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Date: 20010726

Dossier: 2001-749(IT)I

ENTRE :

RICHARD EDMOND GIRARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Miller, C.C.I.

[1]            Les lois sont modifiées de façon à refléter le changement d'attitude dans notre société. Par exemple, la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), a été modifiée en 1993 pour étendre la signification de " conjoint " afin d'inclure les unions de fait. Il n'est pas facile de déterminer avec exactitude le moment où la société a reconnu que ces unions étaient équivalentes à des relations entre personnes mariées, mais je proposerais que cela s'est certainement fait bien avant que le gouvernement adopte cette loi modificative. L'appelant, M. Girard, a vécu dans une union de ce genre jusqu'en 1991. Le ministre a rejeté la demande de déduction de montants de pension alimentaire versés par ce dernier en 1998 en vertu d'un accord de séparation de 1995 au motif que son ancienne conjointe de fait n'était pas une conjointe au sens de la Loi au moment de la séparation ni que le montant n'a été versé en vertu d'une ordonnance de la Cour, une ordonnance obtenue après l'année en litige.

[2]            Les faits en question ne sont pas contestés, alors je vais les rappeler brièvement. De 1980 au mois de septembre 1991, l'appelant et Elaine Johnstone vivaient en union de fait. Un permis ou un certificat de mariage n'a jamais été fourni à leur égard puisqu'ils ne se sont jamais mariés. Ils ont eu ensemble deux enfants, Richard Girard et Danielle Girard nés respectivement en 1983 et en 1987. En vertu d'un accord écrit de séparation daté du 21 avril 1995, dont une copie a été déposée en preuve, Mme Johnstone s'est vu accorder la garde exclusive des enfants, et l'appelant a reçu des droits de visite. L'accord prévoyait également que l'appelant devait payer à Mme Johnstone un montant de 660 $ par mois pour subvenir aux besoins des enfants. M. Girard a indiqué dans son témoignage que la pension alimentaire était à l'origine de 600 $, mais qu'elle a été modifiée à la hausse pour tenir compte de l'incidence fiscale. L'appelant a clairement indiqué que lui et Mme Johnstone s'étaient entendus au moment de la signature de l'accord en 1995 qu'il déduirait les versements de son revenu et que Mme Johnstone les inclurait dans le sien. L'appelant a effectué tous les versements depuis, y compris tout au long de l'année 1998 et lui-même ainsi que Mme Johnstone ont traité ces versements en fonction de cette entente.

[3]            En 2001, il est devenu évident à l'appelant que l'Agence des douanes et du revenu du Canada (l'" ARDC ") n'accepterait la déductibilité que si les versements étaient effectués en vertu d'une ordonnance de la Cour. Le 8 mars 2001, l'appelant et Mme Johnstone ont obtenu une ordonnance de la Cour supérieure de justice de l'Ontario. Elle est ainsi rédigée en partie :

                                [TRADUCTION]

1.              CETTE COUR ORDONNE que tous les versements de la pension alimentaire pour enfants effectués par le requérant en faveur de l'intimée l'aient été en vertu d'un accord de séparation daté du 21 avril 1995.

2.              CETTE COUR ORDONNE que le paragraphe 9 de l'accord de séparation daté du 21 avril 1995 [...] soit en vigueur à partir du 21 avril 1995.

[4]            L'avocate de l'appelant a soutenu que l'ordonnance de la Cour règle la question puisque l'on peut maintenant affirmer que les versements effectués en 1998 l'ont été en vertu d'une ordonnance de la Cour et, par conséquent, qu'ils sont déductibles conformément à la définition de " pension alimentaire ". Subsidiairement, l'avocate de l'appelant a soutenu que la définition de " conjoint " ou d'" ancien conjoint " s'applique à l'appelant et à Mme Johnstone et, par conséquent, que les versements de pension alimentaire entrent dans le cadre de la définition de la Loi.

[5]            Le droit de déduire les versements de pension alimentaire découle de l'alinéa 60b) ainsi qu'il était rédigé en 1998 :

Autres déductions.

Peuvent être déduites dans le calcul du revenu d'un contribuable pour une année d'imposition les sommes suivantes qui sont appropriées :

[...]

b)             Pension alimentaire - le total des montants représentant chacun le résultat du calcul suivant :

A - (B + C)

A              représente le total des montants représentant chacun une pension alimentaire que le contribuable a payée après 1996 et avant la fin de l'année à une personne donnée dont il vivait séparé au moment du paiement, [...]

Je n'ai pas besoin de citer le reste de l'article puisqu'il suffit de retenir que la disposition fait référence à la déductibilité d'une " pension alimentaire ". Cette expression était définie de la manière suivante en 1998 :

" pension alimentaire " Montant payable ou à recevoir à titre d'allocation périodique pour subvenir aux besoins du bénéficiaire, d'enfants de celui-ci ou à la fois du bénéficiaire et de ces enfants, si le bénéficiaire peut utiliser le montant à sa discrétion et, selon le cas:

a)             le bénéficiaire est le conjoint ou l'ancien conjoint du payeur et vit séparé de celui-ci pour cause d'échec de leur mariage et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent ou d'un accord écrit;

b)             le payeur est le père naturel ou la mère naturelle d'un enfant du bénéficiaire et le montant est à recevoir aux termes de l'ordonnance d'un tribunal compétent rendue en conformité avec les lois d'une province.

[6]            Si l'appelant peut être visé par l'alinéa a) ou b) de cette définition, alors il a droit à une déduction des versements de 8 224 $ effectués en 1998 en vertu de l'alinéa 60b). Je me pencherai d'abord sur l'alinéa b). Les paiements effectués en 1998 étaient-ils à recevoir en vertu de l'ordonnance de mars 2001? Non, ils ne l'étaient pas. L'ordonnance elle-même n'est pas libellée d'une façon qui suggère que les versements étaient effectués en vertu de l'ordonnance. Elle précise simplement qu'ils étaient effectués en vertu de l'accord de séparation et que les dispositions exigeant le paiement étaient en vigueur. Il n'a jamais été question qu'il existait une entente ayant force obligatoire qui exigeait ces versements. C'est tout ce que l'ordonnance semble indiquer. Elle ne prétend pas considérer que les versements effectués trois ans plus tôt l'ont été en vertu de l'ordonnance elle-même. Même si elle était allée aussi loin, ce que, à mon avis, aucune cour ne ferait, je ne vois pas comment je peux donner effet à une telle rétroactivité. En 1998, ces versements étaient à recevoir en vertu d'un accord. Il n'y avait simplement pas d'ordonnance. La Commission d'appel de l'impôt dans l'affaire Bentley v. Minister of National Revenue, 54 DTC 510 et dans l'affaire Hobbs v. Minister of National Revenue, 70 DTC 1744 est parvenue à une conclusion semblable.

[7]            La seule disposition législative ayant un rapport avec les pensions alimentaires qui ont un certain effet rétroactif figure au paragraphe 60.1(3). Toutefois, cette disposition ne peut s'appliquer en l'espèce. Je conclus que les versements effectués en 1998 n'étaient pas à recevoir en vertu de l'ordonnance de 2001.

[8]            L'argument subsidiaire présenté par l'appelant est celui de savoir s'il a le droit de déduire le montant de 8 224 $ en 1998 à titre de pension alimentaire au sens de la définition de cette expression à l'alinéa a). Si l'appelant et Mme Johnstone sont réputés avoir été des conjoints, alors les versements effectués en vertu de l'accord écrit seraient déductibles. La définition de " conjoint " figure au paragraphe 252(4) de la Loi :

(4)            Idem.       Dans la présente loi:

a)              les mots se rapportant au conjoint d'un contribuable à un moment donné visent également la personne de sexe opposé qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et a vécu ainsi durant une période de douze mois se terminant avant ce moment ou qui, à ce moment, vit avec le contribuable en union conjugale et est le père ou la mère d'un enfant dont le contribuable est le père ou la mère, compte non tenu de l'alinéa (1)e) et du sous-alinéa (2)a)(iii); pour l'application du présent alinéa, les personnes qui, à un moment quelconque, vivent ensemble en union conjugale sont réputées vivre ainsi à un moment donné après ce moment, sauf si elles ne vivaient pas ensemble au moment donné, pour cause d'échec de leur union, pendant une période d'au moins 90 jours qui comprend le moment donné;

b)                   la mention du mariage vaut mention d'une union conjugale entre deux particuliers dont l'un est le conjoint de l'autre par l'effet de l'alinéa a);

c)                    les dispositions applicables à une personne mariée s'appliquent à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a);

d)                   les dispositions applicables à une personne non mariée ne s'appliquent pas à la personne qui est le conjoint d'un contribuable par l'effet de l'alinéa a).

[9]            En vertu de cet article, je n'ai aucune hésitation à conclure que l'appelant et Mme Johnstone étaient des conjoints et qu'ils sont admissibles à ce titre pour les besoins de la détermination de " pensions alimentaires ". Rien dans le paragraphe 252(4) de la Loi n'indique que l'article ne doit pas s'appliquer à des relations avant une certaine période. C'était l'état du droit en 1998, l'année pour laquelle la déduction est demandée. L'intimée prétend que je dois examiner le droit au moment où le couple s'est séparé. Je n'accepte pas cet argument. Elle a cité la décision de cette cour dans l'affaire Bromley c. Regina, C.C.I., no 2000-3281(IT)I, 20 décembre 2000 (2000 CarswellNat 3033, [2001] 1 C.T.C. 2468). Dans cette affaire, le juge Bell a conclu que le paragraphe 252(4) ne s'applique qu'aux années d'imposition postérieures à 1992. Je conclus que l'année d'imposition en litige en l'espèce est l'année d'imposition 1998 de l'appelant. En 1998, le paragraphe 252(4) faisait partie de notre loi et il définissait le terme " conjoint " pour l'application de la Loi afin d'inclure une personne qui entre dans le cadre de la description de Mme Johnstone. Le paragraphe 140(4) de la Loi de révision des modifications introduisant cette modification ne précisait pas que l'union conjugale mentionnée au paragraphe 252(4) devait avoir existé après 1992, il précisait simplement que le paragraphe s'appliquait après 1992. Je compare cette disposition au paragraphe 20(11) de la Loi de révision des modifications, qui en diffère considérablement : ce dernier précise plus exactement que l'article fait référence à l'échec du mariage survenu après 1992. Si le législateur avait utilisé un langage aussi précis en adoptant le paragraphe 252(4), ma conclusion aurait été différente.

[10]          Deux choix s'offrent à moi en ce qui concerne l'application du paragraphe 252(4) :

1.              soit que, pour les années d'imposition postérieures à 1992, j'interprète le terme " conjoint " conformément au paragraphe 252(4);

2.                     soit que j'interprète le terme " conjoint " conformément au paragraphe 252(4) uniquement pour les unions conjugales existant après 1992.

3.                    

[11]          Je privilégie la première approche. Pour l'année d'imposition 1998, je me fonde sur le paragraphe 252(4) et je conclus que la relation de l'appelant avec Mme Johnstone entre dans le cadre de la définition, malgré que cette relation se soit terminée avant 1993.

[12]          Dans l'affaire Bromley c. R., le juge Bell a reconnu que le juge Bowie était également parvenu à une conclusion différente dans l'affaire Carey c. R., C.C.I., no 98-169(IT)I, 7 avril 1999 (CarswellNat 562, [1999] 2 C.T.C. 2677, DTC 3502) en admettant la déductibilité des montants versés en 1994 et en 1995 par un conjoint de fait dont la relation avait pris fin en 1988. L'introduction d'une loi modificative qui ouvre la voie à des interprétations différentes par une cour est la cause d'un certain niveau d'incertitude au sein de la collectivité fiscale et du public en général. Le juge Bell a indiqué ce qui suit au paragraphe 10 de son jugement :

Le manque de précision de la loi à cet égard est extrêmement malheureux, parce qu'une loi qui contient des failles, en ne présentant pas clairement l'intention du législateur, occasionne des soucis, une perte de temps et des dépenses au contribuable qui intente des procédures d'opposition et d'appel.

Je souscris à ces commentaires.

[13]          L'appel est admis, et la cotisation est déférée au ministre pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que l'appelant a le droit de déduire la somme de 8 224 $ pour l'année 1998 et que des dépens, fixés à 200 $ pour les dépenses accessoires, lui sont accordés.

                Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2001.

" Campbell J. Miller "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de décembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2001-749(IT)I

ENTRE :

RICHARD EDMOND GIRARD,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 20 juillet 2001 à Kitchener (Ontario) par

l'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions

Avocate de l'appelant :                         Me Phaedra Klodner

Avocate de l'intimée :                           Me Rosemary Fincham

JUGEMENT

L'appel interjeté à l'encontre de la nouvelle cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1998 est admis, et l'affaire est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.


Des dépens, fixés à 200 $, sont accordés à l'appelant.

Signé à Ottawa, Canada, ce 26e jour de juillet 2001.

" Campbell J. Miller "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de décembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


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