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Date: 20010201

Dossier: 2000-1156-IT-I

ENTRE :

CARLA CALLEGARO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Motifs du jugement

(Rendus oralement à l'audience à Vancouver (Colombie Britannique), le 24 novembre 2000.)

Le juge Beaubier, C.C.I.

[1]            Le présent appel interjeté conformément à la procédure informelle a été entendu à Vancouver (Colombie-Britannique), le 22 novembre 2000. L'appelante a été le seul témoin. Elle a interjeté appel des nouvelles cotisations établies pour ses années d'imposition 1994, 1995 et 1996, par lesquelles était refusée la déduction de pertes d'entreprise concernant « Carlada's Cattery » , une entreprise d'élevage, d'exposition et de vente de chats persans.

[2]            Les paragraphes 6 à 15 inclusivement de la réponse à l'avis d'appel sont ainsi libellés :

                                [TRADUCTION]

6.              Dans le calcul de son revenu des années d'imposition 1994, 1995 et 1996, l'appelante a déclaré des pertes découlant de l'activité de la pension pour chats de 14 046,85 $, de 14 293 $ et de 21 126,59 $ respectivement ( « les pertes » ).

7.              Par avis datés du 30 mars 1998, le ministre a établi à l'égard de l'appelante de nouvelles cotisations par lesquelles il refusait les pertes.

8.              En établissant ainsi de nouvelles cotisations à l'égard de l'appelante, le ministre s'est fondé sur les hypothèses suivantes :

                                a)              l'appelante travaillait à temps plein, pendant les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, pour le Maple Ridge-Pitt Meadows Community Services Council;

                                b)             l'appelante est mère de deux enfants : Jessica, qui est née en mai 1987, et Jason, qui est né en septembre 1988;

                                c)              l'appelante exploite la pension pour chats depuis le début des années 80;

                                d)             les pertes reliées à l'activité de la pension pour chats ont pour la première fois été déclarées en 1988, l'ex-conjoint de l'appelante étant celui qui déclarait de telles pertes pour les années 1988 à 1991;

                                e)              l'appelante s'est séparée de son conjoint en 1991 et a divorcé en 1992;

                                f)              l'appelante déclare des pertes relativement à l'exploitation de la pension pour chats depuis 1992, comme l'indique l'annexe A;

                                g)             vingt-huit chats ont été vendus pendant la période allant de 1994 à 1996;

                                h)             le prix de vente moyen des chats au cours de cette période était de 340 $;

                                i)               l'appelante a déclaré que, au titre des dépenses relatives à l'exploitation de la pension pour chats, un salaire avait été versé à ses enfants, soit un total de 7 200 $, de 9 600 $ et de 9 600 $ dans les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 respectivement;

                                j)               les enfants étaient âgés de 6 et 7 ans dans l'année d'imposition 1994;

                                k)              l'appelante a également déclaré des montants reliés au travail à domicile, comme l'expose en détail l'annexe B, totalisant 9 219 $, 5 006 $ et 8 067 $ pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 respectivement;

                                l)               le revenu déclaré de l'appelante, pour les années d'exploitation de la pension pour chats, était de 1 860 $, de 3 100 $ et de 4 550 $ respectivement;

                                m)             l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit à l'égard de l'exploitation de la pension pour chats pendant les années d'imposition 1994, 1995 et 1996;

                                n)             les dépenses déclarées relativement à l'exploitation de la pension pour chats n'ont pas été engagées en vue de tirer un revenu d'un bien ou d'une entreprise, mais représentaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelante;

                                o)             les dépenses déclarées relativement à l'exploitation de la pension pour chats n'étaient pas raisonnables dans les circonstances.

B.      AUTRES FAITS SUBSTANTIELS INVOQUÉS

9.              À la suite de son divorce, l'appelante a déménagé et a déclaré des frais de déménagement de 2 199 $ pour l'année d'imposition 1994 (les « frais de déménagement » ).

10.            Les frais de déménagement n'ont pas été engagés afin de permettre à l'appelante de commencer à exploiter une entreprise ou d'exercer un emploi à un nouveau lieu de travail pendant l'année d'imposition 1994. En outre, la distance entre l'ancienne résidence et la nouvelle résidence était inférieure à 40 kilomètres.

C. QUESTIONS À TRANCHER

11.            Les questions à trancher sont les suivantes :

                                                a)              l'appelante a-t-elle le droit de déclarer des pertes d'entreprise relativement à l'exploitation de la pension pour chats pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996?

                                                b)             les frais de déménagement sont-ils déductibles dans le calcul du revenu de l'appelante pour l'année d'imposition 1994?

D. DISPOSITIONS LÉGISLATIVES INVOQUÉES

12.            Le ministre se fonde sur les articles 3, 9, 62 et 67, les paragraphes 18(12), 152(9) et 248(1) et les alinéas 18(1)a) et h) de la Loi de l'impôt sur le revenu, L.R.C. 1985, ch. 1 (5e suppl.), dans sa forme modifiée (la « Loi » ).

E. MOYENS INVOQUÉS ET CONCLUSION RECHERCHÉE

13.            Le ministre soutient respectueusement que l'appelante n'avait pas d'attente raisonnable de profit à l'égard de l'exploitation de la pension pour chats pendant les années d'imposition 1994, 1995 et 1996, et qu'il a rejeté à bon droit les pertes, conformément à l'article 9 de la Loi.

14.            Subsidiairement, s'il est conclu qu'il y avait une attente raisonnable de profit à l'égard de l'exploitation de la pension pour chats, ce qui n'est pas admis mais plutôt nié, le ministre soutient que :

                                a)              les dépenses déclarées par l'appelante et exposées en détail à l'annexe B n'ont pas été engagées par cette dernière en vue de tirer un revenu d'une entreprise ou d'un bien, mais constituaient des frais personnels ou de subsistance de l'appelante et elles ne sont par conséquent pas déductibles du revenu comme le précisent les alinéas 18(1)a) et h) de la Loi;

                                b)             les dépenses de travail à domicile n'ont pas été correctement déclarées aux termes du paragraphe 18(12) de la Loi;

                                c)              les dépenses ne sont pas raisonnables dans les circonstances aux termes de l'article 67 de la Loi.

15.            Enfin, le ministre soutient que les frais de déménagement n'ont pas été engagés afin de permettre à l'appelante de commencer à exploiter une entreprise ou d'occuper un emploi à un nouveau lieu de travail pendant l'année d'imposition 1994. En outre, la distance entre l'ancienne résidence et la nouvelle résidence était inférieure à 40 kilomètres. Par conséquent, l'appelante ne peut se prévaloir de l'article 62 de la Loi pour déduire quelque dépense que ce soit.

[3]            L'intimée a passé en revue, avec l'appelante, ses arguments figurant aux annexes A et B. Ceux-ci n'ont pas été produits avec la réponse, et la Cour a par conséquent conclu que le fardeau de la preuve incombait à cet égard à l'intimée. Ils se rapportent aux calculs détaillés des présumées pertes effectués par le vérificateur. Ils ont été confirmés après vérification auprès de l'appelante.

[4]            Toutefois, au cours de son témoignage en interrogatoire principal, l'appelante a présenté des calculs révisés de ses pertes déclarées d'après ce qu'elle avait cru comprendre à la suite des nouvelles cotisations. Ils figurent à la pièce A-6. Ils sont acceptés parce que la Cour croit non seulement qu'elle ne comprenait pas ce que faisait le spécialiste en déclarations de revenus dont elle avait retenu les services ― et dont on ne connaît pas l'identité ― mais aussi que, même aujourd'hui, elle ne comprend pas complètement les calculs mathématiques effectués. En résumé, ils sont ainsi rédigés :

                                1994                                      1995                         1996

Revenu                                                     1 860,00 $                        3 100,00 $      4 550,00 $

Dépenses                                                 5 167,00 $                        5 489,00 $      8 009,38 $

Pertes                                                        3 307,00 $                        2 389,00 $      3 459,38 $

Ces calculs ne tenaient pas compte de déductions antérieures au titre du salaire versé aux enfants, des dépenses reliées au travail à domicile et de certains frais d'automobile. Ils sont raisonnables et fondés sur le témoignage de l'appelante et sur l'article 67 de la Loi de l'impôt sur le revenu.

[5]            La question que la Cour est appelée à trancher est celle de savoir si l'appelante avait une attente raisonnable de profit. En outre, l'appelante doit réfuter la présomption établie dans la décision que la Cour d'appel fédérale a rendue dans l'affaire Enno Tonn c. La Reine, [1996] 2 C.F. 73, à la page 97 (96 DTC 6001, aux pages 6009 et 6010), où la Cour a déclaré ce qui suit :

            Il appert d'un examen plus approfondi de la jurisprudence que cette interprétation est maintenant celle qui est retenue dans la plupart des cas. Les litiges dans lesquels le critère de « l'attente raisonnable de profit » est appliqué appartiennent à deux catégories. La première se compose des cas où l'activité reprochée se caractérise en grande partie par un élément personnel. Il s'agit de situations dans lesquelles le contribuable a investi de l'argent pour poursuivre une activité qui lui procure une satisfaction ou des avantages personnels, notamment sur le plan psychologique. L'exploitation de fermes d'élevage pour chevaux, la location d'unités en copropriété à Hawaï et en Floride ou de chalets de ski, l'affrètement de yachts, l'exploitation de chenils et ainsi de suite ont été considérés comme des activités de cette nature. Même si ces activités peuvent parfois être poursuivies comme s'il s'agissait d'une entreprise, les tribunaux ont généralement décidé qu'elles visaient avant tout des fins personnelles. Le désir de réaliser un bénéfice dans ce genre de situation n'est rien de plus qu'un voeu pieux ou un rêve impraticable et ne constitue qu'une intention secondaire liée à l'activité. En réalité, le contribuable cherche à subventionner le coût de ces activités en déduisant de son revenu ce qui constitue effectivement une dépense personnelle.

[6]            L'appelante a acquis un chat persan en 1980 et, de cette époque à 1987, elle est devenue propriétaire de trois chats persans. Pendant ces années, elle s'adonnait d'après ses dires à un passe-temps. Toutefois, en 1988, l'activité est devenue une entreprise, et la Cour accepte ce fait comme véridique. L'appelante a ensuite commencé à constituer un stock de chats persans reproducteurs. En 1991 ou en 1992, l'un de ses chats persans mâles s'est classé meilleur chat de race toutes catégories au Canada et septième au niveau mondial. Jusqu'en 1994, son conjoint et elle étaient des associés dans l'entreprise de pension pour chats. Ils se sont établis dans un secteur moins peuplé afin que leurs 20 chats d'élevage soient éloignés des gens qui auraient pu être incommodés. Ils ont construit une annexe spéciale à leur maison pour les chats et la pension, et ils ont choisi les femelles qui seraient accouplées avec « Silver » , visant la qualité aux fins des expositions félines. Ils ont payé 3 000 $ US pour un chat, et ils ont dû faire euthanasier un mâle parce qu'ils craignaient qu'il n'ait une maladie. Cette crainte a par la suite été confirmée par une autopsie pratiquée sur l'animal.

[7]            Pour ces motifs, la Cour accepte le témoignage de l'appelante selon lequel, à partir de 1988, son activité ne constituait plus un passe-temps; on avait plutôt affaire à une entreprise nouvellement lancée par une société de personnes composée d'un mari et de sa conjointe. Lorsque cette société a été dissoute, par suite du divorce du couple, l'appelante a poursuivi l'exploitation à titre de propriétaire unique. En outre, selon la Cour, une entreprise individuelle est très différente d'une société de personnes, en ce sens que les décisions et les suggestions sages ne sont plus partagées, que le travail n'est plus divisé ou spécialisé et que toutes les tâches, du financement aux heures de travail, deviennent plus lourdes pour l'exploitant individuel. Pour ces motifs, l'échec du mariage a prolongé la période de démarrage à laquelle l'appelante a droit.

[8]            La preuve révèle que le revenu brut tiré par l'appelante de la pension pour chats, au cours des années d'exploitation de l'entreprise individuelle, s'établit comme suit :

1994                                         1 860 $

1995                                         3 100 $

1996                                         4 550 $

1997                                         9 300 $

En outre, son revenu net de 1997, avant la déduction des dépenses reliées à l'utilisation du domicile, était de 1 469,27 $. Elle a indiqué que cela s'expliquait par le fait qu'elle avait eu des portées de quatre ou cinq chatons, au lieu de deux ou trois, ce qui a fait de 1997 une bonne année. Cette explication est acceptée. Elle a vendu les chatons et, au cours de cette année-là, elle a vendu des reproducteurs 100 $ ou 200 $ chacun, en plus de compensations futures à l'égard d'un chaton, dans l'éventualité où elle déciderait d'exploiter de nouveau une pension pour chats. En réalité, son exploitation est redevenue un passe-temps après 1997, en raison des contraintes de temps et de l'établissement des nouvelles cotisations en litige.

[9]            À la page 486 (DTC : à la page 5215) de l'arrêt William Moldowan c. La Reine, [1978] 1 R.C.S. 480 (77 DTC 5213), le juge Dickson a formulé certains critères permettant de déterminer s'il y a attente raisonnable de profit. En les utilisant, la Cour conclut comme suit :

1.              L'état des profits et pertes des années antérieures - L'appelante n'a connu que des pertes jusqu'en 1997.

2.              La formation du contribuable - Avant de commencer à exploiter l'entreprise avec son conjoint en 1988, l'appelante s'était familiarisée avec le sujet pendant huit années. Toutefois, rien dans la preuve n'indique que son conjoint ou elle avait réellement exploité une entreprise avant 1988.

3.              La voie sur laquelle le contribuable entend s'engager - L'appelante avait l'intention de constituer un stock suffisant de femelles reproductrices afin d'avoir des chats d'exposition et de maison. Elle souhaitait essentiellement obtenir suffisamment de Persans de qualité supérieure aux fins des expositions pour faire de la publicité et augmenter le prix de ses Persans de maison. Elle a obtenu une telle qualité en 1991 ou en 1992. En 1994, elle avait environ 20 femelles d'élevage, qui produisaient généralement des portées de deux ou trois chatons, même si elles pouvaient en produire des portées de quatre ou cinq. Lorsque les femelles ont finalement donné naissance à quatre ou cinq chatons en 1997, l'appelante a bel et bien réalisé un profit, si l'on ne tient pas compte des frais de locaux à domicile. On doit toutefois remarquer que son revenu brut, en 1997, n'était que de 9 300 $. L'appelante estime que cela était peu, et elle attribue cela au fait qu'elle n'avait vendu qu'un seul chaton de qualité, pour 800 $ ou 900 $. Cependant, comme l'appelante avait cessé de participer à des expositions et avait réduit ses frais de vente, il est juste de suggérer que, dans l'ensemble, le résultat net était à peu près aussi bon qu'il l'aurait été si elle avait participé à des expositions.

4.              La capacité de l'entreprise de réaliser un profit après l'amortissement fiscal - Selon l'analyse qui précède, une fois autorisée la prolongation de la période de démarrage en raison de la dissolution de la société de personnes et une fois acceptées les restrictions à l'égard des dépenses en capital relatives à la maison exigées par la Loi de l'impôt sur le revenu elle-même, le projet avait la possibilité de générer un profit léger ou modeste, après amortissement fiscal, si les dépenses étaient les dépenses raisonnables figurant à la pièce A-6. Selon le témoignage de l'appelante, elle a mis fin à l'entreprise en 1997, et son témoignage est également accepté à cet égard.

[10]          Pour les motifs qui précèdent, la Cour accepte l'argument de l'appelante selon lequel elle avait une attente raisonnable de profit à l'égard de sa pension pour chats en 1994, en 1995 et en 1996. Toutefois, l'article 67 a été invoqué par l'intimée, et l'appelante a correctement produit la pièce A-6. Compte tenu de ces deux faits, les pertes de l'appelante indiquées ci-après sont admises pour les années en litige :

1994                                         3 307,00 $

1995                                         2 389,00 $

1996                                         3 459,38 $

[11]          L'appel est admis pour ce motif.

                Signé à Ottawa, Canada, ce 1er jour de février 2001.

« D. W. Beaubier »

     J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme ce 14e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur

[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

2000-1156(IT)I

ENTRE :

CARLA CALLEGARO,

appelante,

et

SA MAJESTÉ LA REINE,

intimée.

Appels entendus le 22 novembre 2000 à Vancouver (Colombie-Britannique) par

l'honorable juge D. W. Beaubier

Comparutions

Pour l'appelante :                                 l'appelante elle-même

Avocat de l'intimée :                            Me Ron Wilhelm

JUGEMENT

          Les appels des nouvelles cotisations établies en vertu de la Loi de l'impôt sur le revenu pour les années d'imposition 1994, 1995 et 1996 sont admis dans la mesure où des pertes de 3 307 $ pour l'année d'imposition 1994, de 2 389 $ pour l'année d'imposition 1995 et de 3 459,38 $ pour l'année d'imposition 1996 sont admises, et les nouvelles cotisations sont déférées au ministre du Revenu national pour nouvel examen et nouvelles cotisations compte tenu de ce qui précède.


          Signé à Ottawa, Canada, ce 28e jour de novembre 2000.

« D. W. Beaubier »

J.C.C.I.

Traduction certifiée conforme

ce 14e jour de juin 2001.

Philippe Ducharme, réviseur


[TRADUCTION FRANÇAISE OFFICIELLE]

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