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Date: 20001220

Dossier: 2000-971-GST-I

ENTRE:

JASWANT CHEEMA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

Le juge McArthur

[1]            L'appelant a acheté un terrain situé promenade McArthur, à Kamloops (Colombie-Britannique), et y a construit un jumelé. Il l'a revendu après moins d'un an, sans percevoir la taxe sur les produits et services (TPS) lors de la vente, considérant qu'il s'agissait d'une cession d'une résidence privée. Le ministre du Revenu national (le « ministre » ) a établi une cotisation à l'égard de l'appelant parce que celui-ci avait omis de percevoir et de verser 14 392 $ de TPS, et il réclame ce montant, plus les intérêts et pénalités y relatifs. Le ministre a en outre rejeté la demande de remboursement pour habitation neuve de l'appelant. Celui-ci a fait valoir que son frère Parmjit et lui habitaient le jumelé, et qu'ils ont déménagé parce que Parmjit avait été muté de Kamloops à Surrey. La principale question à trancher est celle de savoir si nous sommes en présence d'une affaire de caractère commercial.

[2]            Il arrive fréquemment qu'un petit constructeur construise une habitation, s'y installe pour une courte période puis la vende. Il croit ainsi se soustraire à l'impôt[1]. Les bénéfices d'un constructeur exploitant une entreprise de construction et de vente sont imposables aux termes de la Loi de l'impôt sur le revenu. Ainsi que l'expliquait la vérificatrice du ministre, Revenu Canada a cherché à repérer les constructeurs qui ont recours à ce genre de pratique. Ces derniers sont désormais également assujettis au paragraphe 191(1) de la Loi sur la taxe d'accise (règle sur la fourniture à soi-même), aux termes duquel le constructeur qui construit une habitation et l'occupe doit payer la TPS calculée sur la juste valeur marchande de l'habitation. La personne qui construit une habitation dans le seul but de l'occuper elle-même, et non dans le cadre d'une entreprise ou d'une affaire de nature commerciale, n'est pas un « constructeur » au sens du paragraphe 123(1); elle n'est donc pas assujettie à la règle sur la fourniture à soi-même[2]. Le paragraphe 191(5) prévoit une exception à l'application de la règle sur la fourniture à soi-même lorsque le constructeur utilise l'immeuble principalement à titre résidentiel et qu'il n'a pas demandé de crédit de taxe sur les intrants.

[3]            Le premier témoin de l'appelant fut son frère Parmjit, qui est membre de la GRC et a le grade de caporal. Sa famille a émigré de l'Inde et s'est installée à Delta (C.-B.) au début des années 70; le père de l'appelant était couvreur et exerçait aussi d'autres métiers. Parmjit a joint les rangs de la GRC et a été affecté au détachement de Kamloops en 1990. Il a acheté une maison située avenue Bossert, à Kamloops, et y a résidé jusqu'en 1993. En juin 1993, Parmjit, son épouse et leur enfant ont emménagé dans une résidence unifamiliale du croissant Courtney qu'il avait construite, avec l'aide de son père et de l'appelant, sur un terrain non bâti. L'appelant avait déménagé à Kamloops tandis que son épouse et ses enfants étaient restés à Delta. L'appelant cherchait du travail, mais il n'a pas trouvé d'emploi permanent pendant l'année qu'il a passée à Kamloops. Il habitait avec Parmjit. En janvier 1994, Parmjit a vendu sa résidence du croissant Courtney et a emménagé dans une habitation située promenade Partridge. Cette habitation unifamiliale avait été construite par l'appelant, son frère Parmjit et leur père. Entre-temps, l'appelant avait acheté un terrain situé promenade McArthur, à Kamloops; les deux frères y ont construit un jumelé, c'est-à-dire deux logements situés côte à côte et reliés par un mur mitoyen; la construction était en grande partie achevée en mai 1994. Les logements du jumelé étaient situés au 754 et au 756, promenade McArthur.

[4]            Je tiens pour avéré que Parmjit et sa famille ont emménagé au 756, promenade McArthur, pour en faire leur résidence principale, et que le 754, promenade McArthur, n'était pas la résidence principale de l'appelant. Je me suis fondé sur les éléments de fait suivants pour en arriver à cette conclusion :

(i)             Concernant le 756, promenade McArthur :

                Je prête foi au témoignage de Parmjit lorsqu'il a déclaré avoir soigneusement étudié le secteur et tenu compte de facteurs comme la tranquillité, la proximité d'écoles, ou encore le fait que l'habitation n'était pas du côté exposé aux odeurs de la papeterie, et qu'il entendait y résider en permanence.

(ii)            Je prête également foi au témoignage de son épouse, qui a confirmé leur intention de résider en permanence au 756, promenade McArthur. Elle a accouché d'un deuxième enfant peu avant que la famille emménage au 756.

(iii)           Le 1er avril 1994, l'appelant a signé une déclaration de fiducie[3] dans laquelle il déclarait détenir le 756, promenade McArthur, en fiducie pour Parmjit. Les deux frères étaient très unis et ils ont laissé le titre de propriété au nom de l'appelant par souci de commodité. J'admets que l'appelant était le propriétaire bénéficiaire du 754 et Parmjit, le propriétaire bénéficiaire du 756.

[5]            Le souvenir qu'avait l'appelant des événements en cause était limité; il avait oublié plusieurs détails. Mme Panas, vérificatrice de Revenu Canada, a fait bonne impression et a rendu un témoignage détaillé. Des recherches fouillées lui ont permis de recueillir une grande quantité de données. Cela éveille de sérieux doutes concernant la crédibilité de l'appelant.

[6]            La vérificatrice du ministre a expliqué que Revenu Canada avait cherché à repérer les constructeurs qui tentent de se soustraire à l'obligation de payer la TPS en s'appuyant sur l'argument de la résidence principale. Le ministre établit des cotisations à l'égard des constructeurs conformément au paragraphe 191(1), c'est-à-dire la règle sur la fourniture à soi-même, selon laquelle le constructeur qui construit une habitation dans le but de la vendre à profit et qui l'occupe avant de la vendre doit verser la TPS calculée sur la valeur de l'habitation. Le contribuable qui construit une habitation dans le but de l'occuper, hors du cadre d'une entreprise ou d'une affaire de caractère commercial, n'est pas un constructeur au sens du paragraphe 123(1) et n'est pas assujetti à la règle sur la fourniture à soi-même.

[7]            Dans la présente affaire, nous trouvons un appelant, mais deux propriétaires du jumelé, et deux situations différentes. Au début de 1993, l'appelant était marié, avait des enfants et vivait à Delta, où il avait résidé depuis son enfance. Il travaillait comme manoeuvre, et il avait acheté et vendu des habitations à Delta. Toujours au début de 1993, il a déménagé à Kamloops, où il a habité avec Parmjit et a cherché du travail. Il n'a pas trouvé d'emploi permanent. Son témoignage manquait de précision et de clarté. Il a aidé son père et son frère à construire une habitation située promenade Partridge et une autre située croissant Courtney, à Kamloops. Cette dernière était au nom de Parmjit, et celle de la promenade Partridge, au nom de son père.

[8]            Le 31 janvier 1994, l'appelant a acheté les terrains 9 et 10 de la promenade McArthur, et c'est là qu'a été construit le jumelé. Les frères ont réuni leurs ressources financières. Il était difficile, à partir des témoignages, de savoir qui payait quoi au juste. Les terrains non bâtis étaient enregistrés au nom de l'appelant seulement, et leur coût s'élevait à 59 900 $. Les frères faisaient conjointement fonction d'entrepreneurs généraux.

[9]            Deux permis de construction ont été délivrés à l'appelant en février 1994 : un pour la construction d'une habitation jumelée sur le terrain 9, soit le 756, promenade McArthur, et l'autre pour la construction d'une habitation jumelée sur le terrain 10, soit le 754, promenade McArthur. J'admets le fait, non contesté, que chaque habitation pouvait être vendue séparément, que l'appelant était le propriétaire bénéficiaire du 754 et que Parmjit était le propriétaire bénéficiaire du 756.

[10]          L'appelant et son père n'avaient pas d'emploi en 1993 et 1994, si l'on excepte la construction des habitations sur Courtney, Partridge et McArthur. Certaines des factures relatives aux matériaux achetés pour l'habitation sur McArthur étaient établies au nom de Cheema Construction. L'appelant a expliqué que ce nom avait été utilisé dans le but d'obtenir de meilleurs prix des fournisseurs, et qu'il n'exploitait pas une entreprise de construction. L'appelant était rompu aux activités de construction et avait déjà construit des habitations. Bien que l'appelant ait passé plus d'un an à Kamloops, son épouse et ses enfants n'ont pas quitté Delta. Il n'avait pas d'autre travail. Il a déclaré un revenu imposable de moins de 5 000 $ en 1992; pourtant, il disposait des fonds requis, conjointement avec Parmjit, pour acheter les terrains 9 et 10 et y construire un jumelé sans devoir faire appel à une source de financement extérieure. Il a apporté peu de meubles au 754, voire aucun.

[11]          La première question est de savoir si l'appelant construisait des habitations dans le cadre d'une entreprise, d'un projet à risques ou d'une affaire de caractère commercial. Pour le déterminer, j'aurai recours aux critères, souvent mentionnés, du juge Rouleau dans l'affaire Happy Valley Farms Ltd. c. La Reine[4].

1.              La nature du bien vendu : dans chaque cas, l'appelant a acheté un terrain, y a construit une habitation qu'il a occupée durant une courte période — si tant est qu'il l'ait occupée —, puis l'a vendue.

2.              La durée de la possession : les trois transactions ont eu lieu sur une période de moins de 18 mois.

3.              La fréquence des opérations : l'appelant a construit trois habitations en 1993 et en 1994.

4.              Les améliorations apportées au bien : l'appelant, son frère et leur père ont exercé toutes les activités propres aux entrepreneurs généraux.

5.              Les circonstances qui ont entraîné la vente : l'appelant n'était pas forcé de déménager parce que son frère était muté. Il est retourné vivre avec son épouse et ses enfants dans sa résidence de Delta.

6.              Le motif : je n'admets pas que l'appelant ait construit l'habitation du 754 pour l'habiter.

[12]          Il y a lieu de conclure, au vu de la preuve, que l'objet de l'opération relative au bien de la promenade McArthur et des opérations précédentes était de réaliser un profit. La construction d'habitations constituait l'entreprise de l'appelant. Je tiens pour avéré que l'appelant a construit l'habitation du 754 en vue de la vendre à profit. Dans la cotisation, l'appelant a été considéré à bon droit comme un constructeur pour l'application de la règle sur la fourniture à soi-même figurant au paragraphe 191(1).

[13]          Je conclus que l'appelant était le constructeur de l'habitation du 754 et qu'il l'a construite avec son frère et son père dans le but de la vendre à profit dans le cadre d'une affaire de caractère commercial. Il ne l'a pas occupée à titre de résidence principale, et il était tenu de percevoir la moitié de la TPS —14 392,52 $ — calculée sur la valeur totale du bien[5]. Il n'a pas fait de demande de remboursement pour habitation neuve aux fins de la TPS dans les délais prescrits par la Loi; il n'a d'ailleurs jamais présenté une telle demande. De toute façon, il n'a pas droit à un remboursement pour habitation neuve. L'appel de l'appelant concernant l'habitation du 754 est rejeté. Parmjit n'est pas l'appelant, et rien dans le présent appel ne lui permet de demander un remboursement pour habitation neuve, d'autant plus que les délais prévus par la Loi sont expirés.

[14]          Il est normal que le ministre ait établi une telle cotisation à l'égard de l'appelant. Résumons la situation : nous avons un immeuble résidentiel (un jumelé), construit par l'appelant, Parmjit et leur père. L'appelant était propriétaire du 754 et son frère, du 756. L'appelant exploitait une entreprise de construction à Kamloops. Le jumelé a été construit sans qu'on fasse appel à une source de financement extérieure. La principale, sinon la seule, source de revenu de l'appelant était la construction d'habitations. Parmjit travaillait à plein temps comme policier pour la GRC, mais les fonds qu'il a utilisés pour construire l'habitation du 756 ont dû provenir principalement de la vente des biens (i) de l'avenue Bossert en avril 1993, (ii) du croissant Courtney en décembre 1993 et (iii) de la promenade Partridge en avril 1994.

[15]          Bien qu'il s'agisse d'un cas limite, j'admets que l'habitation du 756 a été construite afin de servir de résidence principale à Parmjit et qu'elle a été vendue, conjointement avec celle du 754, uniquement parce que Parmjit a inopinément été muté à Surrey. Parmjit a construit l'habitation du 756 et en était propriétaire. J'estime que les habitations du 754 et du 756 avaient une valeur égale.

[16]          L'appel est admis au motif que l'appelant n'est pas redevable de la taxe sur les produits et services à l'égard du 756, promenade McArthur, mais qu'il est redevable d'un montant de 7 196,26 $, plus les intérêts et pénalités y relatifs, au titre de la taxe sur les produits et services, à l'égard du 754, promenade McArthur. Les intérêts et pénalités devront être calculés en proportion du montant réduit de la cotisation.

Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de décembre 2000.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 6e jour de juillet 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-971(GST)I

ENTRE:

JASWANT CHEEMA,

appelant,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appel entendu le 29 novembre 2000, à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge C. H. McArthur

Comparutions

Avocat de l'appelant :                 Me K. Paul Lail

Avocate de l'intimée :                 Me Charlotte Coombs

JUGEMENT

          L'appel de la cotisation établie en vertu de la Loi sur la taxe d'accise, dont l'avis est daté du 13 juin 1996 et porte le numéro 11EU0101789, est admis et la question est déférée au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelle cotisation, au motif que l'appelant n'est pas redevable de la taxe sur les produits et services à l'égard du 756, promenade McArthur, mais qu'il est redevable d'un montant de 7 196,26 $, plus les intérêts et pénalités y relatifs, au titre de la taxe sur les produits et services, à l'égard du 754, promenade McArthur.


Signé à Ottawa, Canada, ce 20e jour de décembre 2000.

« C. H. McArthur »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 6e jour de juillet 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]



[1]           En vertu de l'exonération au titre de la résidence principale prévue à l'alinéa 40(2)b) de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[2]           Je me suis inspiré des commentaires de David Sherman dans le Canada GST Report au sujet de l'affaire Martinuzzi (B.T.) c. La Reine, C.C.I., no 98-948(GST)I, 12 novembre 1999 ([1999] G.S.T.C. 100-1).

[3]           Pièce A-7.

[4]           C.F., 1re inst., no T-06632-82, 16 juillet 1986 (86 DTC 6421).

[5]           La seule preuve de la valeur du bien est le prix de vente en avril 1995, soit 220 000 $; j'admets ce prix comme valeur du bien.

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