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Date: 20001117

Dossier: 1999-3778-EI

ENTRE :

SASKATCHEWAN INTERCULTURAL ASSOCIATION INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Motifs du jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            L'appelante, la Saskatchewan Intercultural Association Inc. (la « SIA » ), a porté en appel la décision du ministre du Revenu national (le « ministre » ) datée du 17 juin 1999, selon laquelle Heather Anwender-Rempel (la « travailleuse » ) a exercé un emploi assurable pour l'appelante en vertu d'un contrat de louage de services du 16 janvier au 30 juin 1998 et du 14 juillet au 16 octobre 1998.

[2]            Lee Foster a témoigné qu'il est le directeur des programmes de la SIA depuis juin 1998 et qu'il est chargé des activités quotidiennes de l'appelante. Il a qualité d'employé et il rend compte au conseil d'administration. Il était présent pendant une partie de la période en litige dans l'appel en l'instance. La SIA est constituée sous le régime de la Non-Profit Corporations Act de la province de la Saskatchewan. Son mandat consiste à offrir diverses activités multiculturelles et transculturelles à 75 groupes ethniques ainsi qu'à venir en aide aux immigrants nouvellement arrivés en Saskatchewan. Le financement provient des trois paliers de gouvernement de même que de fondations privées. En réponse à une proposition formulée par le directeur des programmes antérieur de l'appelante, la province de la Saskatchewan a fourni des fonds pour la réalisation des contrats en litige dans l'appel en instance. La travailleuse a conclu trois contrats distincts avec l'appelante, dont voici les détails : pièce A-1 - contrat daté du 16 janvier 1998; pièce A-2 - contrat daté du 14 juillet 1998; pièce A-3 - contrat daté du 14 juillet 1998. M. Foster a expliqué que même si la pièce A-3 est datée du 14 juillet 1998, elle a été signée par les parties le 27 août 1998 et visait la période du 30 septembre 1998 au 30 septembre 1999; ce contrat prévoyait aussi le paiement d'un montant total de 3 200 $ à la travailleuse. L'autre contrat de 52 semaines qui avait été signé la même date - pièce A-2 - signé la même date - devait prendre fin le 30 juin 1999. Le titre de la travailleuse diffère d'un contrat à l'autre : adjointe - monitrice de projet ou coordonnatrice de projet. M. Foster a cependant déclaré que les fonctions exécutées par la travailleuse étaient les mêmes dans chaque cas. Le donateur des fonds ne précise pas si la personne chargée du projet doit être un employé ou un entrepreneur indépendant. Mme Anwender-Rempel a cessé de travailler pour l'appelante en mai 1999 avant l'expiration des contrats - pièces A-2 et A-3. Le solde payable aux termes du contrat a fait l'objet de négociations et une autre personne a été embauchée à titre d'expert-conseil pour terminer le contrat qui nécessitait encore un mois et demi de travail selon les estimations. La SIA était logée dans des locaux appartenant à la Division scolaire de Saskatoon qu'elle louait. On y trouvait le mobilier et l'équipement habituels, y compris un ordinateur, une imprimante, un numériseur, un télécopieur, des téléphones, des fournitures ainsi que des ouvrages et de la documentation de base. L'appelante recueillait des fonds en vendant des cartes de membre et en offrant des services de traduction et de consultation. Le budget annuel de la SIA s'élevait à 165 000 $ environ; de temps à autre, l'appelante puisait dans la petite réserve qu'elle s'était constituée pour continuer de fonctionner en attendant de trouver une autre source de financement. Au 30 mars 2000, l'appelante avait deux employés à temps plein et faisait appel à trois autres personnes pour exécuter des contrats particuliers. Le rapport du vérificateur et les états financiers de la SIA, datés du 31 mars 2000, ont été déposés sous la cote A-4. Mme Anwender-Rempel devait réaliser le projet qui lui avait été confié en respectant les lignes directrices et les délais indiqués dans le contrat. Ses tâches consistaient notamment à donner des cours et à animer des ateliers, et la SIA ne mettait aucun personnel de soutien comme tel à sa disposition pour l'aider à s'acquitter de ses obligations aux termes de chacun des contrats. La travailleuse n'avait pas un horaire fixe; M. Foster a cependant déclaré qu'il la voyait presque tous les jours durant la première partie d'un projet puis un peu moins souvent par la suite. Les bureaux de la SIA étaient ouverts de 8 h 30 à 17 h; Mme Anwender-Rempel avait aussi un ordinateur, une imprimante et un téléphone personnels chez elle, ce qui lui permettait d'effectuer une partie de son travail à l'extérieur des bureaux de la SIA. Les projets visaient à aider des spécialistes nés à l'étranger à trouver un emploi, et 10 candidats étaient choisis pour participer à un programme ressemblant à un stage. M. Foster a déclaré que l'hypothèse énoncée à l'alinéa 9t) de la réponse à l'avis d'appel était erronée car aucun cours d'informatique n'était donné dans les locaux de l'appelante. Cette formation était plutôt dispensée par le Kelsey Institute en vertu d'un contrat conclu avec cet établissement et négocié par Mme Anwender-Rempel. Des annonces étaient publiées dans les journaux locaux et des affiches étaient imprimées et distribuées dans le but de recruter des participants au projet particulier, et le coût de cette publicité était imputé au budget alloué à cette fin. Le donateur attitré d'un projet fournissait les fonds en plusieurs versements, et avant de recevoir le paiement final, la SIA était tenue de remettre un rapport sur l'administration du projet en cause. La travailleuse devait préparer le rapport, qui était ensuite soumis au directeur des programmes de la SIA, lequel préparait alors la demande officielle de versement du solde des montants dus. Les fonds qui ont été utilisés pour mener à bien le projet prévu dans le contrat daté du 16 janvier 1998 -pièce A-1 - ont été reçus en quatre versements égaux. En conséquence, la travailleuse a aussi été payée de cette manière; c'est ainsi qu'elle a reçu un premier paiement de 500 $ le 16 janvier 1998, puis des paiements de 1 616 $ par mois jusqu'au 15 mai 1998 et un paiement final le 30 juin 1998, après remise de tous les rapports écrits exigés par la SIA. Ce contrat particulier ne contenait pas de clause de cessation d'emploi, mais ceux qui ont été conclus par la suite - pièces A-2 et A-3 - prévoyaient la résiliation des contrats par l'une ou l'autre des parties au moyen d'un préavis écrit de six semaines. Selon le libellé de la clause 2b) de la pièce A-2, la travailleuse devait remettre un rapport final sur la réalisation d'une phase particulière du projet avant d'être payée pour l'exécution de cette portion du contrat. Même si aucun bureau n'avait été attribué à la travailleuse, celle-ci pouvait utiliser l'aire commune et l'équipement de la SIA à son gré. Dans le budget attribué à chaque projet, un certain montant était alloué pour l'achat de fournitures, au besoin, et la travailleuse n'était pas censée utiliser ses fournitures ou son matériel personnels aux fins de la réalisation du projet. M. Foster a déclaré que pendant la période où elle a travaillé pour la SIA, Mme Anwender-Rempel avait aussi un contrat avec un autre organisme pour enseigner l'anglais, langue seconde à l'école Estey. Les projets réalisés par la SIA ne représentaient qu'une infime portion des activités générales de l'organisation en ce sens que l'appelante tenait lieu d'organisme parapluie pour 28 écoles de langue exploitées par des groupes communautaires sans but lucratif. La SIA accordait également son soutien à 45 groupes d'artistes de la scène et donnait des ateliers ainsi que des séminaires sur l'équité et sur la lutte contre le racisme. En outre, la SIA assurait la coordination d'un programme d'accréditation des enseignants de l'étranger par l'Université de la Saskatchewan en plus de participer à un programme pour l'enseignement des langues ancestrales dans différentes écoles publiques. Le rôle de la SIA était de trouver les locaux, de faire la publicité des programmes et de fournir des renseignements au téléphone et en personne. Les frais d'inscription à un programme de langue étaient payés directement à l'école concernée. En ce qui concerne l'évaluation du projet réalisé par Mme Anwender-Rempel, on demandait aux participants de donner leur avis sur le projet en question. À la demande de la travailleuse, la SIA a fait une demande pour que soit tranchée la question de l'assurabilité de son emploi.

[3]            En contre-interrogatoire, Lee Foster a convenu que dans les états financiers de la SIA - pièce A-4 -, le montant inscrit à la rubrique des salaires dans la feuille des dépenses englobait le salaire du directeur des programmes et des autres employés à temps plein seulement. On a demandé à M. Foster de se reporter à un questionnaire - pièce R-1 - rempli par William Kalmakoff pour le compte de l'appelante. M. Foster a admis que l'une des fonctions du directeur des programmes était de servir d'intermédiaire entre le conseil d'administration et la personne chargée d'un projet aux termes d'un contrat, pour veiller à l'application des lignes directrices régissant le financement des projets et pour tenir le conseil au courant des événements. Une fois la liste des participants à un programme établie, Mme Anwender-Rempel lui en remettait une copie à titre gracieux. Il n'a jamais assisté à l'un des cours de formation donnés par Mme Anwender-Rempel, qui lui remettait un rapport à la fin de chaque projet. On a mentionné à M. Foster l'alinéa 1j) de la clause figurant dans la pièce A-1, où il est dit que la travailleuse doit [TRADUCTION] « accomplir certaines tâches administratives générales - dactylographie, préparation d'envois postaux, réception, classement, etc. » M. Foster a déclaré que cette clause s'appliquait uniquement aux fonctions administratives dont Mme Anwender-Rempel devait s'acquitter dans le cadre du projet qui lui avait été confié. M. Foster a convenu que la déclaration que l'on trouve au paragraphe 6 de l'avis d'appel, et selon laquelle la travailleuse n'était pas tenue de fournir personnellement les services prévus dans le contrat, voulait surtout dire qu'elle pouvait, au besoin, confier certaines parties du projet à des sous-traitants. Lorsqu'elle a fait part à la SIA de son intention de partir avant l'expiration du dernier contrat, Mme Anwender-Rempel a proposé le nom d'un remplaçant, qui a été payé sur le montant qui lui était encore dû aux termes du contrat. Elle a avisé la SIA environ quatre semaines à l'avance de son intention d'accepter un emploi à temps plein dans un autre organisme offrant le même genre de services. Le montant final versé à la travailleuse a été établi en fonction du nombre de jours où elle a travaillé au cours du dernier mois.

[4]            William Kalmakoff a témoigné qu'il siégeait au conseil d'administration de l'appelante au cours de la période pertinente jusqu'à l'expiration de son mandat en mai 2000. Avant de prendre sa retraite en 1987, il était directeur régional de l'éducation à la Division scolaire de North Battleford. Par la suite, il a pris une part active aux activités de la Saskatchewan Doukhobour Society et d'autres groupes. Il y avait un projet pour lequel le gouvernement provincial avait accordé une subvention, mais la personne qui en avait initialement été chargée avait accepté un emploi ailleurs et on avait placé des annonces en vue de lui trouver un remplaçant. L'objectif du projet était de donner de la formation à des spécialistes de l'étranger pour les aider à trouver un emploi au Canada. En sa qualité d'administrateur de la SIA, il avait participé aux entrevues avec le président et le directeur des programmes. Mme Anwender-Rempel avait réalisé des projets semblables au cours de sa carrière et c'est donc elle qui a été choisie pour mener le projet à terme. Elle avait fait parvenir son c.v., soit le même que celui qu'elle a utilisé - pièce A-5 - pour obtenir le second contrat, après avoir pris connaissance de l'offre d'emploi de la SIA dans un journal local. Une fois chargée du projet, elle a placé une annonce - pièce A-6 - dans le Star Phoenix de Saskatoon en vue de recruter des candidats qualifiés pour participer à un programme de préparation à l'emploi et de placement offert de juillet à décembre 1998. M. Kalmakoff a déclaré qu'il n'avait pas eu beaucoup de contacts avec la travailleuse, mais que le directeur des programmes faisait rapport sur l'avancement des projets en cours aux réunions du conseil d'administration. M. Kalmakoff se rendait au bureau de la SIA une fois par semaine en moyenne. En ce qui concerne les conditions d'emploi de Mme Anwender-Rempel, il savait qu'elle n'était pas assujettie à un horaire mais qu'elle était tenue de respecter certains délais. La quantité et le genre de formation requis étaient fonction des besoins des différents candidats et ne pouvaient pas être déterminés à l'avance. Le Kelsey Institute s'occupait des cours d'informatique et le Women's Immigrant Society assurait la formation linguistique. La travailleuse accomplissait une partie de son travail à la maison à l'aide de son ordinateur et de son équipement personnels, mais pour communiquer avec elle, il fallait s'adresser au bureau de la SIA. Au cours des discussions qui ont mené à la signature des contrats - pièces A-1, A-2 et A-3 - entre la SIA et Mme Anwender-Rempel, la travailleuse avait indiqué qu'elle voulait être payée au mois. En mai 1999, elle a fait part de son intention de quitter son emploi à la SIA, et le conseil d'administration a jugé que le préavis donné était acceptable. Le rapport final destiné au donateur a été rédigé par la travailleuse et son remplaçant. Une fois, l'appelante a présenté une demande de fonds en vue de réaliser deux projets distincts, mais Mme Anwender-Rempel étant diplômée en enseignement, elle était capable de faire la coordination du projet et de donner la formation prévue. La SIA a donc fusionné les budgets des deux projets et a convenu d'un salaire acceptable avec la travailleuse. M. Kalmakoff a déclaré que le donateur d'un projet n'a qu'une exigence, soit que la SIA respecte les modalités de financement du projet. Quoique la période visée par la décision du ministre se termine le 16 octobre 1998, Mme Anwender-Rempel a en fait travaillé pour la SIA jusqu'au 7 mai 1999.

[5]            Au cours du contre-interrogatoire, William Kalmakoff a convenu que la clause de la pièce A-1 qui se rapporte à l'exécution de tâches administratives concernait uniquement les tâches de cette nature que la travailleuse était tenue d'accomplir aux fins de la réalisation d'un projet. Il n'a jamais été question de lui faire exécuter des tâches administratives générales. La personne responsable du bureau de la SIA était le directeur des programmes. La travailleuse avait le droit de faire appel à d'autres personnes pour exécuter certaines parties d'un projet, mais comme il l'a précisé au paragraphe 8 du questionnaire ¾ pièce R-1 ¾, le contrat pour la réalisation du projet avait été conclu avec la travailleuse. Les candidats qui répondaient à l'annonce devaient soumettre leur demande à la SIA. La publicité visant à recruter des participants a été payée directement par la SIA et les seuls frais de déplacement remboursés à la travailleuse se rapportaient à un voyage effectué à l'extérieur de la ville. M. Kalmakoff a déclaré que les projets réalisés par la travailleuse n'avaient aucun lien avec les fonctions normalement exécutées par le personnel de l'appelante, qui n'était pas en mesure d'absorber le surcroît de travail engendré par les projets. C'est pourquoi le conseil d'administration avait décidé de confier les projets à des entrepreneurs indépendants. Tous les fonds qui n'avaient pas été utilisés à la fin d'un projet particulier étaient conservés par l'appelante, qui s'en servait par la suite dans le cadre de ses activités générales.

[6]            L'avocat de l'appelante a soutenu que la travailleuse n'était pas assujettie au contrôle de la SIA, en ce sens qu'elle n'était pas tenue de se présenter au travail à une heure précise ou d'effectuer le travail selon un horaire particulier. Elle pouvait accomplir son travail à l'extérieur du bureau de la SIA à son rythme. L'avocat a en outre prétendu que la travailleuse utilisait quantité d'instruments qui lui appartenaient comme un téléphone, un ordinateur et une imprimante, qu'elle pouvait travailler dans le bureau qu'elle avait fait aménager chez elle et qu'elle accomplissait les tâches prévues dans les divers contrats à plusieurs endroits. En ce qui concerne les chances de bénéfice ou les risques de perte, l'avocat a renvoyé aux trois contrats signés par la travailleuse et la SIA qui indiquent, selon lui, que Mme Anwender-Rempel doit avoir évalué ses chances de bénéfice si l'on tient compte du temps, des efforts ainsi que des fournitures et de l'équipement nécessaires à la réalisation de chaque projet. Pour ce qui est de la question de l'intégration, l'avocat a fait valoir que, en sa qualité de société sans but lucratif, la SIA offrait toute une gamme de programmes aux nouveaux immigrants, et contrairement à d'autres affaires, la réalisation de projets particuliers suivant des méthodes de financement particulières n'était pas la raison d'être de l'appelante dans l'appel en l'instance.

[7]            L'avocate de l'intimé a soutenu que si la travailleuse n'était pas assujettie à un contrôle sévère, elle était néanmoins tenue de remettre des rapports au directeur des programmes de l'appelante, qui lui procurait les instruments, les locaux à bureaux et l'équipement et lui donnait accès aux installations de formation dont d'autres établissements d'enseignement étaient propriétaires-exploitants, aux fins de la réalisation des projets particuliers. En tant que tel, la travailleuse n'avait aucune chance de bénéfice ni aucun risque de perte et elle n'était pas tenue de payer les fournitures utilisées ou les autres dépenses. L'avocate a également affirmé que même si la SIA offrait toute une gamme de services, les projets auxquels la travailleuse consacrait son temps et ses énergies constituaient un volet important de ses activités générales et n'étaient pas de simples activités accessoires.

[8]            Dans l'affaire Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., [1986] 3 C.F. 563-564 ([1986] 2 C.T.C. 200), la Cour d'appel fédérale a approuvé l'assujettissement de la preuve aux critères suivants, en précisant bien qu'il s'agit en fait d'un seul critère qui est composé de quatre parties intégrantes et qu'il faut l'appliquer en insistant sur l'ensemble des éléments qui entraient dans le cadre des opérations. Ces critères sont les suivants :

                1. le degré de contrôle

                2. la propriété des instruments de travail

                3. les chances de bénéfice et les risques de perte

                4. l'intégration

Contrôle

[9]            L'appelante ne contrôlait pas de très près les activités quotidiennes de la travailleuse. Celle-ci avait été embauchée ou ses services avaient été retenus parce qu'elle possédait des compétences particulières et qu'elle détenait un diplôme en enseignement, ce qui lui permettait de s'occuper des deux aspects d'une tâche qui devait à l'origine être exécutée par deux personnes dans le cadre d'une proposition comportant deux volets. Aux termes des trois contrats, on demandait tout au plus à la travailleuse d'atteindre certains objectifs en appliquant des lignes directrices générales dans une période déterminée. Le fait qu'elle rendait compte au directeur des programmes, qui, à son tour, tenait le conseil d'administration au courant de l'avancement des projets, n'est pas incompatible avec les exigences auxquelles est assujetti tout expert-conseil indépendant assurant des services professionnels. Abstraction faite des modalités de ces contrats, la preuve n'a pas permis d'établir un agencement de faits qui confirmerait la situation d'emploi de la travailleuse, quoique les conditions de travail semblent indiquer qu'à cet égard elle fournissait des services à la SIA en sa qualité d'entrepreneure indépendante, même s'il est reconnu qu'un spécialiste ayant pour mandat d'exécuter une tâche particulière est moins susceptible de faire l'objet d'une supervision constante suivant l'acception habituelle du terme.

Instruments

[10]          Si la travailleuse possédait un ordinateur et l'équipement connexe et exécutait une partie du travail chez elle, l'élément indispensable à cet égard était fourni par l'appelante. Tous les candidats aux programmes annoncés se présentaient au bureau de la SIA et communiquaient avec la travailleuse de la même manière. La SIA fournissait ou trouvait un espace de travail et achetait les fournitures nécessaires qu'elle payait avec l'argent de la subvention qu'elle avait obtenue. La travailleuse avait accès aux fournitures et à l'équipement de bureau généraux dans les locaux de la SIA ainsi qu'au système téléphonique et aux services d'accueil afin de garder le contact avec les participants aux programmes de formation. De nos jours, alors que presque tout le monde a un ordinateur personnel à la maison, tant à des fins personnelles qu'aux fins du travail, j'aurais plutôt tendance, pour examiner la question des instruments de travail dans le contexte approprié, à considérer que la propriété de ce genre de matériel ne revêt de l'importance que dans les cas où il est principalement acquis, modifié, remplacé ou entretenu aux fins de l'emploi ou de l'entreprise. En l'espèce, le critère relatif aux instruments de travail indique plutôt que la travailleuse était une employée.

Les chances de bénéfice et les risques de perte

[11]          Comme il est mentionné précédemment, le coût des fournitures était inclus dans le budget d'un projet particulier et la travailleuse n'avait aucun frais à assumer relativement à ce projet. À l'instar de tout autre travailleur, elle a payé les frais d'utilisation de son propre véhicule pour se rendre au travail et elle a décidé de faire l'acquisition d'un ordinateur et de l'équipement nécessaire pour travailler à domicile, mais ces achats n'ont pas été effectués expressément dans le but de réaliser les projets décrits dans les trois contrats. Le montant qui pouvait être payé à la travailleuse pour l'exécution de chaque contrat était déterminé dans le cadre du budget qui était établi pour obtenir des fonds d'un donateur et c'était donc un montant fixe, ou presque. La travailleuse n'avait pas vraiment la possibilité de gagner plus d'argent, mais si elle prenait plus de temps pour accomplir les tâches prévues ou pour atteindre l'objectif final, le montant horaire gagné s'en trouvait réduit. Le fait qu'un projet puisse lui rapporter davantage à l'heure qu'un autre - dans le contexte d'une semaine de travail de 40 heures - n'est pas une indication qu'il y avait risque de perte au sens d'une personne travaillant à son compte. La travailleuse savait très bien que la somme dont la SIA disposait pour payer les services qu'elle fournissait au cours d'une période déterminée était fonction du financement obtenu de diverses sources. Si la méthode de paiement différait, alors que d'habitude il y a un salaire qui est clairement fondé sur une unité ou un taux horaire, hebdomadaire ou mensuel, pendant toute la durée de la relation d'emploi en cause dans l'appel en l'instance, les parties ont de toute évidence considéré que la rétribution était en grande partie constituée de montants égaux payés le dernier jour de chaque mois. Si l'on peut dire que la personne qui exécute un travail rémunéré à la pièce exerce un emploi en vertu d'un contrat de louage de services, le fait, pour le fournisseur de services, de recevoir un paiement pour avoir exécuté une certaine portion du travail dans un délai déterminé n'en fait donc pas nécessairement un entrepreneur indépendant. Les repères qui sont tracés pour indiquer le chemin en viennent parfois à s'effacer, et c'est l'objectif principal qu'il faut déterminer lors de l'examen d'affaires de ce genre. Dans l'ensemble, en ce qui concerne ce critère particulier, les faits pointent dans la direction d'une relation employeur-employée.

Intégration

[12]          Il ne fait aucun doute que la SIA avait plus d'une corde à son arc. En tant que société sans but lucratif ayant une trentaine d'années d'existence à Saskatoon, elle offrait un large éventail de programmes en plus d'agir comme coordonnatrice de nombreux autres programmes ayant tous pour but d'aider les immigrants à s'intégrer à la société canadienne et, plus particulièrement, à trouver un emploi. En ce qui concerne la formation linguistique, la SIA faisait office d'organisme cadre; elle jouait aussi un rôle important dans les domaines de l'enseignement et de la lutte contre le racisme en plus de tenir lieu de service de référence pour les personnes qui avaient besoin des services de traducteurs et d'experts-conseils relativement à des questions de langue ou de culture. La SIA collaborait avec l'Université de la Saskatchewan pour accréditer des moniteurs de langue.

[13]          Aux pages 563 et 564 (C.T.C. à la page 206) de la décision rendue dans l'affaire Wiebe, précitée, le juge MacGuigan a déclaré ce qui suit :

De toute évidence, le critère d'organisation énoncé par lord Denning et d'autres juristes donne des résultats tout à fait acceptables s'il est appliqué de la bonne manière, c'est-à-dire quand la question d'organisation ou d'intégration est envisagée du point de vue de l' « employé » et non de celui de l' « employeur » . En effet, il est toujours très facile, en examinant la question du point de vue dominant de la grande entreprise, de présumer que les activités concourantes sont organisées dans le seul but de favoriser l'activité la plus importante. Nous devons nous rappeler que c'est en tenant compte de l'entreprise de l'employé que lord Wright a posé la question « À qui appartient l'entreprise » .

C'est probablement le juge Cooke, dans Market Investigations, Ltd. v. Minister of Social Security, [1968] 3 All E.R. 732 (Q.B.D.), qui, parmi ceux qui ont examiné le problème, en a fait la meilleure synthèse (aux pages 738 et 739) :

[TRADUCTION]

Les remarques de LORD WRIGHT, du LORD JUGE DENNING et des juges de la Cour suprême des États-Unis laissent à entendre que le critère fondamental à appliquer est celui-ci : « La personne qui s'est engagée à accomplir ces tâches les accomplit-elle en tant que personne dans les affaires à son compte » . Si la réponse à cette question est affirmative, alors il s'agit d'un contrat d'entreprise. Si la réponse est négative, alors il s'agit d'un contrat de service personnel. Aucune liste exhaustive des éléments qui sont pertinents pour trancher cette question n'a été dressée, peut-être n'est-il pas possible de le faire; on ne peut non plus établir de règles rigides quant à l'importance relative qu'il faudrait attacher à ces divers éléments dans un cas particulier. Tout ce qu'on peut dire, c'est qu'il faudra toujours tenir compte du contrôle même s'il ne peut plus être considéré comme le seul facteur déterminant; et que des facteurs qui peuvent avoir une certaine importance sont des questions comme celles de savoir si celui qui accomplit la tâche fournit son propre outillage, s'il engage lui-même ses aides, quelle est l'étendue de ses risques financiers, jusqu'à quel point il est responsable des mises de fonds et de la gestion, et jusqu'à quel point il peut tirer profit d'une gestion saine dans l'accomplissement de sa tâche. L'utilisation du critère général peut être plus facile dans un cas où la personne qui s'engage à rendre le service le fait dans le cadre d'une affaire déjà établie; mais ce facteur n'est pas déterminant. Une personne qui s'engage à rendre des services à une autre personne peut bien être un entrepreneur indépendant même si elle n'a pas conclu de contrat dans le cadre d'une entreprise qu'elle dirige actuellement.

Quand il doit régler un tel problème, le juge de première instance ne peut se soustraire à l'obligation de peser avec soin tous les facteurs pertinents, comme l'a indiqué le juge Cooke.

[14]          La travailleuse était payée comme si elle était une entrepreneure indépendante; à la signature du contrat du 16 janvier 1998 ¾ pièce A-1 ¾, elle a reçu la somme de 500 $. Selon le point de vue que l'on adopte, il s'agissait soit d'une avance sur le salaire payable prévu dans le contrat, soit d'un acompte comprenant le versement d'un premier montant à la signature du contrat et le versement d'autres montants par la suite en conformité avec le calendrier établi dans la mesure où le travail était exécuté dans les délais fixés. Si les délais n'étaient pas respectés, la travailleuse devait quand même exécuter le travail à ses frais, et le paiement, y compris le versement final, était assujetti à la remise d'un rapport satisfaisant, qui était utilisé par la SIA pour obtenir le solde des fonds accordés par le donateur pour la réalisation du projet. En ce qui concerne le second contrat - pièce A-2 - daté du 14 juillet 1998, le premier paiement, de 1 560 $, a été versé à la travailleuse le 30 juillet 1998 seulement. Le même montant lui a ensuite été versé le dernier jour de chaque mois jusqu'à l'expiration du contrat le 30 juin 1999. Dans le cas du troisième contrat - pièce A-3 - daté aussi du 14 juillet 1998, le premier paiement a été effectué le 30 septembre 1998 seulement, même si le contrat avait commencé le 14 juillet 1998 et qu'il s'agissait d'un projet d'encadrement de 52 semaines que la travailleuse devait réaliser à titre de monitrice. Le contrat prévoyait le paiement d'un montant de 1 600 $ le 30 septembre 1998 et d'un autre montant de 1 600 $ le 30 mars 1999, pour un paiement total de 3 200 $.

[15]          Pour répondre à la question « À qui appartenait l'entreprise? » , il faut tenir compte du fait que la SIA était l'entité juridique qui était capable d'obtenir, en s'adressant à des sources diverses, les fonds nécessaires pour s'acquitter de son mandat et que l'un de ses objectifs premiers était d'offrir le type de programme d'encadrement décrit dans les trois contrats. Tant que la SIA n'avait pas obtenu les fonds nécessaires, il n'y avait aucun projet à réaliser nécessitant les services de la travailleuse. Les communications se faisaient entre la SIA et le donateur, et la travailleuse était tenue de fournir des rapports sur l'avancement des projets afin que la SIA puisse obtenir les fonds nécessaires pour réaliser une phase particulière. Il est vrai qu'un entrepreneur indépendant doit commencer quelque part et qu'il ne peut pas toujours accepter du travail dans le contexte d'une entreprise active. Par ailleurs, il est raisonnable de conclure qu'une nouvelle entreprise de services de consultation, dont la réputation reste à établir, n'aura pas nécessairement les capitaux nécessaires pour embaucher des employés ou pour acquérir de l'équipement coûteux. En fait, l'entreprise comptant une seule personne peut très bien être exploitée selon le principe que le propriétaire joue tous les rôles. Cependant, dans l'appel en l'instance, la travailleuse n'était pas obligée d'utiliser son propre équipement et l'espace à bureaux requis était soit fourni, soit loué par la SIA, qui concluait également des contrats avec d'autres établissements pour utiliser leurs installations de formation et leurs moniteurs, au besoin, et qui en assumait les frais. Il est clair que la travailleuse était censée exécuter le travail personnellement, notamment les tâches administratives que supposait le programme particulier, mais qu'elle était libre de confier à des sous-traitants cet aspect du travail général. Les annonces publiées en vue de recruter des participants aux programmes étaient payées directement par la SIA et elles indiquaient clairement ce qui suit :

[TRADUCTION]

La Saskatchewan Intercultural Association offrira un programme de préparation à l'emploi et de placement de juillet à décembre 1998.

[16]          Il était également indiqué que les participants pouvaient avoir droit à une allocation de formation provinciale et qu'ils devaient soumettre leur candidature en envoyant leur c.v. au bureau de la SIA. À nouveau, il est nécessaire de préciser que les frais de la publicité et des autres activités connexes étaient pris en charge par la SIA, qui les avaient prévues dans son budget. Comme je l'ai mentionné précédemment, je ne vois pas de quelle manière la travailleuse aurait pu tirer profit de la saine gestion des projets autrement qu'en obtenant d'autres contrats de la SIA. Celle-ci conservait tous les fonds inutilisés à la fin d'un projet pour lequel elle avait reçu des fonds. La travailleuse n'a assumé aucun risque financier et lorsqu'elle s'est trouvée dans l'impossibilité de mener à terme le dernier projet prévu dans le contrat - pièce A-3 - elle a trouvé un remplaçant convenable et lui a prêté son concours pour achever le projet. La SIA et la travailleuse se sont entendues sur le montant - établi en fonction du pourcentage de jours travaillés pendant le mois - à déduire de son dernier paiement du fait qu'une autre personne devait prendre sa place pour le reste de la période prévue. Le travail effectué représentait un volet important du mandat général de la SIA et peu importe qui accomplissait ce travail, il faisait partie intégrante de l'entreprise - au sens le plus large de ce terme - et n'en était pas simplement un élément accessoire. Par contre, lorsque la SIA jouait le rôle d'organisme cadre et entretenait des rapports avec les divers groupes communautaires, qui, à leur tour, fournissaient des moniteurs pour l'enseignement de divers cours, les frais d'inscription étaient payés directement aux écoles de langue par les étudiants. Dans cette mesure, on peut voir la différence qui existe quand le service fourni ne fait pas partie intégrante de l'organisation mais en constitue seulement un élément accessoire. À l'occasion, la SIA touchait des honoraires en fournissant les services de traducteurs ou d'autres experts-conseils à des personnes qui, par ailleurs, auraient peut-être eu de la difficulté à se prévaloir de ces services particuliers. De cette manière, la SIA se trouvait à générer des revenus pour son propre compte. Un examen de la preuve révèle que la travailleuse exécutait les contrats dans le cadre de l'infrastructure établie par l'appelante et que la SIA s'occupait directement des programmes particuliers d'encadrement et de formation en emploi qui constituaient un volet important de son mandat général. À titre d'exemple, prenons les cours d'informatique donnés par le Kelsey Institute qui représentaient une petite partie seulement du programme d'encadrement et pour lesquels la SIA concluait des contrats de temps à autre, selon les besoins. Le travail accompli par Mme Anwender-Rempel, y compris l'attribution par elle du contrat de formation en informatique, était une activité pratique de nature continue qui se déroulait la plupart du temps dans des installations appartenant à la SIA ou loués par l'association dans le contexte d'un processus de financement complexe faisant intervenir trois niveaux de gouvernement et des fondations privées. Si l'on examine la relation de travail en adoptant le point de vue de la travailleuse, exposé dans la preuve, il est difficile de voir comment on pourrait la considérer comme une entrepreneure indépendante.

[17]          Les parties ont conclu trois contrats distincts dans lesquels la travailleuse était considérée comme une entrepreneure indépendante. Cependant, la jurisprudence est claire sur ce point. Peu importe la manière dont les parties croient avoir défini leur relation, les faits demeurent inchangés. Dans l'affaire Le ministre du Revenu national c. Emily Standing, C.A.F., no A-857-90, le 29 septembre 1992, à la page 2 (147 N.R. 238, aux pages 239 et 240), le juge Stone a déclaré ce qui suit :

[...] Rien dans la jurisprudence ne permet d'avancer l'existence d'une telle relation du simple fait que les parties ont choisi de la définir ainsi sans égards aux circonstances entourantes (sic) appréciées en fonction du critère de l'arrêt Wiebe Door.

[18]          Si l'on tient compte de la preuve et qu'on l'applique de la manière décrite dans la jurisprudence pertinente, je conclus que la décision du ministre est fondée et je la confirme par les présentes.

[19]          L'appel est rejeté.

Signé à Sidney (Colombie Britannique), ce 17e jour de novembre 2000.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de juillet 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3778(EI)

ENTRE :

SASKATCHEWAN INTERCULTURAL ASSOCIATION INC.,

appelante,

et

LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL,

intimé.

Appel entendu le 3 août 2000 à Saskatoon (Saskaschewan), par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Avocat de l'appelante :               Me Marvin Henderson

Avocate de l'intimé :                   Me Julie Rogers-Glabush

JUGEMENT

          L'appel est rejeté, et la décision du ministre est confirmée, conformément aux motifs du jugement ci-joints.

Signé à Sidney (Colombie Britannique), ce 17e jour de novembre 2000.

« D. W. Rowe »

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juillet 2001.

Isabelle Chénard, réviseure


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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