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Date: 20000915

Dossiers : 98-813-IT-G

ENTRE :

BOIS DAAQUAM INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge Tardif, C.C.I.

[1]            L'intimée a refusé à l'appelante un crédit d'impôt à l'investissement pour l'année d'imposition 1993, suite à l'achat d'une excavatrice.

[2]            L'appelante était et est toujours une compagnie oeuvrant dans le domaine forestier et transformation du bois. Sa principale vocation est le sciage et la vente du bois transformé. Pour assurer son approvisionnement en matière première, l'appelante achetait des droits de coupe et des terres à bois; elle se chargeait de la coupe du bois par l'embauche de travailleurs et l'utilisation d'équipements spécialisés.

[3]            Le bois était transformé exclusivement à l'une ou l'autre de ses deux usines de sciage à St-Just-de-Bretennières dans le comté de Montmagny, dans la province de Québec, au Canada.

[4]            Les usines de sciage et chef lieu de l'appelante sont situés au Canada, à quelques mille pieds seulement de la frontière séparant le Canada et les États-Unis d'Amérique. De par sa situation géographique, la compagnie exécutait d'importants travaux de coupe en sol américain et cela, d'une façon toute particulière à la fin des années 80.

[5]            Vendant une grande partie de sa production de bois transformé aux États-Unis, la compagnie y achetait d'importantes quantités de bois (matière première) réduisant ainsi ses frais de transport en ce que les camions étaient utilisés tant pour le transport de la matière première que pour le bois transformé.

[6]            Le bois transformé était principalement le sapin et l'épinette lequel provenait tant du Québec que des États-Unis. De façon générale, les coûts d'exploitation reliés à la coupe du bois étaient plus élevés aux États-Unis qu'au Québec à cause des droits de coupe plus onéreux. Par contre, les entreprises n'étaient assujetties à aucune obligation de reboisement aux États-Unis.

[7]            En 1993, l'appelante détenait les droits de coupe sur un immense territoire américain, le tout ayant été évalué, au moment de l'achat en 1987, à plus ou moins 800 millions de pieds de bois. Elle avait obtenu ce droit de coupe d'une compagnie dont elle partageait la propriété avec la compagnie Kruger intéressée par les copeaux générés par les opérations de sciage de l'appelante.

[8]            À cette période, malgré l'intensité et l'importance des activités, la compagnie Bois Daaquam Inc. était plus ou moins rentable; les états financiers montraient des pertes ou un très petit bénéfice sur un chiffre d'affaires de plusieurs dizaines de millions de dollars.

[9]            Pour améliorer la rentabilité et l'efficacité des opérations, il fut décidé d'acheter une excavatrice; il s'agissait d'une machinerie plus efficace, plus flexible et plus utile eu égard aux diverses contraintes reliées aux opérations forestières et au respect de l'environnement.

[10]          Au moment de l'acquisition de l'excavatrice au mois de juillet 1993 (pièce A-1), l'appelante a soutenu qu'elle avait l'intention bien arrêtée de l'utiliser principalement en sol canadien. Cette intention découlait en grande partie du fait que les activités de coupe du bois en sol américain étaient appelées à diminuer considérablement, étant donné que les quantités de bois qui pouvait être coupé sur leur immense territoire avaient été considérablement surévaluées. Selon la preuve, les évaluations initiales avaient omis de prendre en considération plusieurs contraintes empêchant l'accès ou entraînant des coûts prohibitifs pour s'y rendre avec résultat de rendre certains endroits inaccessibles.

[11]          Lors de l'acquisition de l'excavatrice, monsieur Claude Girard en sa qualité de contrôleur, a indiqué que la compagnie savait à ce moment que la qualité de bois disponible en sol américain était beaucoup moins importante que celle initialement prévue.

[12]          Ce constat faisait en sorte que la compagnie avait dû réviser et réévaluer sa planification de coupe. Après avoir évalué tous les éléments appropriés, il avait été convenu que les activités de coupe seraient dorénavant plus orientées vers le Québec et cela, au détriment des activités de coupe aux États-Unis. Un des facteurs ayant milité pour cette ré-orientation était le fait que les droits de coupe étaient plus onéreux aux États-Unis qu'au Québec.

[13]          Comme l'achat de l'excavatrice devait servir principalement pour les travaux de coupe du bois en forêt, monsieur Girard a indiqué qu'il n'y avait alors aucun doute que l'excavatrice serait utilisée principalement au Canada d'autant plus que les exigences reliées à l'environnement étaient plus sévères et plus nombreuses au Canada.

[14]          Dans les faits, suite à l'acquisition, l'excavatrice a surtout été utilisée aux États-Unis. Elle était opérée par un canadien; assurée et immatriculée au Québec; elle y était également réparée et entretenue. L'excavatrice a aussi effectué plusieurs travaux en sol canadien dans les mois qui ont suivi son acquisition.

[15]          La preuve a établi qu'il s'agissait d'une machinerie dont la durée de vie était de plus de 25 ans.

[16]          L'excavatrice était utilisée pour la construction de chemins permettant l'accès et la sortie du bois coupé et ce, plus particulièrement, en sol américain lors des premières années ayant suivi son acquisition.

[17]          En sol canadien, l'excavatrice était surtout utilisée pour des travaux d'entretien autour de l'une ou l'autre des usines de sciage et pour le chargement et le déchargement des camions; pour ce genre d'opérations, le " bucket " était remplacé par une pince. L'excavatrice, selon le témoin Donald Cloutier, effectuait également des travaux de nettoyage de fossés autour de l'une ou l'autre des usines de sciage.

[18]          L'exécution de tels travaux d'entretien et nettoyage autour des usines de sciage a fait dire à l'intimée qu'il y avait là matière à questionner s'il s'agissait d'un bien admissible.

[19]          À cet égard, je suis d'avis que ces travaux ne disqualifiaient en rien la vocation ou l'utilisation du bien concerné, puisqu'il ne s'agissait peut-être pas de travaux directement reliés aux activités forestières, mais il s'agissait de travaux accessoires, nécessaires, utiles, voire essentiels, à la bonne marche de l'entreprise forestière.

[20]          Le crédit d'impôt à l'origine du présent litige est prévu par les dispositions suivantes de la Loi de l'impôt sur le revenu du Canada (la " Loi ") :

127(9)

...

" bien admissible " d'un contribuable s'entend d'un bien (à l'exclusion d'un bien d'un ouvrage approuvé et d'un bien certifié) qui est

...

b) une machine prescrite ou d'un matériel prescrit que le contribuable a acquis après le 23 juin 1975,

c) qu'il compte utiliser au Canada principalement pour

...

(ix) l'exploitation forestière,

...

[21]          Le sous-alinéa 127(9)c)(iii) de la Loi prévoit un test d'intention. Cela ressort d'ailleurs très clairement des décisions suivantes :

Dragon Construction Limitée c. M.R.N., 89 DTC 459;

Setrakov Construction Ltd. v. M.N.R., 89 DTC 397;

Capilano International Inc. v. the Queen, 95 DTC 915.

[22]          Il est donc nécessaire d'apprécier quelle était l'intention de l'appelante au moment où elle a décidé de faire l'acquisition de l'excavatrice.

[23]          Une analyse des faits doit être faite de manière à découvrir l'intention qui prévalait lors de l'acquisition du bien. La recherche de l'intention est un exercice difficile ne permettant que très rarement une conclusion absolue, d'autant plus qu'une décision d'affaire éclairée prévoit généralement diverses alternatives pouvant affecter ou modifier la nature ou l'orientation de l'intention première.

[24]          D'autre part, la réalité économique fait en sorte que les décideurs et acteurs à l'origine de l'intention précédant une décision, doivent composer avec des réalités changeantes ou en constante évolution, dictées par la rapidité des développements technologiques et l'économie moderne.

[25]          Sur cette question d'appréciation de l'intention, il est opportun de rappeler le principe énoncé par la Cour suprême du Canada dans l'affaire Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695 (p. 736) où l'honorable juge Iacobucci affirmait :

                ...

Comme dans d'autres domaines du droit, lorsqu'il faut établir l'objet ou l'intention des actes, on ne doit pas supposer que les tribunaux se fonderont seulement, en répondant à cette question, sur les déclarations du contribuable, ex post facto ou autrement, quant à l'objet subjectif d'une dépense donnée. Ils examineront plutôt comment l'objet se manifeste objectivement, et l'objet est en définitive une question de fait à trancher en tenant compte de toutes les circonstances.[italiques ajoutées]

                ...

[26]          En l'espèce, au moment de l'acquisition de l'excavatrice, la preuve a établi que les prévisions et attentes du chantier américain devaient être révisées à la baisse, obligeant ainsi l'appelante à réorienter ses opérations de coupe vers d'autres chantiers principalement localisés au Canada.

[27]          La recherche de l'intention doit en outre s'apprécier en fonction de la durée de vie du bien admissible acquis. Certains biens, dont notamment le matériel informatique, ont une vie très courte et doivent être remplacés régulièrement. Par contre, d'autres biens dont l'excavatrice au centre du présent litige sont des biens beaucoup plus durables; la preuve a établi qu'il s'agissait là d'un bien dont la durée de vie était supérieure à vingt ans.

[28]          La recherche d'intention doit certes s'apprécier avant et au moment de l'acquisition mais il est aussi utile de prendre en considération les faits ultérieurs à l'acquisition, de manière à confirmer ou infirmer la justesse de l'intention alléguée. L'analyse doit en outre porter sur une période qui est aussi fonction de la durée de vie du bien visé par le crédit d'impôt.

[29]          Pour ce qui est de la condition " principalement ", il n'y a aucun doute dans mon esprit que la condition vise la nature des activités ou la vocation de l'entreprise et non le lieu de l'utilisation. L'honorable juge Mogan de cette Cour a également conclu ainsi dans l'affaire Capilano International Inc. v. The Queen, 45 DTC 915 à la page 919. Il y a lieu de reproduire l'extrait pertinent :

                ...

La preuve ne permet pas de conclure que le Sercel 368 devait être utilisé principalement en Jordanie même si le mot " principalement " pouvait être interprété comme se rapportant au lieu d'utilisation. Toutefois, à mon avis, le mot " principalement " figurant à l'alinéa 127(9)c) se rapporte uniquement au but dans lequel le matériel devait être utilisé; or, ce but se rapportait toujours à l'exploitation pétrolière ou gazière. [italiques ajoutées]

                ...

[30]          Si le législateur avait voulu assujettir le lieu de l'utilisation à cette notion ou à cette condition, il aurait sans doute formulé l'exigence comme suit :

" Qu'il compte utiliser principalement au Canada "

[31]          L'appelante devait, également pour profiter du crédit, démontrer par la prépondérance de preuve que l'excavatrice avait été utilisée principalement pour l'exploitation forestière. À cet égard, bien que l'intimée ait émis certaines réserves suite au témoignage de monsieur Cloutier, cet aspect du dossier n'a pas fait l'objet de longue discussion et je suis d'avis que la prépondérance de la preuve a démontré de manière satisfaisante que la pièce d'équipement avait été utilisée principalement à des fins d'exploitation forestière.

[32]          Quant à la question fondamentale à savoir si l'appelante avait l'intention d'utiliser le bien admissible au Canada, je crois que la prépondérance de la preuve est à cet effet. Certes, l'excavatrice a été utilisée en sol américain suite à son acquisition mais cet usage a été réparti entre le Canada et les États-Unis. De plus l'excavatrice a été régulièrement déplacée et utilisée en sol québécois.

[33]          Même si mon interprétation de l'expression " au Canada principalement à l'une des fins suivantes " était erronée, je crois que cela serait sans effet quant à l'évaluation globale puisqu'encore là, il y aurait lieu de conclure qu'il s'agissait d'un bien admissible.

[34]          En effet, l'utilisation en sol américain a été sur une courte période si l'on considère qu'il s'agissait d'un bien durable dont la durée de vie était supérieure à 20 ans. La preuve a établi que la présence de l'excavatrice en sol américain avait été commandée par des circonstances particulières n'ayant aucun effet quant à l'intention qui prévalait au moment de l'acquisition. Je crois qu'il faut aussi tenir compte du fait que le chantier américain était localisé à proximité de la place d'affaires de l'appelante au Québec et que l'excavatrice y était régulièrement ramenée tant pour des fins d'entretien, de réparations mais aussi et surtout pour l'exécution de travaux importants.

[35]          Conséquemment, il y a lieu de faire droit à l'appel, le tout avec dépens en faveur de l'appelante.

Signé à Ottawa, Canada ce 15e jour de septembre 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.

No DU DOSSIER DE LA COUR :        98-813(IT)G

INTITULÉ DE LA CAUSE :                 Bois Daaquam Inc. et Sa Majesté la Reine

LIEU DE L'AUDIENCE :                      Québec (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :    le 23 février 2000

MOTIFS DE JUGEMENT PAR :         l'honorable juge Alain Tardif

DATE DU JUGEMENT :                      le 15 septembre 2000

COMPARUTIONS :

Avocat de l'appelante :        Me Stéphane Lalancette

Avocat de l'intimée :            Me Martin Gentile

AVOCAT INSCRIT AU DOSSIER :

Pour l'appelante :

                                Nom :       Me Stéphanie Lalancette

                                Étude :     Martineau Walker

                                                Québec (QC)

                                                                               

Pour l'intimée :                       Morris Rosenberg

                                                Sous-procureur général du Canada

                                                Ottawa (Ontario)

98-813(IT)G

ENTRE :

BOIS DAAQUAM INC.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 23 février 2000, à Québec (Québec), par

l'honorable juge Alain Tardif

Comparutions

Avocat de l'appelante :                                  Me Stéphane Lalancette

Avocat de l'intimée :                                     Me Martin Gentile

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1993, suite à l'achat d'une excavatrice au montant de 218 075 $ est admis, avec dépens, et la cotisation déférée à l'Agence des douanes et du Revenu du Canada pour nouvel examen et nouvelle cotisation selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de septembre 2000.

" Alain Tardif "

J.C.C.I.


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