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Date: 20010501

Dossier: 2000-1458-IT-I

ENTRE :

GARY BOISSONEAU,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge O'Connor, C.C.I.

[1]            La question en litige dans le présent appel est celle de savoir si dans l'année d'imposition 1996, le revenu de l'appelant, de 47 374 $, tiré de son emploi au ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien (le " ministère "), constituait un bien meuble d'un Indien situé sur une réserve et était donc exonéré de l'impôt sur le revenu en vertu de la Loi sur les Indiens.

FAITS :

[2]            Les principaux faits sont les suivants :

1.              L'appelant est un Indien au sens de la Loi sur les Indiens et est membre de la Première nation de Garden River.

2.              Au cours de l'année d'imposition 1996, l'appelant travaillait pour le ministère pendant toute la période pertinente.

3.              L'appelant était en congé d'études et était un étudiant à plein temps du Algoma University College, à Sault Ste. Marie (Ontario), du mois de janvier 1996 au mois de juillet 1996. Du mois d'août 1996 jusqu'au mois de décembre 1996, il a rempli les fonctions liées à son emploi pour le ministère à Hull (Québec).

4.              L'appelant, pendant l'année d'imposition 1996, a déduit un montant de 33 886,57 $ du montant total susmentionné à titre de revenu exonéré d'impôt.

5.              Le montant de 33 886,57 $ correspond à la période durant laquelle l'appelant travaillait pour le ministère à Hull (Québec).

6.              Au cours de l'année d'imposition 1996, l'appelant ne résidait pas dans une réserve.

7.              L'appelant déclare que la ville de Hull, ainsi qu'une partie plus importante de terrain, était légalement occupée et enregistrée comme la propriété de la bande Kitigan Zibi Anishinabeg de Maniwaki (Québec), en raison d'un titre aborigène. La ville de Hull n'a pas été cédée par traité et elle est en conflit avec la bande Kitigan Zibi Anishinabeg en ce qui concerne les revendications des peuples autochtones. Le litige se trouve devant la Commission des revendications des Indiens, et aucune décision n'a encore été prise.

8.              Ni le Algoma University College ni la ville de Hull ne sont situés sur une réserve.

ANALYSE :

[3]            Les dispositions pertinentes de la version modifiée de la Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), ch. I-5, prévoient ce qui suit :

2(1) " réserve " Parcelle de terrain dont Sa Majesté est propriétaire et qu'elle a mise de côté à l'usage et au profit d'une bande; [...].

87. (1)      Nonobstant toute autre loi fédérale ou provinciale, mais sous réserve de l'article 83, les biens suivants sont exemptés de taxation :

a)     le droit d'un Indien ou d'une bande sur une réserve ou des terres cédées;

b)     les biens meubles d'un Indien ou d'une bande situés sur une réserve.

90. (1)      Pour l'application des articles 87 et 90, les biens meubles qui ont été :

a)     soit achetés par Sa Majesté avec l'argent des Indiens ou des fonds votés par le Parlement à l'usage et au profit d'Indiens ou de bandes;

b)     soit donnés aux Indiens ou à une bande en vertu d'un traité ou accord entre une bande et Sa Majesté,

sont toujours réputés situés sur une réserve.

[4]            Le lien avec la Loi de l'impôt sur le revenu est établi par l'alinéa 81(1)a) qui prévoit ce qui suit :

81. (1)      Ne sont pas inclus dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition :

a) une somme exonérée de l'impôt sur le revenu par toute autre loi fédérale, autre qu'un montant reçu ou à recevoir par un particulier qui est exonéré en vertu d'une disposition d'une convention ou d'un accord fiscal conclu avec un autre pays et qui a force de loi au Canada; [...].

[5]            Dans l'affaire Dixon c. Le ministre du Revenu national, C.C.I., no 79-425(O), 12 mai 1995 (96 DTC 1330), la juge Lamarre-Proulx avait décidé si des terres particulières étaient des " réserves " pour les besoins de l'exonération du revenu gagné par des Indiens sur ces terres. Elle a déclaré ce qui suit à la page 10 (DTC, aux pages 1334 et 1335) :

Depuis très longtemps, le moyen juridique de mettre des terres de côté à l'usage et au profit d'une bande est le décret. M. Woodward dit dans l'ouvrage précité que " l'instrument par lequel des terres de réserve sont officiellement mises de côté, c'est-à-dire séparées d'autres terres de la Couronne, est habituellement le décret ".

Elle a ajouté, à la page 12 (DTC, à la page 1336) ce qui suit :

À mon avis, le décret pris sur la recommandation du ministre chargé d'appliquer la Loi sur les Indiens était essentiel pour que les terres en question deviennent des réserves au sens de ladite loi.

Aucun décret ayant pour effet de désigner la ville de Hull comme une réserve n'a été adopté.

[6]            Le concept du " titre aborigène " a été reconnu, et la Cour suprême du Canada a élaboré un critère permettant d'établir un tel titre dans l'arrêt Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010. Dans l'affaire Guerin c. La Reine, [1984] 2 R.C.S. 335, la Cour suprême a décrit le titre aborigène comme " un droit, en common law, découlant de l'occupation et de la possession historiques par les Indiens de leurs terres tribales ".

[7]            Je ne connais aucune autorité qui ait précisé que la terre à l'égard de laquelle des Indiens possédaient un " titre aborigène " constituait automatiquement une " réserve " au sens de la Loi sur les Indiens. En tout état de cause, même si c'était le cas, la question de savoir si la ville de Hull est dévolue à la bande mentionnée ci-dessus au moyen d'un " titre aborigène " est toujours en litige.

[8]            À mon avis, comme il n'est pas démontré que la ville de Hull constitue une réserve, la prétention de l'appelant ne peut être acceptée.

[9]            Malgré ce qui précède, certains commentaires supplémentaires portant sur la jurisprudence pertinente s'imposent.

[10]          Depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l'arrêt Nowegijick c. La Reine, [1983] 1 R.C.S. 29 (" Nowegijick "), il a été bien établi que le revenu d'emploi était un bien meuble. Depuis 1983, le droit portant sur l'imposition des Autochtones a considérablement évolué. Le juge Dickson a précisé sa déclaration, dans l'affaire Nowegijick, quant à l'approche à adopter à l'égard des Indiens :

Les Indiens possèdent la citoyenneté canadienne et, dans les affaires qui ne sont régies ni par des traités ni par la Loi sur les Indiens, ils ont les mêmes responsabilités, dont le paiement d'impôts, que les autres citoyens canadiens.

[11]          Dans l'arrêt Mitchell c. Bande indienne Peguis, [1990] 2 R.C.S. 85, le juge Laforest a fait observer que le but visé par le législateur, sous-tendant les articles 87 et 89 de la Loi sur les Indiens, n'était pas d'assurer une protection illimitée. Il a déclaré ce qui suit :

Le fait que la loi contemporaine, comme sa contrepartie historique, prenne tant de soin pour souligner que les exemptions de taxe et de saisie ne s'appliquent que dans le cas des biens personnels situés sur des réserves démontre que l'objet de la Loi n'est pas de remédier à la situation économiquement défavorable des Indiens en leur assurant le pouvoir d'acquérir, de posséder et d'aliéner des biens sur le marché à des conditions différentes de celles applicables à leurs concitoyens. Un examen des décisions portant sur ces articles confirme que les Indiens qui acquièrent et aliènent des biens situés à l'extérieur des terres réservées à leur usage le font aux mêmes conditions que tous les autres Canadiens.

[12]          Pour ce qui est du paragraphe 90(1) de la Loi sur les Indiens, qui fait en sorte que les biens meubles des Indiens, dans certaines circonstances, sont réputés situés sur une réserve, l'affaire Matthew c. La Reine, C.C.I., no 95-1353(IT)G, 16 juin 1997 (97 DTC 1454) est citée. Dans cette décision, le juge Rip, qui examine une situation très semblable à celle en l'espèce (c.-à-d. le statut d'un Indien travaillant pour le ministère des Affaires indiennes et du Nord canadien), a conclu que l'alinéa 90(1)a) de la Loi sur les Indiens ne contenait pas de libellé qui, associé à l'article 87 de cette loi, pouvait être interprété de manière à conférer une exonération d'impôt à l'appelant. Le revenu gagné à l'extérieur de la réserve par l'appelant, provenant de son emploi auprès du ministère, ne représentait pas un bien meuble visé par l'alinéa 90(1)a) de la Loi sur les Indiens, qui doit toujours être réputé situé sur une réserve. Le juge Rip s'est appuyé sur la décision du juge en chef adjoint Thurlow dans l'affaire La Reine c. The National Indian Brotherhood, [1979] 1 C.F. 103 (78 DTC 6488) (C.F. 1re inst.), ainsi que sur d'autres décisions pour décider que le revenu gagné à l'extérieur de la réserve n'était pas exonéré. Le juge Rip a également mentionné une autre affaire, concernant le même appelant qu'en l'espèce, à savoir Boissoneau c. Canada, [1992] A.C.I. no 338 (Q.L.). Dans cette affaire, le juge Rip a déclaré ce qui suit :

Sa Majesté n'achète pas des traitements ou des salaires, c'est ce qu'elle verse en contrepartie des services rendus par ses employés à même les fonds votés par le Parlement à cette fin. Sa Majesté n'a pas acheté le salaire ou les traitements de l'appelant; ce revenu n'était donc pas situé sur une réserve.

[13]          Dans l'arrêt Desnomie c. La Reine, C.A.F., no A-533-98, 19 avril 2000 (254 N.R. 58), la Cour d'appel fédérale a refusé de conclure que le revenu de l'appelant était exonéré. En ce qui a trait aux " circonstances particulières liées à l'emploi " ou à l'idée de profit examiné dans l'arrêt Canada c. Folster, [1997] 3 C.F. 269 (97 DTC 5315), elle a déclaré :

Dans les affaires ambiguës comme Folster, les circonstances particulières liées à l'emploi peuvent aider à déterminer le situs du revenu d'emploi. Cependant, lorsque tous les autres facteurs de rattachement possibles ne permettent pas de situer le revenu d'emploi dans une réserve, il est alors très peu probable que les circonstances particulières liées à l'emploi suffisent à elles seules pour faire pencher la balance de l'autre côté.

En outre, la Cour d'appel fédérale a déclaré ce qui suit à la page 14 (N.R., à la page 66) :

L'argument fondé sur la diminution du pouvoir d'achat n'est pas pertinent parce qu'il vise à promouvoir une protection générale contre l'imposition des biens situés à l'extérieur des réserves, ce qui n'est pas un objectif visé par l'article 87. Si le Parlement souhaite accorder plus d'avantages économiques ou de protection contre l'imposition aux Indiens ou aux organismes indiens pour les biens situés à l'extérieur des réserves, il lui est loisible de le faire. Ce n'est pas la fonction de la Cour.

[14]          En conclusion, pour tous les motifs précédemment énoncés, l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mai 2001.

" T. O'Connor "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 12e jour de décembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Martine Brunet, réviseure

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