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Date: 20010626

Dossier: 2000-3998-IT-I

ENTRE :

CLARITA JARQUIO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Miller, C.C.I.

[1]            Clarita Jarquio fait appel du rejet, par le ministre, de la déduction de ses pertes locatives pour ses années d'imposition 1996 et 1997. Les pertes locatives se rapportent à l'immeuble où Mme Jarquio habitait et dont elle a loué une partie à plusieurs membres de sa famille.

[2]            L'appelante avait acquis le bien en question, soit le 111, chemin Fishery, Scarborough (Ontario), en mai 1997, conjointement avec sa soeur Pilar Jarquio, pour la somme de 163 000 $. Les deux soeurs sont propriétaires inscrits.

[3]            L'appelante a déclaré que la décision d'acquérir une résidence avait été prise délibérément en vue de gagner un revenu de location, au lieu de payer un loyer, ce qu'elle avait fait pendant de nombreuses années avant d'acquérir sa maison. Malgré le fait que le coût à l'époque semblait lourd pour elle, vu son modeste revenu, elle s'attendait à un profit à long terme. Elle disait que la période de remboursement du prêt hypothécaire représentait une longue période de démarrage. Mme Jarquio a reconnu que, durant les premières années où elle était propriétaire du bien, les seuls intérêts sur le prêt hypothécaire étaient deux fois plus élevés que le montant du loyer perçu. En fait, même en 1996 et en 1997, les intérêts sur le prêt hypothécaire étaient encore deux fois plus élevés que le loyer perçu.

[4]            Le loyer perçu et les pertes subies de 1987 à 1995 sont les suivants :

Année

Revenu brut

Perte nette

1987

              4 200 $

                    7 083 $

1988

              4 500 $

                    7 444 $

1989

              5 500 $

                  14 233 $

1990

              5 500 $

                  10 019 $

1991

              5 500 $

                    8 287 $

1992

              5 500 $

                  19 280 $

1993

              5 500 $

                    9 746 $

1994

              5 500 $

                    8 657 $

1995

              4 900 $

                  11 114 $

[5]            Tout le revenu de location pour ces années-là provenait de la mère et d'une soeur de l'appelante (autre que la soeur qui était copropriétaire et qui vivait également dans cette maison). En 1996 et en 1997, le loyer perçu et les dépenses effectuées ont été les suivants :

1996

1997

Revenu brut

                   2 400,00 $

                     2 400,00 $

Dépenses

Publicité

                - $

                  - $

Assurances

                    1 338,86 $

                      1 222,32 $

Intérêts

                    7 299,45 $

                      5 037,55 $

Entretien et réparations

                    3 231,81 $

                      2 904,39 $

Impôts fonciers

                    3 476,80 $

                      3 506,16 $

Services publics

                   2 562,09 $

                     2 069,06 $

Dépenses totales

                  17 909,01 $

                    14 739,48 $

Moins partie personnelle

des dépenses (33,3 %)

                   5 969,67 $

                     4 913,16 $

Dépenses nettes

                 11 939,34 $

                     9 826,32 $

Perte nette

                  9 539,34 $

                    7 426,32 $

[6]            Au cours de ces deux années, le loyer perçu a été moins élevé que dans le cas d'années précédentes, car Mme Jarquio n'avait qu'un locataire, sa mère étant décédée vers la fin de 1995. Donc, en 1996 et en 1997, trois membres de la famille habitaient dans la maison, dont un seul payait un loyer. Mme Jarquio a dit que, malgré le fait qu'un seul membre de la famille sur trois était locataire, elle avait indiqué seulement 33 1/3 p. 100 comme proportion d'utilisation personnelle, car elle s'absentait plus que les autres. Toutefois, elle maintenait également qu'elle n'avait pas loué la chambre devenue vacante au décès de sa mère parce qu'elle n'était pas très bien à cette époque. J'ai trouvé son témoignage quelque peu contradictoire à cet égard.

[7]            Mme Jarquio croit qu'elle sera dans une position rentable en 2002, mais ses calculs à cet égard semblent optimistes, car elle prévoit de recevoir un loyer de 7 500 $, alors qu'elle n'a jamais reçu un loyer de plus de 5 550 $. Elle a bien fait savoir qu'elle avait actuellement un locataire non membre de la famille, soit une mère avec un enfant, qui loue une chambre pour 3 900 $ par année. Elle prévoit en outre des dépenses de 5 800 $, alors que les dépenses semblent avoir avoisiné en moyenne 14 000 $ par année, quoique, en 1996 et en 1997, les dépenses aient été de seulement 12 000 $ et 10 000 $ respectivement.

[8]            Je ne doute pas que l'appelante était extrêmement diligente dans l'entretien du bien, comptant sur son modeste revenu pour ce faire. Elle tenait consciencieusement ses registres financiers, y compris des registres de dépenses. Elle ne faisait toutefois pas de publicité pour avoir des locataires, ce qui était clairement inutile, car sa famille représentait un marché facile. Vu la relation des locataires, l'intimée a demandé si le taux de 200 $ par mois représentait la juste valeur locative. Mme Jarquio a répondu que sa maison était située dans un quartier d'étudiants et elle a dit qu'elle estimait que ce taux était en fait le taux du marché et qu'elle aurait demandé le même taux s'il s'était agi de locataires sans lien de dépendance.

[9]            L'intimée a formulé comme suit les questions en litige :

1.              Les dépenses non admises par le ministre à l'égard du bien ont-elles été engagées par l'appelante en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien ou était-ce des frais personnels ou de subsistance?

2.                     L'appelante avait-elle une attente raisonnable de profit à l'égard de la location d'une partie du bien en 1996 et en 1997?

3.              Subsidiairement, les dépenses non admises étaient-elles raisonnables dans les circonstances?

[10]          Dans les affaires de revenu provenant d'un immeuble dans lesquelles il y a, comme dans le cas de l'appelante, un élément personnel tenant au fait que le contribuable habite dans l'immeuble, j'estime qu'il y a deux approches possibles. La première consiste à se fonder sur le critère législatif d'attente raisonnable de profit selon l'alinéa 18(1)h) et selon la définition de " frais personnels ou de subsistance " figurant à l'article 248 de la Loi, laquelle définition se lit comme suit :

" frais personnels ou de subsistance " Sont compris parmi les frais personnels ou de subsistance :

a)            les dépenses inhérentes aux biens entretenus par toute personne pour l'usage ou l'avantage du contribuable ou de toute personne unie à ce dernier par les liens du sang, du mariage ou de l'adoption, et non entretenus dans le but ou avec l'espoir raisonnable de tirer un profit de l'exploitation d'une entreprise;

[...]

La seconde approche consiste à se fonder sur le critère jurisprudentiel d'attente raisonnable de profit établi dans l'arrêt Moldowan.

[11]          Dans l'affaire Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001), la Cour d'appel fédérale a fait une distinction entre le critère jurisprudentiel d'attente raisonnable de profit établi dans l'arrêt Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480, et le critère législatif d'attente raisonnable de profit selon l'alinéa18(1)h).

[...] le juge Dickson désirait que le critère de l'expectative raisonnable de profit, qui était semblable au critère précisé à l'alinéa 18(1)h), constitue une restriction générale touchant la déductibilité, tout à fait de la façon dont il avait formulé le critère. Il a choisi sagement d'utiliser une phraséologie semblable à celle de la disposition législative, afin d'éviter tout conflit pouvant découler du sens de termes différents. L'application du critère n'a pas été limitée aux dépenses d'exploitation agricole prévues à l'article 31, aux frais personnels aux termes de l'alinéa 18(1)h) ou même aux dépenses d'entreprise entrant dans la catégorie du revenu tiré d'une entreprise. Cette interprétation du critère de l'arrêt Moldowan respecte le ton général du renvoi fait par le juge Dickson au concept de la "source de revenu" et est conforme à la façon dont le critère a été appliqué dans le nombreuses décisions. Je suis donc convaincu que, aux yeux du juge Dickson, le critère devait avoir une portée plus large que l'alinéa 18(1)h); par conséquent, il n'y a pas lieu de dire que le critère énoncé dans l'arrêt Moldowan tire ses origines de cette disposition et que celle-ci exige en soi une interprétation plus restrictive de l'arrêt Moldowan.

Cependant, je n'ai pas l'intention, par cette analyse de l'arrêt Moldowan, de passer sous silence les préoccupations exprimées par les auteurs (voir plus haut) au sujet de l'application étendue du critère. Il est nécessaire de comprendre clairement l'objet du critère, tant d'après un examen de l'arrêt Moldowan qu'à la lumière d'une comparaison avec les dispositions législatives pertinentes. Le critère de l'arrêt Moldowan est plus strict que les critères de la fin commerciale prévus au paragraphe 9(1) et à l'alinéa 18(1)a). Tel qu'il est mentionné ci-dessus, ces critères exigent que le contribuable ait formé l'intention subjective de réaliser un bénéfice lorsqu'il engage une dépenses. Cependant, selon le critère de l'arrêt Moldowan, cette intention doit également être raisonnable sur le plan objectif. En réalité, dans la plupart des cas, le critère objectif de l'arrêt Moldowan et les critères subjectifs découlant de la loi ne donneront pas de résultats vraiment différents. Il est fréquemment possible de déduire l'intention subjective d'une analyse raisonnable des circonstances.

[...]

En résumé, bien qu'il soit formulé de façon similaire, le critère de l'arrêt Moldowan n'est pas tiré de l'un ou l'autre des articles 9, 18 et 20, qui concernent la déduction des dépenses. Il s'apparente à ceux de l'intention commerciale du paragraphe 9(1) et de l'alinéa 18(1)a), mais il doit être appliqué de façon plus stricte en raison de sa nature objective. L'aspect objectif du critère de l'arrêt Moldowan est certainement la caractéristique qui le distingue le plus des critères généraux énoncés dans la Loi quant à la déductibilité des dépenses.

[12]          La Cour d'appel fédérale indique clairement que le critère d'attente raisonnable de profit établi dans l'arrêt Moldowan est un principe fiscal distinct qui est reconnu, mais qui, comme l'ont clarifié des jugements subséquents (notamment Mastri, [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420), doit être appliqué avec modération, c'est-à-dire seulement lorsque les faits le justifient. La Cour d'appel fédérale distingue le critère de l'alinéa 18(1)h) du critère de l'arrêt Moldowan en se fondant sur le fait que le premier est un critère subjectif et que le second est un critère objectif. Toutefois, elle reconnaît aussi que, dans la plupart des cas, les deux critères ne donneront pas de résultats différents. Je ferais une autre distinction entre les deux critères en me fondant sur la notion de " source de revenu ". Selon le critère de l'arrêt Moldowan, conclure à l'absence d'attente raisonnable de profit revient à conclure à l'absence d'une source de revenus desquels des pertes pourraient être déduites. Par conséquent, le contribuable ne franchit pas la barre de l'article 3 de la Loi de l'impôt sur le revenu. Selon la définition de " frais personnels ou de subsistance ", soit le critère législatif, le contribuable franchit la barre de l'article 3 et est assujetti aux règles en matière de déductibilité qui figurent à l'article 18. Je trouve que c'est une approche logique dans les affaires de revenu provenant d'un bien dans lesquelles il y a un élément personnel, car, dans de telles causes, il est difficile de nier l'existence d'une source, soit un bien.

[13]          La Cour d'appel fédérale fait allusion à cette distinction dans l'arrêt Mastri :

Afin de préserver l'intégrité de la doctrine, il convient également de souligner qu'il faut établir une distinction entre le fait de savoir si une source de revenu d'un contribuable est tirée d'une entreprise par opposition à un bien. Je peux être propriétaire d'un bien locatif mais le fait de savoir si j'exploite une entreprise à l'égard de celui-ci constitue une question juridique distincte qui donne lieu à d'autres conséquences fiscales qui ne sont pas pertinentes relativement aux affaires visées. Par conséquent, à proprement parler il ne convient pas de dire qu'il s'agit de dépenses d'entreprise engagées relativement à un bien locatif à moins, évidemment, que les actes du contribuable soient considérés en droit comme une entreprise. De toute façon, il convient à ce stade d'énoncer les conclusions de droit précises établies dans l'arrêt Moldowan.

[14]          Cette distinction devient théorique dans un cas comme celui de Mme Jarquio, qui bénéficie d'un certain avantage personnel. De la façon dont l'expression " frais personnels ou de subsistance " est définie dans la Loi, les dépenses seront considérées comme n'entrant pas dans le cadre de cette définition que si l'on conclue que l'activité donnant lieu au revenu provenant d'un bien constitue une entreprise.

[15]          Donc, relativement aux dépenses qui n'ont pas été admises, il doit être démontré par l'appelante :

1.              soit que les dépenses non admises n'avaient pas été engagées pour l'usage et l'avantage de l'appelante ou de membres de sa famille;

2.              soit que l'activité locative constituait une entreprise exploitée avec une attente raisonnable de profit.

Si l'appelante peut me convaincre qu'il est satisfait à l'une ou l'autre de ces conditions, je ne peux conclure que les dépenses non admises étaient des frais personnels ou de subsistance.

[16]          Les dépenses non admises avaient-elles été engagées pour entretenir des biens pour l'usage et l'avantage de l'appelante et de sa famille? Il est clair qu'elles avaient été engagées à cette fin, car seuls des membres de la famille habitaient dans l'immeuble en 1996 et en 1997.

[17]          Mme Jarquio exploitait-elle une entreprise avec une attente raisonnable de profit en 1996 et en 1997? Je conclus que non.

[18]          Malgré le fait que Mme Jarquio tenait des registres détaillés de ses dépenses, elle n'a présenté aucune autre preuve de l'exploitation d'une entreprise. Elle n'a fourni aucune indication que beaucoup de temps était consacré à l'activité. Il n'y avait pas de preuves non plus de l'existence d'un plan de commercialisation, d'une publicité, de cartes professionnelles ou d'une ligne téléphonique distincte pour les affaires ou encore d'une pièce distincte pour les affaires. Sincèrement, je ne m'attendrais à aucun de ces signes extérieurs de l'existence d'une entreprise dans le cas d'une soeur qui fait en sorte que d'autres membres de la famille habitent chez elle et qui leur demande un loyer. Le comportement de Mme Jarquio est davantage celui d'une dame qui héberge des membres de sa famille que celui d'une femme d'affaires qui cherche activement à améliorer son entreprise. Même lorsque, au décès de sa mère, une chambre s'est libérée, l'appelante n'a pris aucune mesure pour louer de nouveau cette chambre en 1996 ou en 1997. Elle ne se comportait simplement pas de la manière dont on s'attendrait que se comporte une personne qui s'est lancée dans une entreprise commerciale ordinaire.

[19]          L'appelante avait-elle une attente de profit? Je crois Mme Jarquio quand elle admet qu'à long terme elle s'attendait à un profit. Ce n'était toutefois pas une attente raisonnable dans les années en cause, comme l'indiquent les pertes subies par l'appelante sur une longue période. La motivation de l'appelante en 1996 et en 1997 semblait être davantage de loger ses soeurs que de chercher à réaliser un profit.

[20]          Avec le remboursement du prêt hypothécaire et si Mme Jarquio faisait de la publicité et avait des locataires payant un loyer qui représente la juste valeur locative, il se pourrait que son activité locative puisse un jour être considérée comme une entreprise comportant en fait une attente raisonnable de profit. Pour les années 1996 et 1997, toutefois, l'appelante n'est pas parvenue à prouver selon la prépondérance des probabilités qu'une entreprise existait ou qu'il y avait une attente raisonnable de profit. Je conclus que les dépenses non admises par le ministre représentent bel et bien des frais personnels ou de subsistance au sens de l'article 248 et qu'elles ne sont donc pas déductibles. Les appels sont rejetés.

                Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juin 2001.

" Campbell J. Miller "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 24e jour de décembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

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