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Date: 19980218

Dossier: 97-1589-IT-I

ENTRE :

BRYAN SOTHERAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifsdu jugement

Le juge suppléant Rowe, C.C.I.

[1]            L'appelant interjette appel à l'encontre de cotisations fiscales établies pour ses années d'imposition 1992, 1993 et 1994. Dans le calcul de son revenu pour ces années, l'appelant a déduit les montants de 13 652 $, de 9 542 $ et de 4 700 $ à titre de pertes d'entreprise découlant de d'exploitation d'une entreprise offrant des forfaits-pêche. Le ministre du Revenu national (le " ministre ") a rejeté la déduction de ces pertes, comme elles étaient demandées, au motif que l'appelant n'avait pas d'attente raisonnable de profit à l'égard de l'activité. Il a également décidé que les dépenses engagées constituaient des frais personnels et de subsistance.

[2]            L'appelant a indiqué dans son témoignage qu'il résidait à Maple Ridge, en Colombie-Britannique, et qu'il occupait un emploi de camionneur. Il a déclaré qu'il a démarré son entreprise de forfaits-pêche en 1991, qu'il l'exploitait à l'ouest de l'île de Vancouver et qu'il offrait des voyages de un à trois jours adaptés aux besoins particuliers des clients. Il a été, pendant un an, pêcheur commercial et a également exploité, en tant que skipper, un bateau de 52 pieds au large de Granville Island à Vancouver et il amenait les gens en croisière dans les eaux locales. Le bateau avait une capacité de 30 passagers. En outre, il avait fait de la pêche sportive pendant 25 ans près de Vancouver ou au large de l'île de Vancouver et il avait beaucoup d'expérience dans différents aspects de la pêche, du transport par bateau et des négociations avec des personnes dans le contexte de l'exploitation d'une entreprise touristique. Il a déclaré qu'il prévoyait accroître son entreprise grâce à la publicité faite par le bouche à oreille et aux clients réguliers de sorte qu'il pourrait quitter son emploi de camionneur puis exploiter son entreprise d'affrètement à plein temps. Pendant les années 1991 à 1995, il a travaillé à plein temps pour Canada Safeway, dans la vallée du bas Fraser et dans d'autres régions de l'intérieur de la Colombie-Britannique, conduisant un camion gros porteur de 18 roues, jusqu'à ce qu'il accepte une offre de rachat, à la suite de laquelle il a commencé à travailler comme chauffeur et instructeur pour une autre compagnie. L'appelant a expliqué que, avant le changement de direction et la restructuration de Canada Safeway, il a effectué beaucoup d'heures supplémentaires puisqu'il était évident qu'il était plus rentable de faire du camionnage que d'offrir des forfaits-pêche. Il a reconnu une liste des dépenses rejetées ainsi qu'une liste des pertes autres que des pertes en capital rejetées (pièce A-1) préparées par son comptable agréé, Barry Ward. L'appelant a déclaré que pendant les années en litige il vivait à Maple Ridge. Lorsque des personnes faisaient une réservation auprès de lui, il accrochait sa remorque à son camion et il transportait le bateau à Sooke, dans l'île de Vancouver, ou à un autre endroit de l'île. Durant les mois d'été, il laissait le bateau à Victoria et le rapportait à Maple Ridge à la fin de la saison. Il a déclaré qu'il trouvait des clients grâce à des amis, à des contacts d'affaires et à des connaissances. Il n'a pas conservé de journal des heures consacrées à l'entreprise d'affrètement. En 1992, il a pu prendre dix semaines de congé et a consacré une partie de cette période à l'exploitation de l'entreprise d'affrètement. Il a déclaré qu'il a mis fin aux activités à la suite de l'établissement de la nouvelle cotisation par le ministre qui a refusé la déduction de ses pertes.

[3]            En contre-interrogatoire, l'appelant a déclaré qu'il est âgé de 43 ans, qu'il est marié et qu'il a un garçon de six ans. Pendant qu'il vivait à Maple Ridge, il a conduit un camion à différents endroits de la Colombie-Britannique et a travaillé entre 40 et 60 heures par semaine pendant trois ans. De temps en temps, il devait passer la nuit à certains endroits. Il a également aidé son épouse à exploiter une garderie. Il a déclaré que ses parents, son frère et sa soeur vivaient à Victoria. Le voyage de Maple Ridge à la gare maritime située à Tsawwassen prenait une heure. Ensuite, la traversée en ferry jusqu'à l'île de Vancouver prenait une heure et trente-cinq minutes, après quoi il se rendait en automobile au lieu de pêche. En tout, il fallait souvent huit heures entre le moment où il quittait la maison et celui où il arrivait à l'endroit de l'affrètement. En arrivant, selon le type d'affrètement, il préparait le bateau ou le ravitaillait puisque certaines personnes souhaitaient un service complet. Il ne faisait pas de publicité pour son entreprise, mais se fondait sur ses contacts. Le détroit de Georgia n'est pas reconnu pour son saumon de " calibre international ", contrairement à la partie ouest de l'île de Vancouver qui regorge de gros poissons et dont l'eau est claire. L'appelant a expliqué qu'il utilisait un camion d'une demi-tonne pour transporter la remorque et le bateau. Les tarifs du ferry pour le camion et la remorque se situaient entre 75 $ et 85 $, pour un aller, mais ils étaient moins coûteux lorsqu'il pouvait laisser le bateau à Victoria pour l'été, auquel cas il ne payait que le tarif pour le camion. Il a reconnu sa déclaration de revenus de 1992 (pièce R-1). Il a convenu que la déduction pour amortissement (DPA) relative au bateau et au camion s'élevait à plus de 4 600 $. Son revenu pour cette année découlant de l'entreprise d'affrètement était de 2 525 $. La déclaration de revenus de 1993 de l'appelant a été déposée sous la cote R-2. Pendant cette année, son revenu était de 4 825 $ et ses dépenses s'élevaient à 14 367 $. La déclaration de revenus de 1994 de l'appelant (pièce R-3) a indiqué un revenu de 5 330 $ et des dépenses de 10 030 $, y compris un montant de 4 562 $ de DPA, ce qui a entraîné une perte de 4 700 $. Le coût d'un élément, assurance et permis, s'élève à 1 905 $. L'appelant a déclaré que, pendant les années en litige, il a aidé son épouse à exploiter une garderie, en tant qu'associé à part égale. Il commençait souvent à conduire le camion à 5 h et il terminait avant 14 h 30, de sorte qu'il était disponible pour aider à la garderie. Il a reconnu une lettre (pièce R-4) datée du 5 juin 1996 qu'il a reçue de M. R. K. Bidlake, un vérificateur de Revenu Canada. M. Ward a répondu le 3 juillet 1996 (pièce R-5). L'appelant a déclaré qu'à l'exception d'une " croisière d'essai " au début de chaque saison de pêche, il n'a pas pêché dans les eaux à proximité de Vancouver. La seule autre utilisation du bateau se faisait au lac Alouette, un lac d'eau douce, dans lequel il plaçait le bateau pour déloger le sel accumulé pendant une saison de pêche. L'appelant a convenu que, en 1992, il a reçu un total de six clients pour des affrètements les jours suivants : le 28 juin, le 19 juillet, les 25, 26, 27 et 30 août. Au cours du voyage du 28 juin, il a gagné 375 $. L'affrètement du 19 juillet a rapporté un revenu de 450 $, et les voyages de la dernière semaine du mois d'août ont rapporté un revenu brut de 1 500 $. Toutefois, il avait apporté un autre bateau et il faisait alterner ses clients sur celui-ci et son bateau régulier. En 1993, l'appelant a convenu qu'il a eu sept clients au total et qu'ils avaient fait des sorties les jours suivants : les 5 et 6 juin, les 25 et 26 juin, les 16, 17, 18, 19, 23, 24, 25 et 26 juillet ainsi que les 6 et 7 août. Les affrètements avaient pour destination Sooke, Bamfield et Tahsis, villes situées sur la côte ouest de l'île de Vancouver. De temps en temps, il payait pour l'hébergement de ses invités dans des établissements et il incluait ces dépenses à titre de débours sur la facture qu'il leur présentait dans le cadre du calcul du coût total de l'affrètement. Il exploitait l'entreprise du mois de juin au mois d'août, une période de douze semaines, et la plupart des voyages de pêche avaient lieu les vendredis, les fins de semaine, les lundis ou à d'autres moments au cours desquels il pouvait s'absenter du travail. Un voyage vers Bamfield durait deux ou trois jours. L'appelant a déclaré qu'il adorait pêcher, qu'il s'agissait d'un passe-temps, mais qu'il utilisait un bateau de 16 pieds avec des avirons et qu'il descendait des rivières. Il ne prenait pas, pendant ses voyages de pêche personnels, le bateau utilisé pour les affrètements. Brad Tate, son cousin, était un client régulier durant les trois années en litige. L'appelant a déclaré qu'il était nécessaire d'acheter des gilets de sauvetage, de l'attirail de pêche et de l'équipement de sécurité qui devaient être transporté sur le bateau. Il a indiqué qu'il savait qu'il avait des coûts fixes et qu'il était nécessaire qu'il augmente son revenu, mais il faisait beaucoup d'heures supplémentaires pour Canada Safeway et il recevait un plus gros revenu de ce salaire élevé que ce que l'entreprise de pêche pouvait générer. Actuellement, l'appelant est à sept ans de la retraite et il sait qu'il ne pourra exploiter l'entreprise d'affrètement à plein temps à moins de déménager dans l'île de Vancouver. Comme le droit à des congés chez Safeway était établi en fonction de l'ancienneté, il n'a pu obtenir suffisamment de congés pendant l'été et il a dû utiliser la majorité de ses vacances au mois de février. L'appelant a déclaré qu'il ne croyait pas avoir engagé de dépenses inhabituelles dans le cadre de l'exploitation de l'entreprise d'affrètement pendant les années en litige.

[4]            Robert Bidlake a indiqué dans son témoignage qu'il a été à l'emploi de Revenu Canada pendant 26 ans et qu'au cours des 12 dernières années, il a travaillé en tant que vérificateur. Il a effectué une vérification de l'activité d'affrètement de l'appelant dans le but de déterminer si l'appelant avait une attente raisonnable de profit et d'examiner les documents se rapportant aux dépenses déclarées. Ce processus n'entraîne pas de visite chez l'appelant ou à son lieu d'affaires. M. Bidlake s'est rapporté à ses notes manuscrites prises dans le cadre de la vérification (pièce R-6) et a reconnu une lettre (pièce R-7) datée du 2 août 1996 qu'il avait envoyée à l'appelant à la suite de la conclusion de la vérification. M. Bidlake a déclaré que, du revenu brut de 4 825 $ tiré des affrètements de pêche en 1993, un montant de 1 284 $ était imputable au remboursement de l'hébergement que l'appelant avait payé à ses invités. En 1994, un montant de 400 $ du revenu, sur un total de 5 330 $, était imputable au remboursement des frais d'hébergement. Il a déterminé ces montants en examinant les livrets de reçus fournis par l'appelant. Se rapportant à ses notes de travail pour l'année d'imposition 1992, incluses dans la pièce R-6, M. Bidlake a déclaré qu'il avait découvert des reçus d'un montant de 4 173,67 $ se rapportant aux éléments qui constituaient un capital, comme l'équipement de navigation, des moulinets, un sondeur et des produits semblables. De plus, il ne souscrivait pas à la prétention de l'appelant selon laquelle le camion avait été utilisé à 20 p. 100 pour l'entreprise puisque la lecture des reçus indiquait des endroits où l'achat d'essence avait été effectué à des fins personnelles et, en conséquence, il a établi le niveau d'utilisation personnelle à 90 p. 100. De plus, il n'a pu vérifier les intérêts débiteurs et a décidé que la moitié du montant demandé était appropriée. En outre, l'appelant avait déclaré, à titre de dépenses d'entreprises, des éléments personnels comme un costume de bain, des shorts, des chemises et des pull-overs. M. Bidlake a déclaré que le moment des achats, entre les mois de décembre et d'avril, indiquait qu'ils n'avaient pas été effectués à des fins commerciales et il a également rejeté certains frais de déplacement engagés pour le ferry puisque les voyages ont été effectués durant les mois d'hiver et qu'ils comprenaient des membres de la famille de l'appelant. M. Bidlake a déclaré qu'il a entrepris le même genre d'analyse à l'égard des années d'imposition 1993 et 1994 puis a conclu que, bien qu'il y ait eu différentes dépenses déclarées qui auraient pu être rejetées pour différentes raisons, il n'y avait pas du tout d'attente raisonnable de profit à l'égard de l'activité d'affrètement. Tout le revenu provenait de six ou sept clients, et il n'y avait pas eu de méthode de publicité afin d'attirer une clientèle plus importante.

[5]            En contre-interrogatoire, M. Bidlake a déclaré qu'il savait que certains employés de Revenu Canada peuvent envoyer un questionnaire du type qui lui a été montré par le représentant de l'appelant et déposé sous la cote A-2, mais il n'a pas demandé à l'appelant de remplir un tel document. M. Bidlake a déclaré qu'il a évalué que l'utilisation personnelle du bateau par l'appelant se situait à 50 p. 100 au motif qu'il n'y avait pas eu de tenue de journal en ce qui concerne le temps passé à l'affrètement et il n'a pas discuté de la question avec l'appelant avant d'effectuer la vérification.

[6]            Le représentant de l'appelant a soutenu que ce dernier avait le droit de mettre en exploitation l'entreprise et qu'il n'était pas raisonnable d'attendre une rentabilité pendant cette période mais que, dans l'ensemble, il s'agissait d'une entreprise rentable.

[7]            L'avocat de l'intimée a soutenu que la jurisprudence soutenait la position adoptée par le ministre.

[8]            Dans l'affaire Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73 (96 DTC 6001), la Cour d'appel fédérale a examiné le concept de l'attente raisonnable de profit ainsi qu'il a évolué au cours des années depuis la décision de la Cour suprême du Canada dans l'affaire Moldowan c. La Reine [1978] 1 R.C.S. 480. Dans l'affaire Tonn, précitée, le juge d'appel Linden, s'exprimant pour la Cour, a entrepris une analyse de la jurisprudence et a déclaré ce qui suit à la page 97 (DTC : à la page 6009) :

Il appert d'un examen plus approfondi de la jurisprudence que cette interprétation est maintenant celle qui est retenue dans la plupart des cas. Les litiges dans lesquels le critère de " l'attente raisonnable de profit " est appliqué appartiennent à deux catégories. La première se compose des cas où l'activité reprochée se caractérise en grande partie par un élément personnel. Il s'agit de situations dans lesquelles le contribuable a investi de l'argent pour poursuivre une activité qui lui procure une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique. L'exploitation de fermes d'élevage pour chevaux, la location d'unités en copropriété à Hawaï et en Floride ou de chalets de ski, l'affrètement de yachts, l'exploitation de chenils et ainsi de suite ont été considérés comme des activités de cette nature. Même si ces activités peuvent parfois être poursuivies comme s'il s'agissait d'une entreprise, les tribunaux ont généralement décidé qu'elles visaient avant tout des fins personnelles. Le désir de réaliser un bénéfice dans ce genre de situation n'est rien de plus qu'un voeu pieux ou un rêve impraticable et ne constitue qu'une intention secondaire liée à l'activité. En réalité, le contribuable cherche à subventionner le coût de ces activités en déduisant de son revenu ce qui constitue effectivement une dépense personnelle.

[9]            Dans la récente décision de la Cour d'appel fédérale rendue dans l'affaire Le procureur général du Canada c. Mastri, [1998] 1 C.F. 66 (97 DTC 5420), le juge d'appel Robertson, s'exprimant pour la Cour, a examiné la question de savoir si la Cour canadienne de l'impôt avait bien évalué la véritable signification de l'affaire Tonn, précitée. Aux pages 74 à 77 (DTC: à la page 5423), le juge d'appel Robertson a déclaré ce qui suit :

Premièrement, il a été décidé dans l'arrêt Moldowan que pour avoir une source de revenu, un contribuable doit avoir une attente raisonnable de profit. Deuxièmement, " on doit s'appuyer sur tous les faits pour déterminer objectivement si un contribuable a une expectative raisonnable de profit " (supra, à la page 486). Si, comme conclusion de fait un contribuable est jugé ne pas avoir d'attente raisonnable de profit alors il n'y a aucune source de revenu et, par conséquent, aucun fondement à l'égard duquel le contribuable est en mesure de calculer une perte locative. Il est évident que après l'arrêt Moldowan, la Cour a suivi et appliqué cette décision : voir Landry (C.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 3 (C.A.F.); Poetker c. Ministre du Revenu national, [1996] 1 C.T.C. 202 (C.A.F.); et Hugill (R.) c. Canada, [1995] 2 C.T.C. 16 (C.A.F.). La seule question qui reste à trancher est de savoir si l'arrêt Tonn s'écarte de cette jurisprudence lorsqu'il prévoit que le critère de l'attente raisonnable de profit n'est pas pertinent en ce qui a trait à la question du caractère déductible des pertes jusqu'à ce qu'il puisse être établi que l'affaire comporte une déduction d'impôt inappropriée, la présence d'un élément personnel important ou de circonstances suspectes. Deux passages de l'arrêt Tonn sont cités à l'appui de cet argument et il convient d'en faire état (supra, à la page 96 et aux pages 103 et 104) :

Par conséquent, le critère de l'arrêt Moldowan est un critère utile qu'il est possible d'appliquer pour conclure qu'une activité du contribuable est inappropriée en l'absence d'éléments de preuve plus directs. Ainsi, lorsque les circonstances ne soulèvent nullement la question de savoir si une perte d'entreprise a été engagée dans un but personnel ou dans un but non lié à l'entreprise, le critère devrait être appliqué avec modération et avec une latitude favorisant le contribuable, dont le sens des affaires a peut-être fait défaut.                                                                                      


[...]

... je, par ailleurs, reconnais que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué avec modération lorsque l'" appréciation commerciale " du contribuable est concernée, qu'aucun élément personnel n'a été établi et que le montant des déductions réclamées n'est pas contestable à première vue. Cependant, lorsque les circonstances donnent à penser qu'une motivation personnelle ou non commerciale existait ou que l'attente de profit était déraisonnable au point de soulever un doute, le contribuable devra prouver objectivement que l'activité constituait effectivement une entreprise. Par conséquent, des circonstances douteuses appelleront plus souvent un examen plus approfondi comparativement à celles qui ne soulèvent aucun doute.                                                                                                                                        

                                                                                                                                                                              

                Avec égards, aucun des extraits cités précédemment n'appuie l'argument juridique invoqué par le ministre et les contribuables. Il n'est tout simplement pas raisonnable d'affirmer que la Cour avait l'intention d'établir une règle de droit selon laquelle, même s'il n'y avait aucune attente raisonnable de profit, les pertes sont déductibles d'autres sources de revenu à moins, par exemple, que l'activité productrice de revenu comporte un élément personnel. La mention que le critère de l'arrêt Moldowan devrait être appliqué " avec modération " n'est pas destinée à devenir une règle de droit, mais à être une ligne directrice fondée sur le bon sens pour les juges de la Cour de l'impôt. En d'autres termes, l'expression " avec modération " visait à expliquer que dans certains cas, par exemple, où il n'y a aucun élément personnel, le juge devrait appliquer le critère de l'attente raisonnable de profit de façon moins assidue qu'il ne l'aurait fait en présence d'un tel facteur. C'est dans ce sens que la Cour dans l'arrêt Tonn a fait une mise en garde en ce qui concerne l'appréciation rétrospective des décisions commerciales des contribuables. De crainte qu'un doute soit soulevé à ce sujet, il n'est pas nécessaire d'aller plus loin que l'analyse effectuée par la Cour dans l'arrêt Tonn.

Dans l'arrêt Tonn, la Cour a clairement jugé que le contribuable qui cherchait à déduire des pertes locatives de ses autres sources de revenus n'avait obtenu aucun avantage personnel. Néanmoins, la Cour a continué à examiner la question relative au caractère déductible des pertes en appliquant les facteurs énoncés dans l'arrêt Moldowan lorsqu'elle a examiné s'il y avait une attente raisonnable de profit. Le résumé fait par la Cour à la page 109 écarte tout doute en ce qui concerne ce qui a été décidé dans l'arrêt Tonn :

Ma décision en l'espèce est donc la suivante. Le juge de la Cour canadienne de l'impôt a commis une erreur de principe ainsi qu'une erreur dans la façon dont il a appliqué le critère de l'attente raisonnable de profit selon le sens actuel de ce critère. Il n'a pas tenu compte de tous les facteurs qu'il aurait dû examiner et il n'a pas évalué non plus tous les aspects de la situation. Il appert clairement de la preuve que les contribuables se sont lancés dans une entreprise commerciale et que leurs attentes de profit n'étaient pas déraisonnables dans les circonstances. Une petite entreprise de location a été créée sans l'aide d'une étude de marché sophistiquée à une époque où le marché de la location semblait prometteur. Peu après, par suite de circonstances imprévues, il est devenu précaire. Les contribuables n'ont tiré aucun avantage personnel des ententes de location. La propriété n'était pas un lieu de vacances. Elle n'a pas été utilisée non plus pour offrir un logement à prix modique ou sans frais à des parents ou à des amis. Les contribuables se sont honnêtement trompés et ont perdu de l'argent plutôt que d'en gagner. Il n'appartient pas au Ministère ou à la Cour de les pénaliser pour cette erreur en appliquant le critère de l'attente raisonnable de profit sans donner à l'entreprise suffisamment de temps pour prouver qu'elle est rentable.

Bref, la décision de la Cour dans l'arrêt Tonn n'a pas pour but de modifier le droit établi dans l'arrêt Moldowan. L'arrêt Tonn confirme simplement l'interprétation fondée sur le bon sens selon laquelle ce n'est pas aux tribunaux de faire une appréciation rétrospective de la pespicacité commerciale d'un contribuable dont l'entreprise se révèle moins rentable que prévue. En conséquence, le juge de la Cour de l'impôt a commis une erreur dans son interprétation et dans son application de l'arrêt Tonn. Il en va de même en ce qui concerne les décisions suivantes de la Cour de l'impôt, qui font ressortir une mauvaise interprétation du sens réel de l'arrêt Tonn : Howard c. Canada, [1997] T.C.J. no 69 (QL); et Rossi c. Canada, [1996] T.C.J. no 1632 (QL). En comparaison, d'autres décisions de la Cour de l'impôt confirment mon opinion relativement à ce qui a été décidé dans l'arrêt Tonn : voir Joudrey c. Canada, [1997] T.C.J. no 74 (QL); Stacey c. Canada, [1997] A.C.I. no 117 (QL); Riddell, M.L. c. La Reine (1996), 97 DTC 51 (C.C.I.); Schimmens c. Canada, [1996] A.C.I. no 539 (QL); Urquhart c. R., [1997] 1 C.T.C. 2611 (C.C.I.); et Wallace c. Canada, [1996] A.C.I. no 583 (QL).

Avant de conclure, je désire faire part avec déférence de mon désaccord à l'égard de la conclusion à laquelle est arrivée l'instance inférieure selon laquelle il n'y a aucun " élément personnel " en l'espèce. Au contraire, il ressort clairement de la preuve que les Mastri ont conclu une promesse d'achat de la maison en rangée avec l'intention de l'occuper et que, environ un an après l'achat, la maison est en fait devenue leur résidence principale. À mon avis, on peut difficilement parler d'absence d'élément personnel dans cette situation - particulièrement puisqu'il n'y a aucun élément de preuve indiquant que, au moment où les contribuables ont conclu l'achat de la propriété pour la somme de 159 000 $, ils se sont demandés si la maison en rangée pouvait être louée avec profit.

[10]          Selon la preuve, il est évident que l'appelant tentait de préparer une entreprise qu'il pourrait exploiter, à temps partiel pendant l'été, après sa retraite et qui dépendrait du déménagement de sa famille dans l'île de Vancouver. Pendant les années en litige, l'appelant travaillait non seulement à plein temps, mais il effectuait des heures supplémentaires de sorte qu'il a travaillé plus de 60 heures par semaine. Il a agi ainsi parce que son taux de rémunération était tel qu'il ne pouvait se permettre de perdre un revenu alors qu'il amenait des clients en voyage. De plus, il était associé à parts égales avec son épouse et il travaillait activement dans une garderie. Il vivait à Maple Ridge, dans la vallée du bas Fraser, et le fait de transporter un bateau sur une remorque pendant huit heures afin de générer deux ou, au mieux, trois jours de revenu variant entre 1 200 $ et 1 500 $ n'avait pas de sens au niveau commercial. Les frais de déplacement à eux seuls, même si l'appelant ne transportait pas la remorque sur le ferry à chaque voyage, s'élevaient à 250 $ ou à 300 $. L'appelant devait encore prendre la remorque et le bateau à Victoria et les transporter jusqu'à l'île à l'endroit où se faisait la pêche où il engageait d'autres frais, dont l'amarrage. Après trois ans, il n'avait toujours que sept clients et il s'agissait d'un groupe lié composé de membres de la famille, d'amis et de connaissances d'affaires. Il y avait un élément personnel au sens où l'entreprise de l'appelant était un peu plus qu'un mécanisme de partage des coûts des voyages de pêche faits durant l'été avec des amis lui fournissant l'occasion de visiter sa famille à Victoria où il pouvait entreposer sa remorque pendant la courte période au cours de laquelle il utilisait réellement le bateau afin d'en tirer un revenu. Cet aspect a également été confirmé par l'examen des reçus qui indiquaient l'attitude de l'appelant, c'est-à-dire qu'une vaste gamme de dépenses pouvaient être imputées à la prétendue entreprise alors qu'il s'agissait clairement de dépenses, souvent hors saison, de nature personnelle. En réalité, l'appelant exploitait l'activité de forfaits-pêche qui représentait une période d'essai ou une " croisière d'essai " en préparation de sa retraite qui, à l'époque, ne devait se produire que dix ans plus tard. De la manière dont elle était structurée et à la lumière de son choix de consacrer son temps et son énergie à son emploi à plein temps et à la garderie, il est clair que l'activité de pêche n'en était qu'à l'étape expérimentale et, en raison de la faible priorité qui lui était accordée, elle n'était pas prête à produire suffisamment de revenu de façon à ce que l'appelant ait une chance raisonnable de réaliser un profit. Le ministre a rejeté à bon droit les pertes déclarées au motif qu'il n'y a jamais eu d'attente raisonnable de profit pendant les années en litige.

[11]          L'appel est par conséquent rejeté.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique) ce 18e jour de février 1998.

" D. W. Rowe "

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 23e jour de novembre 2001.

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

Mario Lagacé, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

97-1589(IT)I

ENTRE :

BRYAN SOTHERAN,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 6 janvier 1998, à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge suppléant D. W. Rowe

Comparutions

Représentant de l'appelant :                 B. Ward

Avocat de l'intimée :                            Me A. Rachert

JUGEMENT

          L'appel interjeté à l'encontre des cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1992, 1993 et 1994 est rejeté selon les motifs du jugement ci-joints.

Signé à Vancouver (Colombie-Britannique) ce 18e jour de février 1998.

" D. W. Rowe "

J.S.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 23e jour de novembre 2001.

Mario Lagacé, réviseur


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