Jugements de la Cour canadienne de l'impôt

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date: 20010115

Dossier: 1999-3261-IT-G

ENTRE :

CITIBANK CANADA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge Mogan

[1]            L'appelante est une banque figurant à l'annexe II de la Loi sur les banques, constituée sous le régime des lois du Canada. Elle est une « institution financière déterminée » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi de l'impôt sur le revenu (la « Loi » ) et une « institution financière » au sens du paragraphe 190(1) de la Loi. Au cours de son année d'imposition 1990, l'appelante a acquis certaines actions privilégiées émises par deux sociétés canadiennes (on utilisait à l'époque le terme « corporation » ), dont chacune avait au moins une catégorie d'actions de son capital-actions cotée en bourse au Canada. L'appelante a reçu des dividendes au titre de ces actions privilégiées et les a déduits de son revenu imposable, croyant de bonne foi que l'article 112 de la Loi l'y autorisait. Le ministre du Revenu national a rejeté la déduction des dividendes, considérant que les actions privilégiées étaient des « actions privilégiées à terme » , telle que cette expression  définie au paragraphe 248(1) de la Loi  est employée au paragraphe 112(2.1). La seule question à trancher en l'espèce est celle de savoir si les actions en cause étaient des « actions privilégiées à terme » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi.

[2]            Les faits essentiels ne sont pas contestés. La quasi totalité des faits allégués dans l'avis d'appel de l'appelante ont été admis par l'intimée dans sa réponse à l'avis d'appel. Par conséquent, j'exposerai les faits mentionnés aux paragraphes 2 à 13 de l'avis d'appel, tous admis à l'exception de certaines parties des paragraphes 4 et 7, qui font l'objet de commentaires particuliers :

                [TRADUCTION]

2.              Au cours de son année d'imposition 1990, l'appelante a acquis 25 actions privilégiées perpétuelles de premier rang, rachetables et à dividende cumulatif, faisant partie du capital-actions de B.C. Gas Inc. (les « actions B.C. Gas » ), à un prix unitaire de 500 000 $, et 10 actions privilégiées perpétuelles de premier rang à taux du marché, convertibles, rachetables et à dividende cumulatif, série C, du capital-actions du Groupe Vidéotron Ltée (les « actions Vidéotron » ), à un prix unitaire de 1 000 000 $.

3.              B.C. Gas Inc. et Le Groupe Vidéotron Ltée sont toutes deux des sociétés canadiennes imposables au sens des paragraphes 89(1) et 248(1) de la Loi.

4.              Les actions B.C. Gas et les actions Vidéotron (appelées collectivement les « actions privilégiées » ) avaient en commun les caractéristiques suivantes :

Commentaires :      Six caractéristiques des actions privilégiées étaient résumées en langage courant dans l'avis d'appel, mais l'intimée a soutenu dans sa réponse que les documents d'origine se passaient d'explications.

5.              Ni les actions à droit de vote subalterne non susceptibles d'appels subséquents du Groupe Vidéotron Ltée, ni les actions ordinaires de B.C. Gas Inc., contre lesquelles les actions Vidéotron et les actions B.C. Gas, respectivement, étaient échangeables, n'étaient des actions privilégiées à terme au sens du paragraphe 248(1) de la Loi.

6.              Durant son année d'imposition 1990, l'appelante a reçu des dividendes de 509 672 $ au titre des actions Vidéotron et de 998 727 $ au titre des actions B.C. Gas (appelés collectivement les « dividendes » ); ces montants ont été inclus dans le calcul du revenu de l'appelante conformément à l'alinéa 12(1)j) et au paragraphe 82(1) de la Loi.

7.              Dans le calcul de son revenu imposable de l'année d'imposition 1990, l'appelante a déduit de son revenu un montant égal aux dividendes, croyant que cette déduction était autorisée aux termes du paragraphe 112(1) de la Loi.

Commentaire :        J'ai substitué le passage souligné aux mots « pursuant to » employés dans l'avis d'appel.

8.              L'appelante a versé 1 656 095 $ et 1 308 696 $ au titre de l'impôt de la partie VI de la Loi à l'égard de ses années d'imposition 1990 et 1991, respectivement, et ces montants étaient déductibles à bon droit de son impôt payable pour l'année d'imposition 1990, aux termes du paragraphe 125.2(1) de la Loi tel qu'il était libellé cette année-là.

9.              Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi à l'égard de l'appelante une nouvelle cotisation, dont l'avis est daté du 7 mai 1997, dans laquelle, conformément au paragraphe 112(2.1) de la Loi, il rejetait la déduction, prévue au paragraphe 112(1), des dividendes reçus au titre des actions privilégiées, dans le calcul du revenu imposable de l'appelante pour son année d'imposition 1990.

10.            Le 1er août 1997, l'appelante a signifié un avis d'opposition à cette nouvelle cotisation.

11.            Dans une nouvelle cotisation subséquente datée du 1er juin 1999, le ministre a apporté plusieurs rajustements qui n'ont pas été contestés, mais il n'a pas autorisé la déduction des dividendes au titre des actions privilégiées dans le calcul du revenu imposable de l'appelante.

12.            Dans la nouvelle cotisation du 1er juin 1999, le ministre a déduit des pertes autres que des pertes en capital subies au cours des années d'imposition 1991 et 1992, soit au total 37 121 000 $, du revenu imposable de l'appelante pour son année d'imposition 1990.

13.            En conséquence, le revenu imposable de l'appelante s'établissait à 10 590 504 $, à l'égard duquel l'impôt exigible était de 2 965 341 $; a été déduit de ce dernier montant l'impôt de la partie VI payable en 1990 et en 1991, de sorte que l'impôt fédéral payable en vertu de la partie I était de 550,12 $ pour l'année d'imposition 1990.

[3]            Dans les présents motifs de jugement, je reprendrai la terminologie employée dans les actes de procédure. Les actions privilégiées en cause acquises par l'appelante auprès de B.C. Gas Inc. seront appelées les « actions B.C. Gas » et celles acquises auprès du Groupe Vidéotron Ltée, les « actions Vidéotron » . L'intimée n'a pas admis le résumé des caractéristiques qui, à ce que prétend l'appelante, sont communes aux actions B.C. Gas et aux actions Vidéotron (se reporter au paragraphe 4 de l'avis d'appel), mais les parties conviennent que les documents figurant à l'onglet 1A de la pièce R-3 et à l'onglet 4A de la pièce R-4 sont des résumés exacts, dans le langage des affaires, de la formule de conversion applicable aux actions Vidéotron et de celle applicable aux actions B.C. Gas, respectivement. Ces deux formules sont à toutes fins pratiques identiques.

[4]            La pièce R-4 décrit les conditions dans lesquelles les actions B.C. Gas ont été émises. L'émission constituait un placement privé (sans prospectus) permettant à la société de recueillir 25 millions de dollars. Le prix unitaire des actions était de 500 000 $, et le montant minimum des souscriptions était fixé à un million de dollars. La durée initiale était d'environ cinq ans, soit du 22 janvier 1990 au 31 mars 1995; les dividendes payables durant cette période étaient calculés au taux de 8,50 p. 100 par année. Passé ce terme initial, les actions B.C. Gas pouvaient être converties en actions ordinaires, conformément à la formule suivante (exposée dans le langage des affaires), extraite de la pièce R-4, onglet 4A :

                [TRADUCTION]

Chaque détenteur d'actions privilégiées perpétuelles de premier rang a le droit, à l'expiration du terme initial, de convertir ces actions en actions ordinaires, selon le taux de conversion applicable à la date de conversion.

Le taux de conversion est égal, à une date donnée, au quotient obtenu en divisant 500 000 $ par le plus élevé des montants suivants :

(i)             le prix de conversion minimum (1 $);

(ii)            le cours unitaire des actions ordinaires à la date en question.

Le cours unitaire des actions ordinaires à une date donnée est égal au cours moyen pondéré auquel se transigeaient les actions ordinaires à la Bourse de Toronto durant les 20 jours de bourse précédant l'avant-veille, en jours de bourse, de cette date.

La date proposée par le détenteur pour la conversion (la « date de conversion » ) doit être précisée dans un avis de conversion. Cette date correspond à un jour de bourse :

(i)             postérieur d'au moins 60 jours à la date d'envoi de l'avis de conversion;

(ii)            antérieur d'au moins deux jours de bourse et d'au plus cinq jours de bourse à toute date de règlement ou de paiement de dividendes.

[5]            D'après les actes de procédure, les parties conviennent que la seule question à trancher est celle de savoir si les actions B.C. Gas et les actions Vidéotron étaient des « actions privilégiées à terme » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi. Pour saisir la portée de cette question, il faut comprendre comment sont imposés les dividendes de sociétés selon l'esprit de la Loi. Les dividendes reçus par un actionnaire représentent un revenu tiré d'un bien, tout comme les intérêts perçus au titre d'un prêt ou le loyer reçu en contrepartie de l'utilisation d'un fonds de terre. Aux termes du paragraphe 82(1), tout contribuable, qu'il s'agisse d'un particulier ou d'une société, est tenu d'inclure dans le calcul de son revenu tous les montants représentant un dividende imposable qu'il reçoit d'une société qui réside au Canada. L'expression « dividende imposable » est définie au paragraphe 89(1), mais cette définition n'est pas pertinente. Le paragraphe 112(1) précise que la société qui reçoit un dividende imposable d'une société résidant au Canada peut déduire de son revenu un montant égal à ce dividende aux fins du calcul de son revenu imposable.

[6]            L'application des paragraphes 82(1) et 112(1) rend possibles les mouvements de dividendes en franchise d'impôt entre deux sociétés résidant au Canada. L'économie de ces dispositions repose sur deux postulats : (i) les dividendes sont normalement versés par les sociétés sur leurs bénéfices après impôt, appelés parfois « bénéfices non répartis » ; (ii) si les bénéfices non répartis de la société X étaient versés en chaîne sous forme de dividendes à une série de sociétés actionnaires résidant au Canada, et si ces dividendes n'étaient pas libres d'impôt entre les mains des sociétés actionnaires, les bénéfices non répartis de la société X, qui auraient déjà été imposés, seraient réduits des impôts additionnels perçus à chaque étape de la chaîne de sociétés actionnaires. L'objet du paragraphe 112(1) est d'éviter que les bénéfices des sociétés fassent l'objet d'une imposition multiple au cours de leur transmission le long d'une chaîne de sociétés actionnaires. De même, l'objet du crédit d'impôt pour dividendes accordé aux particuliers par l'article 121 de la Loi est d'éviter la double imposition des bénéfices des sociétés.

[7]            Jusqu'en 1978, on ne parlait pas d'action privilégiée à terme dans la Loi. À l'époque, certaines sociétés qui étaient non imposables (pour quelque raison que ce soit) et qui avaient besoin de capitaux substantiels pouvaient les obtenir (on serait tenté de dire : pouvaient les emprunter) à un coût moindre en émettant en faveur d'un établissement de crédit des actions privilégiées rapportant des dividendes annuels à un taux supérieur d'environ 1 p. 100 aux intérêts obtenus après impôt sur un prêt. Dans la mesure où les dividendes au titre des actions privilégiées étaient nets d'impôt entre les mains de l'établissement de crédit et où la déduction (dans le calcul du revenu) des intérêts payés sur des capitaux empruntés n'était d'aucune utilité à la société émettrice puisque celle-ci n'était pas imposable, il était ainsi possible à cette dernière d'obtenir les capitaux requis à un coût inférieur aux taux d'intérêt en vigueur et à l'établissement de crédit de gagner un peu plus que si elle avait prêté ces capitaux aux taux d'intérêt en vigueur. En 1978, la pratique consistant pour les sociétés non imposables à obtenir des capitaux en émettant en faveur d'établissements de crédit des actions privilégiées rapportant des dividendes annuels fixes s'était généralisée sur les marchés financiers canadiens.

[8]            Le Parlement décida de faire pièce à cette méthode de financement des sociétés en ajoutant au paragraphe 248(1) de la Loi la définition de l'expression « action privilégiée à terme » et en ne permettant pas aux institutions financières de se prévaloir de l'article 112 pour déduire les dividendes reçus au titre d'une action privilégiée à terme. La situation existant en 1978 est décrite dans une étude présentée par Arthur R. A. Scace au cours de la conférence annuelle de 1979 de l'Association canadienne d'études fiscales. On peut lire, aux pages 492 et 493 des actes de la conférence :

                [TRADUCTION]

Je traiterai aujourd'hui du nouveau concept d'action privilégiée à terme et de la définition modifiée de « débenture à intérêt conditionnel » . Ces mesures représentent la parade opposée par le gouvernement à une forme de financement qui est devenue particulièrement répandue au cours des années 70 : les sociétés pour lesquelles la déduction d'intérêts ne présentait aucune utilité — que ce soit en raison de pertes, de dividendes déductibles, d'une déduction pour amortissement ou de la déduction de dépenses relatives à des ressources — émettaient une action privilégiée rachetable au gré du détenteur ou une débenture à intérêt conditionnel en faveur d'une banque ou d'une autre institution financière. Les dividendes ou intérêts versés à l'égard de titres de ce genre n'étaient pas déductibles pour le payeur, mais ils n'étaient pas non plus imposables entre les mains du bénéficiaire, puisqu'ils pouvaient être déduits en vertu de l'article 112 ou du paragraphe 138(6) de la Loi de l'impôt sur le revenu. Par conséquent, les prêteurs étaient disposés à accorder un taux nettement plus avantageux que les frais d'intérêt normaux (souvent la moitié du taux préférentiel plus 1 ou 2 p. 100). Cela avait pour effet non seulement de hausser le taux de rendement obtenu par les prêteurs, mais également d'améliorer la trésorerie des emprunteurs. Toutes les parties à l'opération y trouvaient donc leur compte, à l'exception peut-être du ministère du Revenu national.

[...]

Aux termes du projet de loi C-17, les institutions financières ainsi que certaines autres institutions sont assujetties au nouveau régime, dont l'application est essentiellement assurée par la non-déductibilité de certains dividendes aux termes de l'article 112 [...]

[9]            La définition d' « action privilégiée à terme » est fort longue. Elle compte plusieurs centaines de mots et prend trois ou quatre pages dans chacune des éditions de la Loi. Elle illustre le triomphe du détail et de la particularisation à outrance, dans la formulation de la loi, sur le bon sens. Le concept d'action privilégiée à terme intéresse un groupe relativement restreint de contribuables avertis. L'octroi d'un pouvoir discrétionnaire au ministre, le recours à des décisions anticipées en matière d'impôt ou la mention, au paragraphe 112(2.1), des actions qu'il est raisonnable de considérer comme étant des titres d'emprunt, auraient peut-être été des solutions préférables. Nous devons néanmoins composer avec cette longue définition au paragraphe 248(1). Heureusement, dans le présent appel, je n'ai à interpréter qu'un sous-alinéa de cette définition. L'année d'imposition visée par l'appel étant 1990, voici les passages de la définition de l'expression « action privilégiée à terme » (en vigueur en 1990) qui m'apparaissent pertinents :

« action privilégiée à terme » d'une corporation (appelée dans la présente définition la « corporation émettrice » ) désigne une action d'une catégorie du capital-actions de la corporation émettrice si l'action a été émise ou acquise après le 28 juin 1982 et, à la date à laquelle l'action a été émise ou acquise, l'existence de la corporation émettrice était limitée (ou un arrangement avait été pris en vertu duquel elle pourrait être limitée) ou, dans le cas d'une action émise après le 16 novembre 1978, si

a)             en vertu des caractéristiques de l'action, de toute convention concernant l'action ou de toute modification de ces caractéristiques ou d'une telle convention :

(i)             le propriétaire de l'action peut faire en sorte que l'action soit rachetée, acquise ou annulée (sauf si cette possibilité existe uniquement à cause d'un droit de convertir ou d'échanger l'action) ou que le capital versé au titre de l'action soit réduit,

(ii)            la corporation émettrice ou toute autre personne ou société est ou peut être tenue de racheter, d'acquérir ou d'annuler, en tout ou en partie, l'action (sauf si cette obligation découle uniquement d'un droit de convertir ou d'échanger l'action) ou de réduire le capital versé au titre de l'action,

(iii)           la corporation émettrice ou toute autre personne ou société fournit ou peut être tenue de fournir toute forme de garantie, d'indemnité ou d'engagement semblable (y compris le prêt d'argent ou le placement des sommes en dépôt auprès du détenteur de l'action ou de toute personne liée à ce dernier, ou pour son compte) relativement à l'action, ou

(iv)           l'action est convertible ou échangeable, sauf si :

(A)           d'une part, elle est convertible ou échangeable contre une autre action de la corporation émettrice ou d'une personne liée à celle-ci qui, si elle était émise, ne serait pas une action privilégiée à terme [...]

[10]          L'issue de l'appel repose sur l'interprétation des mots suivants de la définition d' « action privilégiée à terme » :

248(1)      « action privilégiée à terme » [...] désigne une action d'une catégorie du capital-actions de la corporation émettrice si [...]

a)             en vertu des caractéristiques de l'action [...]

(i)             [...]

(ii)            [...]

(iii)           la corporation émettrice [...] fournit [...] toute forme de garantie, d'indemnité ou d'engagement semblable [...] relativement à l'action.

L'appelante pensait de toute évidence que les actions B.C. Gas et les actions Vidéotron n'étaient pas des actions privilégiées à terme lorsqu'elle les a acquises en janvier 1990. Selon les avocats de l'intimée, le ministre du Revenu national a conclu que ces actions privilégiées étaient des actions privilégiées à terme parce que les modalités dont elles étaient assorties conféraient à l'appelante le droit de les convertir en actions ordinaires à un taux déterminé au moment de la conversion. Dans une lettre datée du 1er mai 2000 et envoyée aux avocats de l'appelante (pièce A-2), les avocats de l'intimée ont tenté de décrire le type de formule de conversion qui constitue selon Revenu Canada une « forme de garantie, d'indemnité ou d'engagement semblable » , faisant du coup d'une action privilégiée une action privilégiée à terme, ainsi que le type de formule de conversion qui, toujours selon Revenu Canada, n'a pas pour effet de créer une action privilégiée à terme. Voici un extrait de cette lettre :

                [TRADUCTION]

Concernant les actions en cause, de l'avis de l'ADRC (Revenu Canada), dans la mesure où la valeur des nouvelles actions (les actions ordinaires) était supérieure à un montant minimum (lequel était beaucoup moins élevé que la valeur des nouvelles actions au moment où les actions convertibles ont été émises), les modalités de conversion faisaient en sorte que les nouvelles actions reçues par Citibank Canada avaient une valeur à peu près égale au prix d'émission des actions en cause. Le nombre de nouvelles actions n'était pas déterminé au moment de l'émission des actions en cause ni n'était fondé sur la valeur de ces dernières à la date de conversion.

Un placement en actions privilégiées qui sont convertibles en actions ordinaires selon un taux fixe, de sorte que la valeur des actions privilégiées augmente ou diminue en fonction de la valeur des actions ordinaires, ne constitue pas un placement en actions privilégiées à terme. Aucune garantie ne s'applique à un tel placement. Si par contre, en raison de la formule de conversion, le nombre d'actions ordinaires à recevoir doit être déterminé au moment de la conversion, la valeur des actions privilégiées n'augmente ni ne diminue de la sorte, puisque l'investisseur est assuré de recevoir des actions ordinaires d'une valeur égale à un montant fixe.                                                                        (Pièce A-2, page 2.)

[11]          En réponse à la demande de précisions de l'appelante, l'intimée a confirmé que c'est uniquement la formule d'établissement du prix prévue par le mécanisme de conversion qui a amené le ministre à conclure que les actions B.C. Gas et les actions Vidéotron étaient des actions privilégiées à terme. En outre, le ministre ne prétend pas qu'une personne ou une société de personnes autre que la société émettrice ait accordé quelque forme de garantie que ce soit relativement aux actions en cause. (Se reporter à la pièce A-3, onglet 8.) À la lumière des actes de procédure et des réponses de l'intimée à la demande de précisions de l'appelante, on peut voir que la question ayant amené les parties devant notre cour est très circonscrite.

[12]          Les deux parties ont présenté la question en litige comme si la formule de conversion applicable aux actions B.C. Gas (permettant de convertir ces actions en actions ordinaires de B.C. Gas) était identique à celle applicable aux actions Vidéotron (permettant de convertir ces actions en actions ordinaires du Groupe Vidéotron). Ni l'appelante ni l'intimée n'a donné à entendre que les formules de conversion présentaient des différences significatives, ou que je pourrais admettre l'appel relativement à une catégorie d'actions mais le rejeter pour l'autre. Par conséquent, j'examinerai les arguments des deux parties concernant les actions B.C. Gas, et la décision que je rendrai à l'égard de ces actions s'appliquera également aux actions Vidéotron.

[13]          La formule de conversion des actions B.C. Gas est résumée, dans le langage des affaires, au paragraphe 4 ci-devant (d'après la pièce R-4, onglet 4A). Le prix d'émission unitaire des actions B.C. Gas était de 500 000 $. En faisant abstraction du prix de conversion minimum, j'exprimerais ainsi la formule :

Chaque détenteur d'une action B.C. Gas a le droit, à l'expiration du terme initial de cinq ans, de convertir l'action en actions ordinaires de B.C. Gas à un taux égal au rapport entre 500 000 $ et le cours unitaire des actions ordinaires à la date de conversion.

D'après l'onglet 7 de la pièce R-4, le cours unitaire des actions ordinaires de B.C. Gas à la Bourse de Toronto était de près de 15 $ en janvier 1990, lorsque l'appelante a acquis les actions B.C. Gas. Si le cours des actions ordinaires en mars 1995, soit à l'expiration du terme de cinq ans fixé au départ, était encore de 15 $, et si le détenteur d'une action B.C. Gas se prévalait de son droit de conversion à ce moment-là, ce dernier recevrait 33 333 actions ordinaires. Il en recevrait plus de 33 333 si le cours de ces actions était inférieur à 15 $ au moment de la conversion, et moins si le cours était supérieur à 15 $ — c'est là un simple axiome mathématique.

[14]          Deux exemples simples permettront d'illustrer cet axiome. Si le cours d'une action ordinaire était de 20 $, le détenteur d'une action B.C. Gas recevrait 25 000 actions ordinaires lors de la conversion; si le cours était de 10 $, il en recevrait 50 000. Une restriction était toutefois prévue. La formule de conversion des actions B.C. Gas prévoyait un prix de conversion minimum de 1 $. En conséquence, dans l'éventualité où la société B.C. Gas traverserait des temps difficiles et où le cours de ses actions ordinaires deviendrait inférieur à 1 $, le détenteur d'une action B.C. Gas ne pourrait recevoir plus de 500 000 actions ordinaires lors de la conversion.

[15]          Denys Calvin a témoigné à titre de témoin expert pour l'appelante. Il possède une vaste expérience des marchés des actions. Il a notamment mis sur pied et dirigé le service des actions privilégiées de TD Valeurs mobilières, qui agissait comme preneur ferme d'actions privilégiées faisant l'objet d'un placement public ou privé, qui négociait des actions de ce genre et qui offrait des services de recherche à leur sujet. Son expérience est résumée dans les trois premiers paragraphes de son rapport aux avocats de l'appelante (pièce A-1). On a demandé à M. Calvin si le mécanisme de conversion des actions B.C. Gas ou des actions Vidéotron garantissait aux détenteurs de ces actions de pouvoir récupérer leur placement. M. Calvin a répondu par la négative. Voici une partie de son raisonnement, exposé dans son rapport (pièce A-1) :

[TRADUCTION]

Suivant les modalités applicables tant aux actions privilégiées Vidéotron qu'aux actions privilégiées B.C. Gas, il existe un marché pour ces actions. [...]

En conséquence, si la situation financière de l'émetteur est solide et que l'instrument continue de répondre à ses besoins financiers, les actions privilégiées demeurent généralement en cours, le taux de dividende étant satisfaisant pour les détenteurs existants ou pour ceux qui acquièrent les actions par l'intermédiaire d'un courtier ou par voie d'adjudications mensuelles.

Par contre, si la situation financière de l'émetteur se détériore de telle sorte qu'il soit impossible de convenir d'un taux de dividende satisfaisant, il est probable que le droit de conversion sera exercé. Une telle détérioration s'accompagne généralement d'une baisse marquée du cours des actions ordinaires de l'émetteur, baisse qui est fortement amplifiée si un détenteur d'actions privilégiées cherche à tout prix à vendre les actions ordinaires obtenues par suite de la conversion.

[...] Le marché des actions ordinaires est remarquablement efficace lorsqu'il s'agit de déterminer si un actionnaire important est « fortement désireux de vendre » ; il fait alors baisser le cours de l'action afin que l'on puisse profiter de l'aubaine.

L'hypothèse voulant que le mécanisme de conversion garantisse au détenteur de récupérer son placement a le défaut de ne pas tenir compte de la très forte incidence des ventes effectuées par un tel actionnaire sur le marché des actions à droit de vote subordonné et sur le cours de ces actions. Cette incidence sera encore plus forte sur un marché rendu plus instable par la situation financière chancelante de l'émetteur. Si le détenteur d'actions privilégiées devient un actionnaire ordinaire, la facilité de négociation de son placement s'améliore, mais le risque lié au marché auquel il est exposé augmente.

[16]          Bref, M. Calvin était d'avis que la formule de conversion applicable aux actions B.C. Gas ne garantissait pas au détenteur qu'il récupérerait son placement dans ces actions, et ce, pour trois raisons. D'abord, si la situation financière de B.C. Gas s'était détériorée au point où cette dernière n'avait pas été en mesure de verser un taux de dividende satisfaisant, le détenteur aurait converti les actions privilégiées en actions ordinaires. Ensuite, le cours des actions ordinaires aurait chuté en raison de l'affaiblissement de la situation de l'émetteur, et le nombre d'actions ordinaires reçues par le détenteur lors de la conversion, calculé en fonction de ce cours plus bas, aurait été plus élevé. Enfin, le détenteur aurait eu de la difficulté à vendre ce nombre accru d'actions ordinaires sur un marché à la baisse.

[17]          L'intimée ne se soucie pas de la capacité qu'a l'appelante de vendre les actions ordinaires de B.C. Gas (après la conversion) en vue de récupérer son placement dans les actions B.C. Gas. Ainsi qu'il ressort de la pièce A-2 (question 2), le ministre a émis l'hypothèse que, après la conversion, le détenteur serait en possession d'actions ordinaires d'une valeur égale à celle obtenue en multipliant le nombre de ces actions ordinaires (obtenues lors de la conversion) par leur cours de clôture à la Bourse de Toronto. À défaut d'une catastrophe financière chez B.C. Gas ayant pour conséquence de ramener le cours de ses actions ordinaires à moins de 1 $ (le prix de conversion minimum), la valeur donnée par cette multiplication au moment de la conversion serait égale au coût des actions B.C. Gas.

[18]          Le témoignage de M. Calvin est pertinent mais pas concluant. Il en est arrivé à la conclusion évidente que, si B.C. Gas éprouvait des difficultés, le détenteur d'une action B.C. Gas n'était pas assuré, en 1995 ou au cours d'une année subséquente, de récupérer la somme engagée en 1990 pour acquérir l'action. On pourrait dire la même chose à propos de n'importe quelle action ordinaire — ou de n'importe quelle action privilégiée qui ne serait à l'évidence pas une action privilégiée à terme. Cela serait également vrai dans le cas d'un prêt de cinq ans consenti à B.C. Gas en janvier 1990 si ce prêt n'était pas assorti d'une garantie suffisante. L'examen de la pièce R-4, onglet 7, m'apprend que, en janvier 1990, B.C. Gas avait émis 20 660 000 actions ordinaires, qui se négociaient environ 15 $. Cela représente une capitalisation boursière de 309 900 000 $ au titre des actions ordinaires. Selon la pièce 3, B.C. Gas a recueilli seulement 25 millions de dollars en émettant 50 actions B.C. Gas à un prix unitaire de 500 000 $; ces 25 millions de dollars constituent un montant relativement modeste comparativement à la valeur en bourse de la société (309 millions de dollars) en janvier 1990. Même si l'on ne dispose d'aucune preuve substantielle ni d'aucun témoignage d'expert au sujet de la santé financière de B.C. Gas en janvier 1990, il aurait fallu à mon sens que celle-ci subisse une véritable débâcle pour que le cours de ses actions ordinaires descende sous le prix de conversion minimum de 1 $.

[19]          Malgré les vives protestations des avocats de l'appelante, les avocats de l'intimée ont lu nombre des réponses faites par le représentant de l'appelante lors de son interrogatoire préalable. Ces réponses révèlent que, à la fin de 1989, l'appelante avait effectué une analyse de crédit approfondie de B.C. Gas et de Vidéotron avant d'acquérir les actions B.C. Gas et les actions Vidéotron. Les avocats de l'intimée cherchaient à démontrer que, du point de vue de l'appelante, les fonds ayant servi à acquérir les actions B.C. Gas et les actions Vidéotron représentaient davantage un prêt qu'un placement en actions. Cette preuve est pertinente, mais pas concluante. L'appelante est une institution financière importante, et sa situation diffère totalement de celle du particulier moyen qui achète et vend des actions par l'intermédiaire d'un courtier. L'appelante a versé 12 500 000 $ pour 25 actions B.C. Gas et 10 000 000 $ pour 10 actions Vidéotron. Je suppose que toute institution financière qui se prépare à investir 10 millions de dollars ou plus dans une société cotée effectuera une analyse de crédit approfondie à l'égard de cette dernière, peu importe que les fonds soient versés sous forme de prêt ou servent à l'achat de nouvelles actions ayant pour effet d'augmenter le capital-actions émis. L'appelante se devait de faire preuve de prudence raisonnable avant d'investir des capitaux importants.

[20]          La question, lorsqu'on la pose d'une manière se rapprochant davantage du libellé de la Loi, est la suivante : est-ce que la formule de conversion applicable aux actions B.C. Gas fournissait à l'appelante une forme quelconque de garantie, d'indemnité ou d'engagement semblable? Je dois interpréter les mots « toute forme de garantie, d'indemnité ou d'engagement semblable » . Dans l'affaire Stubart Investments Limited c. La Reine, [1984] 1 R.C.S. 536 (84 DTC 6305), la Cour suprême du Canada a adopté le principe moderne d'interprétation des lois, énoncé par E. A. Driedger de la façon suivante à la page 578 (DTC : à la page 6323) :

                [TRADUCTION] Aujourd'hui il n'y a qu'un seul principe ou solution : il faut lire les termes d'une loi dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical qui s'harmonise avec l'esprit de la loi, l'objet de la loi et l'intention du législateur.

Ce principe moderne a été confirmé à de nombreuses reprises par la Cour suprême du Canada, entre autres dans les affaires Antosko et al c. La Reine, [1994] 2 R.C.S. 312 (94 DTC 6314), Friesen c. La Reine, [1995] 3 R.C.S. 103 (95 DTC 5551), et Corporation Notre-Dame de Bon-Secours c. La ville de Québec, [1994] 3 R.C.S. 3 (95 DTC 5017). Dans l'affaire Bon-Secours, le juge Gonthier, au nom de la Cour, a cité le principe formulé par E. A. Driedger (à la page 17 (DTC : à la page 5022)) et a ensuite résumé, à la page 20 (DTC : à la page 5023), les règles d'interprétation des lois fiscales :

A              L'interprétation des lois fiscales devrait obéir aux règles ordinaires d'interprétation;

B              Qu'une disposition législative reçoive une interprétation stricte ou libérale sera déterminé par le but qui la sous-tend, qu'on aura identifié à la lumière du contexte de la loi, de l'objet de celle-ci et de l'intention du législateur; c'est l'approche téléologique;

C              Que l'approche téléologique favorise le contribuable ou le fisc dépendra uniquement de la disposition législative en cause et non de l'existence de présomptions préétablies;

D              Primauté devrait être accordée au fond sur la forme dans la mesure où cela est compatible avec le texte et l'objet de la loi;

E               Seul un doute raisonnable et non dissipé par les règles ordinaires d'interprétation sera résolu par le recours à la présomption résiduelle en faveur du contribuable.

[21]          Je vais m'efforcer de suivre ces cinq règles. La première semble identique au principe moderne de Driedger. Lorsque l'on considère des termes comme garantie, indemnité et engagement « dans leur contexte global en suivant le sens ordinaire et grammatical » , il faut se demander si ces mots ont le sens ordinaire retenu dans les dictionnaires ou un sens plus technique lié à la Loi et à son application aux activités commerciales en général et aux sociétés cotées en particulier. Le concept d'action privilégiée à terme s'applique à un groupe relativement restreint de contribuables avertis, comprenant des sociétés cotées comme B.C. Gas et Vidéotron ainsi que des institutions financières comme l'appelante. À mon avis, il convient d'attribuer aux mots garantie, indemnité et engagement, considérés « dans leur contexte global » , un sens plus technique lié à la Loi et à son application aux activités commerciales et aux sociétés cotées. Par conséquent, c'est dans un dictionnaire juridique que je chercherai le sens de ces termes afin d'interpréter la partie pertinente de la définition d' « action privilégiée à terme » . Voici comment ces termes sont définis dans la septième édition du Black's Law Dictionary (1999) :

[TRADUCTION]

garantie (guarantee)

                Garantie au sens de caution : promesse donnée par un tiers d'assurer le paiement d'une dette ou l'exécution d'une obligation en cas de défaillance du débiteur principal. Terme fréquemment utilisé dans les domaines bancaire et financier.

(page 712)

garantie (security)

Garantie au sens de sûreté : bien cédé ou mis en nantissement dans le but de garantir l'exécution d'une obligation; en particulier, assurance donnée à un créancier qu'il aura droit au remboursement (assorti en général d'intérêts) des fonds ou du crédit accordés à un débiteur.

                                                                                                                                (page 1358)

indemnité (indemnity)

                Somme d'argent résultant d'une obligation de verser une compensation à un tiers au titre d'une perte, d'un dommage ou d'une responsabilité, ou du droit d'une partie lésée de demander à une personne ayant une telle obligation un dédommagement au titre d'une perte, d'un dommage ou d'une responsabilité.

                                                                                                                                (page 772)

engagement (covenant)

                Convention ou promesse formelle, habituellement dans le cadre d'un contrat.         

                                                                                                                                   (page 369)

[22]          Pour les motifs exposés ci-après, je conclus que B.C. Gas (en tant que société émettrice) n'a pas, dans le cadre des modalités applicables aux actions B.C. Gas, fourni à l'appelante quelque forme que ce soit « de garantie, d'indemnité ou d'engagement semblable » relativement à ces actions. Une garantie, au sens de caution, est un engagement pris par un tiers. Par exemple, si A prête de l'argent à B, un tiers peut garantir à A le remboursement de la somme prêtée en cas de défaillance de B. Lorsque B.C. Gas a émis les actions en cause en faveur de l'appelante, il n'y avait aucun tiers. Plus encore, B.C. Gas ne s'engageait pas à rembourser la somme versée par l'appelante pour acquérir les actions. Après cinq ans, le détenteur avait le droit de négocier un taux de dividende différent et, en fin de compte, d'échanger les actions contre des actions ordinaires. Tous les droits et obligations s'exerçaient de façon bilatérale, entre l'appelante et B.C. Gas. Aucune caution de tiers ni aucune autre forme de garantie n'était prévue.

[23]          Une promesse de paiement n'est pas une sûreté. Un billet à ordre n'est pas non plus une sûreté, mais plutôt la reconnaissance écrite d'une dette ou d'une autre obligation. Le débiteur peut offrir une sûreté à son créancier en donnant en gage des biens meubles ou en grevant des biens immeubles lui appartenant (comme dans le cas d'une hypothèque). Du point de vue du débiteur ou du créancier, on parle de sûreté lorsqu'un bien corporel ou incorporel est transmis, mis en gage ou grevé en vue d'assurer l'exécution d'une obligation. Sur les marchés boursiers et les autres marchés financiers, le terme « security » peut avoir un autre sens; toutefois, dans le cas présent, où l'intimée soutient que les actions en cause sont comparables à des titres d'emprunt, il est préférable de l'interpréter dans l'optique du débiteur et du créancier. B.C. Gas (en tant que société émettrice) a remis uniquement un certificat d'actions à l'appelante relativement aux actions B.C. Gas; elle n'a ni transmis, ni mis en gage ni grevé quelque bien que ce soit relativement à ses obligations éventuelles touchant les actions B.C. Gas.

[24]          Une action privilégiée à terme n'est pas assujettie à l'impôt à la manière d'une action (la déduction des dividendes prévue à l'article 112 ne s'applique pas), parce qu'elle est traitée comme un titre d'emprunt pour l'application de la Loi de l'impôt sur le revenu. Si une action privilégiée est garantie par un bien transmis, mis en gage ou grevé de façon que son détenteur soit assuré d'en récupérer le coût, il s'agit probablement d'une action privilégiée à terme. Le terme « garantie » (au sens de sûreté) utilisé dans la définition d' « action privilégiée à terme » est si étroitement lié aux emprunts que, si l'intimée veut soutenir que les actions B.C. Gas sont similaires à des titres d'emprunt, elle doit être en mesure de démontrer que la société émettrice a fourni un bien quelconque (autre que ses propres actions ordinaires à la suite de la conversion) afin de garantir au détenteur qu'il récupérera les fonds versés pour leur acquisition. Or, B.C. Gas n'a offert aucun bien de la sorte. Aucune sûreté ni aucune autre forme de garantie n'a été fournie.

[25]          De nombreux contrats d'assurance représentent des exemples d'indemnité, en ce sens qu'ils établissent une obligation de compenser une perte. La caution d'un tiers est aussi un exemple d'indemnité. La personne qui acquiert des actions du capital-actions d'une société cotée ne reçoit, en temps normal, aucune indemnité, de quelque sorte que ce soit, à l'égard de ces actions. En achetant les actions, elle accepte de s'exposer à un risque. Ce risque peut être plus grand s'il s'agit d'actions ordinaires, et moins grand s'il s'agit d'actions privilégiées; néanmoins, il y a toujours un risque — et pas d'indemnité. Je n'ai décelé aucune forme d'indemnité relativement aux actions B.C. Gas. Il est clair que le droit de l'appelante de les échanger contre des actions ordinaires de B.C. Gas n'implique pas pour cette dernière l'obligation de compenser une perte éventuelle. L'appelante n'a droit à aucune indemnité, sous quelque forme que ce soit, relativement aux actions B.C. Gas. En outre, B.C. Gas n'a pris aucun engagement quel qu'il soit envers l'appelante relativement aux actions B.C. Gas.

[26]          Pour nous résumer, la formule aux termes de laquelle les actions B.C. Gas pouvaient être converties en actions ordinaires n'offrait à l'appelante aucune « forme de garantie, d'indemnité ou d'engagement semblable » relativement aux actions B.C. Gas. Cette conclusion, fondée sur le sens des termes utilisés au sous-alinéa a)(iii) de la définition d' « action privilégiée à terme » , est suffisante en soi pour que l'appel soit admis. D'autres arguments doivent toutefois être examinés.

[27]          Les personnes qui ont rédigé la définition d' « action privilégiée à terme » ont pris grand soin, aux sous-alinéas a)(i) et (ii), de faire en sorte qu'une action donnée ne soit pas considérée comme une action privilégiée à terme uniquement en raison d'un droit de la convertir ou de l'échanger. Voici les deux sous-alinéas en question :

a)             en vertu des caractéristiques de l'action, de toute convention concernant l'action ou de toute modification de ces caractéristiques ou d'une telle convention :

(i)             soit le propriétaire de l'action peut faire en sorte que l'action soit rachetée, acquise ou annulée (sauf si cette possibilité existe uniquement à cause d'un droit de convertir ou d'échanger l'action) ou que le capital versé au titre de l'action soit réduit,

(ii)            soit l'émettrice ou toute autre personne ou société de personnes est ou peut être tenue de racheter, d'acquérir ou d'annuler, en tout ou en partie, l'action (sauf si cette obligation découle uniquement d'un droit de convertir ou d'échanger l'action) ou de réduire le capital versé au titre de l'action,

Le sous-alinéa a)(i) établit selon moi qu'une action donnée est une action privilégiée à terme si son propriétaire peut faire en sorte qu'elle soit rachetée, acquise ou annulée, sauf dans le cas où ce rachat, cette acquisition ou cette annulation découle uniquement d'un droit de convertir ou d'échanger l'action. De même, le sous-alinéa a)(ii) établit qu'une action donnée est une action privilégiée à terme si la société émettrice peut être tenue de la racheter, de l'acquérir ou de l'annuler, sauf si elle y est tenue uniquement en raison d'un droit de convertir ou d'échanger l'action. Autrement dit, une action n'est pas une action privilégiée à terme uniquement en raison de l'existence d'un droit de conversion. On peut se reporter également à la subdivision a)(iv)(A)(I).

[28]          Le sous-alinéa a)(iii) ne fait pas mention d'un droit de conversion ou d'échange; toutefois, l'intimée soutient que les actions en cause sont des actions privilégiées à terme pour la seule raison qu'elles peuvent être converties en actions ordinaires selon un rapport fondé sur le cours des actions ordinaires au moment de la conversion. Pourtant, l'intimée admet qu'un droit de convertir une action privilégiée en actions ordinaires en fonction (i) du cours des actions ordinaires au moment de l'émission de l'action privilégiée ou (ii) de la valeur de l'action privilégiée au moment de la conversion ne ferait pas d'une action privilégiée une action privilégiée à terme. Cette distinction est concevable, mais elle m'oblige à interpréter une définition déjà trop longue comme si elle contenait des mots additionnels, ou encore à établir, à partir de termes techniques clairs (garantie, indemnité et engagement), que le législateur avait une intention implicite. Dans l'affaire Shell Canada Limitée c. La Reine, [1999] 3 R.C.S. 622 (99 DTC 5669), le juge McLachlin, se prononçant au nom d'une cour unanime, déclarait à la page 5676 :

[...] La jurisprudence de notre Cour est constante : les tribunaux doivent par conséquent faire preuve de prudence lorsqu'il s'agit d'attribuer au législateur, à l'égard d'une disposition claire de la Loi, une intention non explicite [...]

[29]          La définition d' « action privilégiée à terme » est d'une extrême prolixité. Les personnes qui l'ont rédigée n'ont pas été économes de mots ni concis dans leur propos. On peut même se demander combien de parlementaires sont parvenus à la comprendre lorsqu'elle a été adoptée par voie de modification législative. Lorsqu'on a pour pratique de rédiger avec force détails et particularisations, on court le risque que cette arme se retourne contre soi. D'un côté, l'équipe de rédaction législative a pour tâche de définir une action privilégiée similaire à un titre d'emprunt, à l'exclusion cependant de toutes les actions privilégiées pouvant être acquises par des institutions financières sans qu'il existe de lien avec une opération de prêt ou de quasi-prêt; de l'autre, l'équipe de personnes conseillant les sociétés cotées et les institutions financières s'efforce de rédiger, relativement à une nouvelle action, des modalités permettant de contourner la définition contenue dans la Loi. On assiste ainsi à un duel de subtilité entre les rédacteurs.

[30]          Je me refuse à interpréter la définition d' « action privilégiée à terme » figurant dans la Loi comme si elle contenait des mots additionnels, de même qu'à prêter au législateur une intention telle que le ministre puisse appliquer cette définition à une action en raison de l'existence d'une formule de conversion donnée, mais pas à une autre, parce que la formule de conversion est différente. Deux raisons justifient mon refus. Premièrement, l'équipe de rédaction législative a disposé de dix ans, soit de 1979 à 1989, pour peaufiner cette longue définition avant que des contribuables comme l'appelante et B.C. Gas décident de répliquer avec les mêmes armes et de créer une action se situant hors de son champ d'application. Deuxièmement, aucun des termes importants employés au sous-alinéa a)(iii) (garantie, indemnité et engagement) n'étaye l'interprétation de l'intimée de cette disposition particulière.

[31]          Les avocats des deux parties ont déclaré que la présente affaire était la première où un tribunal était appelé à interpréter un passage de la définition d' « action privilégiée à terme » . L'intimée se fonde sur la décision rendue par notre cour dans l'affaire Esplen c. La Reine, C.C.I., no 93-282(IT)G, 17 octobre 1995 (96 DTC 1272), dans laquelle mon collègue le juge Bonner devait décider de l'application de l'alinéa 6202(1)b) du Règlement de l'impôt sur le revenu, qui contient, relativement aux actions accréditives, des termes similaires à ceux du sous-alinéa a)(iii) de la définition d' « action privilégiée à terme » . M. Esplen avait versé 360 000 $ à une société minière à titre de contrepartie pour certaines actions. L'appel de M. Esplen a été rejeté parce qu'une partie des 360 000 $ versés lui avait été prêtée subséquemment aux termes d'une entente distincte entre la société minière et lui. Il est facile de faire une distinction entre la décision rendue dans l'affaire Esplen et le présent appel formé par Citibank.

[32]          Les avocats de l'intimée ont soutenu que les actions en cause s'opposaient au but et à l'objet de la loi. Driedger parle de [TRADUCTION] « l'objet de la loi et [de] l'intention du législateur » . La règle B mentionnée par le juge Gonthier dans l'affaire Bon-Secours établit que le but qui sous-tend une disposition législative doit être déterminé « à la lumière du contexte de la loi, de l'objet de celle-ci et de l'intention du législateur » . Certaines dispositions de la Loi de l'impôt sur le revenu s'appliquent à tous les contribuables, tandis que d'autres visent des groupes de contribuables particuliers. Par exemple, les paragraphes 12(1), 18(1) et 20(1) énoncent des règles d'application générale aux fins du calcul du revenu tiré d'une entreprise ou d'un bien. À l'opposé, l'article 88 contient des règles particulières s'appliquant uniquement lorsqu'une société canadienne qui est une filiale est absorbée par sa société mère canadienne par voie de liquidation. À mon avis, il est plus facile de discerner un but, un objet ou l'intention du législateur à l'article 88 qu'au paragraphe 20(1).

[33]          Le concept d'action privilégiée à terme intéresse un groupe relativement restreint de contribuables. Par conséquent, il devrait être facile de déterminer son objet ou l'intention du législateur. Selon moi, l'objet de la définition d' « action privilégiée à terme » est d'appliquer celle-ci aux actions privilégiées qui sont semblables à des titres d'emprunt, sans pour autant viser toutes les actions privilégiées pouvant être acquises par des institutions financières sans qu'il existe de lien avec une opération de prêt ou de quasi-prêt. Le problème tient à la définition elle-même, à son libellé interminable, surchargé et fastidieux, à son surcroît de détails et de particularisations. L'intimée a invoqué l'argument du but et de l'objet afin de montrer que les actions en cause faisaient obstacle à l'esprit de la loi. En présence d'une définition rédigée si soigneusement, pourquoi l'appelante ne pourrait-elle pas soutenir qu'elle cherchait non pas à contourner l'intention du législateur, mais bien à s'en accommoder en faisant preuve d'un soin égal dans la rédaction des modalités applicables à une action se situant en dehors de la « zone interdite » , c'est-à-dire le champ d'application de la définition?

[34]          Si le but, l'objet du concept d'action privilégiée à terme est d'empêcher le financement après impôt (c'est-à-dire la situation où la déduction des intérêts sur les sommes empruntées n'est d'aucune utilité parce que la société qui a d'importants besoins de capitaux n'a pas de revenu), il faudrait que je dispose de plus d'information sur B.C. Gas et Vidéotron (les deux sociétés émettrices) avant de tenter de déterminer si les actions en cause allaient à l'encontre du but et de l'objet de la loi. Est-ce que la déduction des intérêts, sur les capitaux considérables qui auraient pu être empruntés, aurait représenté un facteur important dans le calcul du revenu de l'une ou l'autre de ces sociétés en 1990? Est-ce que toutes les actions identiques à celles qui sont en cause ici ont été acquises par des institutions financières? Dans le cadre du placement privé des actions en cause, est-ce qu'un groupe d'institutions financières a mené une action concertée pour s'assurer que toutes les actions soient acquises au même moment? Quel était le taux préférentiel applicable aux prêts consentis par l'appelante et d'autres détenteurs d'actions identiques en janvier 1990, au moment où les actions en cause ont été acquises? Quel était le taux de dividende le plus élevé versé par des sociétés cotées (autres que B.C. Gas et Vidéotron) sur des actions privilégiées émises en janvier 1990 ou vers cette date? Les réponses à ces questions ne seraient pas forcément déterminantes dans le présent appel, mais elles seraient utiles pour juger si les actions en cause allaient à l'encontre du but et de l'objet de la loi.

[35]          Je me demande presque si le Parlement n'aurait pas pu atteindre son objectif avec une efficacité comparable en interdisant la déduction des dividendes aux termes du paragraphe 112(2.1) dans le cas de toute action « qu'il est raisonnable de considérer comme » un titre d'emprunt. Ce procédé législatif, parfois utilisé dans la Loi, permettrait peut-être d'éviter de recourir à la notion d' « action privilégiée à terme » et d'avoir à la définir, mais il est vrai qu'il faudrait alors définir l'expression « titre d'emprunt » !

[36]          Ainsi que je l'ai indiqué au paragraphe 29 ci-devant, en formulant une définition aussi verbeuse que celle d' « action privilégiée à terme » , on invite les contribuables comme l'appelante et les sociétés cotées à assortir leurs émissions d'actions privilégiées de modalités qui les placent juste en dehors du champ d'application de cette définition. Pour les motifs exposés précédemment, je suis convaincu que les actions B.C. Gas n'étaient pas des actions privilégiées à terme. Si le duel de rédacteurs s'était soldé par un match nul, j'aurais tranché en faveur de la contribuable en invoquant la règle E de l'affaire Bon-Secours. J'estime toutefois que tel n'est pas le cas, tant s'en faut.

[37]          Les modalités applicables aux actions Vidéotron ne présentent aucune différence importante par rapport aux actions B.C. Gas. Par conséquent, les actions Vidéotron ne sont pas non plus des actions privilégiées à terme. L'appel est admis, avec dépens.

Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de janvier 2001.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 8e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

1999-3261(IT)G

ENTRE :

CITIBANK CANADA,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu les 5 et 6 juillet 2000, à Toronto (Ontario), par

l'honorable juge M. A. Mogan

Comparutions

Avocats de l'appelante :    Me Warren J. Mitchell et Me William Innes

Avocats de l'intimée :        Me Alexandra K. Brown et Me David E. Spiro

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour l'année d'imposition 1990 est admis, avec dépens, et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation en tenant compte du fait que les actions privilégiées en cause dans le présent appel, émises par B.C. Gas Inc. et Le Groupe Vidéotron Ltée et détenues par l'appelante, n'étaient pas des « actions privilégiées à terme » au sens du paragraphe 248(1) de la Loi.


Signé à Ottawa, Canada, ce 15e jour de janvier 2001.

« M. A. Mogan »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 8e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.