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Date: 20010504

Dossier: 2000-4733-IT-I

ENTRE :

KEN TAYLOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Margeson, C.C.I.

[1]            Cet appel est interjeté à l'encontre d'une cotisation établie pour les années d'imposition 1996 et 1997 par laquelle le ministre a limité les pertes agricoles de l'appelant, conformément au paragraphe 31(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (" Loi "). L'appelant avait déduit des pertes agricoles intégrales pour les années en question.

Faits

[2]            La preuve présentée en l'espèce par l'appelant et son comptable confirmait la plupart des hypothèses de la réponse à l'avis d'appel (la " Réponse ") - avec quelques ajouts mineurs. Ces faits indiquent que, durant toute la période pertinente, l'appelant exerçait un emploi à temps complet dans une raffinerie de gaz de Bowden (Alberta). Au cours des années d'imposition 1987 à 1998, l'appelant a tiré de son emploi les revenus suivants :

                Année d'imposition                                              Revenu

1987                                                                                                                         72 184

1988                                                                                                                         76 461

1989                                                                                                                         77 504

1990                                                                                                                         49 081

1991                                                                                                                         38 556

1992                                                                                                                         41 121

1993                                                                                                                         42 354

1994                                                                                                                         41 721

1995                                                                                                                         46 151

1996                                                                                                                         46 233

1997                                                                                                                         47 633

1998                                                                                                                         49 082

[3]            Pour la même période, l'appelant a déclaré les revenus (pertes) agricoles indiqués ci-après et il a, pour chacune des années, demandé une déduction pour amortissement comme l'indique la pièce A-1, admise en preuve par consentement. La chronologie des faits concernant le revenu indique ce qui suit :

ANNÉE

T4

REVENU AGRICOLE BRUT

REVENU (PERTE) AGRICOLE NET

REMBOUR-

SEMENT

DPA DEMANDÉE

1987

72 184

22 180

( 6 464)

3 779

10 913

1988

76 461

23 215

(13 337)

6 599

10 132

1989

77 504

27 943

( 4 456)

2 692

9 827

1990

49 081

24 321

(11 094)

3 486

12 171

1991

38 556

45 309

(23 768)

8 382

12 178

1992

41 121

54 009

(12 358)

3 140

18 161

1993

42 354

55 497

(22 654)

6 282

19 977

1994

41 721

69 700

( 2 500)

955

18 619

1995

46 151

48 915

(40 233)

11 520

25 697

1996

46 233

87 805

(49 655)

12 189

30 367

1997

47 644

41 526

(26 331)

8 043

18 211

1998

49 082

41 910

( 7 842)

2 955

28 938

TOTAL

628 092

542 330

(225 692)

70 022

215 191

[4]            L'appelant exploitait sa ferme sur trois quarts de section. Il avait acheté le premier quart de section en 1971. Sa conjointe avait hérité du deuxième quart de section vers 1990, et il a acheté le troisième quart de section il y a cinq ans.

[5]            Il a mentionné que la ferme avait 100 ans et qu'il l'exploitait depuis 31 ans. Son fils est maintenant propriétaire d'une partie de la ferme. L'appelant espère que ses petits-enfants continueront à exploiter la ferme. Il a dit : " C'est un mode de vie pour nous. "

[6]            Il a mentionné qu'ils avaient porté le nombre de bovins de 5 à 100 et qu'en 1996, toutefois, ils avaient vendu le troupeau parce qu'une bactérie présente dans le sol infectait les vaches. Les deux seules options étant de cultiver du foin ou des céréales, ils avaient choisi de cultiver du foin. L'appelant a fait remarquer qu'il faut alterner entre la culture de foin et la culture de céréales pour poursuivre l'exploitation.

[7]            Il a témoigné que, exception faite de quelques mois, il avait exercé un emploi à la raffinerie pendant environ 25 ans. Au cours de l'année d'imposition 1996 et d'années antérieures, il avait exploité une entreprise de naissage avec son fils. Il était propriétaire de la moitié du troupeau de vaches et déduisait la moitié des pertes.

[8]            Au cours de l'année d'imposition 1997, l'entreprise est devenue une entreprise de culture de foin. On a dit à l'appelant que, pour faire vivre sa famille et maintenir une entreprise agricole, il avait toujours été obligé d'exercer un emploi hors de la ferme, mais l'appelant a répliqué qu'il ne savait pas si c'était une obligation. Il a reconnu qu'il avait investi des sommes importantes dans la ferme, selon les besoins, ce qui représente maintenant environ 300 000 $ d'équipement.

[9]            Quand on a dit à l'appelant qu'il n'avait apporté aucun changement sur le plan de l'orientation professionnelle en vue de se consacrer à l'agriculture à temps complet, il a répliqué qu'il était passé d'un quart de section à trois quarts de section et que son emploi est extrêmement souple, qu'il peut prendre de longues vacances et qu'il peut facilement modifier ses heures de travail à l'usine. Il a admis que, par rapport à l'exploitation de naissage, l'entreprise de culture de foin lui demandait moins de temps, car c'était une entreprise à moins forte intensité de main-d'oeuvre. Il a admis que son emploi était sa principale source de revenu.

[10]          L'appelant estimait que le vérificateur était passé à côté de l'essentiel dans sa vérification. L'appelant exploite la ferme depuis environ 31 ans, et ils ont remplacé tous les bâtiments et ont investi plus de 300 000 $ dans de la machinerie. L'appelant a dit que le vérificateur avait pris en compte quatre véhicules appartenant à l'entreprise une année donnée, mais il a dit que ces véhicules n'avaient pas été capitalisés par lui. Ils ne faisaient pas partie de l'exploitation agricole. Cela représente une erreur parmi les faits sur lesquels le vérificateur s'est fondé. En outre, le vérificateur disait que l'entreprise était surcapitalisée, ce sur quoi l'appelant n'était pas d'accord. L'appelant disait également que le vérificateur avait commis des erreurs concernant les prix du foin et que cela avait influé sur la décision rendue par suite de la vérification. Le vérificateur disait qu'il n'y avait pas de plan d'entreprise en bonne et due forme, mais l'appelant n'était pas d'accord là-dessus. L'appelant disait qu'il avait plus de 30 ans d'expérience et qu'il pouvait voir qu'il y aurait un profit à l'avenir.

[11]          L'appelant consacrait plus de temps à la ferme (60 heures par semaine) qu'il en consacrait à son emploi, particulièrement au cours des saisons de pointe. Il a répété concernant son emploi que son horaire était souple et qu'il avait six semaines de vacances. Il a émis l'opinion que même les agriculteurs à temps plein ne font pas de l'agriculture tout le temps. Il a déclaré : " Ce n'était pas une vérification pour fins agricoles. " À la fin de l'interrogatoire principal auquel il a été soumis, il a mentionné qu'il avait bon espoir qu'il y aurait un profit bientôt. L'agriculture était la carrière qu'il avait choisie.

[12]          Il a exprimé une certaine insatisfaction quant au temps que cela avait pris pour que l'affaire passe au tribunal, mais les faits sembleraient indiquer qu'une telle position n'était pas justifiée.

[13]          Au cours du contre-interrogatoire, on lui a demandé s'il croyait qu'il pourrait vivre uniquement de l'agriculture, et il a répondu que oui. Il a toutefois bel et bien admis qu'il n'y avait eu aucun profit jusqu'à maintenant, y compris en 1999, mais il pensait qu'il y aurait un profit pour l'exercice 2000, qui n'est pas encore terminé.

[14]          Il a alors mentionné que, s'il devait se tourner vers l'agriculture comme seule source de revenu, il lui faudrait augmenter sa dette et peut-être aussi vendre certains des actifs. Puis il a dit : " Ma vie, c'est et ce sera toujours l'agriculture. "

[15]          L'appelant a en outre consigné en preuve la pièce R-1, qui renfermait une partie de l'information financière mentionnée précédemment, ainsi qu'un aperçu de l'histoire et de la nature de l'exploitation agricole et un aperçu quant à savoir en quoi l'appelant considérait qu'il s'agissait d'une entreprise. L'appelant habitait la ferme à longueur d'année. On n'avait jamais limité ses pertes agricoles jusqu'à maintenant, mais il reconnaissait que cela pouvait arriver, bien qu'il ait toujours estimé qu'il était un agriculteur à temps plein. L'agriculture était un mode de vie pour lui, malgré le fait qu'il avait travaillé à temps complet comme employé depuis l'âge de 20 ans. Pour faire vivre sa famille et maintenir l'exploitation agricole, il a toujours dû travailler hors de la ferme.

[16]          Michael John Muzychka était un comptable agréé. Sa thèse était que l'appelant aurait pu vivre de l'agriculture et que, toutefois, il lui aurait fallu emprunter de l'argent ou liquider du bétail. Il lui aurait fallu s'endetter davantage. M. Muzychka faisait valoir que le revenu de l'appelant provenait principalement d'une combinaison de l'agriculture et d'un emploi. Il a dit que 95 p. 100 des pertes étaient attribuables à des frais d'immobilisation. Ce témoin a, par consentement, déposé la pièce R-1, soit un rapport selon l'article 31. On lui a en outre présenté la pièce A-1, qui faisait état des pertes agricoles et déductions pour amortissement indiquées précédemment.

[17]          Le témoin a déclaré que, dans l'année d'imposition 1996, on avait tenu compte d'un rajustement facultatif pour inventaire à l'égard d'années antérieures, sans quoi il y aurait eu un léger profit cette année-là, et la thèse du comptable était que, en 1996, l'entreprise avait fait de l'argent selon la comptabilité de caisse. Les revenus bruts les plus importants provenaient de ventes de bovins. Pour toutes les années, la perte agricole nette incluait la déduction pour amortissement. Le témoin a alors dit que, sans le rajustement pour inventaire, il y aurait eu un profit de 6 000 $ en 1996. Cela incluait bel et bien la déduction pour amortissement.

Arguments présentés pour le compte de l'intimée

[18]          L'avocate de l'intimée a attiré l'attention sur la disposition appropriée au paragraphe 31(1) de la Loi. Elle soutenait que le revenu de l'appelant pour les années en question ne provenait principalement ni de l'agriculture ni d'une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source en vertu du paragraphe 31(2) et que l'appelant ne peut déduire les pertes agricoles intégrales subies au cours de ces années-là. L'entreprise a été déficitaire toutes ces années-là. L'avocate de l'intimée reconnaissait que la question de l'attente raisonnable de profit n'était pas un point litigieux en l'espèce et que le ministre avait accepté cette proposition.

[19]          L'avocate de l'intimée a fait référence à l'affaire R. c. Donnelly, [1998] 1 C.F. 513 ([1998] 1 C.T.C. 23), soit une décision récente de la Cour d'appel fédérale faisant jurisprudence sur ces questions, et elle a notamment fait référence au paragraphe 8 de cette décision. Elle soutenait que l'entreprise agricole ne pouvait se suffire à elle-même. Pour avoir gain de cause en l'espèce, l'appelant doit pouvoir démontrer qu'il pouvait raisonnablement s'attendre à tirer de l'agriculture des bénéfices importants ou " considérables ", comme le disait le juge d'appel Robertson au paragraphe 12 de cette décision.

[20]          L'avocate de l'intimée soutenait que l'exploitation agricole ne pouvait être la principale source de revenu s'il n'y avait pas de revenu net. L'agriculture n'était pas la principale source de revenu à elle seule ou en combinaison avec l'emploi. Les appels devraient être rejetés.

Arguments de l'appelant

[21]          Le comptable a présenté des arguments au nom de l'appelant. Sa thèse était que le revenu de l'appelant pour les années en question provenait principalement d'une combinaison de l'agriculture et d'un emploi. Il a admis qu'il y avait eu des pertes continuelles de 1987 à 1995, juste avant les années auxquelles se rapportent les nouvelles cotisations, mais il a dit que l'appelant s'occupait de constituer un troupeau au cours de cette période. Il soutenait en outre que le " revenu " dont il était question dans l'arrêt Donnelly, précité, était le revenu brut et non le revenu net. Sa thèse était que, si l'on considère le revenu net, il faut garder à l'esprit que l'appelant était en train de liquider le troupeau durant les années en cause et que les perspectives d'avenir semblaient meilleures.

[22]          À l'appui de sa thèse, il a renvoyé à l'affaire Miller c. La Reine, C.C.I., no 98-80(IT)G, 4 novembre 1999 (2000 DTC 1502). Il a également fait référence au jugement Finch c. La Reine, C.C.I., no 98-1593(IT)G, 23 août 2000 (2000 DTC 2382), qui, disait-il, définissait la " principale source de revenu " comme étant une combinaison de l'agriculture et de quelque autre source.

[23]          Il soutenait que les appels devraient être admis.

Analyse et décision

[24]          En raison des faits de l'espèce, la Cour conclut qu'il s'agit d'une cause dans laquelle il est difficile de rendre une décision juste, raisonnable et bien fondée. Cette cause ne correspond pas aux causes habituelles de chevaux ou de courses de chevaux, dans lesquelles l'appelant est généralement un membre d'une profession libérale ou un homme d'affaires qui gagne un revenu important hors de la ferme, qui s'est lancé dans l'agriculture pour satisfaire son ego, ses intérêts personnels ou sa fantaisie et qui cherche à déduire des pertes épouvantables pour réduire considérablement l'impôt qu'il doit payer sur son revenu ne provenant pas de l'agriculture.

[25]          La Cour est convaincue sur la foi de la preuve que le contribuable faisait partie d'une famille agricole traditionnelle de l'Alberta, qu'il était profondément attaché à la terre, qu'il avait investi des capitaux importants dans la ferme et qu'il consacrait énormément de temps aux activités agricoles et connexes, peut-être encore plus qu'à son emploi. Il s'attendait à ce que ses enfants se lancent dans l'agriculture et il entrevoyait même le jour où ses petits-enfants pourraient suivre ses traces et celles de ses enfants.

[26]          Nul doute que l'appelant en l'espèce se considérait comme un agriculteur à temps plein et qu'il considérait l'agriculture non pas comme une entreprise secondaire ou un passe-temps, mais bien comme une entreprise à temps complet qui lui permettait de déduire des pertes agricoles intégrales et qui ne le limiterait pas aux pertes que peuvent déduire les agriculteurs à temps partiel en vertu du paragraphe 31(1) de la Loi. Toutefois, ce qui est en cause dans la présente espèce, c'est non pas les intentions de l'appelant, mais plutôt la question de savoir si les faits que révèle la preuve établissent que, conformément à l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213), l'appelant était un agriculteur à temps plein. Pour être ainsi considéré, l'appelant doit satisfaire à deux critères. Il doit établir premièrement que l'exploitation agricole donnait lieu à une attente raisonnable de profit et, deuxièmement, que sa " principale source de revenu " est l'agriculture, au sens du paragraphe 31(1) de la Loi.

[27]          Dans ce cas particulier, le premier critère ne fait pas problème, car le ministre a reconnu qu'il y avait une attente raisonnable de profit et, de toute façon, la Cour est plus que convaincue sur la foi de la preuve que l'appelant ne faisait pas partie de la catégorie des agriculteurs " amateurs " pour qui l'agriculture est un passe-temps. Il va sans dire que, si l'appelant satisfait au premier critère mais pas au second, il convient, comme l'a fait le ministre en l'espèce, de limiter la perte agricole en vertu l'article 31 de la Loi.

[28]          On s'est interrogé jusqu'à un certain point quant à savoir pourquoi le ministre a adopté la thèse qu'il a adoptée pour les années en cause, soit 1996 et 1997, car la preuve indique clairement qu'il n'y a pas eu de revenu agricole net entre 1987 et 1998 et même jusqu'en 1999. Aucun élément de preuve n'a été présenté quant à savoir pourquoi le ministre a pris la mesure qu'il a prise pour 1995 et 1996, et l'on ne peut que spéculer là-dessus. La preuve indique qu'il y a eu très peu de changements dans la manière dont cette exploitation était dirigée au cours de toute cette période, et il n'y a guère d'éléments de preuve qui indiquent qu'il y a eu un changement d'orientation durant cette période, si ce n'est au cours de l'année où l'appelant est passé d'une entreprise d'élevage de bovins à une entreprise de culture de foin, comme il l'a décrit dans son témoignage. Par ailleurs, l'exploitation a été dirigée de la même manière pendant toute la période.

[29]          La preuve établit clairement que l'appelant consacrait énormément de temps, d'énergie et de capitaux à cette exploitation agricole et qu'il ne s'agissait nullement d'une entreprise véreuse. Vu le temps et les capitaux investis dans l'entreprise, il s'agissait d'une exploitation importante.

[30]          La Cour ne peut que spéculer sur le fait que, au cours des années en cause, il doit y avoir eu un changement dans la politique du ministre, ou peut-être que le ministre tâtait simplement le terrain pour voir comment la Cour statuerait sur ce type d'affaire. Quoi qu'il en soit, le simple fait que le ministre avait admis des pertes agricoles intégrales jusqu'aux années en cause dans la présente espèce ne signifie pas que sa décision était fondée en fait et en droit et cela ne signifie pas non plus qu'il n'avait pas raison en fait et en droit de refuser les pertes déduites pour les années en cause. Ce point doit être tranché par la Cour selon le droit existant par rapport aux faits établis en l'espèce.

[31]          Dans l'arrêt Donnelly, précité, qui traite d'une longue série d'affaires relatives à cette question, le juge Robertson faisait remarquer aux pages 520 et 521 (C.T.C. : à la page 5) :

Pour déterminer si l'agriculture est la principale source de revenu d'un contribuable, il faut établir une comparaison favorable entre cette source de revenu et l'autre source de revenu du contribuable sous l'angle des capitaux investis, du temps consacré à chacune et de la rentabilité présente et future. Il s'agit d'un critère à la fois relatif et objectif. Ce n'est pas une simple question de proportion. Ces trois facteurs doivent être soupesés et aucun d'eux n'est décisif. Malgré tout, il ne saurait y avoir de doute que le facteur de la rentabilité est le principal obstacle auquel se heurtent les contribuables qui cherchent à convaincre les tribunaux que l'agriculture est leur principale source de revenu. Il en est ainsi parce que les contribuables ont la charge de prouver que le revenu net qu'ils pourraient raisonnablement s'attendre de tirer de l'agriculture est considérable par rapport à leur autre source de revenu: il s'agit invariablement d'un revenu d'emploi ou de profession libérale. Si la règle de droit était différente, la Cour de l'impôt n'aurait aucun moyen d'établir une comparaison entre les montants relatifs censés être tirés de l'agriculture et de l'autre source de revenu, ainsi que le prévoit l'article 31 de la Loi. J'approfondirai un peu plus loin la question de la mesure dans laquelle le fardeau de preuve pour ce qui est de la rentabilité diffère de celui qui régit l'expectative raisonnable de profit.

[32]          Le juge Robertson a ajouté que la Cour doit examiner les capitaux investis, le temps consacré à l'activité et la rentabilité, soit les facteurs cumulatifs qui détermineront si l'agriculture sera considérée comme une " entreprise secondaire " visée par les dispositions relatives à la perte agricole restreinte. Il a ensuite fait référence à une jurisprudence sur cette question remontant jusqu'à l'arrêt Moldowan, précité.

[33]          Comme je l'ai dit précédemment, la preuve établit clairement en l'espèce que l'appelant consacrait beaucoup de temps et de capitaux à l'exploitation agricole. Toutefois, le troisième élément, soit ce que le juge Robertson a appelé dans d'autres causes une rentabilité effective ou potentielle importante, fait énormément problème à la Cour. Ni les éléments de preuve ni les arguments présentés pour l'appelant ne se rapportaient à ce point particulier. En fait, l'information financière présentée en preuve indique des pertes importantes pour toutes les années considérées, sauf 1987, 1989 et 1994, quand on considère le revenu agricole brut comparativement aux dépenses. Pour chaque année, l'appelant a pris en compte la déduction pour amortissement, ce qu'il doit faire pour déterminer le revenu agricole net.

[34]          L'appelant ne peut donc faire grand cas du fait que, n'eussent été les frais d'immobilisations et le rajustement pour inventaire de 1996, il pourrait avoir réalisé un profit. Les faits financiers parlent d'eux-mêmes à cet égard.

[35]          La Cour doit se demander quels éléments de preuve présentés par l'appelant indiquaient que cette exploitation agricole permettait d'avoir durant les années considérées une attente raisonnable de rentabilité potentielle, car l'entreprise a en fait subi des pertes pour toutes ces années-là. Le seul élément de preuve présenté par l'appelant et son comptable à cet égard tient au témoignage de l'appelant selon lequel il croyait qu'il aurait pu vivre uniquement de l'agriculture s'il avait décidé de quitter son emploi et de se consacrer entièrement à la ferme. Cependant, il a lui-même admis que cela n'aurait été possible que s'il avait pu liquider certains de ses actifs immobilisés ou s'il avait emprunté de l'argent, ce qui l'aurait endetté davantage. Il a dit en outre qu'il avait bon espoir de pouvoir réaliser des bénéfices à l'avenir, mais il n'a pas prouvé que cet espoir était fondé et n'a mentionné aucun changement précis quant à la manière dont il exploitait l'entreprise qui indiquerait qu'une telle conclusion serait raisonnable. La preuve qui a été présentée est loin d'être satisfaisante par rapport à la charge dont l'appelant doit s'acquitter en raison des exigences imposées par la disposition législative pertinente.

[36]          Comme le disait le juge Robertson dans l'arrêt Donnelly,précité, à la page 523 (C.T.C. : à la page 6) :

Le contribuable ne pouvait pas se contenter d'affirmer qu'il pourrait avoir réalisé un bénéfice. Il aurait dû fournir assez d'éléments de preuve pour permettre au juge de la Cour de l'impôt d'évaluer à combien ce bénéfice aurait pu s'élever.

En l'espèce, on n'a présenté aucun élément de preuve qui indique que des événements hors de l'ordinaire survenus au cours des années en question ont empêché cette entreprise de réaliser un profit ou qui indique quel profit le contribuable pourrait avoir réalisé n'eussent été ces événements. Le contribuable devait en outre prouver que ce profit aurait été important comparativement à son autre revenu.

[37]          Dans l'arrêt Donnelly, précité, le juge Robertson disait au sujet de l'arrêt Graham c. R., [1985] 2 C.F. 107 (85 DTC 5256) :

En fin de compte, l'arrêt Graham est un cas d'espèce. Il est toutefois possible de tirer au moins une leçon de cette affaire. Il me semble que l'arrêt Graham s'apparente davantage à une affaire dans laquelle un agriculteur à temps complet est contraint d'aller chercher un revenu supplémentaire à la ville afin d'absorber les pertes subies à la ferme. L'agriculteur de deuxième génération qui est incapable de subvenir convenablement aux besoins de sa famille peut bien se tourner vers un autre emploi pour absorber des pertes annuelles répétées. Voilà le genre d'affaires dont les tribunaux ne sont jamais saisis. Vraisemblablement, le ministre du Revenu national a pris la décision de principe de reconnaître l'existence d'une expectative raisonnable de profit dans les situations où la famille d'un contribuable a toujours compté sur l'agriculture pour gagner sa vie, encore qu'avec un succès financier limité. Les mêmes considérations générales permettent d'accorder plus d'importance aux facteurs des capitaux investis et du temps consacré à l'agriculture en vertu de l'article 31 de la Loi, et d'accorder moins d'importance à la rentabilité. Je n'ai encore jamais vu d'affaire dans laquelle le ministre refuse à un tel contribuable le droit de déduire la totalité de ses pertes agricoles à cause de l'existence d'une autre source de revenu. C'est peut-être parce qu'il est peu probable qu'un éleveur de porcs comme M. Graham exercerait cette activité comme un passe-temps.

[38]          Cette citation pose une certaine difficulté à la Cour en raison des faits de cette cause-là et vu la manière dont la Cour comprend la situation factuelle exposée dans l'affaire Miller, précitée, soit précisément le cas qui est soumis à notre cour. La seule différence peut très bien tenir au fait que notre cour n'est pas convaincue que l'appelant était un agriculteur à temps complet contraint d'aller chercher un revenu supplémentaire à la ville afin d'absorber les pertes subies à la ferme. Tout au long de la période d'exploitation indiquée en preuve et même avant cette période, l'appelant n'était pas quelqu'un qui comptait sur l'exploitation agricole comme principale source de revenu et qui, à cause d'un manque à gagner, a été contraint de travailler à la raffinerie pour absorber certaines de ces pertes. Tout au long de la période en question et avant, l'appelant exerçait un emploi externe, recevait un revenu externe considérable et ne comptait manifestement pas sur sa ferme pour faire vivre sa famille, mais comptait sur son revenu d'emploi pour soutenir l'exploitation agricole.

[39]          À cet égard, dans l'arrêt Donnelly, précité, la Cour semble dire, en traitant de l'arrêt Graham, précité, que des considérations de principe ont permis au ministre d'accorder plus d'importance aux facteurs des capitaux investis et du temps consacré à l'agriculture en vertu de l'article 31 de la Loi et d'accorder moins d'importance à la rentabilité. Cela peut très bien aller pour le ministre, mais notre cour voit difficilement comment elle peut accorder moins d'importance à la rentabilité et plus d'importance aux facteurs des capitaux investis et du temps consacré à l'agriculture, vu la charge dont la partie appelante doit s'acquitter dans une affaire de cette nature, comme l'indique cette décision et comme cela a été indiqué précédemment. La différence entre la présente espèce et le genre de cause mentionné par le juge Robertson peut très bien tenir au fait que notre cour est convaincue en l'espèce qu'il ne s'agit pas d'un cas où l'appelant considérait la ferme comme sa principale source de revenu en allant chercher un emploi. Dans un tel cas, l'agriculture serait sa principale source de revenu et non une entreprise secondaire. Son emploi serait une entreprise secondaire par rapport à son exploitation agricole.

[40]          Au sujet de l'arrêt Graham, précité, le juge Robertson faisait remarquer qu'il s'agissait de la seule affaire dans laquelle un contribuable avait eu gain de cause devant la Cour d'appel après avoir soutenu que son entreprise agricole était sa principale source de revenu même s'il exerçait un emploi dans un autre domaine. Le juge Robertson a ensuite établi une distinction d'avec l'affaire Graham en disant que la Cour avait appliqué un critère désuet qui a été redéfini dans d'autres décisions : voir l'arrêt Morrissey c. R., [1989] 2 C.F. 418 ([1989] 1 C.T.C. 235). Il a dit : " Dans l'affaire Graham, la Cour a effectué une analyse en deux étapes. Existait-il une expectative raisonnable de profit et, dans l'affirmative, quelles étaient les " habitudes et la façon coutumière de travailler " du contribuable? " À la page 113 (DTC : à la page 5263), la Cour avait conclu que, " [é]tant donné les circonstances exceptionnelles de la présente espèce " (l'affaire Graham), l'emploi du contribuable n'empêchait pas le juge de première instance de conclure que l'agriculture était la principale préoccupation du contribuable. Le juge Robertson a en outre conclu que la méthode fondée sur les faits permettait également d'établir une distinction d'avec l'affaire Graham. Les faits de l'affaire Graham sont toutefois très semblables aux faits de la présente espèce, et notre cour conclut que, sur la foi des faits, il n'est pas facile de distinguer la présente espèce de l'affaire Graham.

[41]          À l'appui de sa thèse, l'appelant a cité l'affaire Brian Roy Finch c. La Reine, C.C.I., no 98-1593(IT)G, 23 août 2000 (2000 DTC, à la page 2382), dans laquelle le juge Beaubier a admis l'appel relativement à une situation factuelle un peu semblable aux faits de la présente espèce. Toutefois, notre cour est convaincue qu'elle peut distinguer les faits de la présente espèce de ceux de l'affaire Finch, pour plusieurs raisons. Dans cette cause-là, le savant juge présidant le procès avait conclu que le travail accompli par M. Finch hors de la ferme était directement attribuable au fait que la Société du crédit agricole avait exigé que M. Finch gagne un revenu de 20 000 $ hors de la ferme en 1989. Son revenu ne provenant pas de l'agriculture n'avait pas, dans la médiation qui avait suivi, notamment en 1992, été pris en compte par l'organisme provincial et l'organisme fédéral. Pour eux, l'emploi était secondaire par rapport à la ferme et M. Finch était un agriculteur au sens de la Loi sur l'examen de l'endettement agricole du Canada.

[42]          De plus, le savant juge du procès avait conclu que les Finch avaient eu des profits et des pertes au cours de leurs 20 années précédentes en agriculture, qu'ils avaient une formation pratique complète et que la voie sur laquelle ils s'étaient engagés consistait à développer une exploitation de naissage, à exploiter une entreprise de culture biologique de céréales et à utiliser le revenu ne provenant pas de la ferme pour aider à rembourser les dettes et à exploiter la ferme. Il avait conclu que l'entreprise permettait d'avoir une attente raisonnable de profit raisonnable, conformément à ce que les appelants avaient calculé. Notre cour ne peut arriver à une conclusion semblable en l'espèce.

[43]          La cause la plus favorable à la thèse de l'appelant est l'affaire Miller, précitée. Les faits de cette cause-là sont presque identiques à ceux de la présente espèce. Toutefois, dans cette cause-là, le juge Bowman avait déterminé que l'on ne pouvait refuser une mesure de redressement à l'appelant en se fondant sur le seul facteur de la rentabilité et, à l'appui de cette thèse, il avait fait référence à une série de jugements comme Morrissey, précité, La Reine c. Poirier, C.A.F., no A-132-86, 25 mars 1992 (92 DTC 6335), et Connell c. La Reine, C.A.F., no A-341-88, 16 janvier 1992 (92 DTC 6134), qui établissaient qu'aucun facteur unique ne pouvait être déterminant.

[44]          Dans cette cause-là, le juge Bowman avait manifestement conclu que M. Miller était un agriculteur à temps plein qui devait exercer un emploi afin d'avoir l'argent pour maintenir et développer l'exploitation agricole. Pour l'essentiel, il avait conclu que M. Miller était un agriculteur à temps plein qui travaillait à Safeway. Il avait conclu que, dans l'affaire Donnelly, le médecin faisait de l'élevage de chevaux de course en amateur.

[45]          C'est à cela que tient la différence entre cette cause-là et la présente espèce. En l'espèce, la Cour est convaincue que l'histoire de l'exploitation établit que l'emploi de l'appelant était la principale source de revenu et que la ferme était une entreprise secondaire, malgré le fait que l'appelant était profondément attaché à la ferme et qu'il avait investi dans ce mode de vie au fil des ans.

[46]          Fait intéressant, la pièce qui a été consignée en preuve indique que l'appelant lui-même avait envisagé que le ministre puisse un jour le considérer comme un agriculteur à temps partiel; dans cette mesure, l'appelant peut très bien avoir cru, et à raison, que sa situation était précaire et que, un de ces jours, le couperet tomberait. C'est ce qui est arrivé pour 1995 et 1996, le ministre ayant conclu que l'appelant était un agriculteur à temps partiel.

[47]          Dans l'arrêt Donnelly, précité, à la page 520 (C.T.C. : à la page 5), le juge Robertson disait, comme je l'ai indiqué précédemment dans les présents motifs :

Malgré tout, il ne saurait y avoir de doute que le facteur de la rentabilité est le principal obstacle auquel se heurtent les contribuables qui cherchent à convaincre les tribunaux que l'agriculture est leur principale source de revenu. Il en est ainsi parce que les contribuables ont la charge de prouver que le revenu net qu'ils pourraient raisonnablement s'attendre de tirer de l'agriculture est considérable par rapport à leur autre source de revenu: il s'agit invariablement d'un revenu d'emploi ou de profession libérale.

[48]          À la lumière d'un jugement formel aussi clair, notre cour ne croit pas qu'il lui soit loisible de décider qu'un contribuable qui fait partie d'une famille agricole traditionnelle et qui est profondément attaché à la terre devrait être traité différemment d'autres personnes cherchant à obtenir de telles déductions, et ce, vu le critère relatif à une rentabilité importante. Pour cela, il faudrait que le ministre prenne une décision de principe, de sorte que la Cour ne serait jamais saisie d'une telle cause, ou il faudrait que la Loi soit modifiée.

[49]          Quoiqu'elle comprenne bien l'appelant, la Cour doit malheureusement rejeter les appels et doit ratifier la cotisation du ministre.

Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2001.

" T. E. Margeson "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 2e jour de janvier 2002.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4733(IT)I

ENTRE :

KEN TAYLOR,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 24 avril 2001 à Calgary (Alberta), par

l'honorable juge T. E. Margeson

Comparutions

Pour l'appelant :                         L'appelant lui-même

Avocate de l'intimée :                 Me Margaret McCabe

JUGEMENT

Les appels interjetés à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996 et 1997 sont rejetés, et la cotisation du ministre est ratifiée selon les motifs du jugement ci-joints.


Signé à Ottawa, Canada, ce 4e jour de mai 2001.

" T. E. Margeson "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 2e jour de janvier 2002.

Mario Lagacé, réviseur


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