Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

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Date: 20010105

Dossier: 1999-3677-IT-G

ENTRE :

510492 B.C. LTD.,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

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Avocat de l'appelante : Me James W. Mandick

Avocate de l'intimée : Me Julia S. Parker

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Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Edmonton (Alberta), le 20 octobre 2000)

Le juge McArthur

[1]            Je souscris aux arguments de l'intimée, qui soutient que l'appelante n'a pas la capacité légale d'intenter la présente instance ni de la continuer. Nul ne conteste le fait que l'appelante a été dissoute le 28 mai 1999 et qu'elle a été rayée du registre des sociétés de la Colombie-Britannique aux termes de l'article 257 de la Company Act de la C.-B. pour omission de produire les rapports exigés. L'appelante a déposé un avis d'appel auprès de la Cour le 18 août 1999. Toutefois, n'étant plus une entité juridique, elle n'a pas la capacité légale de continuer l'appel en l'instance. Aux termes de l'article 257 de la Company Act, R.S.B.C. 1996, c. 62, de la C.-B., le registraire peut rayer une entreprise du registre des sociétés et dissoudre la société si celle-ci omet de produire les documents demandés dans les 30 jours suivant l'envoi de l'avis. L'article 262 prévoit qu'une société peut être inscrite à nouveau au registre dans les 10 ans suivant sa dissolution dans certaines circonstances.

[2]            L'avocat de l'appelante n'était pas disposé à régler le problème en faisant inscrire à nouveau la société au registre parce que Robert L. Brown, qui était le seul actionnaire de l'appelante, est aujourd'hui un citoyen américain. La Company Act de la C.-B. exige, semble-t-il, que 50 p. 100 des actions émises appartiennent à un résidant de la C.-B. M. Brown aurait probablement de la difficulté à trouver un volontaire disposé à devenir propriétaire de la moitié d'une société vacante ou dissoute aux prises avec des problèmes fiscaux, à moins, bien entendu, d'offrir des garanties acceptables.

[3]            J'ai essayé en vain de me ranger aux arguments de l'appelante, et je sais bien que ma décision est difficile à accepter. Après avoir pris connaissance de l'avis d'appel et de la réponse à l'avis d'appel, j'ai conclu que l'appelante pourrait probablement établir ses prétentions si elle était en mesure de faire la preuve des faits énoncés au paragraphe C de l'avis d'appel. Bien entendu, il est préférable que l'appel soit entendu au fond. J'ai effectué des recherches pour trouver des précédents qui appuieraient la thèse de l'appelante.

[4]            L'appelante a produit une déclaration de Robert L. Brown, assermentée à Phoenix, Arizona, le 14 octobre 2000. M. Brown s'inquiète du fait qu'une cotisation à été établie à son égard aux termes de l'article 227.1 des dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu qui portent sur les obligations des administrateurs. Cette déclaration n'est pas d'un grand secours à l'appelante. M. Brown semble s'employer principalement à faire valoir que la cotisation n'est pas valable parce que l'appelante n'a reçu aucun avantage, commission, honoraires ou quelque autre montant que ce soit au cours de l'exercice clos en novembre 1996. Pour établir la cotisation en cause, l'intimée a tenu pour acquis que l'appelante avait un revenu net de 100 000 $ au cours de l'exercice 1996.

[5]            À nouveau, la façon logique de régler le problème serait préférablement de permettre à l'appelante d'interjeter appel de la cotisation. Malheureusement, la Company Act de la C.-B. ne permet pas ce recours une fois qu'une société a été dissoute. C'est l'assemblée législative de la C.-B. qui a adopté la loi ayant donné lieu à la création de l'appelante et à sa dissolution aussi. Je ne peux rétablir l'existence de l'entité juridique. La loi de la C.-B. prévoit un moyen d'inscrire à nouveau la société au registre des sociétés, mais l'appelante ne serait pas en mesure de se prévaloir de la solution proposée.

[6]            L'avocate de l'intimée a fait référence à l'arrêt de la Cour suprême de la Colombie-Britannique dans l'affaire First Gwent Investment Corp. Ltd. v. Sia et al[1]. À la page 2 de l'arrêt, le juge Prowse déclare ce qui suit :

                [TRADUCTION]

                Étant donné qu'une société ne peut introduire une action [...] ou en continuer une, [...] tant qu'elle est rayée du registre des sociétés, l'action est considérée comme un recours abusif [...]

et il poursuit en ces termes à la page 3 :

                [TRADUCTION]

[...] J'en suis venu à la conclusion que le redressement approprié est l'inscription d'un sursis de l'instance pour une période de 60 jours [...] durant laquelle le demandeur [...] peut continuer de faire les démarches nécessaires en vue d'inscrire à nouveau la société au registre des sociétés [...]

En outre, dans l'affaire Thomas c. M.R.N.[2], mon collègue le juge Rip a déclaré aux pages 8 et 9 (C.T.C. : à la page 2320) :

                Pendant la période au cours de laquelle la société est dissoute aux termes du paragraphe 281 de la Loi de la Colombie-Britannique et jusqu'au dernier jour où son nom peut être inscrit de nouveau au registre des sociétés conformément à l'article 286 de la Loi de la Colombie-Britannique, elle n'a pas absolument cessé d'exister. Son existence est suspendue; la société est une non-entité privée de toute capacité. Une fois que la société est de nouveau inscrite au registre elle est « réputée avoir toujours existé » . Tant et aussi longtemps que la société n'est pas de nouveau inscrite au registre et n'est pas de ce fait réputée avoir toujours existé, elle n'existe pas.

Lorsque son existence est suspendue, une société ne peut poursuivre les activités qu'elle exerce normalement du fait qu'elle n'a ni la capacité juridique ni la compétence pour le faire. Elle ne peut, par exemple, poursuivre un débiteur ou conclure un contrat.

Dans l'affaire Ragged Runner Enterprises Ltd. v. Victoria Sports Traders Inc.[3], le protonotaire Bishop de la Cour suprême de la Colombie-Britannique à Kelowna a déclaré ce qui suit :

                [TRADUCTION]

                Il est manifeste que, lorsque la demanderesse a introduit l'action en l'instance, elle était une société à responsabilité limitée dûment constituée sous le régime des lois de la province de la Colombie-Britannique [...]

                Il est aussi manifeste qu'au cours de l'instance la société a été rayée du registre pour défaut de produire les rapports annuels exigés [...]

[...]Toutefois, si la société n'est pas inscrite à nouveau au registre des sociétés au plus tard le 15e jour d'octobre 1993, la Cour ordonnera que la déclaration soit radiée et l'action rejetée [...]

De même, le protonotaire Bolton de la Cour suprême de la Colombie-Britannique à Victoria a déclaré dans l'affaire Canada v. T.S. Engineering Inc.[4] :

                [TRADUCTION]

                L'action de rayer une société du registre des sociétés n'est pas juste un acte de procédure accompli par des bureaucrates de Victoria. Aux termes du paragraphe 281(4) de la Company Act, une société qui est rayée du registre des sociétés se trouve par le fait même dissoute. Cette société cesse d'exister.

[...] Le requérant doit s'employer à faire ressusciter l'intimée d'entre les morts en présentant une demande pour que la société soit inscrite à nouveau au registre des sociétés aux termes de l'article 286 de la Company Act.

Dans l'affaire The Queen v. Gill[5], le juge en chef Oliver de la cour du comté de Westminster de la Colombie-Britannique a déclaré ce qui suit :

                [TRADUCTION]

                Une société à responsabilité limitée est une personne morale qui, à l'instar d'une personne humaine, a une existence propre, de sa naissance à sa mort. C'est une création de la loi. La société naît le jour où elle est constituée et meurt le jour où elle est dissoute. Du fait de leur décès par dissolution, les trois sociétés sont devenues « inexistantes » , pour reprendre les propos du juge du procès; il leur était donc impossible d'exploiter une entreprise, de gagner un revenu, de subir des pertes, d'agir de quelque manière que ce soit, ou d'avoir une « année d'imposition » .

Je cite ces décisions de la C.-B. dans le but de créer un contexte ou un cadre pour situer la loi appliquée dans cette province.

[7]            L'appelante s'est appuyée presque uniquement sur l'arrêt du juge Jérôme de la Cour fédérale, Section de première instance, dans l'affaire 460354 Ontario Limited v. The Queen[6], qui a été confirmée par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire La Reine, c. Sarraf (en sa qualité d'administrateur de 495187 Ontario Limited à l'époque de la dissolution)[7]. Dans cette affaire, la société 460354 a obtenu la dissolution volontaire en vertu de la Loi sur les compagnies de l'Ontario. Par la suite, le ministre du Revenu national a établi une cotisation à l'égard de la société. Le juge Jerome a conclu que l'alinéa 241(1)b) de la Loi sur les compagnies de l'Ontario permet d'intenter des actions ou recours de nature civile, pénale ou administrative contre la société durant la période de cinq ans qui suit sa dissolution. L'établissement d'un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu est un recours de nature administrative aux termes de l'alinéa 241(1)b). Dès lors que le ministre établit une cotisation ou une nouvelle cotisation à l'égard d'un contribuable, il doit être possible à ce dernier d'exercer ses droits d'appel énoncés dans la Loi de l'impôt sur le revenu.

[8]            Les faits de l'affaire qui précède ressemblent à ceux de l'affaire dont je suis saisi, sauf en ce qui concerne un élément primordial, soit que le juge Jerome s'est appuyé sur la Loi sur les compagnies de l'Ontario et plus particulièrement sur l'alinéa 241(1)b). Cette disposition est ainsi libellée :

                                241(1)      Malgré la dissolution d'une société aux termes de la présente loi :

les actions ou instances de nature civile, pénale ou administrative introduites par la société ou contre elle avant sa dissolution peuvent être poursuivies comme si la dissolution n'avait pas eu lieu;

des actions ou instances de nature civile, pénale ou administrative peuvent être introduites contre la société dans les cinq ans de la dissolution comme si celle-ci n'avait pas eu lieu;

les biens qui auraient servi à satisfaire à un jugement, à une ordonnance ou à un ordre, si la société n'avait pas été dissoute, restent disponibles à cette fin.

Dans sa décision, le juge Jerome a déclaré ce qui suit :

                L'alinéa 241(1)b) de la Loi prévoit que si une action est intentée contre une corporation dissoute, l'affaire doit être instruite normalement, c'est-à-dire « comme si [la corporation] n'avait pas été dissoute » . Je ne crois pas qu'une corporation dissoute doive être investie du droit d'interjeter appel dans le contexte d'un recours de nature administrative ou du droit de se défendre dans un litige de nature civile ou contre des accusations criminelles par la loi qui autorise l'introduction de l'action.

                La corporation dissoute n'est pas habilitée à ester en justice; toutefois, puisque j'ai conclu que la délivrance d'un avis de cotisation ou de nouvelle cotisation par le ministre est un recours de nature administrative au sens de l'alinéa 241(1)b) [...]

Il termine en rejetant l'argument des demandeurs. Malheureusement, la loi de la Colombie-Britannique ne contient pas de disposition semblable. En outre, l'avocate de l'intimée a déclaré que le juge Jerome n'avait pas invoqué l'alinéa 58(3)c) des Règles de la Cour canadienne de l'impôt, qui dit ceci :

58(3)        L'intimée peut demander à la Cour le rejet d'un appel au motif que,

[...]

c)              l'appelant n'a pas la capacité légale d'intenter ou de continuer l'instance,

[...]

[9]            Je conclus qu'une société de la Colombie-Britannique qui a été dissoute ne peut former un appel d'une cotisation que si elle est inscrite à nouveau au registre des sociétés. Il faut tenir compte du texte de la loi provinciale qui lui a donné la vie et lui a conféré une capacité juridique et qui les lui a enlevés par la suite. Je ne peux faire abstraction de ce fait. L'application du pouvoir discrétionnaire que me confère l'article 9 des Règles de dispenser de l'observation de l'alinéa 58(3)c) n'est d'aucun secours à l'appelante. C'est le texte de la Company Act de la Colombie-Britannique qui prévaut. La requête de l'intimée est accueillie et l'appel est rejeté.

Signé à Ottawa, Canada, ce 5e jour de janvier 2001.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 11e jour de juin 2001.

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           [1995] B.C.J. no 2478.

[2]           C.C.I., no 88-1422(IT), 7 août 1990 ([1990] 2 C.T.C. 2315).

[3]           [1993] B.C.J. no 1924.

[4]           [1993] B.C.J. no 2358.

[5]           [1990] 2 C.T.C. 318.

[6]           95 D.L.R. (4th) 351.

[7]           C.A.F., no A-505-92, 18 juin 1993 (94 DTC 6229).

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