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Date: 20010501

Dossier: 2000-4279-IT-I

ENTRE :

JOHN L. DESROCHES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Miller, C.C.I.

[1]            Le présent appel sous le régime de la procédure informelle est interjeté par John Desroches contre les nouvelles cotisations du ministre pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998. Dans ces nouvelles cotisations du 9 septembre 1999, ratifiées par voie d'avis de ratification en date du 20 juillet 2000, le ministre a refusé la déduction de pertes locatives de 3 075,98 $, de 2 362,43 $ et de 520,12 $ indiquées par l'appelant pour 1995, 1996 et 1997.

POINTS EN LITIGE

[2]            Dans la réponse à l'avis d'appel, l'intimée énonce comme suit les questions en litige :

a)              L'appelant avait-il une attente raisonnable de tirer un profit de la location de la propriété pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998?

b)             Les dépenses refusées par le ministre relativement à la propriété ont-elles été engagées par l'appelant en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien?

c)             Subsidiairement, les dépenses refusées étaient-elles raisonnables dans les circonstances?

[3]            L'intimée se fonde d'abord et avant tout sur le critère d'attente raisonnable de profit, soit le critère énoncé dans l'arrêt Moldowan[1]. Elle invoque ensuite l'alinéa 18(1)a) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la " Loi "), quant à savoir si les dépenses non admises avaient été engagées en vue de gagner un revenu. En dernier lieu, l'intimée s'appuie sur l'article 67 de la Loi, c'est-à-dire sur le critère relatif au caractère raisonnable des dépenses. En établissant de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelant, le ministre a refusé que des pertes locatives soient déduites de revenus autres que le revenu de location. J'estime que l'on peut considérer que, ainsi, soit le ministre admettait les dépenses de l'appelant à concurrence du montant du revenu de location (mais sans plus), soit il refusait l'ensemble des dépenses de l'appelant, tout en ne reconnaissant aucunement le revenu de la location comme source de revenu. Vu la formulation, par l'intimée, des questions en litige (concernant les dépenses refusées), j'avais été amené à conclure initialement que le ministre refusait seulement les dépenses en sus du revenu de location, c'est-à-dire qu'il admettait la déduction de dépenses à concurrence du montant du revenu de location. L'avocat de l'intimée m'a détrompée à cet égard.

FAITS

[4]            En 1992, l'appelant avait acheté comme résidence principale le 4, avenue Chilcot, Toronto, pour 165 000 $. Il avait obtenu un prêt hypothécaire à l'époque. En 1995, il s'était séparé de son épouse et, comme il l'a décrit, il avait décidé d'avoir des locataires pour avoir les moyens de garder sa maison. Il avait fait de la publicité en affichant un avis à son lieu de travail. Un collègue de travail avait répondu à l'annonce et a été locataire de l'appelant jusqu'à la fin de 1997, puis le frère de l'appelant est alors devenu locataire de l'appelant et l'est resté pendant toute l'année 1998. L'espace attribué au locataire était le sous-sol, où il y avait une salle de séjour, une chambre à coucher, un bar et une buanderie. Cet espace représentait environ 30 p. 100 de la superficie habitable totale de la maison. L'appelant a dit que le locataire pouvait en outre utiliser la cuisine et la salle de bain qui étaient à l'étage. Le loyer demandé était inférieur à la juste valeur marchande, car l'appelant avait voulu louer le plus vite possible parce qu'il avait besoin de cet argent. Le collègue de travail et, subséquemment, le frère de l'appelant avaient eu besoin d'un endroit où habiter à cause de leurs difficultés conjugales. Voici un résumé des revenus et des dépenses pour les années en question :

1996

1997

1998

Revenus

4 800,00 $

4 800,00 $

4 800,00 $

Dépenses (toutes à 50 %)

Assurances

190,50 $

218,50 $

174,84 $

Intérêts

4 968,09 $

4 580,03 $

2 801,42 $

Entretien

475,00 $

250,00 $

200,00 $

Impôts fonciers

995,45 $

1 015,95 $

1 026,66 $

Services publics

1 246,94 $

1 097,95 $

1 117,20 $

7 875,98 $

7 162,43 $

(5 320,12 $)

Perte

(3 015,98 $)

(2 362,43 $)

(520,12 $)

Les pertes pour 1994 et 1995 avaient été de 3 531 $ et de 2 960 $ respectivement.

[5]            L'appelant ne gardait aucun reçu à l'égard de ses frais d'entretien. Il n'y avait pas de contrat écrit de location entre les parties, car il s'agissait d'un arrangement informel selon l'appelant. Une fois que l'appelant a " repris le dessus ", il a mis un terme à l'arrangement locatif. Cela a eu lieu à la fin de 1999 ou au début de l'an 2000.

THÈSE DE L'APPELANT

[6]            L'appelant fait valoir ce qui suit. Les dépenses correspondant aux pertes indiquées sont des dépenses légitimes et raisonnables qui peuvent être déduites en vertu de l'alinéa 18(1)a) de la Loi. L'appelant n'était représenté par personne à l'audience et n'a pas étudié l'abondante jurisprudence sur cette question, mais sa compréhension de notre législation fiscale était convenable. Il avait une propriété; il en a tiré un revenu; il a engagé des dépenses à cet égard; la moitié de ces dépenses, qu'il a indiquées, étaient non pas des frais personnels, mais des dépenses engagées pour gagner ce revenu; le résultat a été une perte, que l'appelant a déduite.

THÈSE DE L'INTIMÉE

[7]            L'intimée fait valoir ce qui suit :

1.                     L'appelant n'avait aucune attente raisonnable de profit, donc aucune source de revenu selon l'arrêt Moldowan. Elle fait valoir que le revenu de location et les dépenses locatives n'entrent pas dans le cadre de la Loi.

Les trois points suivants semblent supposer que le loyer est assujetti à la Loi et que les dépenses en sus du revenu de location ne sont toutefois pas déductibles.

2.              Les dépenses locatives correspondant aux pertes n'ont pas été engagées en vue de gagner un revenu au sens de l'alinéa 18(1)a).

3.              Les dépenses locatives correspondant aux pertes étaient des frais personnels ou de subsistance (alinéa 18(1)h)).

4.              Les dépenses locatives correspondant aux pertes ne sont pas déductibles de d'autres sources de revenus, car elles ne sont pas raisonnables (article 67).

Enfin, l'intimée présente un argument subsidiaire. Elle soutient que, si je conclus que l'appelant avait une activité locative — je présume que l'intimée veut dire une " entreprise ", car il est clair que l'appelant recevait un loyer —, les dépenses locatives admises devraient représenter 30 p. 100 des dépenses totales. Selon un calcul mathématique basé là-dessus, l'appelant aurait ainsi un petit revenu imposable pour 1998. Si je concluais que c'était une entreprise, l'intimée dit que le ministre n'imposerait pas l'appelant sur ce petit revenu et que je devrais simplement rejeter l'appel. Cet argument subsidiaire, car il semble indiquer que c'est seulement si je conclus à l'existence d'une entreprise de location que j'ai à me pencher sur la déductibilité de dépenses effectives. Il s'ensuit que l'on peut en fait interpréter la nouvelle cotisation du ministre comme indiquant que les pertes, soit un calcul des revenus et des dépenses, n'entrent pas dans le cadre de la Loi. L'avocat de l'intimée a en fait confirmé cette approche.

ANALYSE

[8]            L'argumentation de l'intimée semble revêtir trois formes. Premièrement, il n'y a aucune attente raisonnable de profit, donc aucune source de revenu, et l'appel devrait par conséquent être rejeté. Deuxièmement, il n'y a aucune attente raisonnable de profit, et les dépenses refusées (soit les pertes) ne sont pas des dépenses engagées en vue de gagner un revenu; il s'agit de frais personnels ou de subsistance et de frais qui ne sont pas raisonnables et qui ne devraient donc pas être admis. Troisièmement, s'il y avait une attente raisonnable de profit, les dépenses admises devraient se limiter à 30 p. 100 des dépenses totales.

[9]            En ce qui a trait au premier argument, je me tourne vers l'arrêt Moldowan tel qu'il y est fait référence dans le passage suivant de l'affaire Mastri c. Sa Majesté La Reine, [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420) :

Premièrement, il a été décidé dans l'arrêt Moldowan que pour avoir une source de revenu, un contribuable doit avoir une attente raisonnable de profit. Deuxièmement, " on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit " (supra à la p. 486). Si, comme conclusion de fait un contribuable est jugé ne pas avoir d'attente raisonnable de profit alors il n'y a aucune source de revenu et, par conséquent, aucun fondement à l'égard duquel le contribuable est en mesure de calculer une perte locative.

[10]          Si, au lieu de se reporter à une source de revenu, on se reporte à une source de profit, il est plus facile de voir comment on peut accepter le principe voulant que, sans attente raisonnable de profit, il n'y ait aucune source de revenu. S'il n'y a aucune source de revenu, on n'a pas à se préoccuper des alinéas 18(1)a) et h) ou de l'article 67. L'" arrangement locatif " n'entre alors pas dans le cadre de l'article fondamental de la Loi quant à savoir ce qui est inclus dans le revenu, soit l'article 3. Il n'est pas logique de conclure autrement dans une situation où il n'y a aucune attente raisonnable de profit, c'est-à-dire de conclure que la cotisation du ministre revient à une conclusion selon laquelle les dépenses sont admises à concurrence du montant du revenu de location. Je limite cette analyse à un revenu provenant d'un bien, car des considérations différentes entrent en jeu dans une situation où il s'agit d'un revenu provenant d'une entreprise. Cela a en fait été souligné dans l'affaire Mastri, à la page 73 (DTC : à la page 5422) :

Afin de préserver l'intégrité de la doctrine, il convient également de souligner qu'il faut établir une distinction entre le fait de savoir si une source de revenu d'un contribuable est tirée d'une entreprise par opposition à un bien. Je peux être propriétaire d'un bien locatif mais le fait de savoir si j'exploite une entreprise à l'égard de celui-ci constitue une question juridique distincte qui donne lieu à d'autres conséquences fiscales qui ne sont pas pertinentes relativement aux affaires visées. Par conséquent, à proprement parler il ne convient pas de dire qu'il s'agit de dépenses d'entreprise engagées relativement à un bien locatif à moins, évidemment, que les actes du contribuable soient considérés en droit comme une entreprise. De toute façon, il convient à ce stade d'énoncer les conclusions de droit précises établies dans l'arrêt Moldowan.

[11]          La Cour d'appel fédérale s'est arrêtée là quant à cette distinction concernant une entreprise et un bien aux fins du critère de l'attente raisonnable de profit. Elle a poursuivi en expliquant l'arrêt Moldowan comme je l'ai déjà indiqué ci-devant. La distinction pourrait toutefois bien être que, pour déterminer s'il y a une source de revenu, le seuil est moins élevé lorsqu'il s'agit d'un bien. Ce seuil peut être une application du critère de l'attente raisonnable de profit; par contre, pour conclure à l'existence d'un revenu provenant d'une entreprise, on applique seulement le critère de l'attente raisonnable de profit à la lumière de la définition d'" entreprise " indiquée dans la Loi et précisée par les arrêts récents Tonn et Mastri.

[12]          Donc, je traiterai du critère de l'attente raisonnable de profit. Je conclus que l'appelant n'avait pas d'attente raisonnable de profit, et ce, pour les raisons suivantes. De 1994 à 1998, il y a eu des pertes continuelles. Selon une évaluation objective du revenu potentiel par rapport aux dépenses, on voit difficilement comment l'appelant aurait pu réaliser un profit. Comme l'appelant l'a reconnu, pour garder la maison, il lui fallait gagner rapidement un certain revenu, et il a donc loué un espace à un prix inférieur à la juste valeur marchande. S'il voulait garder la maison, il lui fallait prendre à sa charge les frais relatifs à sa résidence personnelle. Il est clair qu'il y a un fort élément personnel. Il n'y avait pas de plan ni de projections en bonne et due forme. Il n'y avait pas d'accord écrit; il y avait simplement, comme l'a dit M. Desroches, un arrangement informel. Une fois ses besoins satisfaits et une fois qu'il serait parvenu à une certaine sécurité financière, il ne lui serait plus nécessaire d'avoir un locataire, soit la situation dans laquelle il se trouve maintenant. Il n'y avait pas d'entreprise locative proprement dite; il y avait simplement un arrangement informel avec un collègue de travail et un frère. Il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit.

[13]          Pour être clair, il ne s'agit pas d'une conclusion selon laquelle les dépenses doivent être admises à concurrence du montant du revenu; il s'agit d'une conclusion selon laquelle il n'y a aucune source de revenu d'assujettie à la Loi. Si l'appelant avait déduit seulement 30 p. 100 de ses dépenses, il aurait eu un léger profit pour 1998. Je ne pense pas que ce soit suffisant pour conclure que l'appelant avait une attente raisonnable de profit de telle sorte qu'il existait une entreprise ainsi qu'une source de revenu au sens de l'arrêt Moldowan.

[14]          Pour ce qui est du deuxième argument, si j'ai raison dans mon analyse, il n'est pas nécessaire de répondre aux questions 2, 3 et 4 de la thèse de l'intimée. Toutefois, s'il y a ce que j'appellerai une thèse médiane (conclusion à l'absence de l'attente raisonnable de profit, mais nécessité d'analyser quand même la nature des pertes refusées), alors je conclus que les dépenses en sus du revenu de location étaient des frais personnels ou de subsistance au sens de l'alinéa 18(1)h).

[15]          Ayant conclu qu'il n'y avait pas d'attente raisonnable de profit, je n'ai pas à traiter du troisième argument de l'intimée limitant les dépenses à 30 p. 100.

RÉSUMÉ

[16]          Il semble qu'il y ait trois voies à suivre dans l'analyse d'un cas quant à savoir si des pertes locatives sont déductibles de revenus autres lorsqu'il existe un élément personnel :

1.              Déterminer qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit et donc aucune source de revenu pour sortir du cadre d'application de l'article 3 de la Loi. Les dépenses à prendre en compte dans cette approche ne sont pas les dépenses effectives qui ont été déduites; on doit plutôt évaluer objectivement quelles dépenses seraient raisonnables dans les circonstances. Évaluer l'attente raisonnable de profit en se fondant là-dessus.

2.              Déterminer qu'il y avait une attente raisonnable de profit. Dans le cadre de cette approche, on examinerait ensuite les dépenses effectives, puis on déterminerait s'il est légitime d'en permettre la déduction selon les paragraphes 9(1) et 9(2), les alinéas 18(1)a) et h) et l'article 67. Le résultat peut bien être une perte pouvant être déduite de revenus provenant d'autres sources (voir l'affaire Narine c. Sa Majesté La Reine, C.C.I., no 94-2366(IT)I, 29 mars 1995 ([1995] 2 C.T.C. 2055)).

3.              Conclure qu'il n'y a aucune attente raisonnable de profit et ne permettre la déduction des dépenses qu'à concurrence du montant du revenu de location. Cette thèse médiane exige une certaine analyse des dépenses non admises (les pertes) pour déterminer si elles peuvent être refusées en vertu de l'article 18 ou de l'article 67. Une telle approche n'est pas selon moi conceptuellement aussi attrayante, mais elle semble avoir servi de guide pratique utile pour fins de certitude et d'équité dans des causes semblables. Appliquer la première approche ou la troisième donne le même résultat en l'espèce et, logiquement, donnera toujours le même résultat dans le cas de pertes locatives. Elle peut toutefois donner un résultat différent s'il y a eu un profit inattendu. Cela pourrait en outre avoir des ramifications quant à la manière dont un contribuable produit une déclaration de revenus; selon la première approche, la déclaration ne ferait pas apparaître de revenus de location ni de dépenses locatives, tandis que, selon la troisième approche, la déclaration ferait apparaître à la fois des revenus de location et des dépenses locatives.

[17]          Je conclus qu'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit en l'espèce, pour les raisons mentionnées ci-devant, et je rejette l'appel. Je me fonde à cet égard sur la première approche, c'est-à-dire sur le fait que l'arrangement locatif ne constitue pas une source de revenu au sens des dispositions de la Loi.

[18]          L'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mai 2001.

" Campbell J. Miller "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 17e jour de décembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-4279(IT)I

ENTRE :

JOHN L. DESROCHES,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 20 avril 2001 à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge Campbell J. Miller

Comparutions

Pour l'appelant :                                   L'appelant lui-même

Représentant de l'intimée :                   Me A'Amer Ather, stagiaire

JUGEMENT

          Les appels interjetés à l'encontre des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1996, 1997 et 1998, sont rejetés selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de mai 2001.

" Campbell J. Miller "

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 17e jour de décembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur




[1]               Moldowan c. Sa Majesté La Reine, (1977), [1978] 1 R.C.S. 480

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