qui, selon madame Mercier, était un des premiers à participer à ce stratagème fiscal. Selon l'appelant, il aurait vu monsieur Basil pour la dernière fois en 1987 et aurait reçu une lettre de ce dernier en 1997, par laquelle l'appelant était sollicité pour aider la communauté Maronite à défrayer les frais d'avocat. L'appelant a alors contacté maître Gagnon, lequel lui avait été référé par le docteur Basil et lui a demandé conseil quant à son propre avis d'appel. Encore une fois, il s'agit ici d'un fait qui peut laisser croire que l'appelant pouvait être au courant du stratagème fiscal.

[12]          Finalement, l'appelant dit qu'il n'avait aucun contact avec la communauté Maronite puisqu'il habitait Ste-Scholastique. Toutefois, il n'hésitait pas à se déplacer à Montréal pour aller au marché Adonis là où il rencontrait les prêtres Maronites représentant l'Ordre.

[13]          Il est vrai que l'appelant a fait des retraits de ses comptes bancaires, qui ont pu faire l'objet de donations. D'ailleurs, on voit que, malgré son salaire peu élevé pour le montant des dons qu'il aurait faits, il y a une série de dépôts inexpliqués dans son compte bancaire qui laissent présumer que l'appelant avait d'autres sources de revenus ou du moins un certain capital accumulé. Il est donc possible qu'il ait fait ces dons. Toutefois, la preuve ne révèle pas d'où proviennent ces dépôts. Il se pourrait aussi que ces dépôts soient tout simplement une partie des retraits déposés de nouveau au compte bancaire.

[14]          Pour pouvoir cotiser en dehors des périodes de nouvelle cotisation, le Ministre doit prouver que l'appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou par omission volontaire, ou a commis quelque fraude en produisant sa déclaration de revenu.

[15]          Ne pouvant faire une preuve directe, puisque lors de l'enquête, aucun registre n'a été retrouvé sur les dons en espèces, l'intimée a dû procéder par preuve circonstancielle. Elle doit démontrer qu'il est plus probable, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant n'ait pas réellement fait ces dons en argent ou que s'il en a faits, c'est pour une somme inférieure aux reçus.

[16]          L'intimée s'appuie sur le fait qu'il était de connaissance notoire que ce stratagème fiscal existait. L'intimée soutient également que si l'on se réfère à la pièce I-7 qui reprend toute la conciliation des dépôts et des retraits faits par l'Ordre, les reçus remis à l'attention de l'appelant n'étaient pas postdatés mais, selon toute probabilité, antidatés. L'intimée soutient finalement que le témoignage de l'appelant est peu crédible lorsqu'il dit qu'il n'était pas au courant de toute cette fraude fiscale. L'intimée soutient également que la preuve a révélé que l'épouse de l'appelant a fait des dons à l'Ordre de 4 000 $ en 1990, 5 000 $ en 1991 et 4 000 $ en 1993. L'appelant, bien qu'il ait indiqué dans ses déclarations de revenu qu'il était séparé, n'était pas trop loquace à ce sujet.

[17]          C'est avec une certaine hésitation, mais en tenant compte des faits ressortis plus haut, que je conclus que l'appelant pouvait avoir connaissance du stratagème fiscal élaboré par l'Ordre. De plus, je ne peux passer sous silence le fait qu'en 1991, l'appelant dit avoir donné la somme de 5 000 $ en 1991 et demandé un reçu pour l'année 1992.

[18]          Ayant conclu ceci, l'intimée m'a également convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant a sans doute bénéficié du même stratagème fiscal que les autres donateurs. Le fait que l'appelant ait cessé de faire des dons à l'Ordre en 1994, année de la vérification, fait pencher selon moi la balance du côté de la thèse de l'intimée. Pourquoi en 1994, faire directement des dons au Liban et ne pas procéder ainsi dans les années antérieures?

[19]          En concluant qu'il est plus que probable que l'appelant ait participé au stratagème fiscal impliquant l'Ordre et ses donateurs, je dois conclure que l'intimée à démontré que l'appelant a fait une présentation erronée des faits par négligence, inattention ou omission volontaire. Le Ministre pouvait donc recotiser en dehors des périodes normales de nouvelle cotisation.

[20]          Toutefois, je ne suis pas convaincue que l'appelant n'a pas donné du tout d'argent. L'intimée soutient qu'il n'y a pas de don du moment que l'appelant a acheté un reçu de l'Ordre pour fins fiscales. Il ressort de la preuve que le Ministre a réglé pour un bon nombre de donateurs afin de leur accorder un crédit pour le don véritable qui a été fait. Le Ministre, n'ayant pu retracer quoique ce soit sur les dons en argent, avait déjà proposé à l'appelant de lui accorder un crédit pour dons de bienfaisance pour 20 pour cent de la valeur indiquée au reçu, et d'annuler la pénalité pour les années 1989 et 1990.

[21]          Compte tenu du fait que c'est par prépondérance de preuve sans aucune preuve directe et après une certaine hésitation que j'ai accepté de reconsidérer les années en litige, je serais d'avis d'accorder le traitement déjà proposé par le Ministre à l'appelant, à savoir lui accorder un crédit pour dons de bienfaisance pour 20 pour cent de la valeur indiquée au reçu, puisqu'il est fort probable selon la preuve que ce soit le montant qui aurait été réellement donné par l'appelant au cours des années en litige.

[22]          Par ailleurs, les faits ressortis en preuve en ce qui concerne l'appelant, ne me permettent pas de conclure à une faute lourde de la part de l'appelant. Selon les témoignages entendus, beaucoup de gens se sont fait solliciter par l'Ordre, et ont accepté de participer dans ce stratagème tout en ne saisissant pas clairement la portée de leurs gestes. Le Ministre a d'ailleurs annulé la pénalité dans plusieurs cas. Je ne suis pas convaincue ici que l'appelant a sciemment ou dans des circonstances équivalant à faute lourde fait un faux énoncé ou une omission lors de la production de ses déclarations de revenu. Le paragraphe 163(2) de la Loi est une disposition pénale. En cas de doute, l'appelant doit en bénéficier et la pénalité ne peut être maintenue (voir Farm Business Consultants Inc. v. The Queen, 95 DTC 200 (T.C.C.), conf. 96 DTC 6085 (F.C.A.)). En l'occurrence, je suis d'avis d'annuler les pénalités.

[23]          Les appels sont donc admis sur la base suivante : l'appelant a droit à un crédit pour dons de bienfaisance pour 20 pour cent de la valeur indiquée sur les reçus pour chacune des années 1989 à 1993. Les pénalités sont annulées.

Signé à Ottawa, Canada, ce 7e jour de novembre 2000.

" Lucie Lamarre "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        1999-4682(IT)I

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Adel Korkemaz c. La Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                    les 28 et 29 septembre 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Lucie Lamarre

DATE DU JUGEMENT :                      le 7 novembre 2000

COMPARUTIONS :

Pour l'appelant(e) :               l'appelant lui-même

Pour l'intimé(e) :                    Me Nathalie Lessard

                                                Me Simon-Nicolas Crépin

AVOCAT(E) INSCRIT(E) AU DOSSIER :

Pour l'appelant(e) :

                                Nom :                      

                                Étude :                    

Pour l'intimé(e) :                    Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa, Canada

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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