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Date: 20010119

Dossier: 1999-1679-IT-G

ENTRE :

ROBERT EBERLE,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Avocat de l'appelant : Me Gregory A. Swanson

Avocat de l'intimée : Me Gérald Chartier

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Régina (Saskatchewan), le 3 novembre 2000.)

Le juge McArthur

[1]            L'appel en instance porte sur une cotisation établie à l'égard de l'appelant pour l'année d'imposition 1994. Il y a trois questions en litige, à savoir : le ministre du Revenu national a-t-il inclus à bon droit un montant de 110 000 $ dans le revenu imposable de l'appelant aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu au motif que l'appelant n'a pas vendu un terrain à D & K Properties Ltd. (la société) en 1994? Le ministre a-t-il exigé à bon droit des frais pour droit d'usage d'environ 8 000 $ au motif que l'appelant a fait un usage personnel d'un camion à quatre roues motrices GMC 1993 appartenant à la société? Enfin, le ministre était-il fondé d'imposer des pénalités d'environ 17 000 $ à l'appelant aux termes du paragraphe 163(2) de la Loi? Je me pencherai d'abord sur la vente ou la cession du terrain, qui est la question la plus importante.

[2]            L'appelant est un agriculteur, un homme d'affaires ainsi qu'un propriétaire ou gestionnaire d'hôtel depuis de nombreuses années. En 1992, son fils Dwayne a obtenu de la Société du crédit agricole le titre sur quatre parcelles de terres agricoles, décrites chacune comme un quart de section de 160 acres environ. La contrepartie exigée pour une parcelle, dont la description partielle est le quart de section 9 S.E., était de 23 360 $. La seconde parcelle, soit le quart de section 23 S.O., a été payée 25 000 $. Je crois comprendre que les deux autres quarts de section avaient des valeurs semblables. Dwayne a consenti à la Banque Royale du Canada une hypothèque de 60 000 $, pour laquelle il a offert les quatre parcelles de terrain en garantie.

[3]            Seuls l'appelant et Dwayne ont témoigné pour l'appelant. Je conclus sans hésitation que Dwayne détenait tous les terrains en fiducie pour l'appelant, son père, pour les motifs suivants. Avant 1991, l'appelant avait, semble-t-il, été propriétaire des terrains personnellement. La Société du crédit agricole est devenue propriétaire des terrains par voie de saisie en 1991. En 1992, des brefs de saisie ont été déposés à l'encontre de l'appelant par la Shelter Corporation of Canada Limited, la Banque Canadienne Impériale de Commerce, la Société du crédit agricole et le ministre du Revenu national. C'est l'appelant, plutôt que Dwayne, qui a pris toutes les dispositions pour acheter les terrains, obtenir l'emprunt hypothécaire et payer le solde dû à la signature des transactions d'achat. À la demande de l'appelant, le fils a apposé sa signature sur la transaction à titre d'acheteur, mais, de toute évidence, il n'en saisissait pas tous les détails. L'appelant a géré les terrains, qu'il a loués en tout ou en partie à son frère, qui les a cultivés, qui a vendu le grain et qui a payé un loyer à l'appelant. Dwayne ne savait pas si des parcelles avaient été vendues à la société.

[4]            En février 1996 environ, Dwayne a déclaré par écrit qu'il détenait les deux autres parcelles (non comprises dans les deux parcelles vendues à la société) pour l'appelant. Sur les instructions ce dernier, Dwayne a cédé le quart de section 9 S.E. à une tierce partie pour la somme d'environ 34 000 $. Les chiffres divergent, car le comptable de l'appelant a inscrit dans les livres un montant de 38 000 $. Peu de temps après la vente, l'hypothèque consentie à la Banque Royale a été acquittée. La principale question à trancher dans l'appel en instance est celle de savoir si l'appelant a vendu ou cédé deux quarts de section à la société le 31 août 1994 ou avant cette date.

[5]            Le témoignage de l'appelant a été plutôt vague. Même pendant son interrogatoire principal, ses réponses étaient hésitantes, ce qui m'a amené à conclure qu'il s'efforçait de fournir la réponse qui l'avantageait le plus, que cette réponse fût exacte ou non. En avril 1994, l'appelant a acquis de sa fille 50 p. 100 des actions de la société. M. Karl Hansen, un tiers indépendant, détenait le reste des actions. La société était propriétaire-exploitante d'une auberge de 34 chambres, comprenant un bar-salon, un restaurant et deux salles de banquet. L'appelant exploitait l'auberge avec sa femme, son fils et sa fille. En 1994, il devait à la société un montant de 110 000 $ au titre d'un prêt consenti à l'actionnaire. Ayant une expérience des affaires, il savait qu'il devait rembourser le prêt avant la fin de l'exercice de la société le 31 août 1994 pour ne pas que le montant soit inclus dans son revenu imposable à titre d'avantage. À une date inconnue après le 31 août 1994, il a informé son comptable, qui était aussi celui de la société que, le 31 août 1994, il avait vendu deux quarts de section à la société pour lesquels il avait obtenu 110 000 $, ce qui effaçait le prêt consenti à l'actionnaire. Le 31 janvier 1995, les comptables ont demandé au cabinet d'avocats qui représentait l'appelant, plus particulièrement à Greg Swanson qui a représenté l'appelant dans le cadre de l'appel en instance, de préparer tous les documents juridiques nécessaires pour confirmer la vente des terrains de l'appelant à la société.

[6]            La question que je dois trancher se résume à déterminer si l'appelant a bel et bien vendu les terrains à la société le 31 août 1994 ou avant cette date. Je conclus que cette vente n'a pas eu lieu, pour les motifs suivants. Le 31 août 1994, (i) il n'y a eu aucune cession, enregistrée ou non enregistrée; (ii) il n'existe aucun document écrit confirmant la vente; (iii) le propriétaire de 50 p. 100 des actions de la société, M. Hansen, n'a pas été consulté; (iv) aucune preuve n'a été produite pour établir que l'appelant avait conclu un contrat avec lui-même; (v) aucune résolution n'a été adoptée par la société; (vi) aucun contrat de quelque nature que ce soit n'a été signé avec M. Hansen; (vii) les contrats personnels conclus de vive voix ne sont pas acceptés en droit parce qu'ils vont à l'encontre des principes fondamentaux du droit en matière de contrat. À mon avis, ces contrats devraient être confirmés par écrit pour être valides; (viii) aucune preuve n'a été produite pour établir qu'un marché a été conclu entre l'appelant et la société; (ix) le terrain n'a fait l'objet d'aucune évaluation et la valeur de 110 000 $ semble correspondre davantage à la dette de l'appelant qu'à la juste valeur marchande des terrains. La seule preuve qui existe de la valeur est le prix d'achat des deux parcelles de terrain en 1992, qui est inférieur à la moitié du prix de vente; (x) les terrains censément vendus étaient libres de servitude, à ce qu'il semble, mais ils n'en sont pas moins demeurés grevés de l'hypothèque consentie à la Banque Royale du Canada; (xi) le contrat verbal, s'il y en a un, ne permet pas d'assurer la certitude des clauses contractuelles qui sont exigées en droit des contrats; (xii) sur le plan commercial, cela n'a pas de sens que l'appelant conclut un contrat avec une société appartenant à parts égales à un autre associé (actionnaire) sans le consentement de ce dernier et sans faire diligence raisonnable quant aux modalités d'achat, au prix d'achat, etc. Même s'il y a plus qu'une simple intention de cession, cela est loin d'être suffisant; (xiii) je n'accorde pas foi au témoignage non corroboré de l'appelant, qui affirme avoir conclu un contrat verbal avec lui-même avant le 31 août 1994, même si ce témoignage était suffisant, ce qui n'est pas le cas; et (xiv) aux termes du Statute of Frauds de la province de la Saskatchewan, la vente et la cession de terrains doivent être confirmées par écrit. Les preuves écrites ont été préparées après le 31 août 1994, comme les états financiers dressés par le comptable, les comptes utilisés aux fins des déclarations de revenu, une convention de vente non signée et non datée et la preuve que M. Hansen était au courant de la transaction. L'appelant et M. Hansen ont commencé à avoir de vives divergences de vues en 1994-1995, ce qui a donné lieu à un procès-verbal de transaction en 1997.

[7]            L'avocat de l'intimée a fait référence au Statute of Frauds, qui s'applique à la vente de terrains en Saskatchewan. L'avocat de l'appelant a invoqué la doctrine de l'exécution partielle. Les affaires citées au soutien de cette doctrine peuvent facilement être distinguées des faits de la présente affaire. Par exemple, dans l'arrêt Thompson v. Guaranty Trust Co. of Canada[1], le juge Spence a cité avec approbation la décision rendue par la Chambre des lords dans l'affaire Maddison v. Alderson, (1883), 8, APP. Cas. 467, dans laquelle le comte Selborne a déclaré ce qui suit :

[TRADUCTION]

[...] les actes auxquels on se fie pour faire la preuve de l'exécution partielle doivent être, de façon non équivoque, et dans leur nature propre, attribuables à un accord du genre [...]

Les actes de l'appelant n'étaient certainement pas non équivoques pour les motifs invoqués précédemment. Je cite, avec approbation, des passages tirés des affaires auxquelles l'intimée a fait référence, dont la décision Lefebvre et al. c. M.R.N.[2], dans laquelle le juge Mogan a déclaré ce qui suit :

[...] L'intimé fait valoir que si les appelants parviennent à établir qu'ils étaient propriétaires d'un intérêt dans le terrain en question avant la date du 23 janvier 1980, ils doivent surmonter l'obstacle que représente l'article 4 du Statute of Frauds, qui exige que les parents, Antoine et Florence Lefebvre, aient signé une note écrite. Il n'y a aucune preuve de l'existence d'une telle note, et le procureur des appelants a donc avancé quatre arguments pour surmonter l'obstacle que pose l'article 4 du Statute of Frauds.

[...]

                Voici ce qu'on peut lire à la page 1087 de l'ouvrage intitulé Law of Real Property de Anger et Honsberger, (2eédition), 1985 :

« ... la doctrine de l'exécution partielle a suivi deux lignes parallèles. En premier lieu, l'equity ne permettrait pas à une partie défenderesse d'invoquer avec succès le Statute of Frauds comme moyen de défense dans le cas où la partie plaignante se serait fiée dans une grande mesure à une promesse de la part de la partie défenderesse. En second lieu, le fait que la partie plaignante se soit ainsi fiée à la partie défenderesse était la preuve qu'il existait bel et bien un contrat entre les parties et qu'il faudrait le faire appliquer. Il est une condition de l'application de la doctrine de l'exécution partielle que les actes auxquels on se fie [...] doivent être, de façon non équivoque, et dans leur nature propre, attribuables à un accord de ce genre. »

                Pendant toutes les années 1970, l'exploitation agricole familiale a compris, au nord, le terrain adjacent de 98 acres, sur lequel était située la maison de ferme, et, au sud, le terrain en question, d'une superficie de 160 acres. La conduite des appelants après 1972, soit aider à exploiter la ferme familiale et à rembourser l'emprunt de 10 000 $, est ambiguë, en ce sens qu'elle pourrait refléter la tradition qu'avaient les membres de la famille de travailler tous ensemble, ou alors l'expectative que l'on ferait un jour don du terrain en question. Je ne puis conclure que cette conduite reposait nettement sur le fait que les appelants se fiaient à la promesse de leurs parents de leur faire don du terrain en question.

[8]            Dans l'arrêt Rose c. M.R.N.[3], la Cour d'appel fédérale a déclaré, dans des circonstances à peu près analogues à celle de l'appel dont je suis actuellement saisi :

[...] Il n'est pas établi que le contrat ait été exécuté entre temps et, j'y insiste, c'est à l'appelante qu'il revenait d'en faire la preuve.

                Du reste, [...] n'y avoir aucune preuve que la société ait autorité les cinq administrateurs à gérer ses affaires. [...] dans le cas où les associés sont des corporations, j'estime qu'avant de pouvoir gérer des affaires au nom de la société, une personne doit y avoir été habilitée par les corporations associées, généralement au moyen de résolutions adoptées par ces corporations.

L'avocat de l'intimée a cité plusieurs autres affaires, auxquelles je souscris et dont je ne citerai aucun passage dans les présents motifs de jugement.

[9]            Pour les motifs énoncés précédemment, je conclus que l'appelant n'a pas vendu le terrain à la société à quelque moment que ce soit au cours de la période visée par l'appel. Parce que la comptabilisation de la prétendue cession a pris la forme d'un redressement de l'écriture numéro 15 du compte personnel dans les livres de la société, un avantage se trouve à avoir été conféré à l'appelant et le ministre a donc établi à bon droit une cotisation de 110 000 $ à l'égard de l'appelant aux termes du paragraphe 15(1) de la Loi.

[10]          J'en viens maintenant aux frais pour droit d'usage. La majorité des faits exposés ci-après ne sont pas contestés : la société a acheté un camion à quatre roues motrices GMC 1993, qu'elle a payé 33 300 $. Le camion a été mis à la disposition de l'appelant pour son usage personnel au cours de l'année d'imposition 1994. L'appelant n'a versé aucun montant à la société au titre de l'utilisation du camion. La société en a payé les frais d'utilisation, le carburant, l'entretien ainsi que les réparations. L'appelant n'a tenu aucun registre des distances parcourues aux fins de l'entreprise et à des fins personnelles. Au cours de l'année d'imposition 1994, je conclus que l'appelant a utilisé le camion en partie pour son usage personnel. La position de l'appelant est tirée de son avis d'appel, dans lequel on peut lire ceci :

[TRADUCTION]

13.            En 1993, la société a acheté un camion à quatre roues motrices GMC 1993 (le « camion » ), qu'elle a payé 33 300 $ et qu'elle a mis à la disposition de l'appelant.

14.            L'appelant était tenu par la société d'utiliser le camion pour s'acquitter de ses tâches à titre d'employé de la société. Le camion était utilisé exclusivement ou presque exclusivement aux fins de la société, y compris sans s'y limiter, pour les activités suivantes :

a)             faire le dépôt quotidien à la Banque Royale située à Wapella ou à Moosomin;

b)             prendre livraison de nourriture et de provisions au moins une fois par semaine à Regina ou à Yorkton;

c)              prendre livraison de boissons alcoolisées et retourner les bouteilles.

15.            L'intimée a établi à l'égard de l'appelant une cotisation de 8 103 $ au titre des frais pour droit d'usage du camion aux termes du paragraphe 15(5) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

16.            L'intimée a établi à tort une cotisation à l'égard de l'appelant relativement à l'utilisation du camion, car elle a négligé de tenir compte des éléments suivants :

a)             l'appelant était tenu par la compagnie d'utiliser le camion pour s'acquitter de ses tâches;

b)             l'appelant a utilisé le camion exclusivement ou presque exclusivement dans le cadre de son emploi;

c)              l'appelant est propriétaire d'une automobile Buick 1993, qu'il a utilisée pour son usage personnel.

[11]          Pendant les six premiers mois de l'année 1994, l'appelant habitait avec sa femme, à temps partiel du moins, un chalet situé à White Bear et il lui arrivait de parcourir une distance de quelque 60 kilomètres pour se rendre à son travail à Whitewood. En août 1994, le couple s'est installé à Whitewood pour passer moins de temps sur la route. L'appelant affirme qu'au cours des six premiers mois de 1994 il n'a parcouru que six fois environ la distance entre White Bear et Whitewood. Il était de toute évidence très occupé à l'hôtel, si l'on tient compte du fait que le revenu brut de l'entreprise dépassait les 800 000 $, et il n'avait pas le temps de faire le trajet de 120 kilomètres aller-retour. Il faisait la navette entre Whitewood et Regina et d'autres municipalités pour prendre livraison des provisions, faire les dépôts bancaires et s'acquitter d'autres responsabilités.

[12]          Le fils de l'appelant a corroboré le témoignage de ce dernier en ce qui concerne l'utilisation du camion à des fins commerciales principalement. Il a été établi que l'appelant avait accès à d'autres véhicules pour son usage personnel. L'appelant n'a tenu aucun journal ni aucun registre et sa mémoire était quelque peu déficiente, mais j'accepte son témoignage selon lequel il a utilisé le camion pour son travail 80 p. 100 du temps. Les frais de droit d'usage doivent être rajustés en conformité avec les dispositions du paragraphe 15(5), qui précise qu'un actionnaire qui utilise un véhicule fourni par la société doit inclure un avantage dans le calcul de son revenu avec les adaptations. La proportion de 20 p. 100 constitue une estimation quelque peu aléatoire de l'utilisation du véhicule à des fins personnelles, mais c'est celle que je juge la plus raisonnable compte tenu de la preuve dont je dispose.

[13]          La dernière question à trancher est celle de la pénalité. Il incombe au ministre de justifier l'imposition de pénalités aux termes du paragraphe 163(2). Je conclus que le ministre n'a pas établi qu'il y avait eu faute lourde pour justifier l'imposition des pénalités. De la même manière que j'ai conclu que l'appelant ne s'était pas acquitté du fardeau d'établir que les hypothèses du ministre étaient erronées concernant l'avantage conféré à un actionnaire, je conclus que le ministre n'a pas produit la preuve nécessaire pour justifier l'imposition des pénalités.

[14]          En conclusion, l'appel est admis aux fins de réduire à 1 620 $ les frais pour droit d'usage de 8 103 $ et d'annuler les pénalités imposées. À tous les autres égards, l'appel est rejeté, et les dépens sont alloués à l'intimée en conformité avec le tarif.

Signé à Ottawa, Canada, ce 19e jour de janvier 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de juin 2001.

Isabelle Chénard, réviseure

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           39 D.L.R. (3d) 408 (C.S.C.).

[2]           C.C.I., no 84-2225(IT), 21 décembre 1990, à la page 9 (91 DTC 192, à la page 195).

[3]           [1973] C.F. 65

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